La deuxième bataille d’El Alamein : Une bataille décisive ?
L’Afrika-Korps (ici son chef, capturé : von Thoma): définitivement battu et anéanti?
Certes, Rommel a sauvé son armée mais peut-on encore parler d’armée ? Les premières estimations par les Britanniques des pertes germano-italiennes à El Alamein sont les suivantes : 1 149 Allemands et 971 Italiens tués, 3 886 Allemands et 933 Italiens blessés, 8 050 Allemands et 15 552 Italiens capturés. Les pertes purement allemandes se montent à 13 879 hommes en octobre et 11 282 en novembre, dont, pour ces deux mois, 927 tués, 2 763 blessés, 5 657 disparus et près de 16 000 malades. Selon les sources, entre 330 et 450 chars et plus de 1 000 canons sont abandonnés sur le champ de bataille. 75 Chars supplémentaires seront abandonnés au cours de la retraite faute de carburant. Ces chiffres vont vite augmenter puisque, le 11 novembre, le nombre de prisonniers atteint 30 000. Les tués et blessés oscillent entre 20 et 25 000. La Panzerarmee Afrika a donc perdu 55 000 hommes, soit la moitié de ses effectifs. 84 avions germano-italiens ont été perdus. Le 5 novembre, l’Afrika Korps ne compte plus que 38 Panzer en état de combattre, 20 pièces antichars, 37 canons et 600 Panzergrenadiers. La 164.Leichte Division ne compte plus que 700 combattants et 6 antichars. La 90.Leichte Division est pour sa part limitée à trois faibles régiments et quelques pièces d’artillerie. Les unités italiennes dépourvues de véhicules abandonnées dans le désert sans eau ni vivres n’ont d’autre alternative que de chercher à se rendre à l’ennemi. On l’a vu, Ramcke rallie Rommel avec 600 parachutistes. Plus de 50 000 hommes auraient réussi à se replier. Ainsi, si les QG des unités et la structure vitale des troupes de soutien parviennent à se retirer, les effectifs des troupes combattantes sont dramatiquement réduits. L’armée n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le 8 novembre 1942, pour tenir les positions de la frontière égypto-libyenne, Rommel ne dispose, réserves comprises, que d’une arrière-garde de 7 500 hommes, 11 chars allemands, 10 chars italiens, 125 canons allemands antichars, antiaériens et d’artillerie et un nombre inconnu de pièces italiennes. Le reste de l’armée poursuit sa retraite vers l’est, vers la Tripolitaine, tandis que les unités de génie multiplient les obstacles et les actions retardatrices face à la 8th Army.
La 8th Army a payé le prix fort pour sa victoire : 2 350 tués, 8 950 blessés et 2 260 disparus, morts pour la plupart. Le total des pertes humaines se monte donc à 13 560. Au moins 332 chars et 111 canons ont été définitivement détruits au cours de la bataille. Entre 500 et 600 chars auraient été touchés en tout. Certaines sources estiment les chars définitivement détruits à 150, 350 ayant été réparés. 97 avions ont été abattus, dont 20 américains.
La bataille d’El Alamein est souvent présentée comme étant une des batailles décisives du second conflit mondial. Cette vision des choses repose sur le fait capital que la défaite de Rommel signifiait la fin de toute prétention de l’Axe à une quelconque possibilité d’envahir l’Egypte puis de s’emparer du Moyen Orient. Par ailleurs, cette bataille mettait un terme à ce mouvement de balancier qui semblait caractériser la guerre du désert avec sa succession de succès et d’échecs dans un camp puis dans l’autre. A partir du 4 novembre 1942, les troupes alliées allaient s’ébranler une nouvelle fois vers l’ouest, mais cette fois-ci l’avance victorieuse sera définitive et les mènera jusqu’en Tunisie.
