L’armée allemande passe pour posséder le corps d’officiers le plus talentueux de la guerre. Qu’en est-il réellement ? Quel bilan peut-on tirer de du haut-commandement allemand pendant la Seconde Guerre mondiale ? Une question qui implique de se pencher sur le cas très particulier d’Adolf Hitler comme chef de guerre… Notre étude portera avant tout sur la Heer.
UNE STRUCTURE INCOHERENTE
OKW
Le Führer, Oberster Befehlshaber der Wehrmacht, soit commandant en chef de la Wehrmacht, depuis le 4 février 1938, (et, à partir de décembre 1941, chef de la Heer et, partant, responsable de l’Ostfront), est le commandant suprême des forces armées du Reich. En mars 1939, le commandement en chef des trois armées (terre, air, mer) est unifié au sein de l’OKW (Oberkommando der Wehrmacht) dirigé par le Generaloberst Wilhelm Keitel avec Alfred Jodl comme responsable des opérations, les deux hommes, fait exceptionnel, gardant leurs fonctions jusqu’à la fin du conflit. L’organe de commandement de l’armée de terre (la Heer) est l’OKH (Oberkommando des Heeres) sous le commandement du Generaloberst Brauchitsch, assisté du General Halder au poste de chef d’état-major. La marine de guerre, la Kriegsmarine, est dirigée par le GroBadmiral Raeder. L’armée de l’air, la Luftwaffe, est sous la coupe d’un nazi de la première heure, le fidèle Reichsmarschall Goering, ancien as du premier conflit mondial et numéro deux du régime. La Waffen SS ne constituera jamais en tant que telle une composante de la Wehrmacht, mais elle est placée sous le contrôle de l’OKW. Dans les faits, les GQG des trois armées disposent d’une certaine autonomie vis-à-vis de l’OKW. L’OKW, au personnel étonnamment stable pendant toute la durée du conflit est censé chapeauter L’organe central, avec lequel le Führer travaille en étroite collaboration, est le Wehrmachtfürungsstab, soit l’état-major d’opérations, dirigé par le général Jodl, assisté notamment du général Warlimont. D’autres services complètent l’organigramme : l’Amt Ausland Abwehr, soit le service des renseignements dirigé par l’amiral Canaris ; le service de l’armement et de l’économie (dissout en 1944)… En 1943, l’Inspection des Troupes Blindées, confiée à Guderian, lui est subordonné, sans que son titulaire n’ait la moindre autorité sur les unités Sturmgeschütze ou sur la production d’engins blindés. C’est que, dans les faits, l’OKW n’est nullement l’instance suprême qu’on pourrait imaginer. On ne doit nullement imaginer une réelle coordination des activités des trois forces en vue d’une stratégie commune : les chefs des trois armées ne se sont presque jamais rencontrés ! Après la campagne de 1940, et avec « Barbarossa », l’OKW ne gère plus directement que les théâtres d’opérations en dehors de la lutte titanesque face à l’Union soviétique, qui échoie en théorie au seul OKH. Puissance continentale, l’Allemagne concentre en effet ses effectifs au sein de l’OKH, qui ne cesse d’être en concurrence avec l’OKW pour tout ce qui a trait aux effectifs, renforts, matériels et armement, ainsi qu’en terme de priorité stratégique…. Toutefois, Hitler s’immisce de très près aux opérations et se rend lui-même à l’Est dans ses PC, établissant ainsi son GQG –donc l’OKW- à Vinnitsa. Par ailleurs, Hitler devenant lui-même le commandant en chef de l’armée de terre après la mise en congé de Brauchistch en décembre 1941, une certaine confusion s’opère entre les prérogatives de l’OKW et celles de l’OKH, plus forcément seul à être chargé de la planification. L’OKW met sur pied les premières campagnes, qui seront pourtant menées par l’OKH (sauf « Weserübung », 1ère opération combinée de la guerre, contrôlée par le Generaloberst Jodl), mais il ne planifie aucune stratégie à long terme : « Seelöwe » est ainsi improvisée, de même que « Sonnenblume ». Restant responsable de la Scandinavie, il est ensuite responsable des opérations en Afrique du Nord, dans les Balkans (après la conquête de 1941) et en Méditerranée ainsi que du front de l’Ouest. La campagne de Pologne et la Westfeldzug ont été du ressort de l’OKH, qui a ensuite l’immense tâche de mener la guerre à l’Est. Toutefois, l’OKW n’est en fin de compte qu’une chambre d’enregistrement des desiderata du Führer, qui n’est entouré que d’un groupe de courtisans et de bénis oui-oui sans relief. La peur et la servilité brident les initiatives. Keitel n’a eu aucune influence sur les opérations. Alfred Jodl, bien plus compétent, est pourtant lui-aussi sous l’emprise de Hitler, dont il est un des hommes de confiance, et se charge de traduire les souhaits du dictateur en plans opérationnels exécutables. En 1944, l’atmosphère est de plus en plus lourde et tendue. On n’ose contredire le dictateur ou même lui faire prendre connaissance de nouvelles désastreuses. L’OKW apparaît donc comme la chambre d’enregistrement des directives du Führer. On ne peut donc pas comparer l’OKW avec le SHAEF d’Eisenhower, ou encore au Combined Chief of Staff de la coalition anglo-américaine. Un écueil qui conduit le Reich à sa perte…
OKH, OKL et OKM
L’OKH, le haut-commandement de l’armée de terre, est donc en théorie l’instance suprême de la Wehrmacht après l’OKW. Il bénéficie des officiers les plus brillants de l’armée, mais l’OKH, de plus en plus sous l’emprise du dictateur, ne peut donner tout son potentiel, d’autant que nombre de responsables sont écartés. En novembre 1939, Brauchitsch ose se plaindre des interventions intempestives au cours de la campagne de Pologne. Il demande que l’OKH soit à m’avenir seul responsable de la direction des opérations. Hitler entre dans un accès de rage. Le chef d’état-major de l’OKH (Halder jusqu’en septembre 1942, Zeitzler jusqu’en juin 1944, Heusinger, Guderian puis Krebs), en qualité de responsable de la planification des opérations, est donc l’homme-clé de l’armée allemande. Sa cohésion souffre toutefois d’une absence de stabilité dans le personnel aux plus hautes responsabilités. L’OKH planifie les opérations désirées par le Führer et, après approbation des plans par celui-ci, il lui appartient de transmettre ses ordres au Heeresgruppen avec lesquels les opérations sont discutées et préparées en détail, avec le concours des états-majors des Armeen concernées. Si Halder, bavarois et fervent catholique, par ailleurs cultivé (il est féru de botanique et de mathématiques), est un officier d’une intelligence supérieure, il n’a pas été en mesure de s’opposer au Führer jusqu’à ce qu’il subisse la colère de ce dernier à cause de la mauvaise gestion de la campagne du Caucase. L’homme n’est pas de ceux qui prennent des risques, ni de ceux qui osent s’opposer à Hitler pour lui faire entendre raison. En septembre 1942, Halder démissionne et se voit remplacé par Kurt Zeitzler qui obtient d’être responsable des directives du Führer pour l’Ostfront (elles prennent alors le nom d’ordres d’opérations), sans interférences de l’OKW. Zeitzler est ainsi en mesure d’empêcher l’OKW d’avoir accès aux informations détaillées concernant la situation sur le front de l’Est. Il s’agit d’un tournant dans la conduite quotidienne des opérations terrestres. Jusqu’alors, la campagne est menée de façon largement traditionnelle, l’OKH exécutant les ordres de l’OKW ? Après la nomination de Zeitzler, le chef d’état-major de l’armée reçoit ses ordres au cours des conférences quotidiennes de l’OKW. Kurt Zeitzler était chef d’état-major du Heeresgruppe D en Belgique et aux Pays-Bas quand il accède, de manière inattendue, au poste de chef d’état-major de l’OKH. Les deux principaux organes de commandement se rejoignent sur un point essentiel : OKW et OKH entérinent les mesures draconiennes. Les généraux ne témoignent pas la moindre réticence à accepter les décisions les plus criminelles. A la fin de la guerre, l’inévitable fusion entre les deux services s’opère.
Les questions relatives au personnel, ainsi que tout ce qui a trait au budget et à la justice sont du ressort des GQG des différentes armées (Heer, Luftwaffe, Kriegsmarine). Dans le même ordre d’idée, l’Organisation Todt, qui bâtit pourtant les fortifications de la Wehrmacht, ainsi que le RAD, en charge également de travaux pour le front, jouissent d’une totale autonomie vis à vis de l’OKW… Les différents états-majors travaillent en parallèle, sans souci de réelle harmonisation et de coopération. Méfiance et sont les maîtres-mots. Pour exprimer leurs doléances en matière de moyens, de production et de stratégie, Dönitz, Raeder, Göring et Himmler n’hésitent pas à court-circuiter l’OKW. Ainsi, plutôt que d’accepter de se séparer de 200 000 hommes qui auraient été les bienvenues pour recompléter les effectifs de l’Ostheer, Goering préside à la mise sur pied de divisions de campagne de la Luftwaffe. Jaloux de son autorité plus nominale qu’autre chose, Goering est assisté du Feldmarschall Milch, responsables des questions industrielles et d’organisation, et du Feldmarschall Jeschonnek, qui fait office de chef d’état-major et de chef des opérations.
Quant à la l’OKM, il jouit encore de davantage d’autonomie, Hitler intervenant beaucoup moins dans ses opérations. La Waffen SS, de son côté, n’est placé sous les ordres de la Wehrmacht au mieux qu’au niveau opérationnel. Les questions de son personnel et de son équipement échappent à l’armée.
Commandants en chefs des différentes branches de la Wehrmacht
OBdH (Oberbefehlshaber des Heeres) : Von Brauchitsch (1938-déc 1941) Hitler (déc 41-avril 1945) Schörner (30 avril-8 mai 1945)
OBdL(Oberbefehlshaber der Luftwaffe) : Goering (1935-avril 1945) Von Greim (avril-mai 1945)
OBdM (Oberbefehlshaber der Marine) : Raeder (1928-janvier 1943) Dönitz (janvier 19423-mai 1945) Von Friedeburg (mai 1945)
Quartiers-généraux
En 1939, le Führer se déplace avec un quartier-général mobile, lui-même séjournant à bord de son train blindé à usage personnel (« Amerika »). Le quartier-général le plus célèbre de Hitler est la Wolfsschanze, à Rastenburg, en Prusse orientale. Il séjourne également régulièrement au Werwolf de Vinnitsa. Il ne se déplace que vers l’Ouest, dans son chalet de Berchtesgaden, dans l’attente de l’Invasion, que de la fin 1943 à l’été 1944, entrecoupée d’un séjour de quelques heures au bunker de Margival, dit Wolfsschlut 2. A partir de novembre 1944, irruption de l’Armée rouge aux frontières orientales du Reich oblige, il doit renoncer à la Wolfsschanze. Il ne retourne à l’Ouest qu’un mois à partir de décembre 1944, pour suivre la contre-offensive des Ardennes depuis le Wolfsschlucht de Ziegenberg, comme lors de la campagne victorieuse de 1940 (au cours de laquelle il séjourne toutefois essentiellement au Feldnest). Ces QG sont constitués de bunker et/ou de baraquements en bois, au confort spartiate et à l’ambiance des plus moroses, entourés de barbelés et de défenses et dûment gardés, au sein desquels les distractions sont peu nombreuses. Plus mobile que l’OKH (qui a pourtant un élément itinérant qui suit Hitler), l’OKW suit le Führer à travers ses pérégrinations. L’OKH dispose d’un QG à Zossen, à proximité de Berlin, Berlin où se situe l’organe central d’une des branches essentielles (sise à la Blenderstrasse), l’Ersatzheer, à savoir l’armée de réserve.
