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14/18 en 39/45: influence et permanence de la Grande Guerre sur la Seconde Guerre mondiale

Quelle fut donc l’influence du premier conflit mondial sur le second ?

Les deux guerres mondiales ne sont pas seulement distantes d’à peine une vingtaine d’années dans le temps, elles sont indissolublement liées par des liens de causalité. Bien plus, sur le plan militaire, ces liens étroits se traduisent par des similitudes aussi bien sur le plan humain que matériel, voire doctrinal. Quelle fut donc l’influence du premier conflit mondial sur le second ? Loin d’être exhaustive, cette courte étude se veut un début de réflexion sur ce vaste sujet.

Les hommes : combattants des deux guerres et sujets des empires coloniaux

Soldats de la Wehrmacht capturés en Normandie. Beaucoup de quadragénaires et de quinquagénaires ont déjà combattu au cours de la Première Guerre mondiale, et pas uniquement parmi les cadres…

Une génération à peine sépare les deux conflits mondiaux. Nombre de combattants ont donc dû vivre les deux terribles épreuves. Pour ceux qui étaient encore des jeunes gens dans les tranchées en 14/18, la Seconde Guerre mondiale les surprend à un âge mûr, fin de la trentaine pour les plus jeunes, ou quadragénaires : un âge qui ne les dispense pas du service actif, au besoin (mais non de façon systématique) au sein d’unités de l’arrière. Toutefois, la violence qui s’est déchaînée au cours de la Première Guerre mondiale a bouleversé à jamais la psychologie de ceux qui l’ont vécue. Si l’expérience du conflit précédent pourra certes être de quelque utilité (le soldat n’est plus un « bleu »), la guerre s’est modernisée et les plus âgés ne sont pas forcément les mieux équipés et, surtout, ils sont souvent mobilisés –en Allemagne comme en Union Soviétique- par nécessité lorsque les pertes immenses consenties depuis l’entrée en guerre conduisent les gouvernements à « racler les fonds de tiroir ». L’expérience de la débâcle de 1940 a d’ailleurs un goût amer pour les anciens poilus de 1914 : à quoi bon les souffrances endurées sur la Somme et à Verdun ? La France ne sait-elle plus se battre ?

Bien plus, les généraux de la Seconde Guerre mondiale sont d’anciens combattants de la Grande Guerre pour beaucoup d’entre eux et en particulier pour ceux qui occupent les postes les plus élevés de la hiérarchie. Leur personnalité est déjà apparente en 14/18 et, souvent, leur façon de mener les combats prend racine dans leurs pratiques de la Grande Guerre. Ainsi, Patton, cavalier dans l’âme et premier commandant d’une formation de blindés américains au front en 1918 est-il devenu l’un des meilleurs généraux spécialistes de blindés du conflit. Le Rommel s’infiltrant au sein du dispositif français en mai 1940 ne rappelle-t-il pas le jeune officier subalterne vainqueur des Italiens au mont Matajur? Les hommes politiques de la Seconde Guerre mondiale sont parfois directement liés à la guerre précédente. Songeons ainsi au maréchal Pétain, considéré un temps comme le « sauveur de la France » et un espoir alors que la France demande l’armistice. Pétain est alors un mythe, celui du « vainqueur de Verdun ».

Australiens pendant la Grande Guerre: leurs fils combattront pour l’Angleterre vingt ans plus tard

Autre point commun sur le plan humain, on fait une nouvelle fois appel aux ressources de l’empire, notamment à ce que le général Mangin appelait « la force noire » avant 1914. Quant à l’armée britannique, en 1914 comme en 1939, elle demeure composite (par nécessité pour aligner des effectifs suffisants), reflet de son immense empire. Canadiens, Australiens, Néo-Zélandais et Indiens sont à chaque fois mis à contribution (volontairement pour les soldats des Dominions), et ce de façon décisive sur tous les fronts. A ce propos, comment ne pas faire le lien entre l’armée des généraux Murray et Allenby (en Egypte et en Syrie-Palestine) en 1917/18 et la Western Desert Force et la 8th Army en 1940/43? En revanche, l’idéologie raciste qui prévaut dans l’Allemagne nazie et l’absence de colonies font que l’Allemagne n’engagera pas cette fois-ci d’unités composées de Noirs comme en 1914-18.

