Livre Seconde Guerre Mondiale WWII

26 février 1943: l’ultime offensive de l’Axe dans le nord tunisien

 L'offensive d'Arnim lancée trop tard

Opération “Ochsenkopf” 

Le 25 février, la passe de Kasserine est à nouveau entre les mains des Américains: la grande confrontation entre le “Renard du Désert” et l’US Army s’achève avec un bilan en demi-teinte pour le maréchal Rommel, désormais à la tête du Heeres-Gruppe Afrika. Certes, les pertes infligées au IInd US Corps sont conséquentes mais l’objectif stratégique de l’offensive n’est pas atteint. Deux jours auparavant, Ambrosio, le chef du Comando Supremo, lui a donné l’ordre de s’attaquer à la 8th Army de Montgomery: ce sera l’opération “Capri”, lancée à Médenine le 6 mars.  

De son côté, le général von Arnim (le chef de la 5. Panzerarmee), dont le manque de coopération a lourdement pesé sur l’issue de l’offensive de Rommel, s’est envolé pour Rome -sans même en avoir informé son supérieur. Il obtient de Kesselring l’autorisation de lancer une offensive dans le nord du front tunisien. L’opération, étrangement baptisée “Ochsenkopf”, c’est à dire “tête de boeuf”, doit être déclenchée le 26 février. Le plan initial (que Rommel avait avalisé) -s’emparer de Medjez-el-Bab- a pris de l’ampleur. Arnim revient à un projet visant à s’emparer de Béja, auquel il a dû renoncer le 19 février en pleine bataille de Kasserine (par ailleurs, un projet d’attaque, baptisé “Graf Zeppelin” a été mis au point dès le 21 février pour un assaut vers Bou Arada et la route Medjez-el-Bab/El Aroussa). Ambrosio est surpris par cette proposition puisqu’Arnim avait précédemment renoncé à un assaut sur Medjez-el-Bab faute d’effectifs suffisants. Deux offensives (au nord et au sud de la Tunisie) sont donc préparées, mais sans réelles coordination, par des généraux préconisant pourtant un repli et une concentration des forces de l’Axe dans le nord tunisien, éventualité rejetée par Berlin et Rome. La situation en Afrique semble en effet désespérée aussi bien pour Rommel, Arnim ou Messe (le chef de la 1a Armata).  

Les objectifs 

            L’optimisme est pourtant de mise en ce qui concerne “Ochsenkopf” puisque le Generalmajor Weber (le commandant de la 334. ID) estime que les Alliés ne disposent dans le secteur que de quelques réserves dans la profondeur. Le postulat de base qui sous-tend l’offensive est en effet que les Alliés ont dirigé leurs réserves au sud pour conjurer la menace que faisait planer l’offensive de Rommel contre les Américains. Le Korpsgruppe Weber, qui doit mener l’offensive, s’articule en 5 groupements: le Panzergruppe Lang, le Gruppe Eder, le Gruppe Audorff, le Gruppe Schmid (avec les Untergruppen Kleeberg, Koch et Holzinger) et le Gruppe Buhse (en réserve à El Bathan avec le II/Gren-Rgt 754 et l’Afrika Marsch-Bn 24). Il est entendu que l’obscurité favorisera l’effet de surprise. Ordre est donné d’éviter les attaques frontales. Les troupes d’assaut devront se concentrer pour former un Schwerpunkt dans chaque secteur pour percer et anéantir l’ennemi. Les routes principales devront être sécurisées afin d’assurer les communications et de permettre la poursuite des opérations. 

            L’objectif majeur de l’offensive est de s’assurer de Béja en attaquant depuis Mateur via Sidi Nsir. Il s’agit de percer en direction de Béja-Téboursouk. Lang attaquera dans le secteur avec, en soutien, une partie du Luftwaffe Regiment Barenthin (en provenance de la Division von Manteuffel). Le Gruppe Eder surprendra les batteries d’artillerie ennemies par l’arrière. L’opération “Ochsenkopf” devrait également permettre de reprendre l’important carrefour de Medjez-el-Bab. Deux Kampfgruppen (dont le Gruppe Audorff) doivent y anéantir les défenses alliées par une attaque en tenaille. Toutes les défenses ennemies dans le secteur Haidous-Chaouach-Toubakeur doivent être annihilées. Un autre Kampfgruppe (celui de Schmid) doit frapper à Bou Arada avant de poursuivre l’attaque sur Gafour. “Ochsenkopf” est soutenue, au nord, par une attaque secondaire, l’opération “Ausladung”, menée par la division von Manteuffel, qui couvrira ainsi le flanc droit du Korpsgruppe Weber. Manteuffel doit détruire les défenses alliées établies dans l’oued Sedjenane et poursuivre une trentaine de kilomètres vers l’ouest, jusqu’à la gare de Nefta. Le flanc gauche sera assuré par la division italienne “Superga” ainsi que d’autres éléments du 30° Corpo. Le plan prévoit neuf attaques étalées sur un front de près de 90 kilomètres. Trois secteurs d’assaut sont donc déterminants: Béja, Medjez-el-Bab et Bou Arada. En tête des vagues d’assaut, les pionniers, qui emportent également leurs propres mines et le nécessaire pour s’assurer du franchissement des ponts et l’utilisation des routes. Il est prévu que la Luftwaffe intervienne au cours de la nuit de l’offensive: elle doit attaquer Souk-el-Arba, Medjez-el-Bab, Téboursouk ainsi que différentes batteries alliées. 

            Le terrain est-il favorable à une offensive? Il est très montagneux, entaillé de ravins et d’oueds. La météo n’est pas favorable non plus en cette fin février 1943 dans le nord tunisien. Si la pluie cloue au sol nombre d’avions alliés, elle empêche également les appareils de l’Axe d’intervenir. Pis, le terrain devient impraticable hors des routes… Quant aux montagnes et aux collines, elles risquent fort de forcer les troupes des deux camps à mener une bataille visant “à enlever les hauteurs les unes après les autres, suivant la même conception rigide qui était devenue familière au cours des batailles de matériel de la Première Guerre mondiale” selon les mots de Rommel, qui  a lui-même fait l’expérience de tels combats en Italie au cours du conflit précédent. Il y a bien quelques espaces libres et des couverts offerts par la végétation, mais le défenseur qui tient les hauteurs et contrôle les défilés possède un avantage tactique évident. 

