Livre Seconde Guerre Mondiale WWII

Recension de “Le pont de la victoire. L’Iran dans la Seconde Guerre mondiale”

Un pan méconnu de la Seconde Guerre mondiale

Christian Pahlavi et Pierre Pahlavi, Le pont de la victoire. L’Iran dans la Seconde Guerre mondiale, Perrin, 2023 

Heureuse initiative des éditions Perrin de nous gratifier d’un sujet très rarement traité sur la Seconde Guerre mondiale, ce qui est une gageure : l’Iran. Je ne connais en fait aucune autre étude sur le sujet en langue française.  

Je précise d’emblée (en dépit de mes critiques finales) que c’est un bon livre qui en mérite largement la lecture, qui ne peut que compléter la connaissance de la Seconde Guerre mondiale. Un de ses intérêts est aussi de ne pas présenter les événements du point de vue extérieur, britannique par exemple (même si je pense que les auteurs mettent trop les Alliés à charge). 

Comme l’Egypte avec le canal de Suez, l’Iran est un enjeu à cause de son pétrole et de sa position carrefour entre le Moyen-Orient et l’URSS, d’où son importance pendant le conflit. 

Nous sortons donc des sentiers battus et comprenons vite que ce « pont de la victoire » est l’artère de ravitaillement en matériel britannique et surtout américain (dans le cadre du « Prêt-bail ») à destination de l’Union soviétique. Cette aide massive des Alliés s’est avérée essentielle pour l’Armée rouge et l’industrie de guerre soviétique, mais certes moins cruciale que l’existence d’un « Second front ». 

Les Iraniens, qui auraient sans doute voulu demeurer entièrement à l’écart du conflit, sont happés bien malgré eux dans la tourmente qui embrase le monde car leur pays passe sous la coupe du Royaume-Uni et de l’URSS qui l’envahissent en août 1941.  

Pour bien comprendre pourquoi la situation est parvenue à cette extrémité, les auteurs consacrent une longue partie introductive aux relations particulières entre l’Allemagne et l’Iran, et ce avant même l’arrivée du pouvoir de Hitler, en insistant sur l’idéologie nazie et les Iraniens, qui sont des Aryens… Une partie particulièrement intéressante et instructive. Le contexte des événements politiques survenant au Moyen-Orient en 1941 reçoit une attention toute particulière. La question des techniciens et des espions allemands, ainsi que des connivences éventuelles entre Téhéran et Berlin est évidemment abordée.  

Les conditions de l’invasion alliée, puis ses conséquences sur la dynastie régnante ainsi que les menées des espions allemands (ainsi que des agents qui les rejoignent) constituent un autre pôle d’intérêt du livre. On apprécie aussi les lignes consacrées à la conférence de Téhéran, qui regroupe Staline, Roosevelt et Churchill, les « trois grands ». Les lecteurs apprécieront la mise en perspective avec les autres événements survenant au Moyen-Orient ainsi qu’en Union soviétique. Le récit de l’invasion de l’Iran (je laisse les lecteurs juger des responsabilités du Shah) puis de la mise en oeuvre d’une route de ravitaillement de l’Union soviétique via l’Iran sont au coeur de cet ouvrage bien ficelé, si ce n’est que les questions stratégiques ne sont pas assez poussées et trop centrées sur l’Iran (il n’est nul fait mention des plans anglais ni des 9th et 10th Armies déployées en Iran et en Syrie/Palestine et de la stratégie du général Auchinleck, successeur de Wavell au Caire, de l’été 41 à l’été 42). 

On apprend donc beaucoup, le texte est bien écrit, les sujets abordés suffisamment variés, le rythme des événements assez haletant.  

On ne peut pas relater le contenu de l’ouvrage, car c’est au lecteur de le découvrir, mais il est captivant et, j’insiste de nouveau, apporte une pierre originale à la connaissance de la Seconde Guerre mondiale. 

Pour toutes ces raisons, il s’agit donc d’un livre qui mérite la lecture. 

