Julie d’Andurain, Le général Gouraud. Un destin hors du commun, de l’Afrique au Levant, Perrin, 2022
Julie d’Andurain signe un remarquable ouvrage, somme d’érudition et de talent. La carrière remarquable et, pour dire vrai, extraordinaire (dans tous les sens du terme), d’Henri Gouraud méritait un tel hommage sous la forme d’un bel ouvrage, fruit de recherches approfondies servies par une superbe plume: quel style! Quel rythme! Le choix des notes en bas de page est heureux et l’autrice nous y fournit de précieux compléments, explicatifs ou autres, toujours les bienvenus.
Le talent d’écriture de Julie d’Andurain participe indéniablement au plaisir de la lecture, mais le propos y est évidemment pour beaucoup aussi. Henri Gouraud jouit en effet d’états de service pour le moins impressionnant, la variété des situations dans lesquelles nous plonge le récit palpitant de sa carrière militaire nous préserve de tout risque d’ennui. Sa jeunesse nous permet de redécouvrir une époque, celle des lendemains de la défaite de 1870. Les passages consacrés à Saint-Cyr ou aux journées parisiennes du général permettent de plonger dans une réalité pas toujours saisissable: j’ai pour ma part beaucoup découvert sur l’univers militaire français, d’autant plus facilement que l’auteure maîtrise sans défaillance le vocabulaire technique militaire et le jargon de l’école de Saint-Cyr.
Passionné par la découverte de l’Afrique et la geste des héros de l’épopée coloniale (certes tragique), mais avant tout britanniques, ce sont aussi les chapitres consacrés à l’ouest et au centre africains, la capture de Samory et le Tchad, mais aussi la Maurétanie puis le Maroc, aux côtés de Lyautey, qui ont constitués les pages les plus palpitantes. Le lecteur découvrira les dessous politiques de nombre de décisions (et, cela va de soi, les tensions avec les autres puissances européennes), les rapports entre les dirigeants civils et l’institution militaire, la formations de réseaux et le déroulement des carrières, les rivalités entre officiers “colos” et “métros”, entre ceux servant en Afrique noire et ceux en poste en Afrique du Nord… Gouraud est moins célébré que de Brazza ou Marchand, ou encore Gallieni et Lyautey, mais il mérite qu’on retienne son nom… Je vous laisse découvrir…
La colonisation, marquée par des massacres et diverses formes de brutalités (on pense immédiatement à Voulet-Chanoine), reste un phénomène complexe et la vie et l’action de Gouraud laissent parfaitement entrevoir comment la mise en place de la domination française a pu se réaliser sans violences inutiles, avec le souci de se comporter comme il sied à un officier français, Gouraud étant de surcroît un fervent catholique. Sans manichéisme, en parfait travail d’historienne digne de ce nom (et dûment étayé par des sources fiables), Julie d’Andurain nous fait découvrir avec brio quelques pages de la conquête coloniale française.
Gouraud aurait déjà eu une carrière remarquable si le récit s’était arrêté à ce moment-là, et le livre se serait déjà avéré des plus plaisants et instructifs. Mais la suite, avec la Grande Guerre et ses suites, réserve à Gouraud bien des moments de gloire: guerre des tranchées, Dardanelles, offensive victorieuse de 1918, l’imbroglio du Levant et son action en Syrie face à Fayçal (dont le fameux Lawrence d’Arabie fût le compagnon et le conseiller), qui constitue l’un des moments forts de l’ouvrage (ma passion pour le Moyen-Orient de cette époque troublée n’est évidemment pas étrangère à cette appréciation)… L’autrice nous donne bien des clés d’explications des événements, parfois loin des idées reçues (à l’instar, comme je l’ai souligné, de la question de la colonisation de l’Afrique), si nécessaires pour appréhender cet “Orient compliqué”.
La vie de l’illustre général est aussi l’occasion d’évoquer la mémoire d’après-guerre de ce premier conflit mondial.
Il y a aussi des femmes dans ce récit, bien que Gouraud soit demeuré un célibataire endurci. On découvre la relation très forte qui l’unissait à sa mère, ainsi qu’à sa soeur, le jeune Henri n’ayant pas suivi l’exemple paternel en envisageant de se vouer à la médecine.
Le grand public actuel connaît Pétain, Joffre et Foch, peut-être Nivelle et Mangin, guère davantage, et rarement Gouraud. C’est une injustice que répare Julie d’Andurain. Si ce général n’est nullement le meilleur officier de sa génération ni même un théoricien, ou encore un modèle, sa carrière mérite amplement d’être connue car elle embrasse sur un large spectre géographique une période essentielle de notre histoire militaire.
J’ai beaucoup appris sur un général dont le premier contact a revêtu pour moi, il y a bien longtemps, l’aspect d’une figurine Mokarex, d’une collection dédiée à tous les grands officiers français de la Grande Guerre : Gouraud, avec son bras en écharpe, avait retenu l’attention que j’étais et qui découvrait en même temps l’histoire coloniale en feuilletant les nombreux exemplaires du “Petit Journal” d’un grand-père qui était un ancien poilu né au siècle précédent.
Bref, un livre à lire pour toutes sortes de passionnés: d’histoire coloniale, d’histoire militaire, d’histoire de l’armée française, d’histoire de la Grande Guerre, etc.
On ne peut que remercier Julie d’Andurain pour nous avoir offert de belles heures de lectures savantes. Une autrice que je vais suivre assidûment.
