Il n’y a pas d’Histoire ni d’historien sans sources. Quelles sont celles mises à disposition du chercheur ou de l’écrivain qui travaille sur la Seconde Guerre mondiale ? Je m’intéresse ici à l’histoire militaire, trop souvent négligée en France.
Les archives
Les sources primaires des archives constituent la base de travail a priori privilégiée de l’historien. Les consulter n’est pas toujours chose aisée : horaires, accès possible ou non à telle ou telle source, distances… Le classement des ressources disponibles peut compliquer la tâche, mais aussi apporter du piment à la tâche : quoi de plus exaltant que de « découvrir » un document a priori inédit et/ou contenant une information d’importance cruciale. Bonheur que j’ai connu une première fois au cours de mes travaux à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Las, les documents manuscrits sont parfois illisibles ou difficilement exploitables. L’accès des archives en ligne facilite bien des démarches, qui pour consulter via internet, qui pour passer commande de tel ou tel microfilm. Encore faut-il avoir accès à ce qui suscite l’intérêt. Il ne faut pas être naïf : on va difficilement faire du neuf à partir des archives de base consacrées à Montgomery, Rommel ou Patton (encore que Daniel Feldmann m’a positivement surpris à ce propos). Il faut faire l’effort de fouiller sur place dans les dossiers et cartons négligés. J’avais préparé un séjour aux Etats-Unis pour puiser dans les archives consacrées à Patton à Washington, New-York et Fort Knox, notamment pour découvrir des éléments sur la réaction du général américain francophile vis à vis de l’effondrement de la France de 1940 (j’espère qu’un chercheur nous informera sur ce sujet). J’y ai renoncé, car j’avais obtenu les informations sur les autres éléments qui me posaient problème, et l’éventualité d’effectuer un tel voyage sans trouver réponse à mes questionnements était trop dure à envisager. Il reste certes à l’historien d’engager un autre chercheur. Il est évident que la source primaire ne fait pas l’historien : combien d’ « historiens » prétendent faire de l’Histoire à partir d’un Kriegstagebuch recoupé par plusieurs War Diaries pour finalement dire la même chose que les autres auteurs qui ont planché sur le sujet… Quant aux données chiffrées et aux rapports d’unités, ils supposent de bien connaître la bataille, sinon on n’apporte rien de neuf, tout en faisant croire le contraire. D’autres, à l’instar d’Eric Denis, épluchent consciencieusement les archives et savent vraiment en tirer de l’inédit. Connaisseur de la guerre en Afrique du Nord (j’attends d’ailleurs une parution d’un fin spécialiste de la question, rompu au travail sur les archives), je suis assuré d’avoir apporté de nouveaux éléments en traitant de la 5. Panzerarmee en Tunisie, notamment dans le cadre de l’opération « Ochsenkopf ». Je continue actuellement sur celles du DAK et de la Panzerarmee Afrika (dont vous aurez les résultats dans plsuieurs publications à venir). Consulter les archives est aussi une méthode pour vérifier la véracité d’une source : après tout, un auteur peut très bien commettre une erreur en recopiant un élément. Je mets en garde les lecteurs : certains auteurs peuvent citer une source primaire en note, mais sans l’avoir forcément consultée, reprenant en fait la note indiquant la source d’un autre auteur… sans compter ceux qui se contentent de recopier intégralement un rapport d’origine sans le commenter. Pis, des chasseurs de gloire (dont l’activité fait perdre du crédit à certaines maisons d’édition) feront croire qu’ils font avancer la connaissance historique… mais, au contraire du lecteur non averti, celui qui a travaillé sur le même sujet sait qu’il n’en est rien et que tout a déjà été dit par d’autres historiens, étrangers le plus souvent.