Carences stratégiques
La stratégie menée par la Wehrmacht est donc handicapée par une chaîne de commandement complexe et peu adaptée, des rivalités interservices ainsi que par les interventions d’un Führer sûr de ses talents de grand capitaine, travers aggravé par ses considérations politiques. L’absence de vision à long terme dessert la stratégie allemande. La chute de la France, survenue rapidement, prend de cours une Wehrmacht qui n’a pas prévu l’éventualité d’une invasion du Royaume-Uni. Le succès a des effets pervers sur le long terme car il va induire en erreur Hitler et ses généraux sur le potentiel réel et la valeur de la Wehrmacht qui ressent un sentiment d’invulnérabilité, finalement fatal au Reich. Les généraux sont plus que jamais fidèles à leur Führer. Les opportunités qui s’offrent en Méditerranée avec les victoires de l’Afrika-Korps ne sont aucunement exploitées, alors même que Jodl, mais surtout Raeder, qui insiste à plusieurs reprises, ont soulevé la question et envisagé diverses opérations (prises de Gibraltar, Suez ou encore Malte), qui auraient changé la donne. Cela eût-il été possible alors même que la guerre à l’Est accapare toutes les ressources ? Mal préparée, celle-ci se base sur des postulats erronés. La victoire défensive remportée devant Moscou persuade Hitler qu’il est doté d’un génie militaire incontestable. Devenu lui-même le commandant en chef de l’armée de terre, il va intervenir désormais de plus en plus dans la préparation et la mise en œuvre des opérations sur le front, au grand dam des professionnels, pour lesquels il ne ressent que du mépris. Les moyens insuffisants accordés à l’offensive –pourtant cruciale- vers Stalingrad et le Caucase, et plus encore sa piètre exécution, témoignent de l’ineptie de l’OKW et de l’OKH en matière de stratégie. L’absence de priorité à telle ou telle production d’armes, l’absence de réflexion digne de ce nom sur les matériels nécessaires pour remporter la victoire ainsi que les retards divers et les mauvais choix de productions d’armement ne font que confirmer le dilettantisme de Hitler et des plus hauts gradés allemands sur le plan stratégique.
Le renseignement
Les carences des services de renseignements seront la cause de biens des déboires stratégiques. L’Abwehr de l’Admiral Canaris s’est montré impotent pendant la plus grande partie du conflit. Lorsque les convois de l’opération « Torch » sont repérés, l’OKW pense que leur destination est Malte. En 1943, la Wehrmacht n’est pas en mesure de déterminer si les Alliés débarqueront en Sicile, en Sardaigne, en Corse ou en Grèce. L’été 1944 sera celle des erreurs stratégiques les plus conséquentes. La Wehrmacht se leurre à la fois sur le lieu où sera lancée l’Invasion à l’Ouest et où et comment l’Armée rouge déclenchera son offensive. Les Américains ont par ailleurs été constamment sous-estimés. Le Fremde Heer Öst, sensé établir l’ordre de bataille soviétique, se fourvoie également dès l’ouverture de la campagne. Quand, en 1945, Hitler découvre les estimations des forces de l’Armée rouge, il proclame dans un déni de la réalité qu’il s’agit du « plus grand bluff depuis Gengis Khan ».
LES COMMANDANTS DE FRONTS ET DE GROUPES D’ARMEES AU COMBAT
Les responsables de la Wehrmacht dans les campagnes à l’Ouest
L’incroyable victoire remportée au Nord puis à l’Ouest de l’Europe sur l’armée française, si redoutée, et ses alliés au printemps 1940, laisse à penser que le haut-commandement allemand s’avère particulièrement efficient. Le terme de « Blitzkrieg » se banalise pour caractériser cette nouvelle forme de guerre, inaugurée en Pologne en 1939, et basée sur des tactiques de percées alliant le couple Panzer/Luftwaffe suivies d’exploitation en profondeur. Par deux fois, en Scandinavie puis à l’Ouest, le haut-commandement allemand s’assure de la surprise stratégique, facteur décisif dans les deux occurrences sur l’issue finale de la campagne. Leurrés par la feinte lancée en Belgique et aux Pays-Bas, obsédés par le front de la Ligne Maginot, dépourvus de réserves dignes de ce nom, les Alliés ne vont cesser de subir, abandonnant l’initiative à ses adversaires. Les Feldmarchall von Bock et von Rundstedt, qui commandent les Heeresgruppen A et B, ont su faire les préparatifs qui, grâce à des chefs d’armées et de corps d’armées de grande classe secondés par des divisionnaires talentueux, ont débouché sur la plus grande victoire remportée par la Wehrmacht au cours de la guerre. Pour autant, les grands maréchaux et généraux se montrent à l’occasion pusillanimes, au point de freiner et brider les audacieux commandants de Panzer à plusieurs reprises… L’OKH et les commandants de Heeresgruppen commettent là une erreur majeure. L’échec subi devant Dunkerque ne doit pas seulement à la volonté du Führer, qui n’a trouvé que des généraux appuyant ses réserves quant à une poursuite de l’effort des blindés, et ce à un stade du conflit où il se montre pourtant encore prêt à les écouter.
Le front de l’Ouest ne redevient un front majeur pour les opérations terrestres qu’en 1944, après le débarquement en Normandie. Contrairement à ce qui a prévalu quatre années plus tôt, c’est le haut-commandement allemand qui a cédé l’initiative à l’adversaire. L’immense cacophonie et la complexité de l’organisation du haut-commandement à l’Ouest, l’absence de consensus quant à la façon la plus adéquate pour repousser l’Invasion et, partant, l’utilisation des Panzer : tout concourt à mener l’armée allemande au désastre. Si Rommel se distingue du lot par sa clairvoyance avant le Jour J, tous, faute de disposer d’un renseignement digne de ce nom, se laissent leurrer par l’opération Fortitude et les bombardements qui frappent les bases de V1 et de V2 dans le nord de la France. Rommel et Kluge sauront tirer non sans un certain brio des effectifs à leurs disposition en Normandie pour imposer une difficile campagne aux Alliés et contrecarrer leurs offensives. Model, heureusement aidé par les erreurs opérationnelles et stratégiques des Alliés, par ailleurs handicapés par des défaillances logistiques, mène avec brio la retraite jusque sur les frontières du Reich. Dans le sud de la France, le Feldmarschall von Blaskowitz, secondé par un excellent Kurt von der Chevalerie à la 1. Armee, et le General Wiese à la 19. Armee, réussit le tour de force à évacuer le gros de ses forces jusqu’en Bourgogne et en Alsace, exploit qui décide du sort de la Wehrmacht à l’Ouest.
A l’automne 1944, Rundstedt, symbole des victoires de 1939-41 et de la Generalität prussienne (le corps des officiers généraux), est rappelé à l’OB West. Il préside au redressement de la situation, le fameux « miracle de l’automne 1944 », dont les fondements dépassent largement son action. Les différents Heeresgruppen parviennent à tenir la dragée haute aux Alliés alors même que l’OKW constituent des réserves en vues de la contre-offensive des Ardennes. Rundstedt n’est pour ainsi dire pas impliqué dans cette dernière, quant à Model, il lui a peut-être manqué un semblant d’optimisme et la volonté de s’imposer aux chefs des Armeen lancées dans l’offensive pour donner le meilleur de lui-même. De l’automne 1944 au printemps 1945, les différents chefs de groupes d’armées se montrent souvent capables de faire face à une situation des plus délicates pendant des mois. On peut mettre en avant Walter Model et son Heeresgruppe B, qui disparaît dans la Ruhr en avril 1945, mais aussi le Heeresgruppe G sous les commandements de Johannes Blaskowitz et d’Hermann Balck, moins lorsqu’il est à la charge du SS Paul Hausser. Le Heeresgruppe H (rebaptisé Oberbefehlshaber Nordwest à la fin de la guerre) assure les opérations aux Pays-Bas, sous les commandements inspirés de Blaskowitz puis de Kurt Student. L’Oberbefehlshaber Oberrhein est en revanche pitoyablement dirigé par un Himmler peu au fait de la chose militaire, particulièrement à ce niveau de responsabilité, bien que l’hernie de la poche de Colmar ait été bien gênante pour les Alliés. La tâche de tous ces hauts-responsables est au-delà des possibilités de la Wehrmacht qui ne peut plus espérer l’emporter. En mars 1945, l’OB West passe de Rundstedt à Kesselring, qui impose une discipline de fer mais la cause est entendue…
L’Ostfront
Les commandants de groupes d’armées sur l’Ostfront comptent parmi les meilleurs officiers allemands de la guerre. Si Manstein, le plus brillant, et Model, le « pompier du Führer », se distinguent plus particulièrement, on notera les compétences de Rundstedt, Bock, Kluge, … L’impitoyable Schörner n’est pas non plus dénué de tout talent, mais on écartera le Feldmarschall Busch, et plus encore le Reichsführer SS Heinrich Himmler, de la liste des grands chefs de Heeresgruppen. Leeb ne fit pas preuve de grande imagination. Le haut-commandement allemand a été avantagé par l’incompétence des cadres de l’Armée rouge. L’OKH et les Heerersgruppen se sont attachés à préparer l’opération « Barbarossa » avec les plus de minutie possible et de façon des plus consciencieuses. Le plan final reste pourtant ambitieux et postule l’hypothèse d’une destruction de l’Armée rouge au cours des batailles initiales. Les officiers de valeur au niveau des groupes d’armées et d’armées sont bien plus nombreux dans le camp allemand. Expérimentés par les campagnes précédentes, sachant tirer partie de l’outil de guerre mis à leur disposition, bénéficiant de divisionnaires remarquables de flexibilité tactique, le haut-commandement à l’Est va se montrer capable de remporter d’immenses succès en dépit de l’infériorité numérique de ses effectifs et de la tyrannie de la distance et du climat. Leur armée est en effet la meilleure du monde et elle se trouve renforcée par des contingents non négligeables de troupes alliées, principalement en provenance d’Europe centrale et orientale, mais aussi des Finlandais, qui ont fait montre de leur efficacité au combat au cours de la guerre russo-finlandaise. Toutefois, il faudra à ce haut-commandement allemand s(adapter aux nouvelles conditions de guerre, et ce à plusieurs reprises. La « Blitzkrieg » ne caractérise aucunement la guerre à l’Est. « Barbarossa » en 1941 puis « Blau » en 1942 aboutissent certes à des encerclements d’envergure, en partie à mette au crédit de ces maréchaux et généraux (mais aussi de Hitler…), mais ne revêtent en aucune façon un caractère décisif comme ce fut le cas lors des « véritables » démonstrations de la guerre éclair que furent les campagnes de Pologne, de l’Ouest et des Balkans. Après les succès de 1941, le Heeres-Gruppe Mitte se voit considérablement renforcé pour « Typhon », l’offensive qui doit aboutir à la chute de la capitale soviétique. Il n’en sera rien, et le haut-commandement de l’Ostfront, les yeux constamment rivés sur Moscou, faute d’une stratégie bien pensée et arrêtée, responsabilité qu’ils partagent en partie avec le Führer, pourtant plus clairvoyant en la matière. L’opération « Typhon » débute pourtant sur des chapeaux de roue. Elle aboutit vite à deux désastres pour l’Armée rouge. Les Allemands capturent 657 948 prisonniers dans les poches de Viazma et Briansk, des pertes énormes, sans compter les tués et les blessés. Mais la résistance se raidit et les premières neiges, qui ne tiennent pas, ont tôt fait de transformer le terrain en bourbier : c’est la fameuse raspoutitsa, la saison sans routes. La résistance acharnée des troupes soviétiques et le froid intense ont ensuite raison du courage et de la détermination des soldats allemands. La contre-offensive soviétique frappe une Wehrmacht vidée de sa substance et contraint l’envahisseur à la retraite. Seul l’ordre de résister sur place du Führer empêche la déroute. L’offensive d’été allemande, le « Fall Blau », vise à s’emparer dans le sud de l’URSS de zones économiques indispensables à la poursuite du conflit, avant d’en finir une fois pour toute avec l’Armée Rouge. Pour la Wehrmacht, l’année 1942 est celle de l’apogée de ses conquêtes militaires en dépit de la constitution d’une formidable coalition face à l’Axe, alliant l’URSS aux USA et à la Grande-Bretagne. Cette fois-ci, la boue et l’hiver ne sont pas en cause : l’armée allemande va être sèchement battue à Stalingrad en raison de graves erreurs stratégiques et d’un manque de moyens