En outre, la victoire de Montgomery à El Alamein est une victoire nette de l’armée britannique après trois années de guerres au cours desquelles le sort des armes n’a guère été favorable aux Britanniques qui subirent un nombre retentissant d’humiliations, particulièrement pour l’armée de terre, en France avec le BEF, en Grèce, en Crète en Malaisie, en Birmanie et en Afrique du Nord. El Alamein apparaissait comme une victoire britannique, ou plus précisément du Commonwealth car les contingents de l’Empire étaient conséquents au sein de l’armée. Il est évident que cette victoire se produit en des circonstances opportunes puisque le 8 novembre 1942, dans le cadre de l’opération « Torch », une armée anglo-américaine met le pied en Afrique du Nord française, scellant par là même le sort de la campagne dans le théâtre des opérations nord-africain : la victoire alliée sur la rive sud de la Méditerranée n’est désormais plus qu’une question de temps. Il est donc évident que la situation de la Panzerarmee Afrika, aventurée en Egypte jusqu’aux portes d’Alexandrie, est alors plus que précaire dès lors qu’une nouvelle menace apparaissait sur ses arrières. Le repli aurait été inévitable sans même que la formidable puissance adverse que représentait la 8th Army de Montgomery ne déclanche son offensive. En outre, il est clair que l’immense supériorité de Monty en moyens humains et matériels, en munitions, en réserves et des conditions logistiques infiniment plus favorables faisait que la défaite du « Renard du Désert » était inéluctable. Par ailleurs, Monty ne va pas être démuni de ses meilleures troupes à l’issu d’un succès prometteur comme l’ont été avant lui Wavell et Auchinleck après Beda Fomm et « Crusader ». La victoire d’El Alamein marque clairement la fin de l’Axe en Afrique, mais uniquement dans la mesure où « Torch » est un succès. Il est en effet évident que toutes les unités destinées à renforcer Rommel sont détournées vers la Tunisie : la défense de la Libye devient donc impossible. Toutefois, Monty veut s’assurer qu’il n’y aura pas de revers de fortune. La poursuite qu’il entreprend n’aura rien de l’improvisation de Rommel en pénétrant en Egypte après la victoire de Tobrouk. Au contraire, la prudente avance de Monty sera un chef-d’œuvre en matière de logistique.
La seconde bataille d’El Alamein bénéficie aussi du parallèle que l’on peut dresser avec les combats pour Stalingrad qui ont lieu au même moment. La bataille colossale qui oppose l’Axe aux Soviétiques sur les berges de la Volga, dans le Caucase et ailleurs en Russie est d’une tout autre ampleur, tant dans les effectifs que sur le déroulement de la guerre. Il n’en reste pas moins que l’offensive déclanchée par Monty le soir du 23 octobre s’incruste dans un contexte de basculement de la guerre en faveur des Alliés : Stalingrad à l’Est, Guadalcanal dans le Pacifique, el Alamein en Afrique, succès confirmés au premier semestre 1943 avec les défaites de l’Axe à Stalingrad et en Tunisie et la victoire, après d’âpres combats, sur les U-Boote dans l’Atlantique en mai.
La victoire d’Auchinleck en juillet 1942 au cours de la première bataille d’El Alamein est en revanche absolument décisive. En réussissant à arrêter Rommel, Auchinleck sauve l’Egypte, voire le Moyen Orient, quoique les combats se seraient poursuivis sur le Delta et sur le canal de Suez et au-delà. Le canal de Suez est vital pour l’Empire britannique et, plus encore, le Moyen Orient et ses réserves d’hydrocarbures, certes encore peu mis en valeur, étaient un objectif de la plus haute importance stratégique. En outre, l’Iran menacé, c’était l’approvisionnement de l’Armée Rouge par les Alliés qui était gravement compromis. Et quelle aurait été alors la réaction de la Turquie face à l’irruption des Allemands en Orient et à une nouvelle défaite britannique ? Si Hitler et son état-major avaient su saisir l’opportunité qui s’offrait à eux, le Moyen-Orient aurait pu être conquis avec facilité dès 1941 et, avec de désastreuses conséquences sur le cours de la guerre.
