Un livre qui fera date dans les ouvrages consacrés à l’Histoire militaire!
André Loez (direction), Mondes en Guerre. Tome III. Guerres mondiales et impériales. 1870-1945, Passés Composés, 2020
Les éditions Passés Composés poursuivent leur remarquable tableau en quatre parties consacré à la guerre depuis l’aube des temps.
Ce 3e opus confirme la grande qualité de la collection.
Les conflits qui ensanglantent le monde entre 1870 et 1945 sont fort variés: guerres coloniales, guerres civiles, guerres de voisinage et bien entendu guerres mondiales… Elles ont en commun d’être les guerres de l’ère industrielle, une donnée qui bouleverse l’art de la guerre, moins dans ses fondements, souvent intemporels, que dans ses pratiques. Si la « guerre totale » et la « brutalisation » ne sont pas des caractéristiques de cette seule période, l’ampleur des conflits et des moyens alloués aux forces armées, ainsi que leur pouvoir de destruction sont sans commune mesure avec ce qui a précédé au cours de la longue histoire de l’Humanité.
Le chapitre introductif, « Conflits. Le système international et les guerres », signé Jean-Michel Guieu, constitue une très intelligente entrée en matière, fort bien traitée. Elle entre dans le cadre d’une vaste partie intitulée « Etats de Guerre ».
Les chapitres de cet somme remarquable sont aussi divers qu’intéressants : « Combattants » de Julie Le Gac, mettant l’accent sur l’expérience de la guerre (texte très réussi); « Mobilisations. Etats et économie de Guerre » par Ardnt Weinrich; « Genres. Rapporte sexués et redéfinition des rôles féminins et masculins à l’épreuve des conflits » par Manon Pignot (très bon texte également); « Ecritures. Images, témoignages et représentations de la Guerre » par André Loez, « La guerre comme expérience idéologique et politique », etc. L’art, la propagande, révolutions, la question de la virilité, la discipline, les représentations de la guerre (malheureusement l’étude n’est pas poussée jusqu’à nos jours)… : tout y est. J’ai particulièrement aimé les pages consacrées aux guerres coloniales (au chapitre IV, je renvoie à ce sujet à la lecture du livre de Jacques Frémaux: De quoi fût fait l’empire? Les guerres coloniales au XIXe siècle). Enfin, une partie entière est consacrée aux « Extrêmes de la guerre », où les auteurs abordent la violence, celle subie par les civils, mais également par les soldats. Une place majeure est évidemment accordée à l’horreur de la Shoah. L’ouvrage se termine par le droit de la guerre et les procès.
Le panorama est donc large, bien documenté et bien traité: certes, rien de nouveau sous le soleil, mais une mine d’informations et une somme sans équivalent pour une collection qui mérite de devenir un classique et une référence.
L’histoire sociale, politique, culturelle, etc tient globalement une grande place dans cet ensemble, au détriment de l’histoire militaire en temps que telle -généraux, tactiques, armement, batailles, etc. La bibliographie finale et les publications des auteurs révélant sans doute le peu d’intérêt pour ces questions. Ce n’est certes pas dramatique dans le sens où ces sujets sont traités dans d’autres livres par des auteurs qualifiés dans ce domaine (très rarement des universitaires, sauf quelques individus comme Pierre-Yves Hénin). On peut par ailleurs se réjouir que l’équipe d’historiens dirigée par André Loez ne fait aucune erreur factuelle, alors qu’on assiste à une véritable accumulation de détails erronés par certains spécialistes de la seconde Guerre mondiale dans des livres comme La Guerre du désert ou encore Churchill, chef de guerre (deux livres dont je recommande pourtant la lecture, mais pour d’autres raisons).
Je rappelle dans un article, « La nécessaire polyvalence de celui qui écrit l’histoire militaire », ce que je considère comme des atouts et compétences avantageuses (voire indispensables) quand on souhaite traiter d’histoire militaire de façon sérieuse.
On pourra certes déplorer la part belle accordée au premier conflit mondiale par rapport au second (dérive qui n’est pas systématique, il faut être honnête), défaut sans doute à rapporter à la spécialisation de nombre d’auteurs (presque la moitié d’entre-eux): par exemple, le choc des images de Tarawa méritait un développement… Lorsque la question de la discipline militaire et du peloton d’exécution sont abordées, seules la désobéissance et l’exécution pour l’exemple semblent envisagés (une antienne quand il est question de la Grande Guerre), mais pas le meurtre (y compris de son officier), le viol ou le pillage… Il est peu question de crimes entre soldats belligérants. Quant au refus des Landser de la Wehrmacht de participer aux tueries, estimé à un tiers (!), le généraliser n’est guère convainquant et mériterait une explicitation précise des circonstances évoquées…
Yves Le Maner a rédigé un chapitre captivant et attendu consacré aux armes et à l’évolution des stratégies et technologies. Si l’évocation de cette dernière est fort bien amenée, je déplore le peu de cas qui est fait de l’armement dans ses détails: pour ne s’en tenir qu’à l’armée de terre et au second conflit mondial, quid de l’entrée en lice des fusils semi-automatiques (Garand), des fusils d’assaut (MP 43/44) et surtout des bazookas et assimilés, ainsi que la multiplication des antichars et des mines? Quid aussi de la motorisation ou de l’apparition de blindés pour l’infanterie (dont le half-track, si spécifique de la Seconde Guerre mondiale)? Des avancées techniques qui ont pourtant révolutionné l’art du combat, sans parler de l’évolution de l’équipement individuel et des uniformes (avec le développement du camouflage, de l’équipement en toile, etc), dont il est nulle part fait allusion.