disponibles au moment et à l’endroit critiques. Le haut-commandement à l’Est en porte une large responsabilité. Certes, List et Kleist, qui président successivement aux destinées du Heeresgruppe A dans le Caucase ne déméritent pas. « Zitadelle », l’offensive malheureuse lancée contre le saillant de Koursk à l’été 1943, n’entre pas dans le schéma d’une victoire rapide et décisive mettent un terme à une campagne. Dès l’automne de la même année, la guerre de position semble dominer la pensée stratégique allemande à l’Est dont l’attitude est résolument défensive, le retour à des opérations mobiles étant imposées par la succession d’offensives d’une Armée rouge rénovée. Les conséquences de cette situation ne sont pas de portée uniquement opérationnelle. Cette incapacité à réitérer les exploits de la « Blitzkrieg » à l’Est avec pour corollaire une guerre longue menée sur deux fronts signifie in fine que le Reich ne sera a priori pas en mesure de remporter la victoire, une réalité qui semble prendre corps dès la bataille de Moscou. Certes, les Heeresgruppen Nord et Mitte mettent à mal les Soviétiques. La Wehrmacht multiplie les succès tactiques, tels que l’opération « Büffel », menée avec dextérité en mars 1943, qui permet l’abandon du saillant de Rzhev, succès à mettre sur le compte de Model et de Kluge. Mais, après le beau succès de Kharkov du printemps 1942, ni Bock (au Heeresgruppe B), ni Halder n’ont pu empêcher, nonobstant Hitler, le désastre de Stalingrad ni imposer les décisions les plus sensées en début de campagne. C’est alors que Manstein, le conquérant de la Crimée, accède au rang de Kommandeur de groupe d’armées, en l’occurrence le Heeresgruppe Don. L’homme occupe la meilleur place du panthéon des grands chefs de Heeresgruppen à l’Est au cours de la seconde partie de la guerre. Si ses talents de tacticien et de stratège ne sauraient être niés (avec le beau succès à Kharkov à la fin de l’hiver 1942-1943), d’autant plus que le Feldmarschall est confrontée à une situation désespérée, il ne peut renforcer le cours de la guerre à l’Est. Son pire échec reste l’offensive visant à réduire le saillant de Koursk en juillet 1943. Ses succès sur le Mious et ses contre-attaques meurtrières n’y changent rien : la Wehrmacht subit la stratégie de ses adversaires et se voit contrainte de parer aux coups qui lui sont assénés dès l’échec de l’offensive. Manstein réussit alors le tour de force de faire repasser le Dniepr à son groupe d’armées en évitant la destruction. Loin de constituer une barrière infranchissable et une solide position défensive comme escomptée par le Feldmarschall, le Dniepr est vite franchi par l’ennemi. Toutefois, si les mouvements de retraite sont généraux, nulle part le front allemand ne s’effondre. Les succès tactiques des Allemands sont sans conséquences sur le cours de la guerre : on ne saurait ignorer les progrès de l’Armée rouge tant sur le plan organisationnel que sur ceux de la tactique et, plus encore, de l’art opératif. Certes, les pertes soviétiques sont le plus souvent très supérieures. Du 13 décembre 1943 au 18 janvier 1944, la 1ère bataille de Vitebsk aurait coûté 150 000 hommes, 1 200 chars et 350 canons aux Soviétiques, pour seulement 20 000 pertes aux Allemands. Les combats reprennent peu après cette première offensive mais le front allemand tient le choc. La guerre à l’Est n’est pas qu’une succession de faits d’armes de la Heer et de la Waffen SS. Que dire du haut-commandement allemand lors des dernières années de la guerre à l’Est ? Le Heeresgruppe Sud subit le poids des offensives du début de l’année 1944 et les Soviétiques parviennent à reconquérir l’Ukraine et la Crimée après avoir mis en grave péril l’ensemble du front de l’Est à plusieurs reprises. Pourtant, nul part le front ne craque. Mais si Stalingrad occupe la première place dans ce panthéon des désastres infligés à l’Ostheer, la dernière année du conflit offre un panel très évocateur. A partir de février 1944, la bataille du Kassel (chaudron) de Cherkassy sera un désastre pour l’Ostheer. Après le Kassel de Tcherkassy, un second encerclement frappe la 4. Panzer-Armee de Hube, dans le secteur de Tarnopol, en mars-avril 1944. Le Heeresgruppe Nord se comporte plus qu’honorablement. Au centre, au cours de l’été 1944, Model parvient à freiner l’avancée des Soviétiques en direction des Carpathes, avant de rétablir un front pour un Heeresgruppe Mitte exsangue et remporter un succès de taille en bloquant l’Armée rouge devant Varsovie. Au cours de l’été 1944, un nouveau désastre s’abat à l’extrême sud du front de l’Est, sur le HeeresgruppeUkraine Süd du General Friessner lorsque, le 23 août, la Roumanie fait défection. En l’espace d’à peine dix jours, le Heeres-Gruppe Ukraine Süd subit des pertes dramatiques puisque ses effectifs fondent de 500 000 Allemands et 400 000 Roumains à seulement 200 000 Allemands. Hans Reinhardt, nommé à la tête du Heeresgruppe Mitte le 16 octobre 1944, doit faire face à une situation impossible alors même que ses moyens sont limités puisque la priorité est alors accordée à l’Ouest dans la perspective de la contre-offensive des Ardennes. S’il tombe en disgrâce en janvier 1945, force est de constater qu’il mène sa campagne du mieux possible. Parmi les entités militaires éphémères du Reich agonisant, engagées face aux Soviétiques, citons le Heeresgruppe Woehler, du nom de son commandant, Otto Woehler (alors à la tête de la 8. Armee), qui gère avec brio la défection roumaine de l’été 1944. Devenu chef du Heeresgruppe Sud en Hongrie, il mène une campagne honorable jusqu’au printemps 1945. Woehler est alors au contact des forces du Heeresgruppe E, du général Loehr, dont les forces ont réussi à se replier des Balkans jusqu’en Yougoslavie. Sur le plan tactique, les généraux font montre d’une très grande maîtrise. Avec beaucoup de flexibilité et de vitesse de réaction, sans attendre les ordres de l’échelon supérieur, ils savent prendre des mesures dans des situations parfois désespérées. Outre l’importance grandissante accordée à la guerre à l’Ouest (prioritaire de novembre 1943 au début de l’année 1945), les commandants allemands sur le front de l’Est doivent pourtant compter avec l’incompétence du haut-commandement (l’OKW et surtout l’OKH), qui ne cherche aucunement à tempérer les ordres de Hitler. Il leur faut parfois traiter directement avec le Führer, le plus souvent en vain. Au printemps 1945, alors que l’Ostfront a repris sa primauté dans les priorités, la messe est dite l’inévitable capitulation survient le 8 mai 1945.
Le haut-commandement dans la guerre en Méditerranée
Si l’OKW et l’OKH se montrent dépassés par les événements qui surviennent en Méditerranée, n’ayant jamais pu tirer profit des opportunités qui s’y présentent, les responsables de Heeresgruppen ont pu se montrer davantage compétents. Il faut attendre le fin de l’année 1941 et la nomination d’Albert Kesselring, Feldmarschall de la Luftwaffe, pour qu’un haut-commandement soit créé en Méditerranée : l’Oberbefehlshaber Süd. Kesselring se voit donc confier la tâche de coopérer avec les Italiens. Si son autorité directe concerne avant tout les opérations aéro-navales, il est censé chapeauter Rommel et son Panzergruppe Afika (devenu Panzerarmee Afrika en 1942). Pour ce qui est des rapports avec l’allié italien, « Albert le Souriant » est l’homme de la situation. Sa campagne de neutralisation de Malte aurait pu aboutir si la volonté de s’emparer de l’île avait été réelle chez les deux dictateurs de l’Axe Rome-Berlin. Les préparatifs ne sont pas achevés lorsque l’occasion se présente au printemps 1942. Pis, le Feldmarschall Rommel entend capitaliser le triomphe de son armée à Tobrouk pour poursuivre la 8th Army vaincue en Egypte, ignorant les impératifs logistiques qui militent pour la prise au préalable de Malte… Il reste qu’un effondrement anglais semble possible. A partir d’El Alamein, Kesselring est beaucoup moins efficace sur le plan stratégique. Après le débarquement allié en Afrique du Nord française, sa réaction prompte permet d’établir une tête de pont en Tunisie, s’alignant ainsi sur les vues stratégiques du Führer et du Duce. Néanmoins, en accord avec le Comando Supremo, il rejette le projet de Rommel d’évacuation des forces de l’Axe de Cyrénaïque et de Tunisie et condamne sans détour la précipitation du « Renard du Désert » à faire retraite vers la Ligne Mareth, dans le sud tunisien. Si, en février 1943, il comprend que le projet d’offensive de Rommel sur Tébessa est plus viable stratégiquement que le plan du General von Arnim (chef de la Pz AOK 5 en Tunisie) de simple contre-attaque sur les dorsales ou des desiderata du Comando Supremo, il ne pèse nullement de tout son poids auprès des Italiens pour appuyer Rommel, pas même lorsqu’il s’agit de contraindre Arnim à l’obéissance. Le Feldmarschall Rommel ne sera commandant du nouveau Heeresgruppe Afrika que l’espace de quelques jours. A ce titre, il est le seul chef allemand de groupe d’armées en Afrique à évaluer correctement la situation et à proposer des options stratégiques viables et censées. Arnim se convertit à ses vues, mais bien tardivement… En septembre 1943, lorsque les Alliés débarquent à Salerne, Rommel est en revanche beaucoup moins perspicace. Le commandement allemand en Italie est divisé entre le Heeresgruppe B de Rommel dans le nord et Kesselring dans le sud. Rommel préconise une ligne défensive extrêmement solide dans le nord, afin de se prémunir de tout débarquement allié sur les arrières. Hitler, dont l’aversion pour tout abandon de terrain à l’ennemi est bien connue, est au contraire convaincu début octobre 1943 par Kesselring de la possibilité d’arrêter les Alliés sur la ligne « Gustav », qui s’étire entre Ortona et l’embouchure du Garigliano. La pièce maîtresse de cette ligne est constituée par le massif du Mont Cassin. Hitler approuve Kesselring et envoie en Italie le matériel nécessaire à l’édification de cette ligne défensive. Le 6 novembre, Kesselring est nommé à la tête des forces de la Wehrmacht de l’ensemble de l’Italie, le Heeresgruppe C. Il va se révéler d’une rare compétence au cours de la difficile campagne d’Italie, se révélant nettement supérieur à ses homologues alliés, en dépit d’un rapport de forces nettement à l’avantage de ces derniers. Sa gestion des crises à Anzio et à Cassino, ainsi que ses remarquables opérations de repli, d’abord sur la ligne Gustav à l’automne 1943, puis sur la ligne Gothique à l’été 1944, témoigne de sa valeur en qualité de chef de Heeresgruppe. A l’image de l’ensemble de la Wehrmacht en Méditerranée, il accomplir beaucoup avec peu de moyens. Les armées alliées ont dû compter avec son talent. Il mène une campagne d’Italie extraordinaire d’un bout à l’autre de la péninsule. Le Feldmarschall est de surcroît admirablement secondé par des officiers de valeur : Hube, Vietinghoff, Mackensen, Lemelsen, Herr, Senger und Etterlin, Fries et Heidrich. Il a su tirer à profit le relief de l’Italie et le climat lui a plus donné l’occasion de sortir victorieux d’une situation périlleuse. En outre, il a pu compter sur des unités aux qualités combatives hors pair, c’est notamment le cas des unités de Fallschirmjäger qui ont largement contribué à faire de la campagne d’Italie une impasse pour la stratégie alliée. Lorsque Kesselring quitte définitivement l’Italie au printemps 1945, il est remplacé par Heinrich von Vietinghoff à la tête du Heeresgruppe C. Si le théâtre des opérations n’a plus de secrets pour lui, Vietinghoff a cependant le travers d’être très proche d’Arnim dans se façon d’exercer le commandement : c’est un Prussien austère et méthodique qui mène les opérations de manière conventionnelle, sans grande imagination. Très discipliné, il exécute sans discuter les ordres du Führer qui interdisent tout repli, ce qui conduit à la catastrophe. A sa décharge, son Heeresgruppe C ne compte plus guère d’unités motorisées… Le 2 mai 1945, les forces armées allemandes en Italie capitulent. Les armées alliées ont donc finalement gagné cette difficile et coûteuse campagne d’Italie, un front secondaire qui n’en a pas moins nécessité des moyens considérables et dont l’impact sur l’évolution de la guerre sur les autres fronts n’est pas à négliger.
