Livre Seconde Guerre Mondiale WWII

Recension “Les Normands dans la guerre. Le temps des épreuves 1939-1945”

Un rappel de l'horreur de la guerre et de ses conséquences sur les populations civiles

Les Normands dans la guerre. Le temps des épreuves 1939-1945, Jean Quellien et Françoise Passera, Tallandier, 2021

Je ne peux que vous recommander cet imposant ouvrage de près de 800 pages, signé par Jean Quellien (mon ancien prof de fac, mais aussi quelqu’un que j’ai croisé à plus d’une reprise lorsque j’étais chercheur à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation) et par Françoise Passera.

Si les récits portant sur les années sombres de l’Occupation et, plus encore, sur les épisodes militaires de la célébrissime bataille de Normandie sont légions, ce livre ne fait assurément aucunement double-emploi.

Le choix de porter l’étude sur la Normandie est particulièrement pertinent car il y a indubitablement bien plus de matières au récit que pour la plupart des autres régions françaises (on pourrait certes en dire autant notamment de l’Alsace et d’une partie de la Bretagne) : la Normandie n’a pas seulement connu l’Occupation (et ce dès 1940, où les destructions sont déjà nombreuses), mais elle a été par deux fois le théâtre d’une bataille (longue, acharnée et particulièrement destructrice en 1944), également zone de guerre en raison de sa proximité avec l’Angleterre, outre sa spécificité d’être littorale. La densité de troupes allemandes et le poids de l’Occupation y ont ainsi été particulièrement élevés, ce qui, avec l’édification du Mur de l’Atlantique, n’a pas été sans conséquences.

Les auteurs sont en terrain connu et maîtrisent indubitablement leur propos, certains passages ayant pour moi fait écho avec les cours magistraux des mes années d’étude (la HI 211 pour ceux qui étaient comme moi à l’Université de Caen).

Le texte n’est pas froid, fourmille de faits précis, d’anecdotes, de détails qui donnent du “vécu” (les faits sont nombreux et précis), les auteurs étant par ailleurs très attentifs à la sociologie des événements relatés: il est question de citadins ou de paysans, d’ouvriers ou d’élus (leur difficile position -avec les responsabilités afférentes- est bien mise en avant), chaque classe sociale se heurtant à des difficultés spécifiques durant ces terribles années de guerre. L’aspect politique -de l’avant-guerre au retour de De Gaulle sur le sol français puis aux nouvelles élections- n’est nullement négligé, car il son importance, dans une région globalement plutôt conservatrice, particulièrement dans sa moitié ouest.

On apprécie le tableau de la Normandie avant le tumulte des armes, ce qui permet de mieux saisir les bouleversements induits par l’Occupation. La brutalité des Allemands et de leurs auxiliaires français (leur modus operandi pour infiltrer les réseaux de résistance est stupéfiant), les réquisitions, restrictions (les passages sur le rationnement et le marché noir sont éclairantes à cet égard), rafles et toutes les nuisances subies par les Normands au cours des quatre années d’Occupation doivent à jamais retenir notre attention et constituent un rappel nécessaire de l’ignominie du régime nazi et de celui de Vichy. Sans même évoquer les exécutions et les déportations, les privations ainsi que le pillage organisé par le III. Reich nous plonge dans un quotidien d’une pénibilité qu’on a peine à imaginer de nos jours, le dénuement ayant été accentué par les destructions résultant des bombardements et des combats. Nombre de drames évoqués m’ont rappelé les affaires que je découvrais dans les archives de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.

755 civils ont été froidement et sommairement assassinés par les troupes allemandes pendant la bataille de Normandie, cette même armée dont la présence sur le territoire a induit la déportation des Juifs et des résistants et des réquisitions, des abus et des pillages sans nombre. Des faits qui devraient contribuer à faire cesser de considérer l’armée de Hitler comme une armée comme les autres…

La curiosité du lecteur sera comblée car rien n’est oublié: l’entrée en guerre et ses bouleversements socio-économiques, l’exode, l’invasion, l’Occupation, la Résistance (réseaux, mouvements, maquis, mais aussi la trop souvent négligée résistance civile : tout est passé au crible), la Collaboration, le quotidien durant les années noires (sans doute le plus passionnant), l’attente du Débarquement, la Libération, la fin de la guerre et la reconstruction. Certaines thématiques sont abordées à plusieurs reprises, les auteurs étudiant l’évolution des situations évoquées au fil de la guerre.

Je laisse les lecteurs découvrir l’audace incroyable de Normands, qui ont eu le courage de manifester leur hostilité aux Allemands (y compris des actions qui paraissent “simples” comme la “bataille des V”), ainsi que leurs réactions face aux tracasseries quotidiennes, qui se sont prolongées bien après que les armes se soient tues.Au fil des pages, des Normands, courageux et méritants, sont ainsi mis à l’honneur en citant leurs noms et en relatant leur action.

Un seul bémol pour un livre par ailleurs très réussi: j’ai été surpris -stupéfait en fait- du peu de cas fait du contact avec les libérateurs au moment de la liberté retrouvée, de l’action des Américains et des Anglo-Canadiens en faveur des Normands (eau, nourriture, etc) et surtout des premières réactions, souvent pleines de gratitude en dépit des destructions, parfois froides en raison des deuils subis ou du fait de la retenue naturelle de certains normands. On ne semble retenir que les bombardements et les exactions des services arrière américains…

Le livre se termine par le journal d’un prisonnier de guerre français de retour de stalag, dont on devine l’identité bien que seule le prénom soit mentionné (la source provient des archives de Julia Quellien, la fille de Jean Quellien). Ainsi s’achève un bel ouvrage qui m’a d’autant plus intéressé que je suis moi-même normand, natif de Caen où j’ai vécu près de 40 ans, élevé dans les récits des années d’Occupation et du Débarquement, événements vécus par mes parents et mes grands-parents, dont les souvenirs qu’ils m’ont transmis concordent avec les expériences diverses relatées dans ces pages.

Le livre sera tout aussi captivant pour les autres lecteurs potentiels, non normands ou plus jeunes, car il offre une synthèse de ce qui a constitué la vie des Français des années du Front Populaire à celles de la reconstruction, et ce par le prisme d’une région qui, je le souligne de nouveau, offre une variété de situations et la particularité d’avoir été une zone de guerre sur la longue durée.

Pour ceux qui, comme moi, sont avant tout attachés aux événements militaires de la bataille de Normandie, ce livre constitue à mes yeux un complément bienvenu, pour ne pas dire indispensable, pour appréhender comme il se doit la compréhension de ces années de guerre. Ainsi, plutôt féru de récits de combats ou de stratégie, et si le quotidien des civils dans la région m’étais bien connu, j’ai beaucoup appris et aussi fait des découvertes (comme ces parachutages de collaborateurs à la solde des nazis au début de 1945!).

Ce livre est au final un rappel de l’horreur de la guerre et de ses conséquences sur les populations civiles, qui, au-delà du deuil éventuel d’êtres chers disparus, en subissent les conséquences parfois sur le long terme, comme ce fût le cas en Normandie, pressurée par l’Occupant, dévastée par les combats, les champs et les plages truffés d’explosifs, les habitants contraints de survivre dans des baraquements.

Un beau livre, bien écrit (ce qui a son importance), qui manquait à l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale en France et au récit de la bataille de Normandie.

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