Les photographies
El Alamein (Life)
L’étude des photographies est essentielle pour la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit est le premier à avoir été si largement couvert par les journalistes, les reporters, mais également par les services officiels de propagande. Les sources sont pléthoriques, sans cesse renouvelées par la découverte de clichés provenant de collections personnelles. Nombre de soldats sont en effet partis à la guerre avec un appareil photographique, à commencer par les plus illustres d’entre eux, tels Patton ou Rommel. Il est alors passionnant de « traquer » le détail : tel équipement ou pièce d’uniforme porté par un soldat, ou bien l’insigne tactique peint sur un blindé… Un cliché peut nous apprendre que telle unité avait bien tel engin au cours d’une opération précise. L’étude de l’environnement (relief, bâtiments, etc) permet aussi d’authentifier un lieu, voire d’infirmer certaines revendications (cf la fameuse image dite de « Peiper » pendant la bataille des Ardennes). On soulignera ici le remarquable travail des éditions After the Battle et leurs superbes albums « Then and Now » (je recommande en particulier ceux consacrés à Market Garden, à Monte Cassino et à la guerre du Désert).
Sources audiovisuelles et sonores
Les images animées sont elles aussi sources d’Histoire, au même titre que les photographies. Si elles sont souvent muettes sur le plan sonore (ce qui à le don de surprendre quand on les consulte car nous sommes habitués aux documentaires), elles donnent à voir et à apprendre. Pour l’amateur, regarder le film d’une bataille qui passionne est d’un intérêt évident ; pour l’historien, les détails qui retiennent l’attention sont les mêmes que sur les photographies, faute d’avoir l’information sur support écrit : y avait-il de la neige ce jour-là à cet endroit ? Quels généraux entouraient Rommel à cet instant ? Quel effet concret d’un nuage de poussière soulever par un tank en mouvement ? Quant aux actualités filmées, elles sont très enrichissantes pour appréhender la propagande en temps de guerre : certains lecteurs ont sans doute apprécié l’intéressante émission de Marc Ferro, « Histoire Parallèle », jadis sur nos écrans sur la 7e chaîne/Arte le samedi soir… On pourra classer dans cette catégorie les films de propagande comme « Why we Fight ?» de Frank Capra ou encore les œuvres du 7e art en temps de guerre : citons simplement « Sahara » avec Humphrey Bogart ou « Aventures en Birmanie » avec Errol Flynn. A côtés de ces images, il existe également des enregistrements de sons, de discours, de déclarations, d’émissions radios, de chansons (militaires, patriotiques ou autres), de témoignages qui, s’ils ne sont pas accompagnés d’images, constituent également autant de sources exploitables par un chercheur.
Sources secondaires
Les sources secondaires, à savoir des textes écrits qui ne sont pas des archives, sont également du plus haut intérêt et indispensables à l’historien. On ne peut tout simplement pas s’en faire l’économie. Des travaux de très grandes qualité, même ancien, traitent de sujets proches ou identiques à ceux sur lesquels se penche le plus souvent un historien. Une occasion de faire avancer sa propre réflexion à l’aune de celle des autres, dont les bibliographies sont parfois très instructives (mettons ne garde toutefois les lecteurs sur les bibliographies qui se veulent exhaustives : à moins de ne pas se rendre compte du temps que représente l’étude et/ou la lecture d’un livre, bien des biographies d’ouvrages dépassent la capacité de travail d’un chercheur qui n’est pas à plein temps sur son sujet pendant des