Laurent Schang, Von Rundstedt. Le maréchal oublié, Perrin, 2020, 396 pages
Enfin! Une biographie sur Gerd von Rundstedt en français est un événement que j’attendais, que j’espérais. C’est Laurent Schang qui signe ce travail qui mérite toute notre attention. L’auteur a la plume agréable, le verbe bien choisi et un rythme qui accroche: ne boudons pas notre plaisir car j’ai connu des biographies de personnages illustres de la Seconde Guerre mondiale au phrasé aussi rébarbatif et impersonnel qu’un journal de guerre de division… L’introduction est habilement menée car elle donne indéniablement envie d’aller jusqu’au bout de l’ouvrage.
Certes, Rundstedt n’a pas laissé de mémoires personnels, de journal intime, pas plus que de papiers personnels sur lesquels s’appuyer pour rendre compte du parcours militaire d’une des figures majeures de la Wehrmacht. L’auteur n’a pourtant pas négligé sa peine et est allé puiser aux sources allemandes les plus sérieuses détenues par le Bundesarchiv.
Le texte est suivi de notes très importantes qu’il faut absolument lire , car le informations données sont très importantes (conseil que j’ai déjà donné à propos du dernier livre de Daniel Feldmann). On ne peut que regretter que ces notes n’aient pas été mises en bas de pages ou incluses dans le texte car elles courent le risque de n’être pas lues (ce qui est, de l’aveu de lecteurs, le cas de mes notes informatives dans mon Etre Soldat de Hitler et dans mon Patton)…
A travers Rundstedt, Laurent Schang nous fait découvrir l’Allemagne et ses armées successives, armée impériale, Reichswehr puis Wehrmacht. Ce faisant, il nous dresse un portrait passionnant de l’institution militaire allemande et de cette élite d’officiers prussiens à laquelle appartient Rundstedt, qui en est en quelque sorte devenu le symbole depuis 1945. Il nous fait découvrir en parallèle une galerie de personnages très intéressante. J’ai bien entendu été particulièrement attentif à tout ce qui a trait à Erwin Rommel.
Les pages consacrées à la Grande Guerre mettent certes le plus souvent Rundstedt au second plan, dans une certaine mesure, mais elles sont fort instructives et indispensables pour bien appréhender le parcours de ce militaire dans l’âme, mais aussi la stratégie allemande adoptée, plus particulièrement pour l’année 1914 (le plan Schlieffen revu par Moltke est fort bien raconté).
Le coeur de l’ouvrage est bien évidemment consacré à la période nazie. Le doyen des maréchaux de Hitler s’est, comme ses pairs, largement dédouané des erreurs stratégiques de l’armée allemande en en faisant peser la responsabilité sur le Führer.
Amateur de cigares et appréciant un bon cognac, Gerd von Rundstedt, qui en semble pas manquer d’humour, peut apparaître sympathique de prime abord. C’est se tromper lourdement. L’homme a aussi prétendu être apolitique, antienne des anciens de la Wehrmacht qui constitue un non-sens. Il a pourtant bénéficié des largesses de Hitler, l’a servi fidèlement jusqu’au bout, quoique détenant le record d’avoir été limogé par trop fois.
Le Feldmarschall a ainsi entériné les ordres criminels de l’OKW à l’Est. Il s’est montré impitoyable dans la lutte contre la résistance française, refusant d’accorder aux FFI le statut de combattants comme le lui demande Eisenhower. Il s’est montré tout aussi ferme à l’endroit des Italiens lors de leur revirement de septembre 1943. Son sens du devoir le pousse -au nom d’un serment et de ses valeurs- à une soumission aveugle à un dictateur qu’il n’apprécie guère, mais contre lequel il n’envisage à aucun moment la moindre forme de rébellion, y compris lors des circonstances les plus favorables des années 1930. Seul compte pour lui l’honneur de la Generalität.
Pourtant, son acceptation plus ou moins tacite des ordres le plus criminels ne lui a guère été reproché après le conflit. Rundstedt doit beaucoup au Britannique Liddell Hart et consorts de n’avoir pas fini au bout d’une corde après avoir été livré aux Soviétiques (ce qui lui a été épargné faute de pouvoir être extradé), ou d’être condamné à la réclusion à perpétuité.
Très apprécié de Hitler, Rundstedt a assumé les commandements les plus importants, de la Pologne à 1945, à l’exception notable de toute implication dans la guerre en Méditerranée. Pourtant, conquérant de Varsovie et de l’Ukraine, présidant au « coup de faucille » de 1940, Rundstedt n’a rien d’un génie militaire, rien de la trempe d’un Guderian, d’un Manstein ou d’un Rommel, dont l’élan, le charisme et l’habileté ont été les plus grands atouts de la Wehrmacht, rien non plus de comparable à la maestria avec laquelle Albert Kesselring mène la difficile campagne d’Italie.