L’EMPRISE DU FÜHRER
Les succès de Hitler, chef de guerre
Tout résulte en définitive de l’autorité personnelle du Führer. Celle-ci n’a de cesse de prendre de l’importance, d’autant qu’Hitler, qui se prend pour un général-né, ne tient aucun compte des remarques qui lui sont formulées. En dépit de talents stratégiques indubitables et de solides connaissances en matière militaire, Hitler n’est pas un professionnel. L’autodidacte, ancien combattant, est persuadé de son talent de stratège. L’homme, davantage versé dans la politique, accordera par ailleurs toujours une importance capitale à la volonté, au moral et à la politique. Sa conduite des opérations va s’avérer en fait désastreuse en dépit d’audacieuses décisions qui aboutiront à des triomphes sans lendemains. Hitler est-il « le plus grand chef de guerre de tous les temps » ? La réponse ne peut qu’être négative, sans pour autant verser dans l’écueil inverse qui consiste à noircir le tableau en ne lui accordant que des interventions malheureuses. Force est de constater que l’homme est ouvert aux nouveaux concepts et qu’il ne met aucun frein à l’usage des forces aéroportées, ni au développement des forces blindées. Sur le plan stratégique, l’année 1940 est marqué sous le sceau d’une initiative réussie puisque c’est lui qui impose à un état-major plutôt tiède le principe puis l’exécution de « Weserübung », l’audacieuse conquête du Danemark et de la Norvège. Son intuition qui le pousse à frapper en force à Sedan, puis à accepter le principe du « coup de faucille » théorisé par Manstein, et mis en application par les armées de Rundstedt sont à mettre à son crédit. En 1943, en marge de la campagne d’Italie naissante, des événements importants surviennent en Egée en raison de la défection italienne qui compromet les positions allemandes dans les Balkans, en Grèce et en Egée. Hitler impose avec raison une intervention dans la région. Une fois sûrs de la maîtrise des routes de ravitaillements vers la Grèce et l’Adriatique et sûrs d’avoir conjuré toute menace d’une invasion alliée des Balkans par le canal d’Otrante, les Allemands tournent les yeux vers les îles du Dodécanèse dans l’Egée orientale. La prise de Léros entraîne l’évacuation de Syros et de Samos par les Britanniques. Ces victoires montrent à la Turquie qui est maître en Egée. Elle refuse donc de rejoindre les alliés et reste neutre jusqu’à la fin de la guerre. En 1944, il faut également mettre au crédit du Führer d’avoir saisit la faible mobilité de son armée. Il insiste pour lancer « Lüttich », la contre-attaque sur Avranches, pour résorber la percée américaine et continuer à se battre sur le front le plus étroit qui s’offre à lui avant la frontière allemande. Son erreur est de persister dans une opération bâclée et sans espoir. Sa clairvoyance éclate cependant encore à deux reprises cet été là. Prenant acte que la retraite est inévitable, peut-être jusqu’au Westwall, il comprend que le talon d’Achille des Alliés réside dans la logistique. So concept d’ériger les ports en Festungen pour les interdire à l’ennemi fait donc sens. Dans le même temps, conscient que ne rien faire ne peut que retarder l’inévitable, il joue son va-tout et prépare la contre-offensive. Renonçant à contre-attaquer en masse depuis la Bourgogne, après les échecs en Lorraine, il sait attendre la période hivernale, ses brumes et son mauvais temps pour annuler la supériorité aérienne alliée. Ce sera la bataille des Ardennes.
Etat-major particulier de Hitler :
Aide de camp particulier du Führer : Oberst Schmundt puis Burgdorf
Attaché de la Heer : Hauptmann Engel
Attaché de la Luftwaffe : Hauptmann von Below
Attaché de la Kriegsmarine : Korvettenkapitän von Puttkamer
Les erreurs majeures du dictateur
Hitler n’est pas exempt d’initiatives désastreuses, bridant le cou de ses généraux ou contrecarrant leurs efforts et leurs velléités d’initiative qui auraient pu s’avérer décisives. Hitler a certes sauvé son armée de la destruction devant Moscou en ordonnant de résister sur place, ce qui ne s’est pas fait sans replis parfois importants. Mais il eût été plus inspiré de se préparer à une campagne d’hiver sur une ligne choisie avec clairvoyance, comme le réclamait Rundstedt, ce qui lui aurait épargné des centaines de milliers d’hommes très entraînées et un matériel considérable, qui font défaut pour la « Fall Blau », la grande offensive de l’été 1942. Après Moscou, Hitler rechigne le plus souvent à concéder le moindre arpent de terrain conquis, et ce en violation des principes de bases de la stratégie et de la tactique militaires. Le piège qui se referme à Stalingrad et l’incapacité à accorder la priorité au Caucase en courant deux lièvres à la fois (Maïkop/Bakou et Stalingrad), tout en dispersant aux quatre vents l’excellente 11. Armee de Manstein et en refusant d’allouer davantage de moyens vers e Caucase (notamment en Gebrigsjäger, mais aussi en Panzer-Divisionen), portent la marque de Hitler : il est le grand responsable de l’échec final de l’offensive de 1942, d’autant qu’il assume un temps personnellement le commandement du Heeresggruppe A perdu dans le Caucase…
S’il est contraint de céder à Manstein pour évacuer le Caucase puis, lors dus second semestre 1943, à replier le Heeresgruppe Sud à l’abri du Dniepr, il ne le conçoit qu’en acceptant du bout des lèves cette stratégie dite « élastique », qui suppose des « retours-gagnants » comme à Kharkov (presqu’une gageure après Koursk), et en imposant des incongruités comme le maintien d’un tête de pont dans le Kouban, puis en Crimée. Cette obsession pour s’opposer à toute idée de recul débouche sur des désastres en 1944-45, culminant à l’Est avec la destruction spectaculaire du Heeresgruppe Mitte au cours de l’opération « Bagration » (été 1944), ainsi que par l’isolement, à deux reprises, du Heeresgruppe Nord, en Courlande puis en Prusse Orientale. Une stratégie suicidaire qui se traduit par le concept de Feste Plätze à l’Est, c’est à dire des villes fortifiées dont les garnisons sont supposées pouvoir tenir un siège, équivalentes des Festung à l’Ouest. A l’Ouest, la décision la plus controversée est celle d’avoir imposé la contre-attaque sur Mortain, facilitant ainsi la formation du « Kessel » d’Argentan-Falaise dont il s’est fallu de peu qu’il ne sonne le glas de l’intégralité des forces engagées face à l’Invasion. Une erreur d’appréciation qui est déjà la sienne deux ans plus tôt lorsqu’il retarde l’autorisation du repli de l’armée de Rommel au bord de l’anéantissement à El Alamein. Erreur d’appréciation qu’Hitler aggrave en expédiant une nouvelle armée en Tunisie… L’homme n’a jamais su entrevoir les perspectives qui auraient pus ‘ouvrir à lui en Méditerranée… Mais l’erreur majeure commise en 1944 reste de ne pas avoir écouté et admis pleinement les conceptions de Rommel pour faire face à l’Invasion et de ne pas avoir mobilisé toutes les forces disponibles à l’Ouest pour anéantir les têtes de pont dans les 24 heures. Une dernière bévue survient en février-mars 1945, lorsque le Führer gaspille une proportion non négligeable des moyens dont dispose encore la Wehrmacht à l’Ouest en acceptant une bataille perdue d’avance en Rhénanie, plutôt que de fortifier la ligne du Rhin avec ces effectifs. En fait, à partir de l’été 1944, sachant sa cause perdue, il enchaîne des décisions absurdes. Les officiers auxquels Hitler accorde encore sa confiance sont alors très peu nombreux. Il exige une défense fanatique, jusqu’au dernier homme et sans esprit de recul. La reprise prochaine de la guerre sous-marine exige que les positions tenues en Courlande, sur le littoral de la baltique et en Norvège soient sauvegardées. Dans les Balkans et en Europe centrale, la nécessité de s’assurer le contrôle de matières premières stratégiques interdit toute nouvelle idée de repli. Hitler ne cesse de faire miroiter à ses généraux la perspective chimérique de l’arrivée d’armes miracles qui permettront un renversement du cours de la guerre.
Parmi les grands écueils de la pensée stratégique et opérationnelle de Hitler, on peut indiscutablement mentionner la tendance à tenter ce qu’il est admis d’assimiler à des « coups de poker », ainsi que l’inclinaison très marquée à penser que la clé de la victoire réside avant tout en une question de volonté et de fanatisme. Son racisme exacerbé, consubstantiel à sa nature, doublé d’une méconnaissance du monde, le porte à sous-estimer dangereusement ses ennemis et lui fait commettre les pires erreurs de jugements. Hitler s’illusionne en vain en espérant que la coalition contre nature entre les démocraties anglo-saxonnes et l’Union Soviétique ne peut que voler en éclat avant l’issue finale du conflit, et ce au grand bénéfice de l’Allemagne.
Des généraux sous la menace d’une destitution
L’autoritarisme : voilà comment pourrait se résumer la conduite de Hitler en sa qualité de chef de guerre. Le Führer ne ménage pas la Generalität. Il méprise les aristocrates, ces Prussiens de la caste des officiers. Les erreurs qu’ils commettent ne font que le conforter dans sa piètre opinion à leur endroit. Il n’hésite pas à formuler les critiques les plus véhémentes, allant jusqu’à l’insulte, insinuant que ses généraux sont des lâches, des menteurs, voire des traîtres. Une de ses antiennes est de déplorer le pessimisme de ses grands subordonnés. Tous ces généraux mènent donc les opérations sous la menace du limogeage, véritable épée de Damoclès. La première « charrette » survient lors du revers décisif de « Taifun », sanctionnant l’échec de « Barbarossa ». Plus d’une trentaine de généraux sont démis de leurs fonctions à cette occasion. Outre Brauchitsch, sont ainsi écartés les maréchaux von Rundstedt, von Bock, von Leeb, ainsi que les généraux Guderian et Hoepner. La plupart sont mis à la retraite. Pis, Hoepner est chassé du corps des officiers. Avec le temps des défaites, la pratique du limogeage prend de l’ampleur chez Hitler. C’est également en Russie, au cours de l’été 1942, que le général List perd le commandement du Heeresgruppe A, bouc-émissaire de l’échec de la campagne du Caucase. Hitler, qui profite de l’occasion pour se débarrasser également du général Halder, le chef d’état-major de l’OKH, prend en personne le commandement du Heeresgruppe A avant d’y nommer le General von Kleist, pareillement relevé de ses fonctions en mars 1944. Une pratique du limogeage qui ne va cesser de prendre de l’ampleur avec le temps des défaites de 1944-45.
CONCLUSION
Au final, le haut-commandement allemand de la Seconde Guerre mondiale, en dépit de graves carences sur le plan de la pensée stratégique, peut s’enorgueillir de compter dans ses rangs bien plus de maréchaux et de généraux de compétence supérieure que dans toute autre armée qui lui est contemporaine. Si on ne peut plus admettre que les errements du Führer sont seuls responsables des défaites cinglantes et parfois décisives subies par la Wehrmacht, force est de constater que l’emprise du dictateur sur l’armée ne lui a nullement facilité la tâche immense que représente de faire face à la plus formidable des coalitions de l’Histoire. Le haut-commandement de l’armée allemand, pépinière de talents servis par une armée, une doctrine et un matériel des plus efficaces, est potentiellement invincible. Mais son organisation et ses procédures, désastreuses et aberrantes, ne pouvaient que le conduire à la défaite. Orientation bibliographique:COLLINS James (sous la direction), Les Généraux de Hitler et leurs batailles, Elsevier, 1980 MASSON Philippe, Hitler, chef de guerre, Perrin, 2005 RICHARDOT Philippe, Hitler, ses généraux et ses armées, Economica, 2008
L’armée allemande passe pour posséder le corps d’officiers le plus talentueux de la guerre. Qu’en est-il réellement ? Quel bilan peut-on tirer de du haut-commandement allemand pendant la Seconde Guerre mondiale ? Une question qui implique de se pencher sur le cas très particulier d’Adolf Hitler comme chef de guerre… Notre étude portera avant tout sur la Heer.