Les forces engagées 

            La force de frappe principale d’Arnim est constitué le Kampfgruppe Lang, qui s’articule autour de 77 Panzer de la 10. Panzer-Division commandés par l’Oberst Lang. On peut d’une certaine manière considérer que des éléments de la 21. Panzer-Division participent à la bataille. Outre 15 Panzer IV destinés Panzer-Regiment 5 (en fait des engins qui viennent d’être débarqués en Tunisie et qui doivent lui être transférés après l’opération), on compte 133 hommes et 11 Pak 38 du 14/PZ Gren-Rgt 104. Le Gren-Rgt 47, qui lui sera affecté participe également à « Ochsenkopf ». 

Les gros bataillons sont constitués par la 334. ID du Generalmajor Weber autour de laquelle se constitue le Korpsgruppe éponyme. La Gefechstärke (=forces combattantes) du Korpsgruppe Weber est de 11 737 hommes (total excluant donc la Manteuffel-Division). La 334. ID aligne 6 228 hommes, total qui n’inclut pas le Gebirgsjäger-Rgt 756 bizarrement non compté dans les effectifs mis à disposition du Korpsgruppe. Ses effectifs en fantassins sont raisonnables puisque les Gren-Rgter 754 et 755 totalisent 4 676 hommes (plus 31 soldats du Panzerjäger-Abt 90). Le III/754 possède 3 pièces de 75 mm (beute), probablement des canons français. La 14e compagnie de ce régiment compte 11 antichars (quatre 37 mm -probablement des antichars américains capturés selon un document, six 50 mm et un 75 mm). La 14/756 en aligne 9 (six 50 mm, trois 75 mm). La division compte par ailleurs 404 pionniers et 798 artilleurs. Au 1er mars (dont après le lancement de l’offensive), le Schnelle Abteilung 334 n’aligne que 8 Pak 40 sur les 18 de dotation ainsi que 4 automoteurs. L’Artillerie-Rgt 334 de l’Oberstleutnant Lukash est assez hétéroclite avec 8 IFH, 4 Geb Kan 36 de 10,5 cm (attelés à des mulets!) et 7 sFH (on compte entre 28 et 32 canons dans la division). Sur les 130 camions tout terrain que devrait compter la 334. ID, celle-ci n’en aligne que 22 en état de marche (2 en réparations). C’est pire pour les autres types de camions: ils sont 178 au lieu de 506. Les bataillons de marche engagés sont d’effectifs inégaux: 656 hommes à l’Afrika Marsch Bn A 33, 469 hommes et 4 canons Pak 38 au Afrika Marsch Bn A 24 et 161 soldats au 3/ Tunis Feld-Bn 1 (une seule compagnie). Les différentes unités d’artillerie comptent environ 900 hommes, sans compter les troupes de la Flak (dotées de 4 pièces de 88 mm) et des Panzerjäger (le 2 Panzerjäger-Abteilung 90 aligne 10 excellentes pièces Pak 40 de 75 mm). Le Panzergrenadier-Regiment 69 engage 743 hommes et 6 Pak 38 dans la bataille (I/ et 9/).  

          Parmi les forces engagées côté allemand, la Division von Manteuffel est pour le moins une unité atypique. Elle aligne 3 bataillons au 10° Bersaglieri (XXXIV, XVI et LXIII), le Tunis Feld-Bataillon T4 ainsi que l’Afrika Marsch Bataillon A 30. L’appui d’artillerie est fourni par plusieurs batteries de l’Artillerie-Rgt 2 et de l’Artillerie-Rgt 190. L’artillerie, elle-aussi assez hétérogène, aligne entre 11 et 15 pièces de 10,5 cm mais aussi 4 pièces de 155 mm françaises. Une compagnie de reconnaissance, une unité de Flak, une section de transmissions blindée ainsi que le Fallschirmjäger-Bataillon (mot)11 du Major Witzig, complètent l’unité avec les troupes de soutien divisionnaires habituelles. L’autre unité parachutiste est celle de l’Oberst Barenthin, commandant du Luftwaffe Regiment Barenthin (Luftwaffen-Jäger-Regiment, selon la terminologie officielle). L’unité est créée ad hoc à partir de personnels d’écoles de troupes aéroportées, en l’occurrence la Kraftfahrschule Helmstedt (l’école de conduite Helmstedt) et le Segelflieger-Ergänzgruppe Posen (Groupe de remplaçants de pilotes de planeurs de Posen).  

La Manteuffel-Division n’est pas la seule unité allemande à engager des parachutistes dans l’opération. La Division « Hermann Goering » du Generalmajor Schmid engerbe elle-aussi une formation constituée de ces troupes d’élite. Il s’agit de l’ex-Fallschirmjäger-Regiment 5, commandé par l’Oberst Koch. Rebaptisé Jäger-Regiment «Hermann Goering », l’unité attaque avec une Gefechstärke de 1 620 hommes. Chaque bataillon compte 2 Pak 38, le 1er étant le seul à être doté en sus d’un Pak 36 de 37 mm.  

            Pour ne s’en tenir qu’à l’infanterie, la « Superga » appuie l’assaut sur le flanc sud algne les 91e et 92e Rgt d’infanterie italienne et, au 1er mars 1943, l’Abschnitt Benigni est en ligne aligne aussi l’Afrika Marsch Bn A 28 tandis que le Feld-Bn T 5 et les Afrika Marsch Bn A 22, A 25 et A 26 combattent sous le contrôle de la “Superga”. 

KORPSGRUPPE WEBER 

GRUPPE LANG (Oberst Lang)

a)Gruppe Lüder 

s. PZ Abt 501                                     II/ Art-Rgt 22 

II/PZ Rgt 7 (moins une compagnie)   Pioniere: 1 Zug du 2/ Pionier-Bn 334 (mot.) 

                                                          Flak: 4 Flakkampftruppe                   

b)Gruppe Haut                                             1 Vierlingzug 

I/PZ Gren-Rgt 86                                          2 Züge de pièces de 2 cm 

GRUPPE EDER (Oberstleutnant Eder) 

Gren-Rgt 755                                    I/ Art-Rgt 334 

III/Gren-Rgt 754                               II/Art-Rgt 334 

                                                          Pioniere: 1 Zug du 2/ Pionier-Bn 334 (mot.) 

                                                          Flak: 1 Zug de pièces de 2 cm 

GRUPPE AUDORFF (Oberstleutnant Audorff) 

I/ Gren-Rgt 754                                 III/ Art-Rgt 334 

II/ Jäger-Rgt Hermann Goering       Pioniere: 2 Züge du 2/ Pionier-Bn 334 (mot.) 

