Livre

Recension de “Le rêve de l’assimilation” de Raphaël Doan

Un sujet inédit et passionnant.

Raphaël Doan, Le rêve de l’assimilation. De la Grèce antique à nos jours, Passés Composés, 2020

Un sujet passionnant (et, à ma connaissance, inédit en France dans son propos global) qui mérite en effet qu’on s’y penche en étudiant la question à travers les âges. Cet essai proposé par Raphaël Doan -qui n’est certes nullement un spécialiste de la question- constitue une belle entrée en la matière pour qui s’intéresse à la question, quitte à approfondir en se référant à la bibliographie indiquée.

L’un des intérêts de l’ouvrage est d’offrir un tableau de situation fort variées, aussi bien dans le temps que dans l’espace, mais surtout vis à vis de la question centrale de l’assimilation, celle des étrangers. Le cas de la France retient bien évidemment l’attention.

Pour l’auteur, que l’on suit volontiers à ce propos, l’assimilation est associée à l’universalisme, alors que le racisme et la xénophobie sont à l’origine de son rejet. Elle caractérise des sociétés ouvertes.

L’Antiquité est couverte par des exemples pris dans le monde grec (surtout hellénistique, les suites des conquêtes d’Alexandre justifiant ce choix, à compléter et à tempérer avec l’excellent livre de Catherine Salliou, Le Proche-Orient ancien, édité chez Passés Composés) et dans l’empire romain, le Moyen Age avec l’empire arabo-musulman (à ses débuts), les autres périodes avec la France (très intéressant, avec des informations sur la longue durée), le Japon et les Etats-Unis.

L’ouvrage débute par une entame très intéressante que je vous recommande particulièrement: qu’est-ce que l’assimilation? Chapitre où sont évoquées aussi l’acculturation, l’intégration, etc, autant de concepts qu’il importe de saisir et de comprendre.

La lecture est agréable, instructive, invite à la réflexion, qu’on adhère ou non aux conclusions. La diversité des situations évoquées permet de comprendre les différentes approches qui ont pu exister dans l’Histoire vis-à-vis de cette question de l’assimilation.

Certes, le livre pêche sans doute du fait que l’auteur ne soit pas historien. Le choix de la Grèce antique est pertinent, mais il eût été préférable de traiter aussi de la colonisation de l’époque archaïque, au cours de laquelle se pose véritablement la question du contact avec l’étranger et de l’intégration (y compris au corps civique)… Quant à Sparte, je ne suis pas convaincu qu’elle soit plus hostiles aux étrangers qu’Athènes (lire cet ouvrage), la question des Périèques et des Inférieurs représentant d’ailleurs un beau sujet d’étude sur l’intégration. Le mythe de l’autochtonie pour Athènes et celui du retour des Héraclides pour Sparte mérite aussi une attention car ils ne sont pas sans conséquences sur la vision et la définition de l’étranger.

Pour ce qui est des Romains (un très bon chapitre, au demeurant), non, on ne peut pas affirmer que les non-citoyens étaient plus mis en danger au combat que les cives Romani. Si Caracalla offre la citoyenneté à tous les hommes libres de l’Empire (sauf les déditices), et que la romanisation est un fait, il faut remarquer ses limites (que l’auteur évoque avec les Celtes d’Angleterre actuelle), car des particularismes persistent dans toutes les provinces, ainsi que la tâche indélébile de l’esclavage dont souffrent les affranchis. En matière de religions anciennes, la question du syncrétisme est beaucoup plus complexe qu’évoqué par l’auteur car elle ne se limite nullement à l’établissement d’éventuelles correspondances entre dieux, pas toujours effectives ni possibles.Quant aux Barbares qui vont faire tomber l’empire d’Occident (il aurait été bon de se poser la question de ce qui se passe à Constantinople), ils sont loin d’être tous païens (les Goths, par exemple, sont ariens).

Si le livre est réussi et mérite d’être lu (je l’ai apprécié), il me semble que l’auteur évite les sujets “qui fâchent”, ou alors passe rapidement dessus : les massacres des Indiens aux Etats-Unis ne sont pas évoqués (des Indiens très mal assimilés si on juge par leur niveau de vie dans les réserves jusqu’au milieu du 20e siècle, outre le peu de cas qu’en font les autres Américains, ainsi que la volonté de préserver à tout prix les cultures amérindiennes par les membres des tribus), pas plus que les flambées de violence et d’intolérance de certains califes ou mouvances musulmanes, comme les Almohades envers les Almoravides (même si la tolérance de l’islam est bien mis en exergue dans le texte). De même il est faux de nier la difficulté d’intégration et d’assimilation des Juifs dans le monde gréco-romain : si nombre d’entre-eux vivent “à la grecque” à Césarée ou à Sepphoris, tous sont loin d’être à l’image d’Hérode le Grand. Quid des Maccabées? Et il n’est nulle part fait allusion aux grandes révoltes contre Rome des années 60 et de 135, ce qui est pour le moins surprenant. La France, dont il est beaucoup question (avec une présentation de la situation au fil des siècles), est jugée assimilatrice, mais il aurait été bien d’approfondir les difficultés de l’époque coloniale pour les non-Blancs, que ce soient les Canaques, les Réunionais, etc. Si le chapitre sur les Etats-Unis est très instructif et également passionnant, l’auteur a réussi le tour de force à ne pas évoquer les “Jim Crow Laws” ni même le Ku Lux Klan, pas plus que l’expression WASP… Evoquer l’internement des Américains d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale aurait été aussi l’occasion de poser la question d’à partir de quel moment on admet qu’un “étranger” est assimilé… Les longues citations en grec et en latin dans les notes, parfaitement inutiles, auraient gagné à être remplacées soit par un index (qui fait défaut), soit par un développement de certains aspects évoqués trop succinctement dans le corps du texte.

Je laisse par ailleurs à l’auteur la responsabilité de cette affirmation: “l’Europe est restée romaine, comme le Maghreb et le Moyen-Orient sont restés arabes”, car c’est un peu court en la matière, surtout pour la seconde catégorie de pays envisagés, qui sont très différents les uns des autres quant à leur sociétés ou leurs legs culturels. Notons aussi que l’empire romain n’était pas l’Europe et qu’une large part de celle-ci n’a jamais été intégrée à l’empire romain (Scandinavie, est de l’Allemagne, Russie et une grande partie de l’Europe de l’est).La question de la volonté ou non d’être intégré aurait peut-être pu aussi représenter une entrée de chapitre. La façon dont chaque pays envisage la nationalité et la citoyenneté orientent beaucoup la manière dont est pensée ou envisagée l’assimilation ou l’intégration et aurait pu également être traîtée.

Au final, en dépit de ces réserves, un livre très intéressant que j’ai apprécié, portant sur une question d’importance et toujours d’actualité.