UNE STRUCTURE INCOHERENTE
OKW
Le Führer, Oberster Befehlshaber der Wehrmacht, soit commandant en chef de la Wehrmacht, depuis le 4 février 1938, (et, à partir de décembre 1941, chef de la Heer et, partant, responsable de l’Ostfront), est le commandant suprême des forces armées du Reich. En mars 1939, le commandement en chef des trois armées (terre, air, mer) est unifié au sein de l’OKW (Oberkommando der Wehrmacht) dirigé par le Generaloberst Wilhelm Keitel avec Alfred Jodl comme responsable des opérations, les deux hommes, fait exceptionnel, gardant leurs fonctions jusqu’à la fin du conflit. L’organe de commandement de l’armée de terre (la Heer) est l’OKH (Oberkommando des Heeres) sous le commandement du Generaloberst Brauchitsch, assisté du General Halder au poste de chef d’état-major. La marine de guerre, la Kriegsmarine, est dirigée par le GroBadmiral Raeder. L’armée de l’air, la Luftwaffe, est sous la coupe d’un nazi de la première heure, le fidèle Reichsmarschall Goering, ancien as du premier conflit mondial et numéro deux du régime. La Waffen SS ne constituera jamais en tant que telle une composante de la Wehrmacht, mais elle est placée sous le contrôle de l’OKW. Dans les faits, les GQG des trois armées disposent d’une certaine autonomie vis-à-vis de l’OKW. L’OKW, au personnel étonnamment stable pendant toute la durée du conflit est censé chapeauter L’organe central, avec lequel le Führer travaille en étroite collaboration, est le Wehrmachtfürungsstab, soit l’état-major d’opérations, dirigé par le général Jodl, assisté notamment du général Warlimont. D’autres services complètent l’organigramme : l’Amt Ausland Abwehr, soit le service des renseignements dirigé par l’amiral Canaris ; le service de l’armement et de l’économie (dissout en 1944)… En 1943, l’Inspection des Troupes Blindées, confiée à Guderian, lui est subordonné, sans que son titulaire n’ait la moindre autorité sur les unités Sturmgeschütze ou sur la production d’engins blindés. C’est que, dans les faits, l’OKW n’est nullement l’instance suprême qu’on pourrait imaginer. On ne doit nullement imaginer une réelle coordination des activités des trois forces en vue d’une stratégie commune : les chefs des trois armées ne se sont presque jamais rencontrés ! Après la campagne de 1940, et avec « Barbarossa », l’OKW ne gère plus directement que les théâtres d’opérations en dehors de la lutte titanesque face à l’Union soviétique, qui échoie en théorie au seul OKH. Puissance continentale, l’Allemagne concentre en effet ses effectifs au sein de l’OKH, qui ne cesse d’être en concurrence avec l’OKW pour tout ce qui a trait aux effectifs, renforts, matériels et armement, ainsi qu’en terme de priorité stratégique…. Toutefois, Hitler s’immisce de très près aux opérations et se rend lui-même à l’Est dans ses PC, établissant ainsi son GQG –donc l’OKW- à Vinnitsa. Par ailleurs, Hitler devenant lui-même le commandant en chef de l’armée de terre après la mise en congé de Brauchistch en décembre 1941, une certaine confusion s’opère entre les prérogatives de l’OKW et celles de l’OKH, plus forcément seul à être chargé de la planification. L’OKW met sur pied les premières campagnes, qui seront pourtant menées par l’OKH (sauf « Weserübung », 1ère opération combinée de la guerre, contrôlée par le Generaloberst Jodl), mais il ne planifie aucune stratégie à long terme : « Seelöwe » est ainsi improvisée, de même que « Sonnenblume ». Restant responsable de la Scandinavie, il est ensuite responsable des opérations en Afrique du Nord, dans les Balkans (après la conquête de 1941) et en Méditerranée ainsi que du front de l’Ouest. La campagne de Pologne et la Westfeldzug ont été du ressort de l’OKH, qui a ensuite l’immense tâche de mener la guerre à l’Est. Toutefois, l’OKW n’est en fin de compte qu’une chambre d’enregistrement des desiderata du Führer, qui n’est entouré que d’un groupe de courtisans et de bénis oui-oui sans relief. La peur et la servilité brident les initiatives. Keitel n’a eu aucune influence sur les opérations. Alfred Jodl, bien plus compétent, est pourtant lui-aussi sous l’emprise de Hitler, dont il est un des hommes de confiance, et se charge de traduire les souhaits du dictateur en plans opérationnels exécutables. En 1944, l’atmosphère est de plus en plus lourde et tendue. On n’ose contredire le dictateur ou même lui faire prendre connaissance de nouvelles désastreuses. L’OKW apparaît donc comme la chambre d’enregistrement des directives du Führer. On ne peut donc pas comparer l’OKW avec le SHAEF d’Eisenhower, ou encore au Combined Chief of Staff de la coalition anglo-américaine. Un écueil qui conduit le Reich à sa perte…
OKH, OKL et OKM
L’OKH, le haut-commandement de l’armée de terre, est donc en théorie l’instance suprême de la Wehrmacht après l’OKW. Il bénéficie des officiers les plus brillants de l’armée, mais l’OKH, de plus en plus sous l’emprise du dictateur, ne peut donner tout son potentiel, d’autant que nombre de responsables sont écartés. En novembre 1939, Brauchitsch ose se plaindre des interventions intempestives au cours de la campagne de Pologne. Il demande que l’OKH soit à m’avenir seul responsable de la direction des opérations. Hitler entre dans un accès de rage. Le chef d’état-major de l’OKH (Halder jusqu’en septembre 1942, Zeitzler jusqu’en juin 1944, Heusinger, Guderian puis Krebs), en qualité de responsable de la planification des opérations, est donc l’homme-clé de l’armée allemande. Sa cohésion souffre toutefois d’une absence de stabilité dans le personnel aux plus hautes responsabilités. L’OKH planifie les opérations désirées par le Führer et, après approbation des plans par celui-ci, il lui appartient de transmettre ses ordres au Heeresgruppen avec lesquels les opérations sont discutées et préparées en détail, avec le concours des états-majors des Armeen concernées. Si Halder, bavarois et fervent catholique, par ailleurs cultivé (il est féru de botanique et de mathématiques), est un officier d’une intelligence supérieure, il n’a pas été en mesure de s’opposer au Führer jusqu’à ce qu’il subisse la colère de ce dernier à cause de la mauvaise gestion de la campagne du Caucase. L’homme n’est pas de ceux qui prennent des risques, ni de ceux qui osent s’opposer à Hitler pour lui faire entendre raison. En septembre 1942, Halder démissionne et se voit remplacé par Kurt Zeitzler qui obtient d’être responsable des directives du Führer pour l’Ostfront (elles prennent alors le nom d’ordres d’opérations), sans interférences de l’OKW. Zeitzler est ainsi en mesure d’empêcher l’OKW d’avoir accès aux informations détaillées concernant la situation sur le front de l’Est. Il s’agit d’un tournant dans la conduite quotidienne des opérations terrestres. Jusqu’alors, la campagne est menée de façon largement traditionnelle, l’OKH exécutant les ordres de l’OKW ? Après la nomination de Zeitzler, le chef d’état-major de l’armée reçoit ses ordres au cours des conférences quotidiennes de l’OKW. Kurt Zeitzler était chef d’état-major du Heeresgruppe D en Belgique et aux Pays-Bas quand il accède, de manière inattendue, au poste de chef d’état-major de l’OKH. Les deux principaux organes de commandement se rejoignent sur un point essentiel : OKW et OKH entérinent les mesures draconiennes. Les généraux ne témoignent pas la moindre réticence à accepter les décisions les plus criminelles. A la fin de la guerre, l’inévitable fusion entre les deux services s’opère.
Les questions relatives au personnel, ainsi que tout ce qui a trait au budget et à la justice sont du ressort des GQG des différentes armées (Heer, Luftwaffe, Kriegsmarine). Dans le même ordre d’idée, l’Organisation Todt, qui bâtit pourtant les fortifications de la Wehrmacht, ainsi que le RAD, en charge également de travaux pour le front, jouissent d’une totale autonomie vis à vis de l’OKW… Les différents états-majors travaillent en parallèle, sans souci de réelle harmonisation et de coopération. Méfiance et sont les maîtres-mots. Pour exprimer leurs doléances en matière de moyens, de production et de stratégie, Dönitz, Raeder, Göring et Himmler n’hésitent pas à court-circuiter l’OKW. Ainsi, plutôt que d’accepter de se séparer de 200 000 hommes qui auraient été les bienvenues pour recompléter les effectifs de l’Ostheer, Goering préside à la mise sur pied de divisions de campagne de la Luftwaffe. Jaloux de son autorité plus nominale qu’autre chose, Goering est assisté du Feldmarschall Milch, responsables des questions industrielles et d’organisation, et du Feldmarschall Jeschonnek, qui fait office de chef d’état-major et de chef des opérations.
Quant à la l’OKM, il jouit encore de davantage d’autonomie, Hitler intervenant beaucoup moins dans ses opérations. La Waffen SS, de son côté, n’est placé sous les ordres de la Wehrmacht au mieux qu’au niveau opérationnel. Les questions de son personnel et de son équipement échappent à l’armée.
Commandants en chefs des différentes branches de la Wehrmacht
OBdH (Oberbefehlshaber des Heeres) : Von Brauchitsch (1938-déc 1941) Hitler (déc 41-avril 1945) Schörner (30 avril-8 mai 1945)
OBdL(Oberbefehlshaber der Luftwaffe) : Goering (1935-avril 1945) Von Greim (avril-mai 1945)
OBdM (Oberbefehlshaber der Marine) : Raeder (1928-janvier 1943) Dönitz (janvier 19423-mai 1945) Von Friedeburg (mai 1945)
Quartiers-généraux
En 1939, le Führer se déplace avec un quartier-général mobile, lui-même séjournant à bord de son train blindé à usage personnel (« Amerika »). Le quartier-général le plus célèbre de Hitler est la Wolfsschanze, à Rastenburg, en Prusse orientale. Il séjourne également régulièrement au Werwolf de Vinnitsa. Il ne se déplace que vers l’Ouest, dans son chalet de Berchtesgaden, dans l’attente de l’Invasion, que de la fin 1943 à l’été 1944, entrecoupée d’un séjour de quelques heures au bunker de Margival, dit Wolfsschlut 2. A partir de novembre 1944, irruption de l’Armée rouge aux frontières orientales du Reich oblige, il doit renoncer à la Wolfsschanze. Il ne retourne à l’Ouest qu’un mois à partir de décembre 1944, pour suivre la contre-offensive des Ardennes depuis le Wolfsschlucht de Ziegenberg, comme lors de la campagne victorieuse de 1940 (au cours de laquelle il séjourne toutefois essentiellement au Feldnest). Ces QG sont constitués de bunker et/ou de baraquements en bois, au confort spartiate et à l’ambiance des plus moroses, entourés de barbelés et de défenses et dûment gardés, au sein desquels les distractions sont peu nombreuses. Plus mobile que l’OKH (qui a pourtant un élément itinérant qui suit Hitler), l’OKW suit le Führer à travers ses pérégrinations. L’OKH dispose d’un QG à Zossen, à proximité de Berlin, Berlin où se situe l’organe central d’une des branches essentielles (sise à la Blenderstrasse), l’Ersatzheer, à savoir l’armée de réserve.