GRUPPE SCHMID (Oberst Schmid) 

a)Gruppe Kleeberg 

I/PZ Gren-Rgt 69                              I/PZ Art-Rgt 90 

Feld Bn A 33                                      Pioniere: 1 Zug 

1 compagnie II/PZ Rgt 7 

b)Gruppe Koch 

Jäger-Regiment HG (sauf II/HG)     II/Art-Rgt 190 

C)Gruppe Holzinger 

Gebirgsjäger Rgt 756                                   4/ Geb Art-Rgt 334 

Bn Mickley (Feld Bn T5)                   9/ Art-Rgt 90 

II 92 (Italiens)                                               3 Batteries I 25 (7,5 cm) 

Réserves:  Gruppe Buhse 

                 2 compagnies II/HG 

                 Feld Bn A 24 

Pioniere3/ Pionier-Bn 334 et 1 Zug du 2/Pionier-Bn 334 

D’autres unités non mentionnées ci-dessus interviendront dans la bataille 

            Les renseignements d’Arnim ont repéré l’essentiel du dispositif allié. Ils sont complétés par les informations obtenues auprès d’Arabes, probablement des Tunisiens pour la plupart (rapports consignés au sein des « Arabermeldung »). Le 24 février, on estime ainsi que le secteur Zet Madien-Béja est défendu par 40 chars lourds (probablement des Churchill) et 30 chars moyens. Amar ben Mohamed (que certains documents nomment au contraire Mohamed ben Amar…), un déserteur de l’armée française (le 4e Zouave selon les Allemands) fournit un certain nombre de renseignements : il indique, par exemple, que Béja est défendu par 800 hommes, 20 tanks et des automitrailleuses, sans compter 10 chars, 4 pièces de DCA lourdes et 5 automitrailleuses dans la zone du pont Munchen sur l’Oued Béja. On tente également d’évaluer les effets des attaques de la Luftwaffe : ainsi 6 canons et 3 camions auraient été détruits par une attaque sur Ain Zeboudj. 

            Les forces alliées frappée de plein fouet par l’offensive appartiennent au Vth British Corps d’Allfrey. Ce sont les 78th et 46th ID, des éléments de la 6th Armoured-Division ainsi que quelques unités françaises, dont le Corps Franc d’Afrique au nord et un groupement français (III/9e régiment de tirailleurs Algériens et III/43e Régiment d’Infanterie Coloniale rattachés à la 138th British Brigade; 3e Régiment de Tirailleurs Algériens). Une autre division alliée est en lice. Le Brigadier Nelson commande la “Y” Division, formation ad hoc incluant la 1st Parachute Brigade et la 38th Irish Brigade. Les Allemands ont identifié un seul bataillon de paras britanniques alors qu’en fait le Vth British Corps en compte trois. Ces derniers sont retranchés dans le secteur d’Argoub, surnommé “Happy Valley”, la vallée heureuse, puisque les “Red Devils” n’ont encore connu aucun secteur aussi calme en Tunisie. Ils ne vont pas tarder à réviser leur jugement… La connaissance exacte du dispositif adverse semble pourtant faire défaut s’il faut en croire un rapport de la 334. ID écrit après la bataille. Dans ces conditions, estime le rédacteur du document qui insiste sur la nécessité de réitérer les reconnaissances, il n’y avait aucun espoir de réussir.  

Sidi Nsir 

            L’offensive débute le 26 février 1943. Le rapport du PZAOK 5 mentionnera que, partout, l’ennemi est surpris au matin avant de se ressaisir. La gare isolée de Sidi Nsir est défendue par le 5th Hampshires du Lieutenant-Colonel Newman soutenu par la 155th Battery du 172nd Field Regiment du Major Raworth, soit 8 pièces de 25 livres. Peu après l’aube, les défenseurs britanniques sont confrontés à la plus puissante des composantes du Korpsgruppe Weber. Lang, traversant les lignes de la Manteuffel-Division, attaque avec 77 chars répartis entre deux groupements tactiques. Celui de Lüder dispose de 14 puissants Panzer VI Tiger, 12 Pz IV G et 15 Pz III N (depuis le 25 février, le s. Panzer-Abteilung 501 est devenu le III/ Pz-Rgt 7). Burk aligne de son côté 8 Pz IV, 25 Pz III, 1 Befhelspanzer et 2 Pz II. L’appui en artillerie est fourni par le II/Artillerie-Rgt 22 (soit 1 batterie lFH, 1 batterie sFH et 1 batterie lourde dotée de canons de 10 cm).  

            Pourtant, la défense est coriace. A 7h30, sur le flanc gauche de Lang, le Gren-Rgt 754, s’empare certes de Lalla Manna mais un message envoyé en fin d’après-midi par la 334. ID au PZAOK 5 indique de lourdes pertes sur l’aile droite, qui fait la jonction avec Lang. Dès 9h42, la 334. ID informe que 3 Panzer sont hors de combat: 1 par les mines et 2 par l’artillerie. Les Hampshires et les artilleurs offrent en effet une résistance tenace, forçant Lang -pourtant soutenu par la Luftwaffe (il est informé peu avant 9 heures que les Stukas sont prêts à intervenir)- à engager plus de forces qu’escompté pour venir à bout des défenseurs. Une première ligne de défense est en effet accrochée vers midi à 3 km de Sidi Nsir. Le journal du PZAOK 5 précise que Lang est confronté à des mines, à de sérieux pilonnages d’artillerie ainsi qu’à des tirs antichars très précis.  

            Ce n’est qu’au cours de l’après-midi que les Panzer parviennent à couper les lignes de ravitaillement de l’adversaire. Par ailleurs, sur le flanc droit, les Fallschirmjäger du régiment Barenthin ont réussi à progresser en terrain montagneux et menacent les Hampshires sur leurs arrières. Les Panzergrenadiere de l’Hauptmann Haut progressent également sur les arrières des défenseurs. L’attaque menée par des fantassins et quelques blindés s’effectue sous le couvert d’autres Panzer positionnés à défilement de tourelles. Mais, alors que la pluie commence à tomber sur le champ de bataille, il faut 12 heures de combat à Lang pour parvenir à s’emparer de la position. Le canon du Sergeant Henderson parvient ainsi à mettre hors de combat trois Panzer IV coup sur coup. Les pièces de 25 livres sont pourtant réduites au silence une à une, les équipes de pièces étant jusqu’au bout renforcées par des artilleurs de fortune, y compris des cuisiniers. Les défenseurs sont un temps aidés par la convexité de la pente qui gène la du fait du faible débattement vertical des canons des Panzer. Le courage insensé d’un artilleur qui attaque un Panzer à la grenade antichar collante (« sticky bomb » N° 74 ST Grenade) ne change rien.  

            Seuls 9 artilleurs sur 130 parviendront à rejoindre les lignes anglaises. Avant de se replier, Newman, qui n’entend pas déposer les armes, laisse une bombe à retardement dans la petite gare. Il parvient jusqu’au “Hunt’s Gap”, un défilé situé sur une hauteur, avec 120 hommes. La 128th Brigade est envoyée le renforcer. Victoire à la Pyrrhus pour Lang qui, outre un temps précieux, a perdu pas moins de 40 Panzer, certes seulement endommagés pour la plupart.  