Julie d’Andurain, Le général Gouraud. Un destin hors du commun, de l’Afrique au Levant, Perrin, 2022
Julie d’Andurain signe un remarquable ouvrage, somme d’érudition et de talent. La carrière remarquable et, pour dire vrai, extraordinaire (dans tous les sens du terme), d’Henri Gouraud méritait un tel hommage sous la forme d’un bel ouvrage, fruit de recherches approfondies servies par une superbe plume: quel style! Quel rythme! Le choix des notes en bas de page est heureux et l’autrice nous y fournit de précieux compléments, explicatifs ou autres, toujours les bienvenus.
Le talent d’écriture de Julie d’Andurain participe indéniablement au plaisir de la lecture, mais le propos y est évidemment pour beaucoup aussi. Henri Gouraud jouit en effet d’états de service pour le moins impressionnant, la variété des situations dans lesquelles nous plonge le récit palpitant de sa carrière militaire nous préserve de tout risque d’ennui. Sa jeunesse nous permet de redécouvrir une époque, celle des lendemains de la défaite de 1870. Les passages consacrés à Saint-Cyr ou aux journées parisiennes du général permettent de plonger dans une réalité pas toujours saisissable: j’ai pour ma part beaucoup découvert sur l’univers militaire français, d’autant plus facilement que l’auteure maîtrise sans défaillance le vocabulaire technique militaire et le jargon de l’école de Saint-Cyr.
Passionné par la découverte de l’Afrique et la geste des héros de l’épopée coloniale (certes tragique), mais avant tout britanniques, ce sont aussi les chapitres consacrés à l’ouest et au centre africains, la capture de Samory et le Tchad, mais aussi la Maurétanie puis le Maroc, aux côtés de Lyautey, qui ont constitués les pages les plus palpitantes. Le lecteur découvrira les dessous politiques de nombre de décisions (et, cela va de soi, les tensions avec les autres puissances européennes), les rapports entre les dirigeants civils et l’institution militaire, la formations de réseaux et le déroulement des carrières, les rivalités entre officiers “colos” et “métros”, entre ceux servant en Afrique noire et ceux en poste en Afrique du Nord… Gouraud est moins célébré que de Brazza ou Marchand, ou encore Gallieni et Lyautey, mais il mérite qu’on retienne son nom… Je vous laisse découvrir…
La colonisation, marquée par des massacres et diverses formes de brutalités (on pense immédiatement à Voulet-Chanoine), reste un phénomène complexe et la vie et l’action de Gouraud laissent parfaitement entrevoir comment la mise en place de la domination française a pu se réaliser sans violences inutiles, avec le souci de se comporter comme il sied à un officier français, Gouraud étant de surcroît un fervent catholique. Sans manichéisme, en parfait travail d’historienne digne de ce nom (et dûment étayé par des sources fiables), Julie d’Andurain nous fait découvrir avec brio quelques pages de la conquête coloniale française.
Gouraud aurait déjà eu une carrière remarquable si le récit s’était arrêté à ce moment-là, et le livre se serait déjà avéré des plus plaisants et instructifs. Mais la suite, avec la Grande Guerre et ses suites, réserve à Gouraud bien des moments de gloire: guerre des tranchées, Dardanelles, offensive victorieuse de 1918, l’imbroglio du Levant et son action en Syrie face à Fayçal (dont le fameux Lawrence d’Arabie fût le compagnon et le conseiller), qui constitue l’un des moments forts de l’ouvrage (ma passion pour le Moyen-Orient de cette époque troublée n’est évidemment pas étrangère à cette appréciation)… L’autrice nous donne bien des clés d’explications des événements, parfois loin des idées reçues (à l’instar, comme je l’ai souligné, de la question de la colonisation de l’Afrique), si nécessaires pour appréhender cet “Orient compliqué”.
La vie de l’illustre général est aussi l’occasion d’évoquer la mémoire d’après-guerre de ce premier conflit mondial.
Il y a aussi des femmes dans ce récit, bien que Gouraud soit demeuré un célibataire endurci. On découvre la relation très forte qui l’unissait à sa mère, ainsi qu’à sa soeur, le jeune Henri n’ayant pas suivi l’exemple paternel en envisageant de se vouer à la médecine.
Le grand public actuel connaît Pétain, Joffre et Foch, peut-être Nivelle et Mangin, guère davantage, et rarement Gouraud. C’est une injustice que répare Julie d’Andurain. Si ce général n’est nullement le meilleur officier de sa génération ni même un théoricien, ou encore un modèle, sa carrière mérite amplement d’être connue car elle embrasse sur un large spectre géographique une période essentielle de notre histoire militaire.
J’ai beaucoup appris sur un général dont le premier contact a revêtu pour moi, il y a bien longtemps, l’aspect d’une figurine Mokarex, d’une collection dédiée à tous les grands officiers français de la Grande Guerre : Gouraud, avec son bras en écharpe, avait retenu l’attention que j’étais et qui découvrait en même temps l’histoire coloniale en feuilletant les nombreux exemplaires du “Petit Journal” d’un grand-père qui était un ancien poilu né au siècle précédent.
Bref, un livre à lire pour toutes sortes de passionnés: d’histoire coloniale, d’histoire militaire, d’histoire de l’armée française, d’histoire de la Grande Guerre, etc.
On ne peut que remercier Julie d’Andurain pour nous avoir offert de belles heures de lectures savantes. Une autrice que je vais suivre assidûment.
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