Permanences au sein des unités : régiments, chevaux, voies ferrées…

Véhicule allemand hippomobile en URSS pendant la Seconde Guerre mondiale

Ces hommes vont retrouver des unités dont les faits d’armes les lient directement à la Grande Guerre. Chez tous les belligérants, nombre d’unités arborent avec fierté qui un insigne, qui un drapeau de régiment orné de noms de batailles, qui un numéro faisant référence au conflit précédent. Les unités australiennes et néo-zélandaises ont toutes une numérotation commençant par « 2 », par référence et comme signe de continuité avec l’unité similaire levée en 14/18. Ainsi, la 2nd New-Zealand Division de Bernard Freyberg n’est pas la 2ème division d’infanterie de la Nouvelle-Zélande mais son unique division d’active portant le numéro 2 puisque la première fut celle qui combattit 20 ans auparavant. De façon similaire, chaque bataillon australien est numéroté de façon identique: 2/13, 2/20…

L’organisation des armées et des nombreuses unités n’a en outre pas forcément fondamentalement évolué depuis le conflit précédent. Ainsi, le cheval y tient encore une place majeure. La plupart des armées restent non motorisées pour une large part et l’artillerie hippomobile restera majoritaire dans l’armée allemande jusqu’à la fin de la guerre. Les chevaux se retrouvent aussi au sein des formations de cavalerie qui existent dans les armées des principaux belligérants. La désillusion née de l’utilisation de la cavalerie en 14/18 (si on excepte quelques chevauchées mémorables notamment en Palestine et en Syrie en 1918), n’a donc pas sonné le glas de cette arme jadis jugée noble. L’utilisation qu’en feront les Soviétiques démontre le potentiel encore réel de la cavalerie. Comme en 14/18, monter à cheval est plus un moyen de locomotion rapide avant de combattre à pied qu’une monture pour mener la charge.

Corolaire direct de l’importance encore accordée au cheval et à l’absence de motorisation générale, la voie ferrée tient un rôle de premier plan absolument crucial pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris pour les armées les plus motorisées que sont les armées américaine et britannique. L’armée allemande, en particulier, réussira le tour de force à transférer sans difficultés majeures des divisions du front de l’Est au front de l’Ouest et vice-versa. Sa logistique sera avant tout l’affaire de convois ferroviaires sauf impossibilité presque totale (Afrique du Nord, Grand Nord vers Mourmansk). Bien que motorisées, les armées américaine et britannique doivent absolument remettre en état le réseau ferré français et renouveler le stock de matériel roulant pour assurer l’approvisionnement jusqu’aux frontières du Reich. De la même manière, l’aide apportée par les Américains aux Soviétiques dans le cadre du Prêt-Bail inclut de nombreuses locomotives et des wagons en quantité.

Des armes qui traversent les deux conflits

S’il est bien un domaine dans lequel on décèle permanences et continuités entre les deux guerres, c’est bien celui des armes. Nombre d’entre-elles sont utilisées aussi bien en 14/18 qu’en 39/45. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène: budgets alloués à la défense resserrés dans les années 20 et existence de stocks et surplus, existence d’armes toujours efficaces et suffisantes pour les besoins tactiques, nécessité de faire flèche de tout bois pour équiper l’ensemble des unités faute de disposer d’une production de guerre suffisante. Dans le domaine des armes individuelles, citons le pistolet Lüger, les revolvers modèle 92 français et Webley, le mousqueton Berthier, les fusils Gewehr 98, Lebel, M1903 Springfield, Arisaka… Plusieurs mitrailleuses reprennent du service: Lewis (qu’on retrouve notamment sur les premiers camions du Long Range Desert Group), MG 08/15 (pour les unités allemandes de second ordre, ou pour renforcer la puissance de feu, notamment sur le Mur de l’Atlantique), voire fusils-mitrailleurs Chauchat… Ces armes sont rarement attribuées aux formations d’active de première ligne mais restent suffisantes pour des tâches secondaires sur les arrières, les lignes de communications ou pour des missions de surveillance diverses.