            Lorsque l’attaque reprend le lendemain, avec retard en raison de la pluie qui s’est abattue sur le champ de bataille, le Kampfgruppe Lang, déjà affaibli, doit compter avec un handicap tactique de taille: le terrain, détrempé, est désormais trop boueux pour autoriser un déploiement des véhicules en dehors des axes de communications (une mésaventure qui n’est pas sans rappeler les combats menés pour Medjez-el-Bab en décembre 1942). L’attaque va également converger vers le “Hunt’s Gap” précédemment évoqué. Lang reçoit une autre mauvaise nouvelle à 10h25: les Stukas qui devaient l’appuyer ne sont pas disponibles. Ce n’est qu’à midi que les Panzer sont confrontés au 2/4th Hampshire et aux blindés du 2/5th Leicesters, revenus de Thala, au sud, où avait attaqué Rommel. La 128th Brigade a en outre judicieusement positionné 5 batteries d’artillerie et une de pièces antichars. Lang est stoppé une nouvelle fois dans son élan. De nombreux Panzer sont endommagés par des mines ou mis hors de combat par les tirs précis des antichars. Lang reçoit quelques renforts, en l’occurrence le I/ 47 dont l’appoint lui est accordé dans la nuit du 27 au 28 février. Le lendemain, 28 février, les intempéries ont rendu le terrain encore plus impraticable. Lüder ne compte plus que 27 Panzer de disponibles (dont 10 Tiger) et Burk seulement 8. Les pertes dues à des déficiences mécaniques s’ajoutent à celles survenues au combat. Par ailleurs, le dispositif britannique s’est à nouveau renforcé avec l’arrivée de 12 Churchill du North Irish Horse et par le 2nd Hampshires. Le II/47, dont Lang  a également obtenu l’appoint, tente de tourner la droite des défenseurs par le Djebel Zebla tandis que le I./47 attaque depuis le sud de la route. Le II/ 47 s’étant égaré dans la nuit, l’assaut ne débouche sur aucun résultat. Par ailleurs, l’aviation alliée se montre de plus en plus menaçante. Lang doit renoncer. 

             Le 1er mars, le Brigadier Pratt, qui coordonne la défense de “Hunt’s Gap”, n’est pas rassuré pour autant. Epuisé par la tension nerveuse que représentent ses responsabilités, il se demande s’il parviendra à stopper les Tiger. Pourtant, en fin d’après-midi, les tirs cessent à Ksar Mezouar. Le Captain Griffith (un tankiste du North Irish Horse) s’approche alors de 7 Panzer abandonnés -des Tiger-, les équipages ayant fuit sans même prendre la peine d’emporter avec eux leurs effets personnels, y compris les lettres, le tabac et des cartes postales avec des beautés arabes.  

            Que s’est-il donc réellement passé au “Hunt’s Gap”? Un artilleur anglais revendique un coup au but sur la tourelle d’un Tiger. L’attaque principale, qui débute vers 14 heures, est stoppée sous les tirs concentrés de l’artillerie et des antichars, plusieurs Panzer étant incendiés, d’autres embourbés, voire peut-être bloqués par un fossé antichar. Un deuxième assaut lancé vers le défilé est repoussé de la même manière dans l’après-midi. Rommel s’insurge contre cette attaque déplorable qui a causé la perte des chars lourds: “A mon extrême fureur, les quelques Tiger qui se trouvaient en Afrique, et qu’on m’avait refusé quelques jours auparavant dans le sud, furent engagés dans une vallée marécageuse où leur principal avantage -la longue portée de leurs canons- ne servit absolument à rien.” Essayant d’éviter les tirs antichars des Britanniques, plusieurs Tiger se sont en effet enlisés avec leurs 56 tonnes dans la boue qui inonde le terrain. Les tankistes subissent de lourdes pertes en évacuant leurs chars. Les sapeurs anglais ont tôt fait de placer des charges de démolition sur les monstres d’acier impotents afin d’empêcher toute récupération par les Allemands au cas où ces derniers parviendraient in fine à emporter la position du “Hunt’s Gap”. Selon les Allemands, les Tiger auraient sabordés par leurs propres troupes après que les équipes de dépannage aient reçu l’ordre de ne pas récupérer les blindés… Le 1er mars 1943 est donc un désastre pour la Panzerwaffe. Jamais aucune unité de Tiger n’avait subi de revers aussi cinglant jusqu’alors: un événement de nature à remettre en cause le mythe d’invincibilité et la phobie du Tiger qui commencent à se répandre dans le camp allié.  

            Si les combats se poursuivent vers le Ksar Mezouar, Lang a renoncé à forcer le passage. Remplacé par l’Oberst Buhse de l’IR 47, il est passé sur la défensive. Il ne compte plus que 5 Panzer en état! Les Panzerschützen l’ont affublé d’un sobriquet révélateur: “le tueur de Panzer“. Les équipes des ateliers des Panzer font toutefois des miracles et seuls 22 chars allemands, dont 7 Tiger, sont définitivement perdus, ce qui n’est pas rien (cela équivaut aux pertes définitives subies pour les combats menés la semaine précédente face au IInd US Corps de Fredendall).  

Medjez-el-Bab 

            Plus au sud, la bataille commence sous les meilleurs auspices. Des infiltrations menées par le Pz-Gren-Rgt 69 et le I/86 IR permettent d’obtenir un premier succès de courte durée puisque les Allemands doivent concéder à nouveau le terrain pris. Toutefois, suite à un nouvel assaut, les tirailleurs algériens du 3e RTA sont rejetés du Djebel Ang (822 pertes en trois jours) et les éléments de la 138th Brigade tenant Toubakeur sont contraints au repli. Au soir du 27, le Gren-Rgt 754 fait savoir que l’ennemi a encore renforcé sa ligne de défense principale: les troupes d’assaut allemandes au contact de l’adversaire en première ligne sont donc elles-aussi renforcées. Par ailleurs, des mouvements de véhicules anglais sont observés sur la route de Téboursouk. Eder revendique la destruction de quelques blindés, dont deux tanks et une automitrailleuse en soirée du 28 février. Une compagnie du York and Lancaster qui Regiment sera cependant entièrement anénantie.  

