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Recension de “Churchill, seigneur de guerre” de Carlo d’Este, Perrin, Tempus

Ce livre, axé sur son rôle comme chef de guerre, est des plus passionnants.

Churchill, seigneur de guerre de Carlo d’Este, Perrin, Tempus, 2019, 1237 pages

Quel récit époustouflant! Ce n’est pas la première fois que je lis la vie de Churchill (en dernier lieu ce beau livre de François Kersaudy: Churchill, stratège passionné), qui tient du vrai roman et de l’épopée, mais ce livre, axé sur son rôle comme chef de guerre, est des plus passionnants.Churchill, très ambitieux, percutant et fort prétentieux, de caractère difficile, au physique sans aucun charme, n’inspire de prime abord que peu de sympathie. Sa dureté envers biens ses généraux renforce ce sentiment. Néanmoins, le personnage est superbe et plein d’humour, son parcours stupéfiant, son verbe magnifique.

Les pages sur ses aventures en Inde, au Soudan et aux cours de la guerre des Boers (à ce propos: lire L’or, l’empire et le sang où il est beaucoup question de Churchill) sont bien connues, mais leur récit reste toujours enthousiasmant, surtout si cela est bien écrit, ce qui est la cas ici. Féru des guerres coloniales britanniques, ces pages ont particulièrement retenu mon attention: pour celui qui veut comprendre le Churchill des années 1940, il faut connaître l’officier subalterne et le journaliste de la fin de l’ère victorienne… La fameuse charge du 21st Lancers à Omdurman (j’en suis à ma énième lecture de ce fait d’armes insensé et imprévu) et l’évasion de Churchill des mains des Boers sont toujours de grands moments à lire. On est impressionné par la compréhension de la guerre et la compassion pour l’ennemi de la part de Churchill. D’Este se trompe cependant lorsqu’il affirme que Omdurman est le cadre de la dernière charge de l’armée de Sa Majesté: il devrait s’intéresser à la Première Guerre mondiale au Moyen-Orient et à notamment aux troupes du général Allenby… Les pages consacrées à la Grande Guerre sont évidemment indispensables à la compréhension du personnage. L’après-guerre également, bien que survolé car il ne s’agit pas là d’une biographie: le sujet est bien « Churchill, seigneur de la guerre).

Ce sont bien entendu les chapitres sur la Seconde Guerre mondiale qui ont le plus retenu mon attention. Notre dette envers cet homme est considérable: un fait de nature à contredire ceux qui osent encore relativiser le rôle des grands homme dans l’Histoire, ceux qui nient qu’un homme puisse avoir une influence déterminante sur les événements (une vision erronée des choses qui n’est pas sans arrière-pensée politique). Sa détermination inébranlable, sa volonté absolue de lutter contre Hitler quoiqu’il arrive, son espérance en des jouer meilleurs, son impulsion décisive et son charisme: son arrivée au 10 Downing Street constitue un des événements majeurs de la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, je ne me lasse pas de ses discours, de son art oratoire, de son don de l’expression, de la répartie ou de la petite phrase bien choisie (il faut lire « Le monde selon Churchill : Sentences, confidences, prophéties et reparties » de François Kersaudy)… Carlo d’Este nions montre bien à quel point il s’est montré difficile dans ses relations avec ses généraux, notamment Dill, Wavell (qu’il n’apprécie vraiment pas) ou encore Auchinleck (qu’il aimait, au contraire), mais aussi Brooke. Ce dernier avait son franc-parler et savait lui tenir tête: voilà ce que le Premier Ministre appréciait. Mais il fallait aussi se montrer agressif contre l’ennemi. A contrario, il n’hésite pas à soutenir des officiers plus controversés comme Mounbatten. Churchill a multiplié les projets farfelus, le gabegies stratégiques, les sautes d’humeur malvenues, les erreurs de jugement sur les délais nécessaires pour qu’une armée soit opérationnelles… Comme Hitler, il veut tout gérer, et parfois très mal… Comme Hitler, il se croit aussi talentueux que ses généraux… Comme Hitler, il est berné par les chiffres… Comme Hitler, il estime qu’une volonté plus forte est à même de triompher de tous les obstacles… Carlo d’Este ne cache pas combien il estime que le choix -non voulu- de Montgomery pour commander la 8th Army sous les ordres d’Alexander représente l’une des décisions les plus réussies de Churchill: l’Angleterre aurait enfin le chef d’armée qu’elle mérite.

Au final, un beau récit, palpitant et bien écrit, fourmillant d’anecdotes, qui permet de revisiter les grands moments du 20e siècle à travers le prisme d’un de ses acteurs majeurs, envisagé ici comme chef de guerre. Il ne faut pas hésiter à le lire!