Si, bien entendu, les avions et les tanks sont de 14/18 sont remisés (il y a certes bien eu de FT-17 affectés notamment à la protection des aérodromes français en mai-juin 1940), de même que les crapouillots et autres Minenwerfer qui sont les ancêtres des mortiers plus modernes, nombre d’armes lourdes abondamment utilisées au cours de la Première Guerre poursuivent leur belle carrière dans la Seconde. C’est le cas aussi de nombreuses unités navales, au besoin refondues et mises aux nouvelles normes de guerre. L’artillerie est en partie la même au cours des deux guerres. Les canons sur voie-ferrée français participent aux deux conflits. Le fameux canon de 75 mm français participe -non sans efficacité- à la campagne de 1940. Les Allemands en saisissent de grandes quantités et, pourvu d’un nouveau bouclier et d’un frein de bouche, il devient le Pak 97/38 A ce titre, ils participent aussi bien aux combats de Russie que de Normandie. Sur le Mur de l’Atlantique, de nombreuses pièces d’artillerie de prise -comme le Schneider modèle 13 de 105 mm ou encore le 155 mm GPF (Grande Portée Filloux)- sont réutilisées par les Allemands. Des pièces de 155 mm françaises participent également à la campagne de Libye au sein des forces de l’Axe (certaines appartiennent à l’armée italienne depuis le conflit précédent). Les pièces d’artillerie françaises de 1914 sont d’ailleurs à l’origine de canons de l’autre guerre: le 75 mm du Sherman dérive du canon français et le fameux « Long Tom » est un 155 mm français amélioré. Bien des innovations de la Grande Guerre -mitraillettes, généralisation des mitrailleuses, lance-flammes…- voient leur développement et leur utilisation s’accentuer. D’autres -les gaz en particulier- ne seront pas employées.

Les armes les plus meurtrières –l’artillerie et les mortiers- restent les mêmes. La baïonnette, généralement raccourcie chez les nouveaux modèles de fusils (le paroxysme étant atteint avec la baïonnette dite « clou » du Lee-Enfield N°4 Mk I), symbole –dans l’image d’Epinal- des charges de la guerre de 14, ne fera pas plus de morts en 39/45 qu’au cours de la première guerre. Elle reste pourtant dans l’attirail de tous les soldats. Comme leur aînés, la plupart des soldats de la Seconde Guerre mondiale sont victimes de l’artillerie (et des mortiers).

Une apparence similaire d’une guerre à l’autre

 En haut, en kaki: 1940. En bas, en bleu horizon: 1916.

Pour un oeil non averti, particulièrement sur les clichés en noir et blanc, la silhouette du piou-piou de 1940 ressemble à s’y méprendre à celle de 1916. De fait, les casques des principaux belligérants de 1939 sont très semblables à ceux des armées qui combattaient 20 ans plus tôt. Le symbole national que représente la forme du casque semble en effet bien ancré. Le « Tommy » porte toujours un « plat à barbe », certes d’un modèle différent (mais, pour des raisons d’identification nationale, comme les Canadiens, les Anglais n’adopteront pas le nouveau casque américain USM1). Le casque français modèle 1926 est très proche du célèbre casque Adrian de 1915 (d’ailleurs, certaines unités portent encore l’ancien casque). Si ce n’était la couleur khaki de la capote de drap, certaines formations évoluant à pied ou à cheval et dotées de fusils Lebel ressemblent à s’y méprendre aux poilus de 1916-18. L’allure du Landser de 1939 n’est pas non plus sans évoquer le soldat du Kaiser de la fin de la guerre précédente, au moins en ce qui concerne les lignes générales du casque d’acier. Le Stahlhelm 35 dérive en effet du modèle 1916, avec des formes plus ramassées aboutissant à une protection optimale du combattant par ailleurs ainsi pourvu d’une coiffure assez esthétique. Sous les tropiques, le casque colonial n’a parfois pas évolué : c’est le cas du type Wolseley, le plus répandu au sein des forces du Commonwealth.