            La route reliant Medjez-el-Bab à Béja passe donc sous le contrôle du Gruppe Eder. Seul l’Oued Zarga, où les Britanniques se sont retranchés, protège l’accès à Béja. La défense au nord de Medjez-el-Bab est renforcée au niveau de cet Oued Zarga par l’introduction de la 36th Brigade du Brigadier Howlett au contact du 6th York and Lancaster qui tient les approches au nord de Medjez. Une mise en défense rendue possible par les troupes du génie qui accomplissent l’exploit de bâtir une route entre Testour et l’Oued Zarga. L’anneau se resserre cependant sur Medjez-el-Bab lorsqu’Heidous -quelques kilomètres à l’ouest de “Longstop Hill”- est pris par les Allemands. Medjez-el-Bab n’a donc plus de communications vers l’arrière que par la route de Téboursouk. Le Gruppe Schmid parviendra-t-il à la couper?  

Les Fallschirmjäger vers la plaine de Goubellat 

            Le KG Schmid a repéré 6 bataillons d’infanterie, une douzaine de batteries légères ainsi que 2-3 batteries lourdes. L’adversaire semble être à sa portée. Schmid termine son ordre du jour en rappelant l’importance de l’opération pour la situation en Afrique. Il attend de chaque homme qu’il accomplisse son devoir et insiste sur le fait qu’en aucun cas il ne faudra rétrocéder le moindre terrain conquis sans en avoir reçu l’ordre exprès. Sur le flanc droit, au nord, Schmid attaque avec l’Angriffsgruppe Kleeberg, du nom de l’Oberstleutnant qui dirige l’unité. Il regroupe le I/Pz-Gren 69, la moitié de l’Afrika Marsch Bn A 35 (Major Lattmann),le 7./Flak-Rgt HG et le tiers du 5./Pi-Bn 334. Le soutien en artillerie est fourni par le I/Art-Rgt 90. Dans la nuit du 25 au 26 février, les assaillantss’attaquent aux positions établies dans les montagnes leur faisant face. Soutenu par les mortiers et à la lumière des fusées éclairantes, ils surprennent les 1st East Surreys du Major Fox à “Fort McGregor”, un bastion édifié un kilomètre en avant des lignes principales, ainsi que les tirailleurs algériens en défense au Djebel Djaffa. C’est l’ensemble des positions de la 11th Brigade de Cass qui est alors menacé. Les Allemands sont pourtant confrontés à un adversaire coriace. Cass organise la contre-attaque à laquelle prennent part les East Surreys, le 2nd Lancashire Regiment, des Royal Engineers, le 56th Reconnaisance Regiment ainsi qu’une poignée de chars Valentine du 17/21st Lancers. L’Angriffsgruppe Kleeberg subit de fortes pertes. Le Djebel Djaffa est reconquis. Cass concentre alors toute son attention sur le “Fort McGregor” où, à la nuit tombante, une patrouille anglaise découvre une position ravagée où sont dénombrés 60 cadavres de soldats allemands. Seuls 6 Allemands sont faits prisonniers indemnes. Sur l’ensemble du front, les Allemands ont été frappé par un déluge d’artillerie et ont été contre-attaqués par des “chars lourds”, dénomination qui devrait correspondre à des Churchill.  

            Le General Weber n’apprécie guère la tournure que prennent les événements. Il s’agit de déterminer ce qui n’a pas fonctionné. Il décide de convoquer l’Oberstleutnant Kleeberg et le Major Lattmann. A 2h50 du matin, ces derniers apprennent qu’ils doivent abandonner leur service au front et présenter un rapport exact faisant état des ordres donnés et de leur exécution. Kleeberg doit se rendre auprès de Weber tandis que Lattmann doit demeurer à la disposition de Schmid.  

Bou Arada 

            Schmid, qui garde en réserve le II/ Gren-Rgt HG ainsi que diverses unités de Flak, engage également l’Angriffsgruppe Koch à travers le Djebel Rihane. L’Oberstleutnant Koch, appuyé par le II/ Art-Rgt 190, dispose des et III/ Fallschirmjäger-Rgt HG, de la moitié de l’Afrika Marsch Bn 35 (Oberleutant Wolf), d’une compagnie du Pz-Rgt 7 (Oberleutnant Hofbauer), du Stab I/Flak-Rgt HG, du 2./ Flak-Rgt HG, du III/4/Flak-Rgt HG, du 5./Flak-Rgt HG (sans le IV. Zug) ainsi que des deux tiers du 3/Pionier-Bn 334.  Les missions du Flak-Regiment HG sont d’une part d’assurer la protection des positions d’artillerie des I et II/ Art-Rgt 190 contre les attaques d’avions en rase-mottes et, d’autre part, de protéger les lignes de communications et de ravitaillement du Kampfgruppe

            Dans le secteur de Bou Arada, sur le flanc gauche d’“Ochsenkopf”, les Fallschirmjäger de Koch sont confrontés à d’autres forces d’élite: leurs homologues du Parachute Regiment ainsi que le N°6 Commando. Au matin du 26 février, quelques Panzer parviennent à s’infiltrer à la jonction de la 11th Brigade et de la 38th Irish Brigade du Lieutenant-Colonel Scott. Le 2nd London Irish Rifles est dispersé et Koch s’empare du Djebel Rihane où ses hommes affrontent les 250 commandos du Lieutenant-Colonel Mills-Roberts retranchés sur les pentes du versant ouest. Aux “Jäger! Jäger!” hurlés par les assaillants, les défenseurs répondent “Commando! Commando!”. Le Gruppe Koch est trop puissant pour le N°6 Commando et Mills-Roberts doit ordonner le repli, facilité par le relief accidenté et la végétation (quoique les commandos semblent devoir compter avec l’odorat de chiens…). Les commandos ont perdu 100 des leurs. Le repli effectué dans les lignes du 56th Reconnaissance Regiment, un pilonnage de 60 obus de mortiers a tôt fait de semer la confusion dans la zone de rassemblement des Panzer.         

            L’Angriffsgruppe Koch est parvenu à 8 km au nord d’El Arousa et s’est emparé de la hauteur 720. Une contre-attaque britannique depuis le sud appuyée par des chars est contenue en fin de journée. L’Angriffsgruppe Holzinger a pour sa part atteint son objectif après de durs combats de montagne lui ayant causé des pertes sensibles. A la nuit tombante, Jungwirt, qui commande un bataillon de Fallschirmjäger, appuyé par une batterie du II/190, attaque vers le sud et cherche à couper la route Bou Arada-Medjez.  

            Le lendemain; Koch poursuit sa progression en direction d’El Aroussa, direction vers laquelle est également engagé Holzinger. Les Stukas pilonnent les Britanniques à 12h40 tandis que des appareils de reconnaissance surveille le secteur au nord-ouest d’El Aroussa. Des chasseurs opèrent pour leur part dans la zone située au sud-ouest de Goubellat. Les Fallschirmjäger de Koch sont confrontés à une résistance solide, notamment des automitrailleuses du 1st Derbyshire Yeomanry. Koch, dont l’attaque ne débouche pas, annonce les pertes de son bataillon à Weber au 27 février: 149 hommes (dont 39 tués). Il dispose encore de 374 paras. 