Carences stratégiques
La stratégie menée par la Wehrmacht est donc handicapée par une chaîne de commandement complexe et peu adaptée, des rivalités interservices ainsi que par les interventions d’un Führer sûr de ses talents de grand capitaine, travers aggravé par ses considérations politiques. L’absence de vision à long terme dessert la stratégie allemande. La chute de la France, survenue rapidement, prend de cours une Wehrmacht qui n’a pas prévu l’éventualité d’une invasion du Royaume-Uni. Le succès a des effets pervers sur le long terme car il va induire en erreur Hitler et ses généraux sur le potentiel réel et la valeur de la Wehrmacht qui ressent un sentiment d’invulnérabilité, finalement fatal au Reich. Les généraux sont plus que jamais fidèles à leur Führer. Les opportunités qui s’offrent en Méditerranée avec les victoires de l’Afrika-Korps ne sont aucunement exploitées, alors même que Jodl, mais surtout Raeder, qui insiste à plusieurs reprises, ont soulevé la question et envisagé diverses opérations (prises de Gibraltar, Suez ou encore Malte), qui auraient changé la donne. Cela eût-il été possible alors même que la guerre à l’Est accapare toutes les ressources ? Mal préparée, celle-ci se base sur des postulats erronés. La victoire défensive remportée devant Moscou persuade Hitler qu’il est doté d’un génie militaire incontestable. Devenu lui-même le commandant en chef de l’armée de terre, il va intervenir désormais de plus en plus dans la préparation et la mise en œuvre des opérations sur le front, au grand dam des professionnels, pour lesquels il ne ressent que du mépris. Les moyens insuffisants accordés à l’offensive –pourtant cruciale- vers Stalingrad et le Caucase, et plus encore sa piètre exécution, témoignent de l’ineptie de l’OKW et de l’OKH en matière de stratégie. L’absence de priorité à telle ou telle production d’armes, l’absence de réflexion digne de ce nom sur les matériels nécessaires pour remporter la victoire ainsi que les retards divers et les mauvais choix de productions d’armement ne font que confirmer le dilettantisme de Hitler et des plus hauts gradés allemands sur le plan stratégique.
Le renseignement
Les carences des services de renseignements seront la cause de biens des déboires stratégiques. L’Abwehr de l’Admiral Canaris s’est montré impotent pendant la plus grande partie du conflit. Lorsque les convois de l’opération « Torch » sont repérés, l’OKW pense que leur destination est Malte. En 1943, la Wehrmacht n’est pas en mesure de déterminer si les Alliés débarqueront en Sicile, en Sardaigne, en Corse ou en Grèce. L’été 1944 sera celle des erreurs stratégiques les plus conséquentes. La Wehrmacht se leurre à la fois sur le lieu où sera lancée l’Invasion à l’Ouest et où et comment l’Armée rouge déclenchera son offensive. Les Américains ont par ailleurs été constamment sous-estimés. Le Fremde Heer Öst, sensé établir l’ordre de bataille soviétique, se fourvoie également dès l’ouverture de la campagne. Quand, en 1945, Hitler découvre les estimations des forces de l’Armée rouge, il proclame dans un déni de la réalité qu’il s’agit du « plus grand bluff depuis Gengis Khan ».
LES COMMANDANTS DE FRONTS ET DE GROUPES D’ARMEES AU COMBAT
Les responsables de la Wehrmacht dans les campagnes à l’Ouest
L’incroyable victoire remportée au Nord puis à l’Ouest de l’Europe sur l’armée française, si redoutée, et ses alliés au printemps 1940, laisse à penser que le haut-commandement allemand s’avère particulièrement efficient. Le terme de « Blitzkrieg » se banalise pour caractériser cette nouvelle forme de guerre, inaugurée en Pologne en 1939, et basée sur des tactiques de percées alliant le couple Panzer/Luftwaffe suivies d’exploitation en profondeur. Par deux fois, en Scandinavie puis à l’Ouest, le haut-commandement allemand s’assure de la surprise stratégique, facteur décisif dans les deux occurrences sur l’issue finale de la campagne. Leurrés par la feinte lancée en Belgique et aux Pays-Bas, obsédés par le front de la Ligne Maginot, dépourvus de réserves dignes de ce nom, les Alliés ne vont cesser de subir, abandonnant l’initiative à ses adversaires. Les Feldmarchall von Bock et von Rundstedt, qui commandent les Heeresgruppen A et B, ont su faire les préparatifs qui, grâce à des chefs d’armées et de corps d’armées de grande classe secondés par des divisionnaires talentueux, ont débouché sur la plus grande victoire remportée par la Wehrmacht au cours de la guerre. Pour autant, les grands maréchaux et généraux se montrent à l’occasion pusillanimes, au point de freiner et brider les audacieux commandants de Panzer à plusieurs reprises… L’OKH et les commandants de Heeresgruppen commettent là une erreur majeure. L’échec subi devant Dunkerque ne doit pas seulement à la volonté du Führer, qui n’a trouvé que des généraux appuyant ses réserves quant à une poursuite de l’effort des blindés, et ce à un stade du conflit où il se montre pourtant encore prêt à les écouter.
Le front de l’Ouest ne redevient un front majeur pour les opérations terrestres qu’en 1944, après le débarquement en Normandie. Contrairement à ce qui a prévalu quatre années plus tôt, c’est le haut-commandement allemand qui a cédé l’initiative à l’adversaire. L’immense cacophonie et la complexité de l’organisation du haut-commandement à l’Ouest, l’absence de consensus quant à la façon la plus adéquate pour repousser l’Invasion et, partant, l’utilisation des Panzer : tout concourt à mener l’armée allemande au désastre. Si Rommel se distingue du lot par sa clairvoyance avant le Jour J, tous, faute de disposer d’un renseignement digne de ce nom, se laissent leurrer par l’opération Fortitude et les bombardements qui frappent les bases de V1 et de V2 dans le nord de la France. Rommel et Kluge sauront tirer non sans un certain brio des effectifs à leurs disposition en Normandie pour imposer une difficile campagne aux Alliés et contrecarrer leurs offensives. Model, heureusement aidé par les erreurs opérationnelles et stratégiques des Alliés, par ailleurs handicapés par des défaillances logistiques, mène avec brio la retraite jusque sur les frontières du Reich. Dans le sud de la France, le Feldmarschall von Blaskowitz, secondé par un excellent Kurt von der Chevalerie à la 1. Armee, et le General Wiese à la 19. Armee, réussit le tour de force à évacuer le gros de ses forces jusqu’en Bourgogne et en Alsace, exploit qui décide du sort de la Wehrmacht à l’Ouest.
A l’automne 1944, Rundstedt, symbole des victoires de 1939-41 et de la Generalität prussienne (le corps des officiers généraux), est rappelé à l’OB West. Il préside au redressement de la situation, le fameux « miracle de l’automne 1944 », dont les fondements dépassent largement son action. Les différents Heeresgruppen parviennent à tenir la dragée haute aux Alliés alors même que l’OKW constituent des réserves en vues de la contre-offensive des Ardennes. Rundstedt n’est pour ainsi dire pas impliqué dans cette dernière, quant à Model, il lui a peut-être manqué un semblant d’optimisme et la volonté de s’imposer aux chefs des Armeen lancées dans l’offensive pour donner le meilleur de lui-même. De l’automne 1944 au printemps 1945, les différents chefs de groupes d’armées se montrent souvent capables de faire face à une situation des plus délicates pendant des mois. On peut mettre en avant Walter Model et son Heeresgruppe B, qui disparaît dans la Ruhr en avril 1945, mais aussi le Heeresgruppe G sous les commandements de Johannes Blaskowitz et d’Hermann Balck, moins lorsqu’il est à la charge du SS Paul Hausser. Le Heeresgruppe H (rebaptisé Oberbefehlshaber Nordwest à la fin de la guerre) assure les opérations aux Pays-Bas, sous les commandements inspirés de Blaskowitz puis de Kurt Student. L’Oberbefehlshaber Oberrhein est en revanche pitoyablement dirigé par un Himmler peu au fait de la chose militaire, particulièrement à ce niveau de responsabilité, bien que l’hernie de la poche de Colmar ait été bien gênante pour les Alliés. La tâche de tous ces hauts-responsables est au-delà des possibilités de la Wehrmacht qui ne peut plus espérer l’emporter. En mars 1945, l’OB West passe de Rundstedt à Kesselring, qui impose une discipline de fer mais la cause est entendue…
L’Ostfront
Les commandants de groupes d’armées sur l’Ostfront comptent parmi les meilleurs officiers allemands de la guerre. Si Manstein, le plus brillant, et Model, le « pompier du Führer », se distinguent plus particulièrement, on notera les compétences de Rundstedt, Bock, Kluge, … L’impitoyable Schörner n’est pas non plus dénué de tout talent, mais on écartera le Feldmarschall Busch, et plus encore le Reichsführer SS Heinrich Himmler, de la liste des grands chefs de Heeresgruppen. Leeb ne fit pas preuve de grande imagination. Le haut-commandement allemand a été avantagé par l’incompétence des cadres de l’Armée rouge. L’OKH et les Heerersgruppen se sont attachés à préparer l’opération « Barbarossa » avec les plus de minutie possible et de façon des plus consciencieuses. Le plan final reste pourtant ambitieux et postule l’hypothèse d’une destruction de l’Armée rouge au cours des batailles initiales. Les officiers de valeur au niveau des groupes d’armées et d’armées sont bien plus nombreux dans le camp allemand. Expérimentés par les campagnes précédentes, sachant tirer partie de l’outil de guerre mis à leur disposition, bénéficiant de divisionnaires remarquables de flexibilité tactique, le haut-commandement à l’Est va se montrer capable de remporter d’immenses succès en dépit de l’infériorité numérique de ses effectifs et de la tyrannie de la distance et du climat. Leur armée est en effet la meilleure du monde et elle se trouve renforcée par des contingents non négligeables de troupes alliées, principalement en provenance d’Europe centrale et orientale, mais aussi des Finlandais, qui ont fait montre de leur efficacité au combat au cours de la guerre russo-finlandaise. Toutefois, il faudra à ce haut-commandement allemand s(adapter aux nouvelles conditions de guerre, et ce à plusieurs reprises. La « Blitzkrieg » ne caractérise aucunement la guerre à l’Est. « Barbarossa » en 1941 puis « Blau » en 1942 aboutissent certes à des encerclements d’envergure, en partie à mette au crédit de ces maréchaux et généraux (mais aussi de Hitler…), mais ne revêtent en aucune façon un caractère décisif comme ce fut le cas lors des « véritables » démonstrations de la guerre éclair que furent les campagnes de Pologne, de l’Ouest et des Balkans. Après les succès de 1941, le Heeres-Gruppe Mitte se voit considérablement renforcé pour « Typhon », l’offensive qui doit aboutir à la chute de la capitale soviétique. Il n’en sera rien, et le haut-commandement de l’Ostfront, les yeux constamment rivés sur Moscou, faute d’une stratégie bien pensée et arrêtée, responsabilité qu’ils partagent en partie avec le Führer, pourtant plus clairvoyant en la matière. L’opération « Typhon » débute pourtant sur des chapeaux de roue. Elle aboutit vite à deux désastres pour l’Armée rouge. Les Allemands capturent 657 948 prisonniers dans les poches de Viazma et Briansk, des pertes énormes, sans compter les tués et les blessés. Mais la résistance se raidit et les premières neiges, qui ne tiennent pas, ont tôt fait de transformer le terrain en bourbier : c’est la fameuse raspoutitsa, la saison sans routes. La résistance acharnée des troupes soviétiques et le froid intense ont ensuite raison du courage et de la détermination des soldats allemands. La contre-offensive soviétique frappe une Wehrmacht vidée de sa substance et contraint l’envahisseur à la retraite. Seul l’ordre de résister sur place du Führer empêche la déroute. L’offensive d’été allemande, le « Fall Blau », vise à s’emparer dans le sud de l’URSS de zones économiques indispensables à la poursuite du conflit, avant d’en finir une fois pour toute avec l’Armée Rouge. Pour la Wehrmacht, l’année 1942 est celle de l’apogée de ses conquêtes militaires en dépit de la constitution d’une formidable coalition face à l’Axe, alliant l’URSS aux USA et à la Grande-Bretagne. Cette fois-ci, la boue et l’hiver ne sont pas en cause : l’armée allemande va être sèchement battue à Stalingrad en raison de graves erreurs stratégiques et d’un manque de moyens