Claude Auchinleck
Auchinleck avait su parer la menace immédiate que Rommel avait fait planer sur l’Egypte. Montgomery a su profiter de la chance qui a été la sienne de prendre les rennes de la 8th Army à un moment opportun. Il a su l’organiser tout en créant sa propre légende, il a remporté une brillante victoire. Le Royaume Uni avait sa victoire. Elle avait aussi un nouveau héros : Monty. Et Churchill, toujours attentif aux grands épisodes qui marquent l’histoire, décida de faire sonner les cloches pour commémorer la grande victoire dans le désert. Il a alors ces mots célèbres : « ce n’était pas le commencement de la fin, mais en tout cas c’était la fin du commencement. » En fait, ce qui compte avant tout pour Montgomery et Churchill, ce n’est pas tant la manière dont la 8th Army a remporté la victoire, mais bien plus le fait qu’elle ait vaincu l’ennemi. Monty a su utiliser de façon adéquate le formidable outil militaire mis à sa disposition. La puissance de feu et l’attrition étaient la seule manière de remporter la victoire sur un front solidement tenu n’offrant aucun contournement de flanc possible. Par ailleurs, face à un ennemi aussi habile dans la manœuvre et l’emploi des blindés, une supériorité numérique écrasante était absolument indispensable. Monty a payé le prix fort pour décrocher la victoire mais c’était pour lui la seule chose qui comptait. Cette victoire, à n’en pas douter, a redonné du baume au cœur des Britanniques alors que la guerre n’avait jusqu’alors apporté souvent que de bien sombres nouvelles. La portée de la victoire de Monty est à cet égard plus psychologique que stratégique : l’armée britannique a vaincu une armée allemande, qui plus est une armée aguerrie sous les ordres d’un chef talentueux. Et ce n’était que le début d’une suite de succès qui semblaient indiquer que la guerre avait définitivement basculé dans le camp allié.
Bernard Montgomery
Certes la victoire de Montgomery n’a pas résulté en la destruction de l’armée adverse, bien que cela fut la tâche clairement assignée par Churchill à Alexander et à Montgomery. Rommel, avec un brio témoignant de son habileté et des ses qualités de grand commandant, emmène son armée en Tunisie, après une poursuite de plus de 2500 kilomètres ! La campagne va s’éterniser jusqu’à la mi-mai 1943 ! Il ne fait aucun doute que la victoire de Montgomery ait contribué a contribué à la défaite de l’Axe en Afrique, mais il est raisonnable de se poser la question du caractère décisif de cette bataille du désert à une centaine de kilomètres d’Alexandrie en cet automne 1942. Son aspect décisif est contestable du point de vue militaire car le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord signifiait de toute façon que la position de Rommel était intenable. Bien plus, la destruction de l’armée de Rommel aurait coupé court à une campagne de Tunisie prolongé. Mais Monty a laissé Rommel s’échapper avec brio vers l’ouest. En revanche, El Alamein est une magnifique victoire de l’Empire britannique et une page glorieuse et fameuse pour l’armée britannique. Son impact dans les esprits de l’époque et dans l’histoire est indubitable.
La bataille est également décisive pour le développement de la 8th Army. En ce sens, les trois batailles livrées à El Alamein forme un tout. Ces trois batailles sont un ensemble qui a permis une rééducation et une réorganisation de l’armée britannique du désert sur une grande échelle. En fait, il est important de souligner que, lors les opérations ultérieures de la guerre, l’armée britannique va être considérablement influencée par les acquis de la 8th Army. Toutefois, l’équipe victorieuse d’El Alamein sera démembrée (les 9th Australian et 1st South African Divisions rentrent dans leurs pays, la 44th ID est dissoute et certaines unités restent en Italie avec la nouvelle 8th Army) la majorité des unités engagées en Normandie en 1944 n’auront aucune expérience de la guerre et devront apprendre d’elles-mêmes au front ces leçons des dures réalités de la guerre.
Le caractère que revêt une bataille est très aléatoire et dépend pour beaucoup du point de vue adopté par celui qui en juge. L’importance d’un combat varie en fonction de la perception qu’on en a. Et celle-ci est très subjective. Elle diffère entre celui qui est au front et celui qui est à l’arrière, entre le vainqueur et le vaincu, entre le blessé et celui qui reviendra avec une médaille. Pour un combattant qui a connu d’autres campagnes et d’autres batailles, est-ce que El Alamein lui apparaîtra comme la bataille la plus décisive à laquelle il aura participé ? Faut-il raisonner en termes d’effectifs engagés, de pertes en hommes, en termes de conséquences stratégiques ? Il est indéniable et indiscutable que la bataille d’El Alamein, au sens large : de juillet à novembre 1942, fut une des grandes batailles de la seconde guerre mondiale. Il me semble que les combats de juillets furent décisifs. La bataille menée par Monty est indubitablement une grande bataille et une grande victoire. Mais ce ne fut pas un succès décisif. Néanmoins elle s’inscrit dans un tournant essentiel au sein de la guerre, dans le contexte d’un théâtre d’opérations aux conditions de guerre bien particulières qui laisseront une empreinte indélébile dans la mémoire de ceux qui y participèrent.
La deuxième bataille d’El Alamein : Une bataille décisive ?