            Russell obtient par ailleurs des renforts, le 28, sous la forme de 7 Churchill  du 51st Battalion, RTR, et d’une compagnie des Coldstream Guards. La contre-attaque britannique est stoppée devant la ferme dite du “rouleau compresseur”, brisée par les tirs des Fallschirmjäger et le bombardement des Stukas. 5 Churchill sont touchés. Pourtant, le Captain Hollands poursuit l’avance avec son tank, évitant les tirs provenant de deux pièces de 88 mm qu’il parvient à détruire avant d’anéantir les engins de transport allemands parqués à l’arrière ainsi que deux Panzer III venus à la rescousse. Deux Churchill sont alors dans les lignes allemandes, faisant feu de toutes parts, écrasant les malheureux soldats ennemis et en abattant un grand nombre (peut-être 200) surpris de voir des blindés capables de négocier des pentes aussi raides. Partout, les traces du chaos et de la destruction jonchent le champ de bataille. Le 3rd Grenadier Guards et les commandos peuvent reprendre le terrain concédé le premier jour de l’attaque. Le revers est donc cinglant pour les Allemands. 

            Un peu plus au sud, ce sont les “Red Devils”, les parachutistes britanniques de la 1st Parachute Brigade du Brigadier Flavell, qui sont confrontés à l’offensive d’Arnim. Le 2nd Bn de Frost, à la mobilité assurée par des Bren Carriers, repousse les troupes italiennes tentant de progresser sur le terrain difficile à l’ouest du Djebel Mansour. Croyant trouver un abri dans les ravins, les Italiens sont pilonnés par les mortiers qui y causent des ravages. 90 d’entre eux sont faits prisonniers. Une compagnie d’Allemands tente de tourner le flanc gauche de la C Company, dans le secteur du Djebel Salah et du Djebel Gaalil. Se faisant, les assaillants se trouvent dans une zone dont les coordonnées ont été pré-enregistrées par des batteries de 25 livres qui ont tôt fait de pilonner les intrus. D’autres Allemands sont pris à partie par des mortiers. Les antichars français s’y mettent aussi, les servants, las d’attendre des Panzer qui ne viennent pas, finissent en effet par ouvrir le feu sur l’infanterie allemande. Cette batterie antichar française avait la particularité de recevoir ses instructions d’un officier d’observation usant d’un mégaphone, faute de posséder une radio! Frost fait finalement intervenir sa réserve, en fait des Spahis français, pour renforcer le flanc gauche, désormais sécurisé. Au final, son bataillon a infligé environ 150 pertes aux assaillants contre seulement 1 tué et 2 blessés. 

            Les deux autres bataillons de la 1st Parachute Brigade affrontent pour leur part le Gebirgsjäger-Rgt 756, des Alpini (semble-t-il) ainsi que des fantassins allemands. Soumis à un intense pilonnage d’artillerie, le 1st Bn de Pearson doit d’abord abandonner la ligne d’avant-postes pour gagner les retranchements situés à contre-pente. Le plus grand succès est remporté par le 3rd Bn de Pine-Coffin. Dans son secteur, les Italo-Allemands mettent astucieusement à profit le terrain, plutôt boisé, pour s’infiltrer dans les lignes britanniques. Deux compagnies de “Red Devils” vont combattre au corps à corps pendant une heure. L’affrontement tourne en faveur des Britanniques, qui repoussent leurs adversaires d’Argoub à la faveur d’une charge menée baïonnette au canon. Rejetés vers un oued en fer à cheval situé au pied du Djebel Mansour, les Germano-Italiens sont enfermés dans une souricière où ils subissent un feu d’enfer de 3 000 obus de mortiers. 120 à 150 hommes sont capturés par les paras anglais. Entre 140 et 250 autres ont été tués (les pertes en tués et blessés sont parfois chiffrées jusqu’à 400 hommes). Dans les poches des tués, les Britanniques découvrent quelques brochures plutôt flatteuses puisqu’elles expliquent comment se battre au mieux contre les parachutistes britanniques. Les pertes du 3rd Bn se bornent à 14 tués et 34 blessés les 26 et 27 février. L’ensemble de la 1st Parachute Brigade compterait 24 tués entre le 26 et le 28 février. Il s’agit donc d’un beau succès, largement en faveur des Britanniques.  

            Face à cette accumulation d’échecs, il n’est nullement surprenant que Rommel ne se montre aucunement satisfait. Le 28 février, devant le manque tangible de résultats, et alors qu’il se prépare à attaquer bientôt Montgomery à Médenine, il enjoint Arnim à la fois de réussir l’offensive et de la stopper. 

Le 1er mars, Schmid espère pourtant encore pouvoir s’emparer de Medjez-el-Bab. La localité doit tomber sous une attaque concentrique depuis l’arrière et les flancs. Anderson, le peu charismatique et pessimiste chef de la 1st British Army, réfléchit à l’éventualité de l’abandon de la ville. Mais Alexander, son supérieur au 15th Army Group, ne l’entend pas ainsi: il proscrit toute retraite dans le secteur. En face, les préparatifs allemands se poursuivent. Un assaut sera mené par le Gebirgsjäger-Rgt 756 (et III Bn) renforcé par le II/ Gren-Rgt HG. L’attaque sur le flanc sud sera lancée par le Fallschirmjäger-Rgt HG. Au nord, ce sera le Bn Buschhausen, c’est à dire le I/PZ Gren-Rgt 69 (qui est dépourvu de radio!), qui procédera à l’attaque. L’appui en artillerie au nord sera fourni par le I/Art-Rgt 90 (3 batteries de lFH et une de canons de montagne) et par le III/ Art-Rgt 334 ( 2 batteries de sFH et 2 batteries de schwere Kanonen). Au sud, c’est le II/ Art-Rgt 190 qui fournit un soutien à l’assaut avec 2 batteries de lFH et une batterie de canons anglais. Une batterie de 88 mm ainsi qu’une batterie de Flak légère sont également engagées. Le reste du Kampfgruppe reste sur la défensive sur le front, y compris le bataillon Jungwirt. Pourtant, si les combats se poursuivent encore pendant quelques jours dans le cadre de l’offensive, les Allemands ne progresseront plus.  