disponibles au moment et à l’endroit critiques. Le haut-commandement à l’Est en porte une large responsabilité. Certes, List et Kleist, qui président successivement aux destinées du Heeresgruppe A dans le Caucase ne déméritent pas. « Zitadelle », l’offensive malheureuse lancée contre le saillant de Koursk à l’été 1943, n’entre pas dans le schéma d’une victoire rapide et décisive mettent un terme à une campagne. Dès l’automne de la même année, la guerre de position semble dominer la pensée stratégique allemande à l’Est dont l’attitude est résolument défensive, le retour à des opérations mobiles étant imposées par la succession d’offensives d’une Armée rouge rénovée. Les conséquences de cette situation ne sont pas de portée uniquement opérationnelle. Cette incapacité à réitérer les exploits de la « Blitzkrieg » à l’Est avec pour corollaire une guerre longue menée sur deux fronts signifie in fine que le Reich ne sera a priori pas en mesure de remporter la victoire, une réalité qui semble prendre corps dès la bataille de Moscou. Certes, les Heeresgruppen Nord et Mitte mettent à mal les Soviétiques. La Wehrmacht multiplie les succès tactiques, tels que l’opération « Büffel », menée avec dextérité en mars 1943, qui permet l’abandon du saillant de Rzhev, succès à mettre sur le compte de Model et de Kluge. Mais, après le beau succès de Kharkov du printemps 1942, ni Bock (au Heeresgruppe B), ni Halder n’ont pu empêcher, nonobstant Hitler, le désastre de Stalingrad ni imposer les décisions les plus sensées en début de campagne. C’est alors que Manstein, le conquérant de la Crimée, accède au rang de Kommandeur de groupe d’armées, en l’occurrence le Heeresgruppe Don. L’homme occupe la meilleur place du panthéon des grands chefs de Heeresgruppen à l’Est au cours de la seconde partie de la guerre. Si ses talents de tacticien et de stratège ne sauraient être niés (avec le beau succès à Kharkov à la fin de l’hiver 1942-1943), d’autant plus que le Feldmarschall est confrontée à une situation désespérée, il ne peut renforcer le cours de la guerre à l’Est. Son pire échec reste l’offensive visant à réduire le saillant de Koursk en juillet 1943. Ses succès sur le Mious et ses contre-attaques meurtrières n’y changent rien : la Wehrmacht subit la stratégie de ses adversaires et se voit contrainte de parer aux coups qui lui sont assénés dès l’échec de l’offensive. Manstein réussit alors le tour de force de faire repasser le Dniepr à son groupe d’armées en évitant la destruction. Loin de constituer une barrière infranchissable et une solide position défensive comme escomptée par le Feldmarschall, le Dniepr est vite franchi par l’ennemi. Toutefois, si les mouvements de retraite sont généraux, nulle part le front allemand ne s’effondre. Les succès tactiques des Allemands sont sans conséquences sur le cours de la guerre : on ne saurait ignorer les progrès de l’Armée rouge tant sur le plan organisationnel que sur ceux de la tactique et, plus encore, de l’art opératif. Certes, les pertes soviétiques sont le plus souvent très supérieures. Du 13 décembre 1943 au 18 janvier 1944, la 1ère bataille de Vitebsk aurait coûté 150 000 hommes, 1 200 chars et 350 canons aux Soviétiques, pour seulement 20 000 pertes aux Allemands. Les combats reprennent peu après cette première offensive mais le front allemand tient le choc. La guerre à l’Est n’est pas qu’une succession de faits d’armes de la Heer et de la Waffen SS. Que dire du haut-commandement allemand lors des dernières années de la guerre à l’Est ? Le Heeresgruppe Sud subit le poids des offensives du début de l’année 1944 et les Soviétiques parviennent à reconquérir l’Ukraine et la Crimée après avoir mis en grave péril l’ensemble du front de l’Est à plusieurs reprises. Pourtant, nul part le front ne craque. Mais si Stalingrad occupe la première place dans ce panthéon des désastres infligés à l’Ostheer, la dernière année du conflit offre un panel très évocateur. A partir de février 1944, la bataille du Kassel (chaudron) de Cherkassy sera un désastre pour l’Ostheer. Après le Kassel de Tcherkassy, un second encerclement frappe la 4. Panzer-Armee de Hube, dans le secteur de Tarnopol, en mars-avril 1944. Le Heeresgruppe Nord se comporte plus qu’honorablement. Au centre, au cours de l’été 1944, Model parvient à freiner l’avancée des Soviétiques en direction des Carpathes, avant de rétablir un front pour un Heeresgruppe Mitte exsangue et remporter un succès de taille en bloquant l’Armée rouge devant Varsovie. Au cours de l’été 1944, un nouveau désastre s’abat à l’extrême sud du front de l’Est, sur le HeeresgruppeUkraine Süd du General Friessner lorsque, le 23 août, la Roumanie fait défection. En l’espace d’à peine dix jours, le Heeres-Gruppe Ukraine Süd subit des pertes dramatiques puisque ses effectifs fondent de 500 000 Allemands et 400 000 Roumains à seulement 200 000 Allemands. Hans Reinhardt, nommé à la tête du Heeresgruppe Mitte le 16 octobre 1944, doit faire face à une situation impossible alors même que ses moyens sont limités puisque la priorité est alors accordée à l’Ouest dans la perspective de la contre-offensive des Ardennes. S’il tombe en disgrâce en janvier 1945, force est de constater qu’il mène sa campagne du mieux possible. Parmi les entités militaires éphémères du Reich agonisant, engagées face aux Soviétiques, citons le Heeresgruppe Woehler, du nom de son commandant, Otto Woehler (alors à la tête de la 8. Armee), qui gère avec brio la défection roumaine de l’été 1944. Devenu chef du Heeresgruppe Sud en Hongrie, il mène une campagne honorable jusqu’au printemps 1945. Woehler est alors au contact des forces du Heeresgruppe E, du général Loehr, dont les forces ont réussi à se replier des Balkans jusqu’en Yougoslavie. Sur le plan tactique, les généraux font montre d’une très grande maîtrise. Avec beaucoup de flexibilité et de vitesse de réaction, sans attendre les ordres de l’échelon supérieur, ils savent prendre des mesures dans des situations parfois désespérées. Outre l’importance grandissante accordée à la guerre à l’Ouest (prioritaire de novembre 1943 au début de l’année 1945), les commandants allemands sur le front de l’Est doivent pourtant compter avec l’incompétence du haut-commandement (l’OKW et surtout l’OKH), qui ne cherche aucunement à tempérer les ordres de Hitler. Il leur faut parfois traiter directement avec le Führer, le plus souvent en vain. Au printemps 1945, alors que l’Ostfront a repris sa primauté dans les priorités, la messe est dite l’inévitable capitulation survient le 8 mai 1945.
Le haut-commandement dans la guerre en Méditerranée
Si l’OKW et l’OKH se montrent dépassés par les événements qui surviennent en Méditerranée, n’ayant jamais pu tirer profit des opportunités qui s’y présentent, les responsables de Heeresgruppen ont pu se montrer davantage compétents. Il faut attendre le fin de l’année 1941 et la nomination d’Albert Kesselring, Feldmarschall de la Luftwaffe, pour qu’un haut-commandement soit créé en Méditerranée : l’Oberbefehlshaber Süd. Kesselring se voit donc confier la tâche de coopérer avec les Italiens. Si son autorité directe concerne avant tout les opérations aéro-navales, il est censé chapeauter Rommel et son Panzergruppe Afika (devenu Panzerarmee Afrika en 1942). Pour ce qui est des rapports avec l’allié italien, « Albert le Souriant » est l’homme de la situation. Sa campagne de neutralisation de Malte aurait pu aboutir si la volonté de s’emparer de l’île avait été réelle chez les deux dictateurs de l’Axe Rome-Berlin. Les préparatifs ne sont pas achevés lorsque l’occasion se présente au printemps 1942. Pis, le Feldmarschall Rommel entend capitaliser le triomphe de son armée à Tobrouk pour poursuivre la 8th Army vaincue en Egypte, ignorant les impératifs logistiques qui militent pour la prise au préalable de Malte… Il reste qu’un effondrement anglais semble possible. A partir d’El Alamein, Kesselring est beaucoup moins efficace sur le plan stratégique. Après le débarquement allié en Afrique du Nord française, sa réaction prompte permet d’établir une tête de pont en Tunisie, s’alignant ainsi sur les vues stratégiques du Führer et du Duce. Néanmoins, en accord avec le Comando Supremo, il rejette le projet de Rommel d’évacuation des forces de l’Axe de Cyrénaïque et de Tunisie et condamne sans détour la précipitation du « Renard du Désert » à faire retraite vers la Ligne Mareth, dans le sud tunisien. Si, en février 1943, il comprend que le projet d’offensive de Rommel sur Tébessa est plus viable stratégiquement que le plan du General von Arnim (chef de la Pz AOK 5 en Tunisie) de simple contre-attaque sur les dorsales ou des desiderata du Comando Supremo, il ne pèse nullement de tout son poids auprès des Italiens pour appuyer Rommel, pas même lorsqu’il s’agit de contraindre Arnim à l’obéissance. Le Feldmarschall Rommel ne sera commandant du nouveau Heeresgruppe Afrika que l’espace de quelques jours. A ce titre, il est le seul chef allemand de groupe d’armées en Afrique à évaluer correctement la situation et à proposer des options stratégiques viables et censées. Arnim se convertit à ses vues, mais bien tardivement… En septembre 1943, lorsque les Alliés débarquent à Salerne, Rommel est en revanche beaucoup moins perspicace. Le commandement allemand en Italie est divisé entre le Heeresgruppe B de Rommel dans le nord et Kesselring dans le sud. Rommel préconise une ligne défensive extrêmement solide dans le nord, afin de se prémunir de tout débarquement allié sur les arrières. Hitler, dont l’aversion pour tout abandon de terrain à l’ennemi est bien connue, est au contraire convaincu début octobre 1943 par Kesselring de la possibilité d’arrêter les Alliés sur la ligne « Gustav », qui s’étire entre Ortona et l’embouchure du Garigliano. La pièce maîtresse de cette ligne est constituée par le massif du Mont Cassin. Hitler approuve Kesselring et envoie en Italie le matériel nécessaire à l’édification de cette ligne défensive. Le 6 novembre, Kesselring est nommé à la tête des forces de la Wehrmacht de l’ensemble de l’Italie, le Heeresgruppe C. Il va se révéler d’une rare compétence au cours de la difficile campagne d’Italie, se révélant nettement supérieur à ses homologues alliés, en dépit d’un rapport de forces nettement à l’avantage de ces derniers. Sa gestion des crises à Anzio et à Cassino, ainsi que ses remarquables opérations de repli, d’abord sur la ligne Gustav à l’automne 1943, puis sur la ligne Gothique à l’été 1944, témoigne de sa valeur en qualité de chef de Heeresgruppe. A l’image de l’ensemble de la Wehrmacht en Méditerranée, il accomplir beaucoup avec peu de moyens. Les armées alliées ont dû compter avec son talent. Il mène une campagne d’Italie extraordinaire d’un bout à l’autre de la péninsule. Le Feldmarschall est de surcroît admirablement secondé par des officiers de valeur : Hube, Vietinghoff, Mackensen, Lemelsen, Herr, Senger und Etterlin, Fries et Heidrich. Il a su tirer à profit le relief de l’Italie et le climat lui a plus donné l’occasion de sortir victorieux d’une situation périlleuse. En outre, il a pu compter sur des unités aux qualités combatives hors pair, c’est notamment le cas des unités de Fallschirmjäger qui ont largement contribué à faire de la campagne d’Italie une impasse pour la stratégie alliée. Lorsque Kesselring quitte définitivement l’Italie au printemps 1945, il est remplacé par Heinrich von Vietinghoff à la tête du Heeresgruppe C. Si le théâtre des opérations n’a plus de secrets pour lui, Vietinghoff a cependant le travers d’être très proche d’Arnim dans se façon d’exercer le commandement : c’est un Prussien austère et méthodique qui mène les opérations de manière conventionnelle, sans grande imagination. Très discipliné, il exécute sans discuter les ordres du Führer qui interdisent tout repli, ce qui conduit à la catastrophe. A sa décharge, son Heeresgruppe C ne compte plus guère d’unités motorisées… Le 2 mai 1945, les forces armées allemandes en Italie capitulent. Les armées alliées ont donc finalement gagné cette difficile et coûteuse campagne d’Italie, un front secondaire qui n’en a pas moins nécessité des moyens considérables et dont l’impact sur l’évolution de la guerre sur les autres fronts n’est pas à négliger.