Rundstedt est d’une rigidité toute prussienne. Certes, on appréciera à sa juste valeur ses efforts pour faire valoir la révision du plan de la Westfeldzug (l’invasion de l’Ouest en 1940), mais rien de transcendant dans sa manière de mener cette campagne, pas plus que son art du commandement au cours de Barbarossa (il n’a d’ailleurs qu’une piètre opinion des alliés du Reich), et cela est pire encore à l’Ouest en 1944, où le valeureux maréchal ne brille guère. Un couche-tôt, porté sur l’alcool, peu intéressé par les tournées, incapable de saisir l’évolution de la situation quant à l’usage optimale de la Panzerwaffe en 1944… A côté du dynamisme de Rommel, on découvre un homme qui préfère lire des romans policiers que se dévouer corps et âme à oeuvrer pour la victoire (pour peu, il aurait pu échanger ses romans avec les histoires de westerns qu’apprécie tant Eisenhower…).
Au final, un bel ouvrage dont la lecture est indispensable aux amateurs de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement pour ceux qui s’intéressent à la Wehrmacht. Grâce à ce livre, on perçoit clairement ce que ressent et était un officier supérieur allemand, un Prussien, et quelles étaient ses valeurs.
On pourra certes regretter le traitement plus rapide de l’année 1944, quelques très rares données chiffrées discutables (200 Tiger dans les Ardennes et 800 Panzer qui retraversent la Seine?) qui ne nuisent pas pour autant au sérieux de l’ouvrage, de même que l’absence de notes de référence, mais Laurent Schang se révèle ici être un excellent écrivain et un très bon historien. Espérons que ce n’est qu’un début et qu’il nous réserve d’aussi bonnes lectures à l’avenir. D’autres éminents généraux et maréchaux allemands et alliés méritent une biographie…
Une lecture particulièrement recommandée sur un sujet inédit, passionnant, très bien traité et indispensable pour la connaissance de la Wehrmacht et de la Seconde Guerre mondiale.
Laurent Schang, Von Rundstedt. Le maréchal oublié, Perrin, 2020, 396 pages
Enfin! Une biographie sur Gerd von Rundstedt en français est un événement que j’attendais, que j’espérais. C’est Laurent Schang qui signe ce travail qui mérite toute notre attention. L’auteur a la plume agréable, le verbe bien choisi et un rythme qui accroche: ne boudons pas notre plaisir car j’ai connu des biographies de personnages illustres de la Seconde Guerre mondiale au phrasé aussi rébarbatif et impersonnel qu’un journal de guerre de division… L’introduction est habilement menée car elle donne indéniablement envie d’aller jusqu’au bout de l’ouvrage.
Certes, Rundstedt n’a pas laissé de mémoires personnels, de journal intime, pas plus que de papiers personnels sur lesquels s’appuyer pour rendre compte du parcours militaire d’une des figures majeures de la Wehrmacht. L’auteur n’a pourtant pas négligé sa peine et est allé puiser aux sources allemandes les plus sérieuses détenues par le Bundesarchiv.
Le texte est suivi de notes très importantes qu’il faut absolument lire , car le informations données sont très importantes (conseil que j’ai déjà donné à propos du dernier livre de Daniel Feldmann). On ne peut que regretter que ces notes n’aient pas été mises en bas de pages ou incluses dans le texte car elles courent le risque de n’être pas lues (ce qui est, de l’aveu de lecteurs, le cas de mes notes informatives dans mon Etre Soldat de Hitler et dans mon Patton)…
A travers Rundstedt, Laurent Schang nous fait découvrir l’Allemagne et ses armées successives, armée impériale, Reichswehr puis Wehrmacht. Ce faisant, il nous dresse un portrait passionnant de l’institution militaire allemande et de cette élite d’officiers prussiens à laquelle appartient Rundstedt, qui en est en quelque sorte devenu le symbole depuis 1945. Il nous fait découvrir en parallèle une galerie de personnages très intéressante. J’ai bien entendu été particulièrement attentif à tout ce qui a trait à Erwin Rommel.
Les pages consacrées à la Grande Guerre mettent certes le plus souvent Rundstedt au second plan, dans une certaine mesure, mais elles sont fort instructives et indispensables pour bien appréhender le parcours de ce militaire dans l’âme, mais aussi la stratégie allemande adoptée, plus particulièrement pour l’année 1914 (le plan Schlieffen revu par Moltke est fort bien raconté).