La coupe de certains uniformes et l’équipement individuel du soldat sont parfois similaires ou très proches d’une guerre à l’autre. Des stocks du premier conflit mondial sont d’ailleurs largement sollicités pour équiper la troupe, plus particulièrement les unités de seconde ligne ou les armées de petites nations aux ressources très limitées. Le soldat allemand porte toujours un uniforme Feldgrau et enfile le plus souvent une paire de bottes, comme en 14. Son équipement individuel standard est toujours en cuir et la casquette modèle 43 (ainsi que le modèle tropical de l’Afrika Korps et celui des Gebirgsjäger) s’inspire directement de la coiffure des troupes autrichiennes de 14/18. S’il ne porte plus de casquette, le combattant russe monte en ligne avec une tenue similaire à celle de l’armée tsariste, dont on finira par reprendre les pattes d’épaules et autres éléments caractéristiques au cours du conflit. De l’allure générale du GI’s de 1944 découle une image de décontraction et de modernisme. Pourtant, lorsque l’Europe s’embrase en 1939, la tenue standard de l’US Army semble pour le moins compassée dans sa coupe. Il n’est pas jusqu’au fameux chapeau type presse-citron pour lui donner une image passéiste. De fait, une partie de l’équipement individuel en coton filé est similaire, voir identique, pendant les deux guerres. Même constat chez les Australiens qui montent au combat en Libye en 1940 avec une tenue qui rappelle que trop bien 14/18 : fusils Lee-Enfield Mk III, tenues de drap,Leather Jerkins et casque plat à barbe ou –à l’arrière- le célèbre Slouch Hat, ce chapeau en feutre qui résume à lui seul l’identité de celui qui le porte.

Les tactiques : quelques continuités

L’ombre de la Première Guerre mondiale porte également sur les tactiques. Sans entrer dans les détails d’un combat particulier, relevons quelques éléments. Sur mer, si le premier porte-avions est mis au point par les Britanniques en 1918 (le HMS Furious), les implications tactiques (voire stratégiques) qu’implique ce nouvel instrument de combat n’est clairement appréhendé par aucune amirauté en 1939. Les Japonais, dont l’escadre de porte-avions sonne le lever de rideau sur la guerre du Pacifique, attaquent Pearl Harbour selon un schéma inédit (mis à part le précédent anglais à Tarente) mais, outre que les porte-avions américains ne constituent en aucune manière un cible prioritaire ce 7 décembre 1941, les amiraux japonais (y compris Yamamoto) entendent l’emporter sur la flotte américaine à l’issue d’une bataille navale rangée dans laquelle cuirassés et croiseurs tiennent le rôle principal (c’est le but recherché lorsque l’offensive est lancée sur Midway au printemps 1942). Pourtant, en 1939-45, l’utilisation du porte-avions, inventé en 14/18, révolutionne la guerre navale. Les autres aspects de la guerre sur mer font-ils aussi exception en étant radicalement différents? Il semblerait bien que non. En 1939-45, comme en 1914-18, après avoir semble-t-il oublié la leçon, les Alliés en reviennent à la navigation en convois de leurs cargos dûment escortés par des destroyers. Même si on privilégie encore la destruction des navires marchands au canon à l’utilisation de la torpille, les U-Boote ont certes beaucoup évolué dans leurs capacités, de même que les moyens employés pour les contrer (« Huff-Duff », Asdic qui est pourtant mis au point dès 1918, …). Si la flotte de surface de la Kriegsmarine de 1939 n’est qu’un bien faible reflet de la Hochseeflotte de 1914, les deux marines allemandes en ont été réduites à mener toutes les deux une guerre de course avec une poignée d’unités sur les mers et océans éloignés du globe.