L’Afrika-Korps (ici son chef, capturé : von Thoma): définitivement battu et anéanti?
Certes, Rommel a sauvé son armée mais peut-on encore parler d’armée ? Les premières estimations par les Britanniques des pertes germano-italiennes à El Alamein sont les suivantes : 1 149 Allemands et 971 Italiens tués, 3 886 Allemands et 933 Italiens blessés, 8 050 Allemands et 15 552 Italiens capturés. Les pertes purement allemandes se montent à 13 879 hommes en octobre et 11 282 en novembre, dont, pour ces deux mois, 927 tués, 2 763 blessés, 5 657 disparus et près de 16 000 malades. Selon les sources, entre 330 et 450 chars et plus de 1 000 canons sont abandonnés sur le champ de bataille. 75 Chars supplémentaires seront abandonnés au cours de la retraite faute de carburant. Ces chiffres vont vite augmenter puisque, le 11 novembre, le nombre de prisonniers atteint 30 000. Les tués et blessés oscillent entre 20 et 25 000. La Panzerarmee Afrika a donc perdu 55 000 hommes, soit la moitié de ses effectifs. 84 avions germano-italiens ont été perdus. Le 5 novembre, l’Afrika Korps ne compte plus que 38 Panzer en état de combattre, 20 pièces antichars, 37 canons et 600 Panzergrenadiers. La 164.Leichte Division ne compte plus que 700 combattants et 6 antichars. La 90.Leichte Division est pour sa part limitée à trois faibles régiments et quelques pièces d’artillerie. Les unités italiennes dépourvues de véhicules abandonnées dans le désert sans eau ni vivres n’ont d’autre alternative que de chercher à se rendre à l’ennemi. On l’a vu, Ramcke rallie Rommel avec 600 parachutistes. Plus de 50 000 hommes auraient réussi à se replier. Ainsi, si les QG des unités et la structure vitale des troupes de soutien parviennent à se retirer, les effectifs des troupes combattantes sont dramatiquement réduits. L’armée n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le 8 novembre 1942, pour tenir les positions de la frontière égypto-libyenne, Rommel ne dispose, réserves comprises, que d’une arrière-garde de 7 500 hommes, 11 chars allemands, 10 chars italiens, 125 canons allemands antichars, antiaériens et d’artillerie et un nombre inconnu de pièces italiennes. Le reste de l’armée poursuit sa retraite vers l’est, vers la Tripolitaine, tandis que les unités de génie multiplient les obstacles et les actions retardatrices face à la 8th Army.
La 8th Army a payé le prix fort pour sa victoire : 2 350 tués, 8 950 blessés et 2 260 disparus, morts pour la plupart. Le total des pertes humaines se monte donc à 13 560. Au moins 332 chars et 111 canons ont été définitivement détruits au cours de la bataille. Entre 500 et 600 chars auraient été touchés en tout. Certaines sources estiment les chars définitivement détruits à 150, 350 ayant été réparés. 97 avions ont été abattus, dont 20 américains.
La bataille d’El Alamein est souvent présentée comme étant une des batailles décisives du second conflit mondial. Cette vision des choses repose sur le fait capital que la défaite de Rommel signifiait la fin de toute prétention de l’Axe à une quelconque possibilité d’envahir l’Egypte puis de s’emparer du Moyen Orient. Par ailleurs, cette bataille mettait un terme à ce mouvement de balancier qui semblait caractériser la guerre du désert avec sa succession de succès et d’échecs dans un camp puis dans l’autre. A partir du 4 novembre 1942, les troupes alliées allaient s’ébranler une nouvelle fois vers l’ouest, mais cette fois-ci l’avance victorieuse sera définitive et les mènera jusqu’en Tunisie.