années…). Si se plonger dans les archives semble une évidence, est-ce nécessaire de consulter celles qui ont déjà été épluchées avec brio par un autre historien (à moins de vouloir faire croire au lecteur que le détail mentionné a été découvert par l’auteur du livre qu’il a entre les mains…): sur la bataille d’El Alamein, on peut faire confiance à Cédric Mas ou à Niall Barr. Lorsque j’ai écrit Afrikakorps (Tallandier, 2013), j’ai écrit le chapitre sur les conséquences d’une victoire de Rommel à El Alamein ainsi qu’une partie sur le mythe de la guerre sans haine et la postérité de l’Afrika-Korps en puisant des éléments et des faits à de nombreuses sources secondaires pour les confronter et en tirer des éléments et des réflexions inédits. Le résultat était donc novateur à partir de sources secondaires, mais éparses (on peut en dire autant de chiffres ou de regroupements de faits dans Invasion !, publié chez Tallandier en 2014). De fait, parmi les plus beaux (et mérités) succès de librairie concernant des ouvrages consacrés à la Seconde Guerre mondiale, on compte des livres qui ne sont basé uniquement que sur des sources secondaires sans recours de la moindre archive ou source primaire : citons les deux superbes ouvrages de Nicolas Bernard (La Guerre Germano-Soviétique, Tallandier, 2013 et La Guerre du Pacifique, Tallandier, 2016) ou encore la série très réussie de livres que Jean Lopez consacre à la guerre à l’Est (basés largement sur les travaux d’historiens américains). Les récits publiés des témoins, simples soldats, officiers ou célébrités galonnées, sont des sources impossibles à négliger, à condition de prendre le recul nécessaire, ce qui ne signifie pas tout rejeter en bloc (ce que certains n’hésitent pas à faire, croyant faire œuvre d’historien…). Ces récits se rattachent à une autre catégorie de sources : les témoignages.
Témoignages écrits et recueillis
Il faut d’abord avoir à l’esprit qu’il existe plusieurs types de témoignages : écrits ou oraux, mémoires, carnets ou journaux personnels, lettres, interviews dans les médias et interviews personnelles lorsque l’historien a le privilège de rencontrer des acteurs et témoins du sujet de son étude. Le contenu du témoignage et son évolution dans le temps peut lui même être objet de recherches. Passionnants, essentiels, privilèges pour l’historien qui y a accès, les témoignages ne sont pas sans soulever certaines difficultés. La question de la raison pour laquelle le témoignage a été donnée est primordiale : l’intéressé a-t-il conscience que ce qu’il écrit va être diffusé ? L’a t-il écrit à son usage personnel ? Dans le cas des lettres, a–t-il tenu compte de la censure ? La distance entre l’événement relaté et le moment où le témoignage s’effectue est également à prendre en compte : le témoin a t-il oublié des détails ? Sa mémoire est-elle par trop sélective ? Ment-il par omission ? Est-il influencé par d’autres témoignages dont il a pu prendre connaissance au fil des années ? Est-il influencé par la présence de certaines personnes qui l’écoute ou encore par la tournure et le choix des questions de l’interviewer ? Y a-t-il des erreurs factuelles ? Des ouvrages sont ainsi parfois basé sur la seule idée de témoignage : citons simplement Forgotten Voices. Desert Victory par Julian Thompson (Ebury Press, 2011). Pour plus d’authenticité, on préférera les publications de notes, journaux, carnets ou lettres non retravaillés par l’auteur en vue d’une publication comme le très intéressant Mon père, l’aide de camp du général Rommel de Hans-Joachim Schraepler (Privat, 2007), à charge pour l’historien de commenter et compléter le propos.