L’EMPRISE DU FÜHRER
Les succès de Hitler, chef de guerre
Tout résulte en définitive de l’autorité personnelle du Führer. Celle-ci n’a de cesse de prendre de l’importance, d’autant qu’Hitler, qui se prend pour un général-né, ne tient aucun compte des remarques qui lui sont formulées. En dépit de talents stratégiques indubitables et de solides connaissances en matière militaire, Hitler n’est pas un professionnel. L’autodidacte, ancien combattant, est persuadé de son talent de stratège. L’homme, davantage versé dans la politique, accordera par ailleurs toujours une importance capitale à la volonté, au moral et à la politique. Sa conduite des opérations va s’avérer en fait désastreuse en dépit d’audacieuses décisions qui aboutiront à des triomphes sans lendemains. Hitler est-il « le plus grand chef de guerre de tous les temps » ? La réponse ne peut qu’être négative, sans pour autant verser dans l’écueil inverse qui consiste à noircir le tableau en ne lui accordant que des interventions malheureuses. Force est de constater que l’homme est ouvert aux nouveaux concepts et qu’il ne met aucun frein à l’usage des forces aéroportées, ni au développement des forces blindées. Sur le plan stratégique, l’année 1940 est marqué sous le sceau d’une initiative réussie puisque c’est lui qui impose à un état-major plutôt tiède le principe puis l’exécution de « Weserübung », l’audacieuse conquête du Danemark et de la Norvège. Son intuition qui le pousse à frapper en force à Sedan, puis à accepter le principe du « coup de faucille » théorisé par Manstein, et mis en application par les armées de Rundstedt sont à mettre à son crédit. En 1943, en marge de la campagne d’Italie naissante, des événements importants surviennent en Egée en raison de la défection italienne qui compromet les positions allemandes dans les Balkans, en Grèce et en Egée. Hitler impose avec raison une intervention dans la région. Une fois sûrs de la maîtrise des routes de ravitaillements vers la Grèce et l’Adriatique et sûrs d’avoir conjuré toute menace d’une invasion alliée des Balkans par le canal d’Otrante, les Allemands tournent les yeux vers les îles du Dodécanèse dans l’Egée orientale. La prise de Léros entraîne l’évacuation de Syros et de Samos par les Britanniques. Ces victoires montrent à la Turquie qui est maître en Egée. Elle refuse donc de rejoindre les alliés et reste neutre jusqu’à la fin de la guerre. En 1944, il faut également mettre au crédit du Führer d’avoir saisit la faible mobilité de son armée. Il insiste pour lancer « Lüttich », la contre-attaque sur Avranches, pour résorber la percée américaine et continuer à se battre sur le front le plus étroit qui s’offre à lui avant la frontière allemande. Son erreur est de persister dans une opération bâclée et sans espoir. Sa clairvoyance éclate cependant encore à deux reprises cet été là. Prenant acte que la retraite est inévitable, peut-être jusqu’au Westwall, il comprend que le talon d’Achille des Alliés réside dans la logistique. So concept d’ériger les ports en Festungen pour les interdire à l’ennemi fait donc sens. Dans le même temps, conscient que ne rien faire ne peut que retarder l’inévitable, il joue son va-tout et prépare la contre-offensive. Renonçant à contre-attaquer en masse depuis la Bourgogne, après les échecs en Lorraine, il sait attendre la période hivernale, ses brumes et son mauvais temps pour annuler la supériorité aérienne alliée. Ce sera la bataille des Ardennes.
Etat-major particulier de Hitler :
Aide de camp particulier du Führer : Oberst Schmundt puis Burgdorf
Attaché de la Heer : Hauptmann Engel
Attaché de la Luftwaffe : Hauptmann von Below
Attaché de la Kriegsmarine : Korvettenkapitän von Puttkamer
Les erreurs majeures du dictateur
Hitler n’est pas exempt d’initiatives désastreuses, bridant le cou de ses généraux ou contrecarrant leurs efforts et leurs velléités d’initiative qui auraient pu s’avérer décisives. Hitler a certes sauvé son armée de la destruction devant Moscou en ordonnant de résister sur place, ce qui ne s’est pas fait sans replis parfois importants. Mais il eût été plus inspiré de se préparer à une campagne d’hiver sur une ligne choisie avec clairvoyance, comme le réclamait Rundstedt, ce qui lui aurait épargné des centaines de milliers d’hommes très entraînées et un matériel considérable, qui font défaut pour la « Fall Blau », la grande offensive de l’été 1942. Après Moscou, Hitler rechigne le plus souvent à concéder le moindre arpent de terrain conquis, et ce en violation des principes de bases de la stratégie et de la tactique militaires. Le piège qui se referme à Stalingrad et l’incapacité à accorder la priorité au Caucase en courant deux lièvres à la fois (Maïkop/Bakou et Stalingrad), tout en dispersant aux quatre vents l’excellente 11. Armee de Manstein et en refusant d’allouer davantage de moyens vers e Caucase (notamment en Gebrigsjäger, mais aussi en Panzer-Divisionen), portent la marque de Hitler : il est le grand responsable de l’échec final de l’offensive de 1942, d’autant qu’il assume un temps personnellement le commandement du Heeresggruppe A perdu dans le Caucase…
S’il est contraint de céder à Manstein pour évacuer le Caucase puis, lors dus second semestre 1943, à replier le Heeresgruppe Sud à l’abri du Dniepr, il ne le conçoit qu’en acceptant du bout des lèves cette stratégie dite « élastique », qui suppose des « retours-gagnants » comme à Kharkov (presqu’une gageure après Koursk), et en imposant des incongruités comme le maintien d’un tête de pont dans le Kouban, puis en Crimée. Cette obsession pour s’opposer à toute idée de recul débouche sur des désastres en 1944-45, culminant à l’Est avec la destruction spectaculaire du Heeresgruppe Mitte au cours de l’opération « Bagration » (été 1944), ainsi que par l’isolement, à deux reprises, du Heeresgruppe Nord, en Courlande puis en Prusse Orientale. Une stratégie suicidaire qui se traduit par le concept de Feste Plätze à l’Est, c’est à dire des villes fortifiées dont les garnisons sont supposées pouvoir tenir un siège, équivalentes des Festung à l’Ouest. A l’Ouest, la décision la plus controversée est celle d’avoir imposé la contre-attaque sur Mortain, facilitant ainsi la formation du « Kessel » d’Argentan-Falaise dont il s’est fallu de peu qu’il ne sonne le glas de l’intégralité des forces engagées face à l’Invasion. Une erreur d’appréciation qui est déjà la sienne deux ans plus tôt lorsqu’il retarde l’autorisation du repli de l’armée de Rommel au bord de l’anéantissement à El Alamein. Erreur d’appréciation qu’Hitler aggrave en expédiant une nouvelle armée en Tunisie… L’homme n’a jamais su entrevoir les perspectives qui auraient pus ‘ouvrir à lui en Méditerranée… Mais l’erreur majeure commise en 1944 reste de ne pas avoir écouté et admis pleinement les conceptions de Rommel pour faire face à l’Invasion et de ne pas avoir mobilisé toutes les forces disponibles à l’Ouest pour anéantir les têtes de pont dans les 24 heures. Une dernière bévue survient en février-mars 1945, lorsque le Führer gaspille une proportion non négligeable des moyens dont dispose encore la Wehrmacht à l’Ouest en acceptant une bataille perdue d’avance en Rhénanie, plutôt que de fortifier la ligne du Rhin avec ces effectifs. En fait, à partir de l’été 1944, sachant sa cause perdue, il enchaîne des décisions absurdes. Les officiers auxquels Hitler accorde encore sa confiance sont alors très peu nombreux. Il exige une défense fanatique, jusqu’au dernier homme et sans esprit de recul. La reprise prochaine de la guerre sous-marine exige que les positions tenues en Courlande, sur le littoral de la baltique et en Norvège soient sauvegardées. Dans les Balkans et en Europe centrale, la nécessité de s’assurer le contrôle de matières premières stratégiques interdit toute nouvelle idée de repli. Hitler ne cesse de faire miroiter à ses généraux la perspective chimérique de l’arrivée d’armes miracles qui permettront un renversement du cours de la guerre.
Parmi les grands écueils de la pensée stratégique et opérationnelle de Hitler, on peut indiscutablement mentionner la tendance à tenter ce qu’il est admis d’assimiler à des « coups de poker », ainsi que l’inclinaison très marquée à penser que la clé de la victoire réside avant tout en une question de volonté et de fanatisme. Son racisme exacerbé, consubstantiel à sa nature, doublé d’une méconnaissance du monde, le porte à sous-estimer dangereusement ses ennemis et lui fait commettre les pires erreurs de jugements. Hitler s’illusionne en vain en espérant que la coalition contre nature entre les démocraties anglo-saxonnes et l’Union Soviétique ne peut que voler en éclat avant l’issue finale du conflit, et ce au grand bénéfice de l’Allemagne.
Des généraux sous la menace d’une destitution
L’autoritarisme : voilà comment pourrait se résumer la conduite de Hitler en sa qualité de chef de guerre. Le Führer ne ménage pas la Generalität. Il méprise les aristocrates, ces Prussiens de la caste des officiers. Les erreurs qu’ils commettent ne font que le conforter dans sa piètre opinion à leur endroit. Il n’hésite pas à formuler les critiques les plus véhémentes, allant jusqu’à l’insulte, insinuant que ses généraux sont des lâches, des menteurs, voire des traîtres. Une de ses antiennes est de déplorer le pessimisme de ses grands subordonnés. Tous ces généraux mènent donc les opérations sous la menace du limogeage, véritable épée de Damoclès. La première « charrette » survient lors du revers décisif de « Taifun », sanctionnant l’échec de « Barbarossa ». Plus d’une trentaine de généraux sont démis de leurs fonctions à cette occasion. Outre Brauchitsch, sont ainsi écartés les maréchaux von Rundstedt, von Bock, von Leeb, ainsi que les généraux Guderian et Hoepner. La plupart sont mis à la retraite. Pis, Hoepner est chassé du corps des officiers. Avec le temps des défaites, la pratique du limogeage prend de l’ampleur chez Hitler. C’est également en Russie, au cours de l’été 1942, que le général List perd le commandement du Heeresgruppe A, bouc-émissaire de l’échec de la campagne du Caucase. Hitler, qui profite de l’occasion pour se débarrasser également du général Halder, le chef d’état-major de l’OKH, prend en personne le commandement du Heeresgruppe A avant d’y nommer le General von Kleist, pareillement relevé de ses fonctions en mars 1944. Une pratique du limogeage qui ne va cesser de prendre de l’ampleur avec le temps des défaites de 1944-45.
CONCLUSION
Au final, le haut-commandement allemand de la Seconde Guerre mondiale, en dépit de graves carences sur le plan de la pensée stratégique, peut s’enorgueillir de compter dans ses rangs bien plus de maréchaux et de généraux de compétence supérieure que dans toute autre armée qui lui est contemporaine. Si on ne peut plus admettre que les errements du Führer sont seuls responsables des défaites cinglantes et parfois décisives subies par la Wehrmacht, force est de constater que l’emprise du dictateur sur l’armée ne lui a nullement facilité la tâche immense que représente de faire face à la plus formidable des coalitions de l’Histoire. Le haut-commandement de l’armée allemand, pépinière de talents servis par une armée, une doctrine et un matériel des plus efficaces, est potentiellement invincible. Mais son organisation et ses procédures, désastreuses et aberrantes, ne pouvaient que le conduire à la défaite. Orientation bibliographique:COLLINS James (sous la direction), Les Généraux de Hitler et leurs batailles, Elsevier, 1980 MASSON Philippe, Hitler, chef de guerre, Perrin, 2005 RICHARDOT Philippe, Hitler, ses généraux et ses armées, Economica, 2008
231 illustrations NARA et IWM légendées en complément de mon livre “La préparation du Jour J”
Recension “Okinawa”
Recension “Une autre histoire des samouraïs”
“LA PREPARATION DU JOUR J” éditions Ouest-France
Recension “Infographie des guerres franco-allemandes”