Livre Seconde Guerre Mondiale WWII

Recension “Hitler et Churchill”

A la fois passionnant et instructif

Andrew Roberts, Hitler et Churchill, Perrin, 2022

Il s’agit là de l’un des livres les plus passionnants que j’ai lus cette année: captivé, je l’ai “lu”dévoré” en quelques jours.

Andrew Roberts est l’auteur d’un ouvrage remarquable, que j’ai commenté, consacré à l’immense Winston Churchill.

Les éditions Perrin ont eu l’excellente idée de publier ce livre, écrit il y a une vingtaine d’année, traduit par le regretté Antoine Capet, un de nos meilleurs spécialistes français de l’illustre personnage. J’avais eu la chance de le rencontrer et de profiter de son savoir immense sur le Royaume-Uni, ainsi que de sa sympathie naturelle.

Ce livre se veut en quelque sorte une réflexion sur l’art de diriger un Etat, de captiver et de motiver les foules, en s’appuyant que le parcours parallèle de deux individus aux personnalités fort dissemblables mais qui se sont heurtées du début à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Andrew Roberts tord le cou aux thèses bien aventureuses (notamment des révisionnistes et autres négationnistes qui font injure à l’Histoire) qui esquissent un parallèle, pour ne pas dire des équivalences, entre les deux hommes d’Etat. Si quelques points communs sont certes décelables, et notamment leur capacité de mobiliser les foules et l’opinion publique de leur pays, Churchill et Hitler ont des modus operandi absolument différents. Ce livre nous le démontre avec brio.

Tout, de leurs origines, de leur parcours et de leurs relations avec les autres, pour ne pas parler de leurs tempérament et de leur formes d’humour, mais évidemment aussi de leur manière de gouverner, en font des hommes d’Etat très dissemblables.

Citons quelques titres de chapitres, qui ne feront qu’attirer le lecteur: “La mission par délégation de responsabilité”, “L’usage de la tension créatrice: Churchill et Alanbrooke”, “Savoir congédier”, “L’art oratoire”, “Hitler et Churchill: leur pertinence actuelle”, etc. Je vous laisse découvrir les arguments et les faits avancés par l’auteur.

Toutefois, je ne partage pas le point de vue de l’auteur quand il minimise l’ingérence de Churchill vis-à-vis des militaires, affirmant qu’il se montre plus à l’écoute avec les années. Il a été insupportable avec Wavell, puis Auchinleck et a continué à empiéter sur leurs prérogatives jusque tard dans la guerre: au printemps 1944, Eisenhower doit imposer ses vues dans la préparation du Jour J, aussi bien pour les bombardements que dans la question récurrente du débarquement dans le sud de la France.

L’auteur n’est certes pas complètement à l’aise avec l’histoire militaire: p190 il lie l’embouteillage dans les Ardennes à un ordre d’arrêt du haut-commandement (alors que cela n’a rien à voir) ; p 195 il se hasarde beaucoup en affirmant que la Haltbefehl est dû à une volonté de Hitler de contrôler l’armée (quid de la nécessité de préserver les Panzer pour la suite de la campagne? quid des desiderata de Rundstedt ?) et de faire intervenir les SS; l mentionne la Grèce aux côtés de l’Angleterre à l’été 1940 ; p 223 il en est resté au mythe d’un échec de “Barbarossa” en raison du retard d’un mois pris en Grèce et en Yougoslavie (et il affirme en outre par erreur que Hitler doit envahir la Yougoslavie “afin de venir ne aide en Italie” alors que cela n’est pas lié!); p 285 il attribue les victoires du début de guerre de la Wehrmacht à l’initiative laissé à ses chefs (ce n’est pas exact et trop généraliste, et cela voudrait dire, comme le veut un mythe entretenu dès l’après-guerre, que l’armée allemande a perdu à cause de Hitler…); p 291 : “en Pologne en 1939, l’armée allemande n’était que la complice passive des crimes des SS” (ce mythe d’une Wehrmacht propre avant la campagne de Russie est complètement dépassé…) ; p 299 : il n’accorde en juin 1944, à la veille du Jour J, que 2 divisions blindées du ressort de l’OKW (c’est le double…); p 314 il est affirmé que Hitler n’a jamais reconnu ses erreurs, mais il l’a au moins fait pour Stalingrad, ce que ne reconnaît pas Roberts ; mentionnant les voyages de Hitler, il oublie les rencontres avec Mussolini, sa visite en Pologne en 1939, ses visites sur le front de l’Est et, pour la France, oublie celle de juin 1944, à Margival, avec Rundstedt et Rommel!

Comme quoi un auteur est capable d’écrire par deux fois un magnifique livre sur Churchill en multipliant les fautes factuelles d’ordre militaire, des fautes faciles à éviter, surtout pour un historien de cette stature. Cela semble une règle chez nombre de spécialistes de la Seconde Guerre mondiale pour lesquels tout est intéressant dans cette guerre sauf les champs de batailles et les armées : cf le florilège d’erreurs dans ce livre sur la guerre du désert, pourtant lui aussi réussi et très novateur, des éditions Perrin ou cette somme sur la guerre en 1870-1945 aux éditions Passés Composés, au sein de laquelle les oublis sont stupéfiants.

Les erreurs ou imprécisions constatées, on l’a compris, n’entachent en rien la grande qualité de cet ouvrage d’Andrew Roberts : il faut le lire car il est à la fois passionnant et instructif.