Quand le matériel parle
L’historien de la Seconde Guerre mondiale dispose d’une autre catégorie de témoignages : les objets. Les objets en disent beaucoup sur le quotidien des soldats. Les pratiques des adeptes de l’ « histoire vivante » permettent de comprendre davantage l’utilisation de telle ou telle pièce d’équipement ou encore réaliser ce que représente un bivouac en disposant uniquement d’un matériel précis. Voir et manipuler en réel est autre chose qu’une simple photographie. Il en va évidemment de même lorsqu’on a devant soi un tank ou une pièce antichar : étudier l’habitacle d’un Tiger et ses divers agencements représente une aubaine pour celui qui aura à narrer des combats impliquant cet engin. Un historien de la bataille d’Angleterre qui serait monté à bord d’un Spitfire et qui maîtriserait tous les aspects d’un appareil qu’il peut examiner à satiété serait davantage en mesure d’écrire une monographie de qualité sur cet appareil et cette fameuse bataille qu’un autre qui n’aurait pas bénéficié de cette opportunité ? L’historien pourra se spécialiser sur son véhicule fétiche, à l’image de Nigel Watson, rencontré sur, et sa trilogie sur l’Universal Carrier. L’uniformologie est aussi car on peut étudier de visu les qualités de camouflage de telle tenue ou encore la capacité de telle ou telle poche, musette ou caisse. L’aspect pratique de la moindre pièce d’équipement, son poids, son encombrement, etc, sont directement évalués. Lorsque l’historien étudie une campagne et qu’il dispose devant lui de l’armement, de l’équipement et du matériel en dotation lors des événements, il en apprend beaucoup et, partant, il sera mieux à même de comprendre les relations données dans les récits des témoins ou encore certains détails des journaux de guerre. Avec les informations présentes sur les pièces d’équipements (et ce travail se double avec celui effectué sur les photographies), l’historien pourra découvrir que tel uniforme pouvait être en dotation dans telle unité grâce à un nom ou à un matricule : oui, ce type de motif de camouflage était typique de tel régiment de Fallschirmjäger ; oui, la pièce standard d’uniforme était modifiée de telle manière au sein de telle unité…
Archéologie et champs de batailles
Le retour sur le terrain, si essentiel à l’historien qui en a l’opportunité, ainsi que je l’ai déjà évoqué dans un précédant article (arpenter un champ de bataille confère un avantage déterminant dans la narration qui sera ensuite donnée des faits), ne constitue pas une source, mais la pratique de l’archéologie peut lui en apporter. Les fouilles menées sur les sites sont l’occasion de recueillir ces témoignages que représentent tous ces objets des armées au combat (à défaut de fouilles dans le sol, il a suffit souvent d’écumer les fermes, notamment en Normandie…). La découverte de l’épave du P-38 Lightning d’Antoine de Saint-Exupéry en est un exemple célèbre. La recension, voire le déblaiement de blockhaus du Mur de l’Atlantique (avant l’inexorable destruction de nombre d’entre eux…) permettent aussi de des précisions sur les dispositifs défensifs, désormais perdus, de telle position, d’infirmer ou de confirmer tel témoignage. Arpenter un secteur de champ de bataille permettra aussi de ne pas commettre d’impair lorsqu’on relate un fait : trop d’historiens imagine que le bocage normand n’existe que dans le Cotentin ou en Suisse normande, imaginant le Pays d’Auge comme un openfield ; d’autres penseront que certaines collines d’El Alamein constituent de véritables éminences surplombant largement le champ de bataille ou encore que tel relief n’est qu’accessoire à proximité du Monte Cassino. Dans ces trois exemples pris parmi d’autres sur mon expérience personnelle, se rendre sur les lieux d’un affrontement peuvent être considérés comme représentant des sources de réflexions pour l’auteur d’un livre (cf mes recensions récentes sur le travaux de M. Truttmann et d’H. Wenkin).
En guise de conclusion
Les sources sont donc nombreuses et variées. Je n’ai fait qu’effleurer le sujet.
Mais se pencher sur la question revient à réfléchir sur l’Histoire et le travail de l’historien. Ce dernier n’a pas vocation à juger mais à établir les faits. Trop souvent, certains historiens visent plus à chercher à imposer une idée, à convaincre, comme s’il s’agissait d’un plaidoyer. Ce n’est pas tant la source qui fait l’historien que le questionnement sur celle-ci, son interprétation et l’utilisation qui en est faite (ce qui suppose de maîtriser le sujet). Les bibliographies sont essentielles pour déterminer le sérieux d’un ouvrage. Elles indiquent a priori ce qui a servi de support au travail d’un auteur, à condition que ce dernier soit honnête et ne livre pas ce qu’on pourrait appeler une bibliographie prétexte, citant des sources en fait non consultées, ou encore omettant, sciemment, des travaux qu’il a largement réemployés.
