Livre Seconde Guerre Mondiale WWII

Recension “Le maréchal Model”

Nazi convaincu et général de talent

Daniel Feldmann, Le maréchal Model. Le “pompier” de Hitler, Perrin, 2022

Il manquait aux lecteurs français passionnés par la Seconde Guerre mondiale la possibilité de découvrir l’un des officiers majeurs de la Wehmacht : Walter Model.

Cette lacune historiographique est désormais comblée, et avec brio, par Daniel Feldmann. Il ne suffit en effet pas de proposer un ouvrage inédit pour que celui-ci soit de qualité ou s’impose comme une référence.

Or, indéniablement, nous avons ici le fruit d’un travail de recherche conséquent, qui ne se contente nullement d’un accès aux archives, mais fait appel à des sources primaires négligées, et, surtout, nous avons un auteur qui les questionne avec pertinence.

Les passionnés de la Seconde Guerre mondiale apprécierons les multiples réflexions et les informations de tous ordres qui apparaissent au fil des pages, des pages d’un récit fort bien mené, très bien écrit (les premiers textes de l’auteur sur Montgomery et Rommel étaient d’un style plus “sec”).

On ne découvre pas seulement l’homme, ses origines, sa formation, son parcours jusqu’à ce qu’il soit au service de Hitler (toute une période de la vie de Model qui était inconnue pour moi, mais indubitablement importante pour saisir le personnage, notamment sa formation comme officier d’état-major), mais également le fonctionnement du haut-commandement allemand.

Il s’agit ici d’un des points forts du texte: on saisit ce que représente diriger un corps d’armée, une armée ou un groupe d’armée, trois niveaux où les attendus vis-à-vis du commandant sont fort différentes. Force est de constater que Model semble plus “taillé” pour le niveau de la division ou du corps.

On constate aussi comment un roturier, versé dans l’art de la fonction d’officier d’état-major (ce qui n’est nullement le cas de Rommel, par exemple), est parvenu à se hisser à des niveaux de la hiérarchie qui lui auraient été interdits en d’autres circonstances. Les modalités de ses promotions sont parfois édifiantes et si Walter Model est un intrigant (lire les passages dans lesquels on le voit se lier -non sans dessein- à Goebbels, Goering, Himmler, Speer…), je pense que Daniel Feldmann nous explique à chaque fois avec pertinence pourquoi Model est sélectionné (ou ne l’est pas) pour un nouveau poste de responsabilité (le lecteur pourra être surpris face çà ce qui pourrait lui apparaître évident).

Le personnage est assez antipathique: rude et peu économe du sang de ses soldats (il n’hésite pas à en sacrifier), insupportable avec ses collaborateurs et subordonnés pendant l’intégralité de sa carrière et sur une échelle stupéfiante (les anecdotes à ce propos sont multiples et participent, avec les analyses fines sur la stratégie et le commandement, au plaisir de la lecture) et, qui plus est, serviteur zélé de Hitler.

Car l’aspect criminel du parcours opérationnel de ce général de la Wehrmacht apparaît en filigrane de l’ouvrage, et ce dès la campagne de Pologne. Les différents épisodes de la guerre à l’Est constituent autant de circonstances au cours desquelles Model se montre un adepte fervent des théories raciales nazies, mais aussi un officier qui relaye sans état d’âme les ordres les plus criminel de l’OKW. Daniel Feldmann suggère que ses initiatives en la matière ont pu inspirer les nazis, ou à tout le moins les conforter dans leurs projets. La gestion brutale du Heeresgruppe B sur le plan disciplinaire, en 1945, est bien connue, ne faisant que conforter l’image d’un officier acquis au modus operandi des nazis. Enfin, l’auteur rappelle avec justesse que les crimes commis à l’Est à l’endroit des Juifs, des populations soviétiques et des soldats de l’Armée rouge sont répandus et consubstantiels à l’idéologie nazie qui anime la Wehrmacht et non une réaction -et donc une réponse légitime pour ceux qui avancent l’argument fallacieux- aux crimes commis par les Soviétiques sur des prisonniers allemands, comme l’affirme encore tout récemment un éditeur dans une de ses revues, dans laquelle le parcours d’un général SS est en outre déroulé sans aucune allusion au nazisme et à ses crimes… : les ordres criminels du haut-commandement allemand sont donnés AVANT le déclenchement de “Barbarossa”, et ne soulèvent aucune objection majeure et, quand c’est le cas, rarement d’ordre moral ou humaniste.

Le plus passionnant réside dans la somme d’informations sur Model en tant que chef de guerre, ce qui permet à l’auteur de nous faire part de ses réflexions sur les opérations parmi les plus fameuses de la guerre, en particulier à l’Est (des chapitres que je recommande et je vous laisse découvrir bien des informations), de “Barbarossa” à “Bagration”, puis à l’Ouest, notamment la “Rückzug” vers le Vaterland (le fait que le blocage de l’embouchure de l’Escaut n’ait pas été intentionnelle est une éventualité qui n’avait jamais effleuré mon esprit) et la bataille des Ardennes, mais aussi l’épisode du pont de Remagen. Bien des éléments d’analyse sont pertinents.

On y découvre à quel point Model se montre mesquin, égoïste (sa manière de détourner les unités, de refuser de les céder ou d’épuiser au combat une division qu’il sait devoir rétrocéder est édifiante) et de mauvaise foi (en particulier lorsqu’il est affecté à un autre commandement ou lorsque ses responsabilités sont étendues), et ce souvent de manière stupéfiante, sans qu’il ne parvienne toujours à ses fins, tandis qu’il semble maître dans l’art de louvoyer avec les ordres du Führer. Hitler ne semble d’ailleurs pas dupe (cf les Ardennes) et sait quel niveau de responsabilité lui accorder (cf le retour de Rundstedt en septembre 1944). On découvre aussi un Model, qui loin de tenir tête systématiquement au dictateur comme souvent relaté, se “dégonfle” dès qu’il se trouve en sa présence (notons d’ailleurs qu’il ne décrit jamais ce dernier sous un angle défavorable, sur le plan physique, contrairement à plus d’un mémorialiste, comme s’il était de bon ton, après-guerre, de mettre en exergue la décrépitude physique du dictateur et/ou de nier l’effet de sa présence).

Je laisse les lecteurs découvrir ces batailles fameuses sous le prisme de Model. L’auteur sait aussi faire la part des choses et ramener l’impact de l’action du maréchal à ses justes proportions, car on prête à Model, comme à Rommel ou Guderian pour ne citer qu’eux, plus de vertus militaires qu’il ne le mérite. Il ne convient pas de céder à la tentation de l’excès inverse, ce que Daniel Feldmann se garde bien de faire, et l’ouvrage nous démontre sans doute possible que Walter Model était l’un des généraux les plus talentueux de la Wehrmacht, qui plus est un nazi convaincu. Indubitablement, il était le “pompier” de Hitler.

Un très bon livre, à tout point de vue, qui sera désormais une référence. Le travail de recherche pour le rédiger s’est indubitablement avéré conséquent et de longue haleine.