Seconde Guerre Mondiale WWII

TERMINOLOGIE ET SECONDE GUERRE MONDIALE

Examinons 3 exemples: le 6 juin 1944, le front de l’Est et la guerre du Pacifique.

Que recouvre le nom ou l’expression retenu pour caractériser ou tel combat ou événement de la Seconde Guerre mondiale? Cela est-il fonction du contexte, du pays, du point de vue adopté? Examinons 3 exemples: le 6 juin 1944, le front de l’Est et la guerre du Pacifique.

Quel mot ou expression pour désigner le 6 juin 1944?

L’opération « Overlord » est une des campagnes les plus célèbres du conflit. En France, le Débarquement (avec un « D » majuscule) c’est aussi le Jour J. C’est surtout le début de la Libération (on oublie tout de même que la Corse a été libérée en septembre 1943). La Libération est associée -à juste titre- à un cortège de réjouissances après la sombre nuit de l’Occupation. Pour nombre de Français, encore aujourd’hui, les Alliés, et plus particulièrement les Américains (on finit, dans l’imagerie populaire, par passer sous silence l’immense contribution des Anglo-Canadiens), sont venus les libérer du nazisme et de l’occupation allemande. C’est aussi le retour de la démocratie et des libertés fondamentales qui lui sont rattachées (a contrario du régime de Vichy). D’ailleurs, de façon incroyable, pour beaucoup de Français, la guerre se termine avec la libération de Paris…

Pour les Américains et les Britanniques, on parle certes du D-Day, c’est à dire le Jour J, sans avoir besoin de préciser lequel: le D-Day c’est celui du 6 juin 1944. Mais, pour les stratèges alliés de 1944 et leurs généraux, l’assaut à travers la Manche c’est aussi « the invasion », l’invasion du continent européen sous la botte nazie, l’invasion de la « forteresse Europe ». La victoire sur l’Allemagne nazie suppose de reprendre pied sur le continent, en France car c’est la route qui mène au coeur du Reich. Plus que libérer les peuples opprimés par une barbarie sans nom, il s’agit avant tout de vaincre, ce qui suppose d’ »envahir » le territoire occupé par l’armée adverse pour la réduire à néant: l’objectif est bien de détruire la Wehrmacht puis la capacité de l’Allemagne à poursuivre la guerre.

Les Allemands emploient la même expression: « Die Invasion ». Le débarquement allié ne peut bien sûr en aucun cas être assimilé à une libération (particulièrement à l’époque) même si in fine la défaite du III. Reich a aussi « libéré » le peuple allemand d’une dictature que beaucoup avaient docilement acceptée et suivie. Le terme est donc explicite: l’ennemi prend pied sur un territoire -l’Europe continentale (au moins sa partie ouest)- faisant partie du glacis protecteur du Reich: on se bat en Normandie pour la victoire, on s’y bat pour protéger le Vaterland de l’invasion.

La guerre germano-soviétique

Ce terme (ou encore la guerre soviéto-allemande) me paraît très approprié pour caractériser l’immense confrontation qui a mis aux prises deux adversaires formidables en Europe de l’Est de 1941 à 1945, confrontation qui, à bien des égards, a décidé du sort de la guerre. Il est justement intéressant de se pencher sur la terminologie souvent acceptée à son endroit. On parle souvent du « Front de l’Est ». C’est la vision originelle des Allemands et de leurs alliés puisque, géographiquement, le territoire de l’Union soviétique se trouve à l’est de l’Europe centrale dominée par le Reich. Ce faisant, ainsi qu’en témoigne l’immense historiographie qui a eu cours pendant des décennies, on adopte le point de vu, forcément quelque peu biaisé, du camp allemand. On emploie également l’expression « front russe », qui procède de la même démarche, mais qui fait fi d’une réalité: la Russie est alors soviétique et se rattache à un ensemble plus vaste, l’URSS. C’est une manière de ne pas vouloir déceler les caractéristiques d’un peuple qu’on assimile aux seuls Russes (la même distorsion existe avec l’Angleterre/le Royaume-Uni/la Grande Bretagne).

Que disent les Soviétiques et les Russes à leur suite? Pour eux, cette guerre est la « Grande Guerre Patriotique » (la « Guerre Patriotique » est la confrontation victorieuse face aux armées napoléoniennes). Il s’agit donc d’une lutte pour la patrie, pour sa sauvegarde, ce qui n’est pas faux si on songe aux projets meurtriers des nazis à l’égard des peuples slaves. De façon significative, on ne parle pas de lutte pour le communisme ou pour le système soviétique, n’en déplaise sans doute à ceux qui voudraient faire leur l’affirmation nazie selon laquelle la Wehrmacht a constitué un rempart face aux « hordes bolcheviques ».