Il n’y a pas d’Histoire ni d’historien sans sources. Quelles sont celles mises à disposition du chercheur ou de l’écrivain qui travaille sur la Seconde Guerre mondiale ? Je m’intéresse ici à l’histoire militaire, trop souvent négligée en France.
Les archives
Les sources primaires des archives constituent la base de travail a priori privilégiée de l’historien. Les consulter n’est pas toujours chose aisée : horaires, accès possible ou non à telle ou telle source, distances… Le classement des ressources disponibles peut compliquer la tâche, mais aussi apporter du piment à la tâche : quoi de plus exaltant que de « découvrir » un document a priori inédit et/ou contenant une information d’importance cruciale. Bonheur que j’ai connu une première fois au cours de mes travaux à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Las, les documents manuscrits sont parfois illisibles ou difficilement exploitables. L’accès des archives en ligne facilite bien des démarches, qui pour consulter via internet, qui pour passer commande de tel ou tel microfilm. Encore faut-il avoir accès à ce qui suscite l’intérêt. Il ne faut pas être naïf : on va difficilement faire du neuf à partir des archives de base consacrées à Montgomery, Rommel ou Patton (encore que Daniel Feldmann m’a positivement surpris à ce propos). Il faut faire l’effort de fouiller sur place dans les dossiers et cartons négligés. J’avais préparé un séjour aux Etats-Unis pour puiser dans les archives consacrées à Patton à Washington, New-York et Fort Knox, notamment pour découvrir des éléments sur la réaction du général américain francophile vis à vis de l’effondrement de la France de 1940 (j’espère qu’un chercheur nous informera sur ce sujet). J’y ai renoncé, car j’avais obtenu les informations sur les autres éléments qui me posaient problème, et l’éventualité d’effectuer un tel voyage sans trouver réponse à mes questionnements était trop dure à envisager. Il reste certes à l’historien d’engager un autre chercheur. Il est évident que la source primaire ne fait pas l’historien : combien d’ « historiens » prétendent faire de l’Histoire à partir d’un Kriegstagebuch recoupé par plusieurs War Diaries pour finalement dire la même chose que les autres auteurs qui ont planché sur le sujet… Quant aux données chiffrées et aux rapports d’unités, ils supposent de bien connaître la bataille, sinon on n’apporte rien de neuf, tout en faisant croire le contraire. D’autres, à l’instar d’Eric Denis, épluchent consciencieusement les archives et savent vraiment en tirer de l’inédit. Connaisseur de la guerre en Afrique du Nord (j’attends d’ailleurs une parution d’un fin spécialiste de la question, rompu au travail sur les archives), je suis assuré d’avoir apporté de nouveaux éléments en traitant de la 5. Panzerarmee en Tunisie, notamment dans le cadre de l’opération « Ochsenkopf ». Je continue actuellement sur celles du DAK et de la Panzerarmee Afrika (dont vous aurez les résultats dans plsuieurs publications à venir). Consulter les archives est aussi une méthode pour vérifier la véracité d’une source : après tout, un auteur peut très bien commettre une erreur en recopiant un élément. Je mets en garde les lecteurs : certains auteurs peuvent citer une source primaire en note, mais sans l’avoir forcément consultée, reprenant en fait la note indiquant la source d’un autre auteur… sans compter ceux qui se contentent de recopier intégralement un rapport d’origine sans le commenter. Pis, des chasseurs de gloire (dont l’activité fait perdre du crédit à certaines maisons d’édition) feront croire qu’ils font avancer la connaissance historique… mais, au contraire du lecteur non averti, celui qui a travaillé sur le même sujet sait qu’il n’en est rien et que tout a déjà été dit par d’autres historiens, étrangers le plus souvent.