On peut aussi relever quelques erreurs. Signalons-en seulement quelques-unes. Les GI’s de la page 292 ne sont pas à l’approche de la Normandie en 1944 (comme s’il était difficile de trouver une photographie du D-Day…): la tenue, l’allure et l’équipement suffisent à le prouver… La nuit n’offre pas forcément une accalmie, surtout lorsque les combats sont trop dangereux ou difficiles à envisager de jour : au contraire, c’est évidemment le moment idéal pour attaquer (à la faveur de la pleine lune), c’est le moment des raids et des coups de main, mais aussi celui des corvées (surtout pour les tankistes). Quant à la guerre du Pacifique, les GI’s qui y ont combattu sont restés beaucoup moins longtemps au feu que leurs camarades affrontant les Allemands en Europe: face aux Japonais, les campagnes sont relativement courtes, entrecoupées de longues périodes de repos (sauf exception, comme à Bougainville), mais, du 6 juin au 8 mai 1945 (pour ne pas parler de l’Italie), les divisions restent en ligne sur le front de l’ouest sans espoir de relève (mis à part les parachutistes, et encore). Peu de choses, au final.
Des critiques bien secondaires qui n’entachent nullement la qualité du produit final.
Le livre constitue, je le souligne de nouveau, une somme qui fera date… Chaque lecteur pourra le parcourir selon son envie ou ses centres d’intérêt, mais aussi y revenir pour y retrouver des éléments sur un thème précis.
Une belle lecture recommandée.
Un livre qui fera date dans les ouvrages consacrés à l’Histoire militaire!
André Loez (direction), Mondes en Guerre. Tome III. Guerres mondiales et impériales. 1870-1945, Passés Composés, 2020
Les éditions Passés Composés poursuivent leur remarquable tableau en quatre parties consacré à la guerre depuis l’aube des temps.
Ce 3e opus confirme la grande qualité de la collection.
Les conflits qui ensanglantent le monde entre 1870 et 1945 sont fort variés: guerres coloniales, guerres civiles, guerres de voisinage et bien entendu guerres mondiales… Elles ont en commun d’être les guerres de l’ère industrielle, une donnée qui bouleverse l’art de la guerre, moins dans ses fondements, souvent intemporels, que dans ses pratiques. Si la « guerre totale » et la « brutalisation » ne sont pas des caractéristiques de cette seule période, l’ampleur des conflits et des moyens alloués aux forces armées, ainsi que leur pouvoir de destruction sont sans commune mesure avec ce qui a précédé au cours de la longue histoire de l’Humanité.
Le chapitre introductif, « Conflits. Le système international et les guerres », signé Jean-Michel Guieu, constitue une très intelligente entrée en matière, fort bien traitée. Elle entre dans le cadre d’une vaste partie intitulée « Etats de Guerre ».
Les chapitres de cet somme remarquable sont aussi divers qu’intéressants : « Combattants » de Julie Le Gac, mettant l’accent sur l’expérience de la guerre (texte très réussi); « Mobilisations. Etats et économie de Guerre » par Ardnt Weinrich; « Genres. Rapporte sexués et redéfinition des rôles féminins et masculins à l’épreuve des conflits » par Manon Pignot (très bon texte également); « Ecritures. Images, témoignages et représentations de la Guerre » par André Loez, « La guerre comme expérience idéologique et politique », etc. L’art, la propagande, révolutions, la question de la virilité, la discipline, les représentations de la guerre (malheureusement l’étude n’est pas poussée jusqu’à nos jours)… : tout y est. J’ai particulièrement aimé les pages consacrées aux guerres coloniales (au chapitre IV, je renvoie à ce sujet à la lecture du livre de Jacques Frémaux: De quoi fût fait l’empire? Les guerres coloniales au XIXe siècle). Enfin, une partie entière est consacrée aux « Extrêmes de la guerre », où les auteurs abordent la violence, celle subie par les civils, mais également par les soldats. Une place majeure est évidemment accordée à l’horreur de la Shoah. L’ouvrage se termine par le droit de la guerre et les procès.