Les Stoβtruppen

Les techniques d’infiltration des Stoβtruppen ne vont pas être sans influencer ce qui donnera le Blitzkrieg allemand des premières années de guerre. Tirant enseignement du premier conflit, les Allemands comprennent l’importance du tank, de la mobilité et de la percée en profondeur débouchant sur des encerclements. C’est précisément la rapidité d’action des Allemands en 1940 qui surprend l’état-major français. Si ce dernier n’est pas en retard d’une guerre, il raisonne selon des schémas hérités de 14/18 : un assaut allemand, pense t-il, ne peut s’effectuer sans le concours d’une puissante préparation d’artillerie et les unités motorisées devront s’adapter à la vitesse des divisions d’infanterie. Dans les deux cas (songeons notamment aux Stukas qui suppléent au manque d’artillerie lorsque Guderian traverse la Meuse à Sedan), la Wehrmacht surprend son adversaire.

L’impact de la guerre de 14/18 se voit également dans la façon dont les généraux de la Seconde Guerre mondiale, qui ont été souvent des officiers subalternes au cours du conflit précédent, mènent les opérations. Témoins de boucheries monstrueuses ainsi que du règne en maître de l’artillerie, ces généraux sont décidés à épargner le sang de leurs hommes et à n’attaquer qu’à la faveur d’un assaut méticuleusement préparé. On songe naturellement à un Montgomery, taxé le plus souvent d’une prudence excessive, sans qu’il faille oublier qu’il n’a jamais manqué de rendre visite à ses troupes a contrario de son expérience de jeune officier plongé dans l’enfer des tranchées en 14/18 où il n’a jamais eu l’occasion d’apercevoir un général. Les tirs de barrages qui annoncent les grandes offensives alliées (soviétiques comme anglo-saxonnes) rappellent elles-aussi les terribles préparations d’artillerie de 1914/18, mais, si leur ampleur est impressionnante, ils le cèdent en durée à ceux de 14/18. La portée de pièces s’est accrue cependant, de même que leur mobilité et, surtout, point désormais de bombardements s’éternisant pendant des jours, au risque de perdre le bénéfice de la surprise face à un adversaire maintenant en mesure de faire intervenir des réserves rapidement.

Creuser, se fortifier, adopter une posture défensive… : voilà bien un des legs de la Première Guerre mondiale. Croyant épargner des vies et son sol, la France se dote d’un puissant système défensif –la Ligne Maginot- et adopte un plan de bataille qui prévoit de stopper l’ennemi à l’abri de défenses établies sur plusieurs cours d’eau en Belgique. La guerre de position, s’appuyant parfois sur un système de tranchées similaire à celui du conflit précédent, est une réalité en plus d’une occasion en 39/45 : de grandes portions du front de l’Est, notamment sur le front du Heeresgruppe Nord ou, à une échelle plus restreinte, sur la Ligne Gustav en Italie ou encore en Normandie, face à la tête de pont alliée à l’est de l’Orne en juin-août 1944. Coups de main, frappes de l’artillerie, barbelés, boue, monotonie… : bien des similitudes avec la guerre des tranchées des poilus. Mais, en 1939, les armées ont des mines (antipersonnel et antichars), des mortiers transportables de divers calibres et bien plus d’armes automatiques.