Les photographies
L’étude des photographies est essentielle pour la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit est le premier à avoir été si largement couvert par les journalistes, les reporters, mais également par les services officiels de propagande. Les sources sont pléthoriques, sans cesse renouvelées par la découverte de clichés provenant de collections personnelles. Nombre de soldats sont en effet partis à la guerre avec un appareil photographique, à commencer par les plus illustres d’entre eux, tels Patton ou Rommel. Il est alors passionnant de « traquer » le détail : tel équipement ou pièce d’uniforme porté par un soldat, ou bien l’insigne tactique peint sur un blindé… Un cliché peut nous apprendre que telle unité avait bien tel engin au cours d’une opération précise. L’étude de l’environnement (relief, bâtiments, etc) permet aussi d’authentifier un lieu, voire d’infirmer certaines revendications (cf la fameuse image dite de « Peiper » pendant la bataille des Ardennes). On soulignera ici le remarquable travail des éditions After the Battle et leurs superbes albums « Then and Now » (je recommande en particulier ceux consacrés à Market Garden, à Monte Cassino et à la guerre du Désert).
Sources audiovisuelles et sonores
Les images animées sont elles aussi sources d’Histoire, au même titre que les photographies. Si elles sont souvent muettes sur le plan sonore (ce qui à le don de surprendre quand on les consulte car nous sommes habitués aux documentaires), elles donnent à voir et à apprendre. Pour l’amateur, regarder le film d’une bataille qui passionne est d’un intérêt évident ; pour l’historien, les détails qui retiennent l’attention sont les mêmes que sur les photographies, faute d’avoir l’information sur support écrit : y avait-il de la neige ce jour-là à cet endroit ? Quels généraux entouraient Rommel à cet instant ? Quel effet concret d’un nuage de poussière soulever par un tank en mouvement ? Quant aux actualités filmées, elles sont très enrichissantes pour appréhender la propagande en temps de guerre : certains lecteurs ont sans doute apprécié l’intéressante émission de Marc Ferro, « Histoire Parallèle », jadis sur nos écrans sur la 7e chaîne/Arte le samedi soir… On pourra classer dans cette catégorie les films de propagande comme « Why we Fight ?» de Frank Capra ou encore les œuvres du 7e art en temps de guerre : citons simplement « Sahara » avec Humphrey Bogart ou « Aventures en Birmanie » avec Errol Flynn. A côtés de ces images, il existe également des enregistrements de sons, de discours, de déclarations, d’émissions radios, de chansons (militaires, patriotiques ou autres), de témoignages qui, s’ils ne sont pas accompagnés d’images, constituent également autant de sources exploitables par un chercheur.
Sources secondaires
Les sources secondaires, à savoir des textes écrits qui ne sont pas des archives, sont également du plus haut intérêt et indispensables à l’historien. On ne peut tout simplement pas s’en faire l’économie. Des travaux de très grandes qualité, même ancien, traitent de sujets proches ou identiques à ceux sur lesquels se penche le plus souvent un historien. Une occasion de faire avancer sa propre réflexion à l’aune de celle des autres, dont les bibliographies sont parfois très instructives (mettons ne garde toutefois les lecteurs sur les bibliographies qui se veulent exhaustives : à moins de ne pas se rendre compte du temps que représente l’étude et/ou la lecture d’un livre, bien des biographies d’ouvrages dépassent la capacité de travail d’un chercheur qui n’est pas à plein temps sur son sujet pendant des années…). Si se