En outre, la victoire de Montgomery à El Alamein est une victoire nette de l’armée britannique après trois années de guerres au cours desquelles le sort des armes n’a guère été favorable aux Britanniques qui subirent un nombre retentissant d’humiliations, particulièrement pour l’armée de terre, en France avec le BEF, en Grèce, en Crète en Malaisie, en Birmanie et en Afrique du Nord. El Alamein apparaissait comme une victoire britannique, ou plus précisément du Commonwealth car les contingents de l’Empire étaient conséquents au sein de l’armée. Il est évident que cette victoire se produit en des circonstances opportunes puisque le 8 novembre 1942, dans le cadre de l’opération « Torch », une armée anglo-américaine met le pied en Afrique du Nord française, scellant par là même le sort de la campagne dans le théâtre des opérations nord-africain : la victoire alliée sur la rive sud de la Méditerranée n’est désormais plus qu’une question de temps. Il est donc évident que la situation de la Panzerarmee Afrika, aventurée en Egypte jusqu’aux portes d’Alexandrie, est alors plus que précaire dès lors qu’une nouvelle menace apparaissait sur ses arrières. Le repli aurait été inévitable sans même que la formidable puissance adverse que représentait la 8th Army de Montgomery ne déclanche son offensive. En outre, il est clair que l’immense supériorité de Monty en moyens humains et matériels, en munitions, en réserves et des conditions logistiques infiniment plus favorables faisait que la défaite du « Renard du Désert » était inéluctable. Par ailleurs, Monty ne va pas être démuni de ses meilleures troupes à l’issu d’un succès prometteur comme l’ont été avant lui Wavell et Auchinleck après Beda Fomm et « Crusader ». La victoire d’El Alamein marque clairement la fin de l’Axe en Afrique, mais uniquement dans la mesure où « Torch » est un succès. Il est en effet évident que toutes les unités destinées à renforcer Rommel sont détournées vers la Tunisie : la défense de la Libye devient donc impossible. Toutefois, Monty veut s’assurer qu’il n’y aura pas de revers de fortune. La poursuite qu’il entreprend n’aura rien de l’improvisation de Rommel en pénétrant en Egypte après la victoire de Tobrouk. Au contraire, la prudente avance de Monty sera un chef-d’œuvre en matière de logistique.
La seconde bataille d’El Alamein bénéficie aussi du parallèle que l’on peut dresser avec les combats pour Stalingrad qui ont lieu au même moment. La bataille colossale qui oppose l’Axe aux Soviétiques sur les berges de la Volga, dans le Caucase et ailleurs en Russie est d’une tout autre ampleur, tant dans les effectifs que sur le déroulement de la guerre. Il n’en reste pas moins que l’offensive déclanchée par Monty le soir du 23 octobre s’incruste dans un contexte de basculement de la guerre en faveur des Alliés : Stalingrad à l’Est, Guadalcanal dans le Pacifique, el Alamein en Afrique, succès confirmés au premier semestre 1943 avec les défaites de l’Axe à Stalingrad et en Tunisie et la victoire, après d’âpres combats, sur les U-Boote dans l’Atlantique en mai.
La victoire d’Auchinleck en juillet 1942 au cours de la première bataille d’El Alamein est en revanche absolument décisive. En réussissant à arrêter Rommel, Auchinleck sauve l’Egypte, voire le Moyen Orient, quoique les combats se seraient poursuivis sur le Delta et sur le canal de Suez et au-delà. Le canal de Suez est vital pour l’Empire britannique et, plus encore, le Moyen Orient et ses réserves d’hydrocarbures, certes encore peu mis en valeur, étaient un objectif de la plus haute importance stratégique. En outre, l’Iran menacé, c’était l’approvisionnement de l’Armée Rouge par les Alliés qui était gravement compromis. Et quelle aurait été alors la réaction de la Turquie face à l’irruption des Allemands en Orient et à une nouvelle défaite britannique ? Si Hitler et son état-major avaient su saisir l’opportunité qui s’offrait à eux, le Moyen-Orient aurait pu être conquis avec facilité dès 1941 et, avec de désastreuses conséquences sur le cours de la guerre.
Auchinleck avait su parer la menace immédiate que Rommel avait fait planer sur l’Egypte. Montgomery a su profiter de la chance qui a été la sienne de prendre les rennes de la 8th Army à un moment opportun. Il a su l’organiser tout en créant sa propre légende, il a remporté une brillante victoire. Le Royaume Uni avait sa victoire. Elle avait aussi un nouveau héros : Monty. Et Churchill, toujours attentif aux grands épisodes qui marquent l’histoire, décida de faire sonner les cloches pour commémorer la grande victoire dans le désert. Il a alors ces mots célèbres : « ce n’était pas le commencement de la fin, mais en tout cas c’était la fin du commencement. » En fait, ce qui compte avant tout pour Montgomery et Churchill, ce n’est pas tant la manière dont la 8th Army a remporté la victoire, mais bien plus le fait qu’elle ait vaincu l’ennemi. Monty a su utiliser de façon adéquate le formidable outil militaire mis à sa disposition. La puissance de feu et l’attrition étaient la seule manière de remporter la victoire sur un front solidement tenu n’offrant aucun contournement de flanc possible. Par ailleurs, face à un ennemi aussi habile dans la manœuvre et l’emploi des blindés, une supériorité numérique écrasante était absolument indispensable. Monty a payé le prix fort pour décrocher la victoire mais c’était pour lui la seule chose qui comptait. Cette victoire, à n’en pas douter, a redonné du baume au cœur des Britanniques alors que la guerre n’avait jusqu’alors apporté souvent que de bien sombres nouvelles. La portée de la victoire de Monty est à cet égard plus psychologique que stratégique : l’armée britannique a vaincu une armée allemande, qui plus est une armée aguerrie sous les ordres d’un chef talentueux. Et ce n’était que le début d’une suite de succès qui semblaient indiquer que la guerre avait définitivement basculé dans le camp allié.