Les deux guerres ayant été menées dans tous les types d’environnement et sous toutes les latitudes, différents types de tactiques se retrouvent dans les deux conflits, mais pas tous. Les tactiques de guerre urbaine sont plus caractéristiques de la Seconde Guerre (songeons à Stalingrad), de même que les combats dans le bocage. Les opérations amphibies ont également évoluées de telle manière qu’elles ne sont plus comparable (comment comparer un débarquement à bord de chaloupes comme à Gallipoli en 1915 avec un assaut mené en 43-45 par des Marines à bord de péniches LCVP et de tracteurs LVT ?). En revanche, on s’est battu en montagne, dans le désert et, dans une bien moindre mesure, dans la jungle au cours des deux guerres. Dépourvu de tout l’attirail moderne disponible en 1939, les chasseurs alpins qui combattent en haute altitude dans le Caucase, dans les Alpes ou dans les Apennins sont contraints d’affronter l’adversaire dans des conditions similaires à celles qu’ont connu leurs aïeux sur le front italien ou roumain en 15/18. L’enfer vert de la jungle de Nouvelle-Guinée a frappée tout autant les Australiens en 14/18 (avec les effets terribles de l’humidité intense sur les blessés) que, par exemple, en 1942 sur la piste de Kokoda. En Afrique du Nord, la mobilité de l’Afrika Korps et de ses adversaires impose une guerre de mouvement, aux antipodes de l’expérience vécue par les troupes de Commonwealth et des Germano-Turcs qui se sont affrontés au Moyen-Orient au cours de la guerre précédente. Pourtant, lorsqu’il crée le Long Range Desert Group en 1940, Ralph Bagnold a à l’esprit l’expérience des Desert Patrols qui ont combattu les Sénoussis dans le désert libyen 25 ans plus tôt. Si la tactique de l’Afrika Korps reste sans lien avec celle des Askaris de Lettow-Vorbeck en Afrique Orientale en 1914-18, l’uniforme originel du célèbre corps d’armée de Rommel n’est pas sans avoir été influencé par celui des troupes coloniales allemandes du début du siècle.

Le char, le tank, est une invention de la Première Guerre mondiale. Si ses premières interventions sur le champ de bataille se sont soldées par bien des déboires, son engagement massif dans les offensives de l’Entente en 1918 a tenu un rôle dans la victoire. Les deux camps n’en tireront pas les mêmes conclusions. Ces premiers chars sont lents et vulnérables. Ils marchent au pas de l’infanterie qu’ils ont pour mission de soutenir. En 1940, à l’opposé des Allemands, les Français et les Britanniques emploient une grande partie de leurs tanks à cette tâche de soutien (ce qui génère d’ailleurs une dispersion bien regrettable). Les Anglais ont d’ailleurs des « Infantry Tanks« , Matilda puis Valentine, bien dans la continuité de 14/18. Bien plus, lorsque le général Percy Hobart prend les rênes de la 79th Armoured Division avec pour mission de mettre au point des blindés pour briser les défenses du Mur de l’Atlantique le 6 juin, on ne trouve pas meilleur dispositif que fixer sur des Churchill AVRE des rouleaux de fascines (si ce n’est des ponts) pour franchir les fossés antichars: c’est tout simplement une méthode employée au cours de la guerre précédente.

Autre constante entre les deux guerres, le mépris de la vie humaine affiché par le haut-commandement russe: plus encore que l’armée du tsar, l’Armée Rouge fait fi de toutes considérations humanitaire en ce qui concerne ses propres troupes. L’évolution tactique au cours de la guerre et la mise en pratique d’un art opérationnel dûment théorisé n’y changent absolument rien: comme en 1914, les Frontoviki subissent des hécatombes du début à la fin des deux guerres.

Permanences dans la stratégie

Si l’armée française tient le rôle majeur au sein de l’Entente jusqu’à la victoire de 1918 alors que l’armée russe s’est écroulée, le schéma est inversé en 1939-45: l’Armée Rouge est essentielle à la victoire des Alliés et supporte le choc de l’invasion nazie alors que l’armée française ne jouera qu’un rôle secondaire et non décisif jusqu’en 1945…