Les erreurs sont toutefois nombreuses, et j’ai toutes les peines du monde à les accepter de la part d’un historien à plein temps qui se veut spécialiste de la Seconde Guerre mondiale. Comme d’accoutumée, il semble que certains soient perdus dès qu’ils s’éloignent des sentiers battus de leur campagne de prédilection…

Une grande surprise: il n’est jamais question de De Gaulle. Ce dernier n’est évoqué que trois fois (à chaque fois dans l’espace d’une phrase, sans qu’il ne soit vraiment question de la France libre)  et jamais pour les événements de 1940, y compris quand il est question de la faction du gouvernement français hostile à l’armistice…

Parmis les erreurs et inexactitudes décelées:

-Carlo d’Este, comme tout anglo-saxon peu au fait de la langue de Molière, traduit « drôle » dans « Drôle de Guerre » par « amusant » , au lieu de comprendre « étrange » ou « bizarre », confondant ainsi « funny » et « strange ». Une erreur récurrente chez les historiens américains…

-Il fait débuter le guerre en mai 1940!! Page 18, parlant de Hitler se déplaçant en train jusqu’à son QG le 10 mai 1940, il écrit : ‘ »il était venu jusque-là pour assister aux premiers coups de feu de la Seconde Guerre mondiale. » Vraiment? Qui des campagnes de Pologne et de Scandinavie?

-Lorsqu’il est question de Narvik et de la Scandinavie, et notamment des projets pour « couper la route du fer », D’Este semble ignorer que la motivation première des Alliés, qui justifieraient une intervention dans le secteur avant les Allemands, réside dans la volonté de venir en aide à la Finlande. Carlo d’Este n’en parle pas du tout…

-page 632, le 17 mai 1940, il est question des « deux chefs en lice, Churchill et Hitler ». Il n’y a ni armée ni gouvernement français?

-page 678, Paris tombe le 15 juin 1940: non, la Wehrmacht y fait son entrée la veille…

-page 719: il est question de deux porte-avions français. A cette date (juin 1940),notre flotte n’en a aucun de terminé et d’opérationnel.

-page 737: il prétend (mai 1940) que la guerre en Méditerranée survient pour le pétrole. Rien de plus faux: Mussolini rêve d’un nouvel empire romain…

-page 771: d’Este attribue l’échec de Barbarossa au 5 semaines de retard survenues dans les Balkans. Cette explication fallacieuse existe-t-elle donc toujours?

-Etrangement, lors de la 1ère rencontre avec Roosevelt, il est fait peu de cas de l’importance et des implications de la Charte de l’Atlantique

-page 913, lorsque l’auteur évoque les chars spéciaux du général Hobart, les « funnies », la liste donnée donne à penser qu’il semble ignorer que le Crocodile et le Churchill doté d’un lance-flammes ne constituent qu’une seule et unique variante…

– Les erreurs concernant la guerre du désert sont sans nombre (notons au passage que globalement, Carlo d’Este est assez dur avec Claude Auchinleck): lorsque la Western Desert Force devient un corps d’armée, c’est le 13e corps, et non le 23e…; les pertes de l’opération Brevity (mai 1941) sont erronées; le Flak de 88 mm n’est pas utilisé pour la 1ère fois comme antichar lors de l’opération Battleaxe (cf Guerre d’Espagne et aussi mai-juin 1940); les effectifs en tanks de l’opération Crusader sont inexacts ; son récit de la bataille de Gazala est médiocre et ne reflète pas la réalité des événements pour un néophyte ; lorsqu’à El Alamein Montgomery lance l’assaut décisif le 2 novembre, d’Este invente l’opération Overload (au lieu de Supercharge!!) ; D’Este écrit que Rommel abandonne Tripoli le 13 janvier 1943: c’est dix jours plus tard…

-Concernant Salerne et l’opération Avalanche, nulle mention des débarquements anglais concomitants à la pointe de la botte (opération Baytown) et au talon (à Tarente…), ce qui a évidemment influé sur l’action de Kesselring à Salerne…

-page 826, il est écrit « Hitler aurait probablement gagné »si Churchill n’avait pas endossé le « rôle du seigneur de guerre ». C’est aller un peu vite en la matière: Winston Churchill n’est pas à la hauteur de ses généraux, et ses errements stratégiques le prouvent… Quant au fait qu’Hitler aurait gagné sans lui…

-page 922, l’auteur écrit que Churchill attend le 13 novembre pour « faire sonner les cloches » afin d’être assuré du succès d’El Alamein. En fait, il a été convenu d’attendre le succès de Torch, le débarquement en Afrique du Nord, qui survient le 8 novembre (cessez-le-feu avec les Français le 11 novembre).

-pages 1046-1047: en conclusion de la bataille de Normandie, parlant de l’armée allemande, l’auteur écrit que « seuls quelques vestiges s’échappèrent vers la Seine »: non, 240 000 hommes, dont de nombreux cadres, qui seront à l’origine du prolongement de la guerre et des tragédies d’Arnhem et des Ardennes…

-L’auteur donne des chiffres différents sur les pertes allemandes à l’Ouest au cours de l’été 1944. le chiffre de 300 000 est trop bas et ne concerne que la seule Normandie.

-Page 1050: il écrit que la bataille des Ardennes est la plus coûteuse de la guerre pour l’US Army. Non, la première place revient à la bataille de Normandie (deux fois plus de morts…).

-D’Este s’avance un peu en affirmant, en parlant su stalinisme: une « dictature communiste plus répressive que l’Allemagne fasciste »…

Ceci étant, ces erreurs n’ont pas entaché mon plaisir et l’ensemble reste un livre passionnant.