Pour les Finlandais, qui se disent par un tour de passe-passe de vocabulaire co-belligérants des Allemands et non leurs alliés, c’est la guerre de continuation (après la défaite de l’hiver 1940). On objectera que parler de guerre germano-soviétique c’est oublier un peu rapidement les contingents alliés des Allemands, parfois très nombreux: Roumains, Hongrois, Finlandais, Italiens, Slovaques, Espagnols sans parler des quelques milliers de volontaires de la « Croisade contre le Bolchevisme ». C’est ignorer que l’opération « Barbarossa » a été lancée à l’instigation de l’Allemagne et que c’est elle qui, de bout en bout, fournit l’essentiel des effectifs et définit l’essentiel de la stratégie.

Des mots chargés de sens pour caractériser la guerre germano-soviétique

L’immense confrontation que fut la guerre à l’Est est globalement vu -encore de nos jours en dépit de travaux qui sortent du lot (cf la très réussie « Guerre Germano-Soviétique » de Nicolas Bernard) selon le prisme allemand, d’abord car les ouvrages furent d’abord essentiellement écrits d’après les souvenirs, témoignages et archives allemandes mais aussi car le contexte était alors à la Guerre Froide. Si toute cette littérature qui perdure encore de nos jours n’est pas à rejeter, il est tout de même caractéristique de constater qu’un parti pris semble parfois d’emblée adopté par l’auteur. Il est question du « drame du front de l’Est ». Mais de quoi s’agit-il? Des exactions des Einsatzgruppen à l’encontre des Juifs? Des misères du peuple soviétique face aux atrocités allemandes? Non, le « drame » c’est la défaite (glorieuse pourrait-on dire à en lire certains) de la Wehrmacht et la « retraite de Russie ». Car il s’agit bien de cela: la retraite menée avec brio face à un ennemi très supérieur en nombre. Trop peu d’ouvrages parlent de « reconquête » du territoire soviétique ou encore de la « victoire de l’armée rouge ». Il est au contraire plus fréquent de mentionner la défaite de l’armée allemande, de l’invasion de l’Allemagne, voire d’un crépuscule des dieux wagnérien… D’ailleurs, on ne rate jamais l’occasion d’accorder un chapitre entier aux viols commis par l’Armée rouge et à ses autres exactions, certes réelles, en Allemagne alors que, bien souvent, une étude de « Barbarossa » en 1941 suivra les groupes d’armées allemands les uns après les autres sans forcément s’appesantir longuement sur le cortège d’horreur qui accompagne la conquête nazie.

La guerre du Pacifique?

La guerre qui oppose l’empire du Japon aux Alliés de 1941 à 1945 est passée à la postérité sous le vocable de « guerre du Pacifique ». De fait, le front décisif est bien celui du Pacifique (il y en a deux en fait) mettant aux prises essentiellement les Américains et les Japonais. De Pearl Harbor à Hiroshima en passant par Midway, Guadalcanal, Tarawa et autres Okinawa, tout semble en effet se focaliser sur la confrontation entre ces deux puissances. Cette vision est très américano-centrée. Mais elle a le mérite de mettre l’accent sur le théâtre des opérations décisif de la guerre dans cette partie du monde: c’est dans le Pacifique que se décide la guerre menée contre le Japon.

Pourtant, la Chine est envahie dès 1937 (1931 pour la Mandchourie) et l’armée japonaise y entretiendra l’essentiel de ses forces terrestres jusqu’en 1945 (cette guerre est appelée la guerre sino-japonaise). Deux autres confrontations majeures ont lieu sur le continent: en Malaisie et surtout en Birmanie face aux Britanniques (et aux Chinois) de 1942 à 1945 ainsi qu’en Mandchourie, envahie par les Soviétiques en août 1945. Il serait donc plus juste de parler de la « guerre d’Asie-Pacifique », et ce d’autant plus que l’immense majorité des tués seront des Asiatiques (des Chinois en premier lieu) et que les forces engagées y seront conséquentes (y compris pour l’USAAF et ses bases de B-29 en Chine).

Les Japonais parlent quand à eux de « la guerre de la Grande Asie orientale », ce qui traduit à la fois l’importance accordée aux opérations sur le continent asiatique mais aussi la vision impérialiste du Japon d’alors qui entendait bâtir en Asie et dans le Pacifique une sphère de coprospérité à l’avantage du Japon. Celle-ci concerne d’ailleurs avant tout des territoires asiatiques puisque le raz-de-marée dans le Pacifique vise tout d’abord à s’assurer d’un glacis protecteur qui serait à même de décourager les Etats-Unis. Par ailleurs, la guerre est menée à l’initiative d’une puissance asiatique d’Extrême-Orient, le Japon. Il a été un temps question de « la guerre de 15 ans » (de 1931 à 1945), ce qui semble la détacher de la Seconde Guerre mondiale sur le plan temporel tout en s’écartant de tout référent géographique.

Conclusion: Ces quelques exemples nous montrent que la terminologie retenue, loin d’être anodine, reflète la perception différente du même événement de la Seconde Guerre mondiale selon le pays concerné. On aurait pu multiplier les exemples. Cela ne relativise en aucune manière l’Histoire qui n’est en aucune manière que points de vue. Cela nous rappelle au contraire combien l’objectivité, ou en tout cas le fait de tendre vers elle, constitue un élément essentiel du travail de l’historien.