Le panorama est donc large, bien documenté et bien traité: certes, rien de nouveau sous le soleil, mais une mine d’informations et une somme sans équivalent pour une collection qui mérite de devenir un classique et une référence.
L’histoire sociale, politique, culturelle, etc tient globalement une grande place dans cet ensemble, au détriment de l’histoire militaire en temps que telle -généraux, tactiques, armement, batailles, etc. La bibliographie finale et les publications des auteurs révélant sans doute le peu d’intérêt pour ces questions. Ce n’est certes pas dramatique dans le sens où ces sujets sont traités dans d’autres livres par des auteurs qualifiés dans ce domaine (très rarement des universitaires, sauf quelques individus comme Pierre-Yves Hénin). On peut par ailleurs se réjouir que l’équipe d’historiens dirigée par André Loez ne fait aucune erreur factuelle, alors qu’on assiste à une véritable accumulation de détails erronés par certains spécialistes de la seconde Guerre mondiale dans des livres comme La Guerre du désert ou encore Churchill, chef de guerre (deux livres dont je recommande pourtant la lecture, mais pour d’autres raisons).
Je rappelle dans un article, « La nécessaire polyvalence de celui qui écrit l’histoire militaire », ce que je considère comme des atouts et compétences avantageuses (voire indispensables) quand on souhaite traiter d’histoire militaire de façon sérieuse.
On pourra certes déplorer la part belle accordée au premier conflit mondiale par rapport au second (dérive qui n’est pas systématique, il faut être honnête), défaut sans doute à rapporter à la spécialisation de nombre d’auteurs (presque la moitié d’entre-eux): par exemple, le choc des images de Tarawa méritait un développement… Lorsque la question de la discipline militaire et du peloton d’exécution sont abordées, seules la désobéissance et l’exécution pour l’exemple semblent envisagés (une antienne quand il est question de la Grande Guerre), mais pas le meurtre (y compris de son officier), le viol ou le pillage… Il est peu question de crimes entre soldats belligérants. Quant au refus des Landser de la Wehrmacht de participer aux tueries, estimé à un tiers (!), le généraliser n’est guère convainquant et mériterait une explicitation précise des circonstances évoquées…
Yves Le Maner a rédigé un chapitre captivant et attendu consacré aux armes et à l’évolution des stratégies et technologies. Si l’évocation de cette dernière est fort bien amenée, je déplore le peu de cas qui est fait de l’armement dans ses détails: pour ne s’en tenir qu’à l’armée de terre et au second conflit mondial, quid de l’entrée en lice des fusils semi-automatiques (Garand), des fusils d’assaut (MP 43/44) et surtout des bazookas et assimilés, ainsi que la multiplication des antichars et des mines? Quid aussi de la motorisation ou de l’apparition de blindés pour l’infanterie (dont le half-track, si spécifique de la Seconde Guerre mondiale)? Des avancées techniques qui ont pourtant révolutionné l’art du combat, sans parler de l’évolution de l’équipement individuel et des uniformes (avec le développement du camouflage, de l’équipement en toile, etc), dont il est nulle part fait allusion.
On peut aussi relever quelques erreurs. Signalons-en seulement quelques-unes. Les GI’s de la page 292 ne sont pas à l’approche de la Normandie en 1944 (comme s’il était difficile de trouver une photographie du D-Day…): la tenue, l’allure et l’équipement suffisent à le prouver… La nuit n’offre pas forcément une accalmie, surtout lorsque les combats sont trop dangereux ou difficiles à envisager de jour : au contraire, c’est évidemment le moment idéal pour attaquer (à la faveur de la pleine lune), c’est le moment des raids et des coups de main, mais aussi celui des corvées (surtout pour les tankistes). Quant à la guerre du Pacifique, les GI’s qui y ont combattu sont restés beaucoup moins longtemps au feu que leurs camarades affrontant les Allemands en Europe: face aux Japonais, les campagnes sont relativement courtes, entrecoupées de longues périodes de repos (sauf exception, comme à Bougainville), mais, du 6 juin au 8 mai 1945 (pour ne pas parler de l’Italie), les divisions restent en ligne sur le front de l’ouest sans espoir de relève (mis à part les parachutistes, et encore). Peu de choses, au final.
Des critiques bien secondaires qui n’entachent nullement la qualité du produit final.
Le livre constitue, je le souligne de nouveau, une somme qui fera date… Chaque lecteur pourra le parcourir selon son envie ou ses centres d’intérêt, mais aussi y revenir pour y retrouver des éléments sur un thème précis.
Une belle lecture recommandée.
L’AFRIKAKORPS AU CAIRE, 1942 : LE PLAN DE ROMMEL
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