Le coeur de l’ouvrage est bien évidemment consacré à la période nazie. Le doyen des maréchaux de Hitler s’est, comme ses pairs, largement dédouané des erreurs stratégiques de l’armée allemande en en faisant peser la responsabilité sur le Führer.
Amateur de cigares et appréciant un bon cognac, Gerd von Rundstedt, qui en semble pas manquer d’humour, peut apparaître sympathique de prime abord. C’est se tromper lourdement. L’homme a aussi prétendu être apolitique, antienne des anciens de la Wehrmacht qui constitue un non-sens. Il a pourtant bénéficié des largesses de Hitler, l’a servi fidèlement jusqu’au bout, quoique détenant le record d’avoir été limogé par trop fois.
Le Feldmarschall a ainsi entériné les ordres criminels de l’OKW à l’Est. Il s’est montré impitoyable dans la lutte contre la résistance française, refusant d’accorder aux FFI le statut de combattants comme le lui demande Eisenhower. Il s’est montré tout aussi ferme à l’endroit des Italiens lors de leur revirement de septembre 1943. Son sens du devoir le pousse -au nom d’un serment et de ses valeurs- à une soumission aveugle à un dictateur qu’il n’apprécie guère, mais contre lequel il n’envisage à aucun moment la moindre forme de rébellion, y compris lors des circonstances les plus favorables des années 1930. Seul compte pour lui l’honneur de la Generalität.
Pourtant, son acceptation plus ou moins tacite des ordres le plus criminels ne lui a guère été reproché après le conflit. Rundstedt doit beaucoup au Britannique Liddell Hart et consorts de n’avoir pas fini au bout d’une corde après avoir été livré aux Soviétiques (ce qui lui a été épargné faute de pouvoir être extradé), ou d’être condamné à la réclusion à perpétuité.
Très apprécié de Hitler, Rundstedt a assumé les commandements les plus importants, de la Pologne à 1945, à l’exception notable de toute implication dans la guerre en Méditerranée. Pourtant, conquérant de Varsovie et de l’Ukraine, présidant au « coup de faucille » de 1940, Rundstedt n’a rien d’un génie militaire, rien de la trempe d’un Guderian, d’un Manstein ou d’un Rommel, dont l’élan, le charisme et l’habileté ont été les plus grands atouts de la Wehrmacht, rien non plus de comparable à la maestria avec laquelle Albert Kesselring mène la difficile campagne d’Italie.
Rundstedt est d’une rigidité toute prussienne. Certes, on appréciera à sa juste valeur ses efforts pour faire valoir la révision du plan de la Westfeldzug (l’invasion de l’Ouest en 1940), mais rien de transcendant dans sa manière de mener cette campagne, pas plus que son art du commandement au cours de Barbarossa (il n’a d’ailleurs qu’une piètre opinion des alliés du Reich), et cela est pire encore à l’Ouest en 1944, où le valeureux maréchal ne brille guère. Un couche-tôt, porté sur l’alcool, peu intéressé par les tournées, incapable de saisir l’évolution de la situation quant à l’usage optimale de la Panzerwaffe en 1944… A côté du dynamisme de Rommel, on découvre un homme qui préfère lire des romans policiers que se dévouer corps et âme à oeuvrer pour la victoire (pour peu, il aurait pu échanger ses romans avec les histoires de westerns qu’apprécie tant Eisenhower…).
Au final, un bel ouvrage dont la lecture est indispensable aux amateurs de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement pour ceux qui s’intéressent à la Wehrmacht. Grâce à ce livre, on perçoit clairement ce que ressent et était un officier supérieur allemand, un Prussien, et quelles étaient ses valeurs.
On pourra certes regretter le traitement plus rapide de l’année 1944, quelques très rares données chiffrées discutables (200 Tiger dans les Ardennes et 800 Panzer qui retraversent la Seine?) qui ne nuisent pas pour autant au sérieux de l’ouvrage, de même que l’absence de notes de référence, mais Laurent Schang se révèle ici être un excellent écrivain et un très bon historien. Espérons que ce n’est qu’un début et qu’il nous réserve d’aussi bonnes lectures à l’avenir. D’autres éminents généraux et maréchaux allemands et alliés méritent une biographie…
Une lecture particulièrement recommandée sur un sujet inédit, passionnant, très bien traité et indispensable pour la connaissance de la Wehrmacht et de la Seconde Guerre mondiale.
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