Manteuffel à l’attaque 

            Les opérations devant être menées par la division Manteuffel revêtent un caractère secondaire dans le plan arrêté pour “Ochsenkopf”. Le long de la côte, les Allemands auraient usés de stratagèmes: avance sous le couvert de fumigènes et de moutons (!) et débordement par un assaut amphibie. Ce dernier est mené à bord des vedettes des 3. et 7. Schnelleboote Flotillen basées à Ferryville. Manteuffel attaque avec plusieurs Gruppen: le Gruppe Latini (avec le 10° Bersaglieri, le Feld-Bn T 4 et l’Afrika Marsch-Bn A 30 ainsi que quelques pionniers de Witzig, le Pak-Zug 10./ Luftwaffe-Rgt Barenthin, le 4./ Art-Rgt 90, le 6./Flak-Abt 53), le Gruppe Jefna (Feld-Bn T 4, des antichars, de l’artillerie et des pièces de Flak), le Gruppe Witzig et celui du Regiment Barenthin. Le Corps Franc d’Afrique remporte un succès sur le 10° Bersaglieri en le coinçant dans une cuvette: sans espoir de fuite ou de repli, 380 soldats doivent rendre les armes. Ce succès est éphémère et isolé. Les Bersaglieri parviennent à reprendre la hauteur de Raget el Tir dans la nuit du 27 février. Toutefois, quelque confusion règne car la position du groupe qui attaque au nord n’est pas connue avec précision et le QG de la Manteuffel suppose qu’il est sujet à une contre-attaque. Le CFA ne résiste pourtant pas à l’assaut des 5 bataillons italo-allemands qui attaquent ses positions (trois pièces de Flak de 88 mm ainsi qu’une batterie de 150 mm fournissent l’appui-feu). Après une progression en terrain difficile, les Bersaglieri atteignent la route reliant le Cap Serrat à Sedjenane. Les combats s’y poursuivent pendant des jours. Le 6 mars, au Djebel Munchar, une attaque menée par des Churchill est repoussée, les Allemands revendiquant la destruction de 2 engins, ainsi que de pas moins de 12 véhicules de reconnaissance en soirée, probablement une colonne surprise dans une embuscade. Le 7 mars, un beau succès est remporté sur les Alliés : 2 antichars et 4 automitrailleuses sont détruits. Les assaillants annoncent avoir capturés 4 pièces de 25 livres, 2 Bofors de 40 mm ainsi que plusieurs « Panzerbüsche », probablement des fusils antichars Boys. 

            Comme l’ensemble de la division, les pionniers du Fallschirm-Pionier Bataillon 11 du Major Witzig s’avèrent pourtant coriaces et efficaces face à la 139th Brigade du Brigadier Chichester-Constable. Witzig a reçu pour tâche de parvenir jusqu’au Djebel Abiod, couper la route qui de là mène à Béja et assurer ainsi la défense de Bizerte. Le début de l’attaque force le 6th Lincolns à évacuer “Green Hill” et “Bald Hill”, les deux collines disputées aux Fallschirmjäger de Witzig depuis le mois de novembre. Le 16th Durham Light Infantry n’est pas plus heureux dans sa confrontation avec les Fallschirmjäger. Witzig s’empare intact du pont de Sedjenane. Le terrain est si difficile que les Fallschirmjäger se posent toutefois la question de la manière de faire monter les armes lourdes (comme les mortiers) vers l’avant. Le 2 mars, le 2/5 Sherwood Rangers, dernier bataillon intact à tenir devant Sedjenane, est contraint à son tour au repli. Alors que Chichester-Constable est remplacé au pied-levé par Howlett (qui défendait Medjez-el-Bab), des renforts affluent et prennent position à l’est de Sedjenane, en l’occurrence la 1st Parachute Brigade et le 2nd Coldstream Guard venant du secteur El Aroussa/Bou Arada. Ils ne parviennent cependant pas à empêcher  Manteuffel de s’emparer de Sedjenane le 4 mars. Ce jour-là, l’Afrika Marsch Bn A 30 mène un raid depuis cette dernière localité. La division annonce avoir capturé 840 soldats ennemis depuis le 26 février, sans compter environ 300 autres prisonniers encore en transfert du front vers l’arrière. Le butin matériel est lui aussi conséquent : 1 pièce de 105 mm, 11 antichar, 2 canons de DCA (des Bofors), 4 mortiers et de nombreux véhicules. Du côté du cap Serrat, les Italiens affrontent les Français (dont le nombre est évalué à 500 hommes) au cours de combats disputés : le CFA perd 50 prisonniers et 4 canons de 105 mm. 

            Plus au sud, l’offensive démarre aussi sous de bons auspices. A 22 heures, le 27 février, comme ailleurs sur le front de la Manteuffel, on fait le décompte des premiers prisonniers : 236 soldats ennemis ont été capturés par Barenthin. Le 2 mars, au sein de l’Abschnitt Jefna, le Kampfgruppe Bürgmeister s’empare de hauteurs en dépit de l’intensité des tirs de l’artillerie ennemie. 150 soldats alliés sont faits prisonniers. Les pertes allemandes se bornent à 30 hommes. Les Fallschirmjäger de Barenthin, tout en soutenant le Kampfgruppe Lang en direction de Sidi Nsir, s’attaquent de leur côté à la hauteur 262 depuis minuit. Le General Barenthin est lui-même blessé au bras à bord d’un Kettenkrad à cette occasion. Le III/ Barenthin Regiment parvient à s’emparer du Djebel ben Drar.  

Le 8 mars, alors que l’opération “Ochsenkopf” est arrêtée par Arnim, le Fallschirmjäger-Regiment Barenthin attaque les paras anglais retranchés sur des hauteurs couvertes d’arbres et de broussailles. Les Allemands sont un temps cloués au sol par les tirs concentrés de l’artillerie, des mortiers et des mitrailleuses. Les pertes enregistrées par les Anglais -les “Red Devils” remontés au nord depuis “Happy Valley”, appuyés par des chars Churchill- sont sévères mais les Fallschirmjäger n’enfoncent pas le front. Les corps à corps sont acharnés. Isolés, environ 200 assaillants sont finalement capturés. Les positions des paras britanniques du 1st Bn sont dominées par celles de Allemands et un assaut du Sherwood Forester pour  déloger l’ennemi des hauteurs s’avère être un échec sanglant. Les Allemands sont à la peine également puisqu’une de leurs attaques contre le 2nd Bn de la 1st Parachute Brigade, sur le point de réussir, est stoppée nette par le bombardement fratricide par une formation de Stukas. Toutefois, les “Red Devils” doivent finalement concéder du terrain en raison du repli du Corps Franc d’Afrique durement pressé sur l’aile gauche du front. Les paras anglais ont plus souffert que face à Koch: le seul 2nd Bn compte 150 pertes. 53 “Reds Devils” sont tués devant Tamera pour la seule période du 8 au 11 mars. Le repli à travers l’Oued el Madene sous les tirs de l’ennemi ne  signifie pas pour autant la fin des combats dans le secteur. Le 17 mars, Tamera est prise par les Allemands. A cette date, l’offensive désirée par Arnim est terminée depuis longtemps. L’ennemi s’est renforcé et la confrontation ne peut qu’évoluer en combat d’attrition, forcément coûteux en vies humaines. Les Arabermeldungen semblent confirmer la montée en puissance de l’adversaire : on attribue 100 tanks à la défense de la gare de Béja et on en dénombre presqu’autant -95- près de la ferme de Munchen (à 12 kilomètres de Béja). 