Toutefois, quelques écueils sont à noter. D’abord le parti pris des deux auteurs, membres de la famille impériale iranienne (ce sont des Pahlavi). Le sort en exil de Reza Shah Pahlavi devait certes être évoqué, mais il l’est beaucoup trop longuement. Si les intrigues de palais et les politiques sont d’importance, l’existence du peuple et les contacts avec les occupants (auxquels sont attribués la cherté de la vie –et non au gouvernement, ce qui serait à approfondir, alors même que, comme en Egypte, ils fournissent également de la main d’oeuvre et stimulent l’économie par leurs achats) sont sans doute trop brièvement abordés (à mon goût, ce qui est certes fort discutable, j’en conviens). 

Le plus problématique concerne les événements militaires, pour lesquels bien des non-spécialistes des armées et de leurs batailles (mais pas tous), éprouvent bien des difficultés (voire mes recensions ici et ici). La confusion est particulièrement marquée pour la guerre du désert, les auteurs confondant les opérations menées par Rommel en 1941 avec celles de 1942, créditant Montgomery du commandement de la 8th Army avant août 1942 (erreur répandue chez le grand public qui ne connait que ce général anglais) ; plus loin, page 338, c’est Manstein qui se voit attribuer un commandement qu’il n’a pas. Comme tant d’autres (encore en 2023 !), ils attribuent l’échec allemand devant Moscou aux intempéries et au retard pris à lancer une campagne dans les Balkans, ainsi qu’à une autre contre-vérité : « la capitale soviétique qui vient d’être très largement sauvée par l’arrivée de matériel américain », ce qui est une absurdité (il n’y a pas de matériel américain à ce moment-là et celui qui est fourni par les Anglais ne pèse pas lourd). Quant au « Fall Blau », première mouture de la poussée vers le Caucase en 1942, puis au « Fall Edelweiss », ils ne visent évidemment ni l’un ni l’autre nullement l’Iran ou la jonction avec les Japonais, bien au-delà des possibilités logistiques allemandes, la Wehrmacht, déjà à la peine en Russie, ne pouvant de toute façon se permettre de se disperser pour une nouvelle campagne. Quant à la phrase de Benoist-Méchin, page 333, elle ferait sourire le moindre passionné de la guerre d’Asie-Pacifique et ceux qui s’intéressent sérieusement à l’épopée de l’Afrikakorps (l’anecdote supposée des 100 000 Volkswagen est également délirante…). Il est noté page 259 que la radio annonce la prise de la Crète par les Allemands : nous sommes en septembre et la Crète tombe… le 1er juin (lancement de l’opération « Merkur » le 20 mai 1941). Créditer la division « Handschar » de 372 000 à 445 000 Musulmans n’est pas sérieux, le chiffre serait démesuré en y incluant même toutes les autres formations de l’armée allemande où se trouvent enregimentés des Musulmans, que ce soit des Osttruppen ou des Indiens. Page 365, Fitzroy MacLean est crédité de la création et de la mise sur pied des SAS, alors que tout historien qui s’intéresse sérieusement aux unités de commandos de la Seconde Guerre mondiale sait pertinemment que le père des SAS s’appelle David Stirling et qu’il n’a jamais mis les pieds en « Perse » (comme l’aurait dit Winston Churchill…). Autre erreur, non d’ordre d’histoire militaire cette fois-ci, il est écrit page 393, que les nations s’empressent au cours des derniers mois de la guerre pour déclarer la guerre à l’Allemagne, et ce afin d’être membres de la future Organisation des Nations Unies. Or les auteurs précisent que l’Egypte fait exception, ce qui est absolument faux : cf ma participation à La Seconde Guerre mondiale vue d’ailleurs, ma contribution portant justement sur l’Egypte. Quant au débarquement en Normandie (page 410), il est décidé bien avant la conférence de Téhéran.  

Enfin, comment suivre les auteurs lorsqu’ils esquissent une comparaison entre de Gaulle et Mohammed Reza Shah Pahlevi : « les similitudes sont nombreuses entre ces deux dirigeants solitaires qui ont conquis la souveraineté de leur pays au forceps face à des protecteurs encombrants. » 

Mais ces erreurs ou limites ne changent pas mon avis principal: un très bon livre, agréable à lire, qui nous fait découvrir du nouveau sur la Seconde Guerre mondiale.