plonger dans les archives semble une évidence, est-ce nécessaire de consulter celles qui ont déjà été épluchées avec brio par un autre historien (à moins de vouloir faire croire au lecteur que le détail mentionné a été découvert par l’auteur du livre qu’il a entre les mains…): sur la bataille d’El Alamein, on peut faire confiance à Cédric Mas ou à Niall Barr. Lorsque j’ai écrit Afrikakorps (Tallandier, 2013), j’ai écrit le chapitre sur les conséquences d’une victoire de Rommel à El Alamein ainsi qu’une partie sur le mythe de la guerre sans haine et la postérité de l’Afrika-Korps en puisant des éléments et des faits à de nombreuses sources secondaires pour les confronter et en tirer des éléments et des réflexions inédits. Le résultat était donc novateur à partir de sources secondaires, mais éparses (on peut en dire autant de chiffres ou de regroupements de faits dans Invasion !, publié chez Tallandier en 2014). De fait, parmi les plus beaux (et mérités) succès de librairie concernant des ouvrages consacrés à la Seconde Guerre mondiale, on compte des livres qui ne sont basé uniquement que sur des sources secondaires sans recours de la moindre archive ou source primaire : citons les deux superbes ouvrages de Nicolas Bernard (La Guerre Germano-Soviétique, Tallandier, 2013 et La Guerre du Pacifique, Tallandier, 2016) ou encore la série très réussie de livres que Jean Lopez consacre à la guerre à l’Est (basés largement sur les travaux d’historiens américains). Les récits publiés des témoins, simples soldats, officiers ou célébrités galonnées, sont des sources impossibles à négliger, à condition de prendre le recul nécessaire, ce qui ne signifie pas tout rejeter en bloc (ce que certains n’hésitent pas à faire, croyant faire œuvre d’historien…). Ces récits se rattachent à une autre catégorie de sources : les témoignages.
Témoignages écrits et recueillis
Il faut d’abord avoir à l’esprit qu’il existe plusieurs types de témoignages : écrits ou oraux, mémoires, carnets ou journaux personnels, lettres, interviews dans les médias et interviews personnelles lorsque l’historien a le privilège de rencontrer des acteurs et témoins du sujet de son étude. Le contenu du témoignage et son évolution dans le temps peut lui même être objet de recherches. Passionnants, essentiels, privilèges pour l’historien qui y a accès, les témoignages ne sont pas sans soulever certaines difficultés. La question de la raison pour laquelle le témoignage a été donnée est primordiale : l’intéressé a-t-il conscience que ce qu’il écrit va être diffusé ? L’a t-il écrit à son usage personnel ? Dans le cas des lettres, a–t-il tenu compte de la censure ? La distance entre l’événement relaté et le moment où le témoignage s’effectue est également à prendre en compte : le témoin a t-il oublié des détails ? Sa mémoire est-elle par trop sélective ? Ment-il par omission ? Est-il influencé par d’autres témoignages dont il a pu prendre connaissance au fil des années ? Est-il influencé par la présence de certaines personnes qui l’écoute ou encore par la tournure et le choix des questions de l’interviewer ? Y a-t-il des erreurs factuelles ? Des ouvrages sont ainsi parfois basé sur la seule idée de témoignage : citons simplement Forgotten Voices. Desert Victory par Julian Thompson (Ebury Press, 2011). Pour plus d’authenticité, on préférera les publications de notes, journaux, carnets ou lettres non retravaillés par l’auteur en vue d’une publication comme le très intéressant Mon père, l’aide de camp du général Rommel de Hans-Joachim Schraepler (Privat, 2007), à charge pour l’historien de commenter et compléter le propos.