            Manteuffel aura donc obtenu les plus beaux résultats de l’opération voulue par Arnim. Il est parvenu à capturer de nombreux prisonniers et à repousser l’ennemi sur une distance non négligeable. Ces gains seront conservés jusqu’au début du mois d’avril. Au matin du 9 mars, un premier bilan fait été de 1 274 prisonniers, en majorité des Britanniques (ainsi que 109 Français et 1 Américain). Le butin se monte à 6 chars, 27 automitrailleuses, 8 canons de campagne, 13 canons antichars, 8 mortiers et 8 antichars légers. 2 500 soldats alliés ont été faits prisonniers en tout pendant l’opération “Ochsenkopf”. 

Photography (NA 386) Sergeant Edmonds and CSM Currie of the ‘A’ Company, 2nd Battalion, Lancashire Fusiliers (11th Infantry Brigade, 78th Division) examining captured German MP40 submachine guns, probably near Sidi Nsir, 2 January 1943.

Les pertes de l’Axe se montent à un millier d’hommes selon Liddell Hart. En fait, le bilan final des pertes est nettement plus lourd. Le 1er mars, la 334. ID annonce un déficit de 2 417 hommes. Le Gren-Rgt 754 est réduit à 471 hommes en première ligne. Les hommes, qui ont pleinement conscience de la situation des forces de l’Axe en Afrique, gardent toutefois un bon moral et connaissent leur devoir, selon leurs supérieurs. En fait, les pertes du seul Kampfgruppe Weber décomptée au 2 mars sont de 1 444 hommes (voir tableau), encore faut-il y ajouter les pertes des tankistes du Panzer-Regiment 7 ainsi que des artilleurs (peut-être 7 hommes pour ces derniers). Il faut également y ajouter les pertes de la Manteuffel, qui se chiffrent probablement à plusieurs centaines (environ 120 pour le seul 3 mars). De leur côté, les Britanniques revendiquent la capture de 2 200 soldats ennemis. Les pertes en armes lourdes et en véhicules sont inégales, révélant en partie où se sont déroulés les combats les plus intenses. Le Gruppe Eder a perdu 2 mitrailleuses. Le Gruppe Buhse en a perdu 10 ainsi que 9 véhicules. Le Gruppe Schmid, durement frappé, notamment à Bou Arad-El Arousa, accuse la perte d’un matériel conséquent : 4 pièces de 88 mm, 1 Pak 40, 3 Pak 38, 7 Flak de 20 mm, 4 mortiers, 21 mitrailleuses et 22 véhicules. 

Ce fut avant tout une bataille d’infanterie au cours de laquelle l’artillerie a tenu un rôle essentiel. Contrairement à ce qu’il s’est passé la quinzaine précédente à Sidi-Bou-Zid et à Thala, les affrontements entre chars ont été limités. Les Britanniques n’auraient perdu que 16 tanks en tout, soit des pertes beaucoup plus faibles que celles de leurs adversaires. Les pertes essuyées par Weber sont en revanche très lourdes. Plus de 70 Panzer sont perdus, probablement 22 détruits et 49 endommagés. Le 2 mars, Weber annonce pourtant seulement la perte de 2 Tiger (alors que 7 sont définitivement détruits…), 10 Panzer IV et 12 Panzer III. Rommel déplore le revers que vient de subir la Wehrmacht“Ce ne fut en somme qu’un gaspillage de forces”. 

PERTES AU KORPSGRUPPE WEBER AU 2 MARS 1943 

Total : 1 444 hommes, soit 220 tués, 732 blessés et 492 disparus. 

Kampfgruppe Schmid : 104 tués, 239 blessés, 415 disparus, soit 758 hommes 

Grenadier-Rgt 754 : 20 tués, 62 blessés, 12 disparus, soit 94 hommes 

Grenadier-Rgt 755 : 46 tués, 161 blessés, 10 disparus, soit 217 hommes 

Gebirgsjäger-Rgt 756 : 14 tués, 96 blessés, 14 disparus, soit 124 hommes 

Grenadier-Regiment 47: 29 tués, 126 blessés, 38 disparus, soit 193 hommes 

Pionier-Bataillon 334 : 7 tués, 48 blessés, 3 disparus, soit 58 hommes 

Non incluses : pertes de l’AR 334, du Pz-Rgt 7 et du I/86 ainsi que celles de la  

“Superga” 

Conclusion: une offensive pour rien 

            L’offensive d’Arnim a été lancée trop tard. Couplée avec la poussée de Rommel au-delà de Kasserine, tentée moins d’une semaine plus tôt, elle aurait provoqué une dispersion des efforts alliés. Par ailleurs, une partie des forces employées (les Tiger et quelques éléments de la 10. Panzer) auraient été plus judicieusement employés en soutien de Rommel en direction de Thala, Sbiba et Tébessa. Pis, ces forces feront défaut à Rommel lors de l’ultime attaque contre Montgomery à Médenine le 6 mars (cf le détournement des 15 Panzer IV de renfort pour la 21. Panzer). Si le gain de terrain n’est pas négligeable, Medjez-el-Bab n’est pas tombé et les troupes de l’Axe ne contrôlent pas la route Djebel Abiod-Béja-Medjez. Les pertes subies sont trop lourdes en regard des résultats obtenus. De toute façon, après l’échec stratégique finale de la bataille de Kasserine, la tête de pont de Tunisie est un combat sans espoir. L’opération “Ochsenkopf” n’avait que peu de raisons d’être. 

Bibliographie: Les sources utilisées pour cet article sont diverses, incluant les KTB de la 334. ID et de la Manteuffel-Division ainsi que diverses archives de ces unités, du PZAOK 5 ainsi que de la Division “Hermann Goering”. Divers ouvrages et articles ont été consultés, de nombreuses informations provenant en particulier de David Rolf, “The Bloody Road to Tunis” (Greenhill Books, 2001), ainsi que de Niall Cherry, « Tunisian Tales. The 1st Parachute Brigade in North Africa 1942-43 » (Helion & Company Ltd,