Certes la victoire de Montgomery n’a pas résulté en la destruction de l’armée adverse, bien que cela fut la tâche clairement assignée par Churchill à Alexander et à Montgomery. Rommel, avec un brio témoignant de son habileté et des ses qualités de grand commandant, emmène son armée en Tunisie, après une poursuite de plus de 2500 kilomètres ! La campagne va s’éterniser jusqu’à la mi-mai 1943 ! Il ne fait aucun doute que la victoire de Montgomery ait contribué a contribué à la défaite de l’Axe en Afrique, mais il est raisonnable de se poser la question du caractère décisif de cette bataille du désert à une centaine de kilomètres d’Alexandrie en cet automne 1942. Son aspect décisif est contestable du point de vue militaire car le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord signifiait de toute façon que la position de Rommel était intenable. Bien plus, la destruction de l’armée de Rommel aurait coupé court à une campagne de Tunisie prolongé. Mais Monty a laissé Rommel s’échapper avec brio vers l’ouest. En revanche, El Alamein est une magnifique victoire de l’Empire britannique et une page glorieuse et fameuse pour l’armée britannique. Son impact dans les esprits de l’époque et dans l’histoire est indubitable.
La bataille est également décisive pour le développement de la 8th Army. En ce sens, les trois batailles livrées à El Alamein forme un tout. Ces trois batailles sont un ensemble qui a permis une rééducation et une réorganisation de l’armée britannique du désert sur une grande échelle. En fait, il est important de souligner que, lors les opérations ultérieures de la guerre, l’armée britannique va être considérablement influencée par les acquis de la 8th Army. Toutefois, l’équipe victorieuse d’El Alamein sera démembrée (les 9th Australian et 1st South African Divisions rentrent dans leurs pays, la 44th ID est dissoute et certaines unités restent en Italie avec la nouvelle 8th Army) la majorité des unités engagées en Normandie en 1944 n’auront aucune expérience de la guerre et devront apprendre d’elles-mêmes au front ces leçons des dures réalités de la guerre.
Le caractère que revêt une bataille est très aléatoire et dépend pour beaucoup du point de vue adopté par celui qui en juge. L’importance d’un combat varie en fonction de la perception qu’on en a. Et celle-ci est très subjective. Elle diffère entre celui qui est au front et celui qui est à l’arrière, entre le vainqueur et le vaincu, entre le blessé et celui qui reviendra avec une médaille. Pour un combattant qui a connu d’autres campagnes et d’autres batailles, est-ce que El Alamein lui apparaîtra comme la bataille la plus décisive à laquelle il aura participé ? Faut-il raisonner en termes d’effectifs engagés, de pertes en hommes, en termes de conséquences stratégiques ? Il est indéniable et indiscutable que la bataille d’El Alamein, au sens large : de juillet à novembre 1942, fut une des grandes batailles de la seconde guerre mondiale. Il me semble que les combats de juillets furent décisifs. La bataille menée par Monty est indubitablement une grande bataille et une grande victoire. Mais ce ne fut pas un succès décisif. Néanmoins elle s’inscrit dans un tournant essentiel au sein de la guerre, dans le contexte d’un théâtre d’opérations aux conditions de guerre bien particulières qui laisseront une empreinte indélébile dans la mémoire de ceux qui y participèrent.
231 illustrations NARA et IWM légendées en complément de mon livre “La préparation du Jour J”
Recension “Okinawa”
Recension “Une autre histoire des samouraïs”
“LA PREPARATION DU JOUR J” éditions Ouest-France
Recension “Infographie des guerres franco-allemandes”