Pourtant, en dépit de cette différence essentielle entre les deux guerres, des similitudes se font jour sur le plan stratégique. Certes, la France s’attend cette fois-ci à mener une guerre longue, espérant asphyxier l’économie allemande. Les Allemands, au contraire, misent, comme en 14, sur des campagnes remportées rapidement puisque le temps joue contre eux. L’Allemagne, pilier de la coalition à laquelle elle appartient au cours des deux guerres, doit également se résoudre à combattre par deux fois sur deux fronts après avoir vainement tenté d’éviter ce qui est un écueil stratégique majeur (plan Schlieffen en 14; tentative de paix avec l’Angleterre en 40). Les deux guerres embrasent l’ensemble de la planète, notamment en raison du fait que les puissances européennes sont également des puissances coloniales. Certes, nulle épopée à la Lawrence d’Arabie au Moyen-Orient ni de geste africaine dans la savane semblable à celle de Lettow-Vorbeck. Toutes les mers du globe sont également touchées. Par deux fois, les U-Boote vont sérieusement menacer les liaisons maritimes de la Grande-Bretagne, faisant à chaque fois de la bataille de l’Atlantique un des champs de bataille majeurs et cruciaux du conflit. Le Royaume-Uni est également touché pendant les deux guerres par des bombardements aériens. Pourtant, comme en Allemagne, les quelques tonnes de bombes larguées ne soutiennent pas la comparaison avec le Blitz (les attaques de la Luftwaffe sur les villes anglaises en 40/41) et moins encore avec l’intense campagne de bombardements menées par les forces aériennes alliées sur le Reich. Cependant, la peur du Zeppelin constitue les prémices de celle que susciteront un temps les bombes volantes V1 et les fusées V2 en 1944.

Gallipoli

L’importance accordée par les Britanniques aux opérations périphériques sur des fronts secondaires pour mieux affaiblir l’ennemi est une autre constante. Dans les deux guerres, les Anglais préconisent des offensives contre les armées du pays jugé le maillon faible de la coalition adverse: l’empire ottoman en 14/18 et l’Italie en 39/45. Le théâtre des opérations est à chaque fois la Méditerranée (quoique tout de même plus axé vers le Moyen-Orient et la Méditerranée orientale pendant la Grande Guerre). Dans les deux cas, le canal de Suez apparaît être un enjeu essentiel pour les deux camps. Ainsi, en 1915-18, les Britanniques (et leurs alliés mais le rôle essentiel est tenu par les forces du Commonwealth, au moins au Moyen-Orient) lancent-ils des opérations à Gallipoli puis Salonique, depuis Bassorah et en Syrie-Palestine. Dans l’autre guerre, outre la guerre du désert, les Britanniques parviennent à détourner l’effort de guerre des Alliés en Méditerranée en procédant à trois opérations amphibies successives: en Afrique du Nord (opération Torch), en Sicile (opération Husky) et en Italie (opération Avalanche). Ce front méditerranéen et moyen-oriental est trop longtemps négligé par les Allemands au cours des deux guerres qui ne consentent à y épauler leurs alliés que par des unités trop peu nombreuses (Asien Korps puis Afrika Korps).

Plus à l’Est, le théâtre des opérations d’Asie-Pacifique peut apparaître comme secondaire à un Européen. Il ne l’est certainement pas pour un Américain, un Australien, un Japonais ou un Chinois. En 1914, l’empire du Japon, alors allié à ceux qu’il va affronter 25 ans plus tard, fait main basse sur la majeure partie des possessions allemandes de la région. Ces territoires feront d’excellentes bases de départ pour la conquête de la « sphère de coprospérité ». Le legs entre les deux guerres est ici immédiat.

Mis à part ses possessions dans le Pacifique, Etats-Unis seront épargnés sur le plan territorial. Une situation similaire au conflit précédent. Comme au cours de la Grande Guerre, ces derniers apparaissent comme étant les grands vainqueurs du conflit. Les dégâts matériels subis sur le territoire et les pertes civiles sont mineurs, les pertes militaires, certes non négligeables, restent raisonnables, si tout au moins on puisse employer cet adjectif. Bien plus, encore une fois, et de façon beaucoup plus nette et justifiée que pour la Grande Guerre, les Américains apparaissent comme les « sauveurs ».