Quand le matériel parle
L’historien de la Seconde Guerre mondiale dispose d’une autre catégorie de témoignages : les objets. Les objets en disent beaucoup sur le quotidien des soldats. Les pratiques des adeptes de l’ « histoire vivante » permettent de comprendre davantage l’utilisation de telle ou telle pièce d’équipement ou encore réaliser ce que représente un bivouac en disposant uniquement d’un matériel précis. Voir et manipuler en réel est autre chose qu’une simple photographie. Il en va évidemment de même lorsqu’on a devant soi un tank ou une pièce antichar : étudier l’habitacle d’un Tiger et ses divers agencements représente une aubaine pour celui qui aura à narrer des combats impliquant cet engin. Un historien de la bataille d’Angleterre qui serait monté à bord d’un Spitfire et qui maîtriserait tous les aspects d’un appareil qu’il peut examiner à satiété serait davantage en mesure d’écrire une monographie de qualité sur cet appareil et cette fameuse bataille qu’un autre qui n’aurait pas bénéficié de cette opportunité ? L’historien pourra se spécialiser sur son véhicule fétiche, à l’image de Nigel Watson, rencontré sur, et sa trilogie sur l’Universal Carrier. L’uniformologie est aussi car on peut étudier de visu les qualités de camouflage de telle tenue ou encore la capacité de telle ou telle poche, musette ou caisse. L’aspect pratique de la moindre pièce d’équipement, son poids, son encombrement, etc, sont directement évalués. Lorsque l’historien étudie une campagne et qu’il dispose devant lui de l’armement, de l’équipement et du matériel en dotation lors des événements, il en apprend beaucoup et, partant, il sera mieux à même de comprendre les relations données dans les récits des témoins ou encore certains détails des journaux de guerre. Avec les informations présentes sur les pièces d’équipements (et ce travail se double avec celui effectué sur les photographies), l’historien pourra découvrir que tel uniforme pouvait être en dotation dans telle unité grâce à un nom ou à un matricule : oui, ce type de motif de camouflage était typique de tel régiment de Fallschirmjäger ; oui, la pièce standard d’uniforme était modifiée de telle manière au sein de telle unité…
Archéologie et champs de batailles
Le retour sur le terrain, si essentiel à l’historien qui en a l’opportunité, ainsi que je l’ai déjà évoqué dans un précédant article (arpenter un champ de bataille confère un avantage déterminant dans la narration qui sera ensuite donnée des faits), ne constitue pas une source, mais la pratique de l’archéologie peut lui en apporter. Les fouilles menées sur les sites sont l’occasion de recueillir ces témoignages que représentent tous ces objets des armées au combat (à défaut de fouilles dans le sol, il a suffit souvent d’écumer les fermes, notamment en Normandie…). La découverte de l’épave du P-38 Lightning d’Antoine de Saint-Exupéry en est un exemple célèbre. La recension, voire le déblaiement de blockhaus du Mur de l’Atlantique (avant l’inexorable destruction de nombre d’entre eux…) permettent aussi de des précisions sur les dispositifs défensifs, désormais perdus, de telle position, d’infirmer ou de confirmer tel témoignage. Arpenter un secteur de champ de bataille permettra aussi de ne pas commettre d’impair lorsqu’on relate un fait : trop d’historiens imagine que le bocage normand n’existe que dans le Cotentin ou en Suisse normande, imaginant le Pays d’Auge comme un openfield ; d’autres penseront que certaines collines d’El Alamein constituent de véritables éminences surplombant largement le champ de bataille ou encore que tel relief n’est qu’accessoire à proximité du Monte Cassino. Dans ces trois exemples pris parmi d’autres sur mon expérience personnelle, se rendre sur les lieux d’un affrontement peuvent être considérés comme représentant des sources de réflexions pour l’auteur d’un livre (cf mes recensions récentes sur le travaux de M. Truttmann et d’H. Wenkin).
En guise de conclusion
Les sources sont donc nombreuses et variées. Je n’ai fait qu’effleurer le sujet.
Mais se pencher sur la question revient à réfléchir sur l’Histoire et le travail de l’historien. Ce dernier n’a pas vocation à juger mais à établir les faits. Trop souvent, certains historiens visent plus à chercher à imposer une idée, à convaincre, comme s’il s’agissait d’un plaidoyer. Ce n’est pas tant la source qui fait l’historien que le questionnement sur celle-ci, son interprétation et l’utilisation qui en est faite (ce qui suppose de maîtriser le sujet). Les bibliographies sont essentielles pour déterminer le sérieux d’un ouvrage. Elles indiquent a priori ce qui a servi de support au travail d’un auteur, à condition que ce dernier soit honnête et ne livre pas ce qu’on pourrait appeler une bibliographie prétexte, citant des sources en fait non consultées, ou encore omettant, sciemment, des travaux qu’il a largement réemployés.
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