Chansons et surnoms de 14 en 39

Certaines rengaines de 14/18 encore la guerre suivante: « Tipperary », « La Madelon », « Over There », « Argonnenwald »… Les surnoms donnés aux soldats parfois également: le Britannique reste le Tommy et l’Allemand « the Hun« . Mais l’Américain n’est plus le Sammy ou le Doughboy mais le GI. Pour les Français, l’Allemand, plus que le Boche, est avant tout le Fritz, le Schleu, etc.

Combattants en 14/18; généraux et leaders en 39/45

Patton

De Gaulle, Hitler, Patton, Rommel, Montgomery, etc: ils ont combattu au front et connu l’enfer de la Grande Guerre. Churchill, premier Lord de l’Amirauté en 1914, retrouve ce poste en 1939. Tous ces hommes, marqués par ce conflit titanesque, vont présider au destin de millions d’autres au cours d’un second conflit encore plus meurtrier. Il n’y a guère Staline et Roosevelt qui n’ont pas combattu en 14/18.

Symboles

Certains événements survenus au cours de la Seconde Guerre mondiale sont comme un écho à d’autres moments historiques du conflit précédent. Les souvenirs reviennent à plus d’un général lorsque leurs troupes parviennent à Verdun ou encore à Tannenberg. Rethondes, près de Compiègne, est encore plus chargé de Sens. Le 11 novembre 1918, c’est à bord d’un wagon, ensuite pieusement conservé, que Foch impose l’armistice à une Allemagne vaincue avant le Diktat de Versailles. Sensible au sens de l’Histoire et décidé à effacer cette humiliation, c’est à bord du même wagon dans la même clairière que Hitler impose aux plénipotentiaires français les conditions de l’armistice du 22 juin 1940. Le dictateur nazie croit avoir effacé 1918 par 1940.

Des guerres de coalitions

On attribue à Foch cette formule célèbre : « depuis que je sais ce qu’est une coalition, j’admire beaucoup moins Napoléon ». Les pouvoirs conférés à Foch en 1918 préfigurent d’une certaine manière ceux de Wavell dans la cadre de l’ABDACOM et plus encore ceux d’Eisenhower au sein du SHAEF. Cependant, seul ce dernier peut être véritablement considéré comme un commandement suprême unique aux pouvoirs étendus. Comme au cours de la guerre précédente, les Alliés ont dû composer avec des intérêts nationaux divergents, aussi bien sur le plan diplomatique qu’au niveau stratégique et opérationnel.

Conclusion : Les deux guerres mondiales qui ont endeuillé le vingtième siècle recèlent donc bien des similitudes : les mêmes hommes ont parfois participé aux deux conflits ; les armes, les tenues et l’équipement sont parfois les mêmes ou liés dans la même évolution ; les opérations menées au cours de la Seconde Guerre mondiale ont marqué de l’expérience tactique, opérationnelle et stratégique de la guerre précédente. Si les Première et Seconde Guerre mondiales sont marquées par des génocides –arménien dans le premier cas, juif dans le second- les différences l’emportent cependant, ne serait-ce que par l’ampleur des pertes, du caractère total de certains affrontements (la guerre à l’Est) et des destructions subies pendant la Seconde Guerre mondiale qui s’achève par l’apocalypse atomique. Les armées, mieux motorisées et bien mieux équipées dans l’ensemble, ont connu également une évolution qui ne cessera de toute la guerre : si, en 1939, certaines d’entre-elles rappellent encore leurs illustres prédécesseurs de 1918, les armées de 1944-45 ont désormais un caractère moderne nettement plus marqué, aussi bien dans l’uniforme et le matériel que dans les tactiques. Il en va de même du règlement du conflit par les vainqueurs, soucieux de ne pas rééditer les mécomptes du traité de Versailles de juin 1919.