L’esprit impérial de Robert Gildéa, Passés Composés, 2020
Ce livre m’a intéressé, le sujet est passionnant, mais il est mal traité et peu objectif. Sur la colonisation et la décolonisation, s’il convient certes d’éviter les nationalistes à la Lugan, capables de justifier l’injustifiable, il faut également fuir les gauchistes enclins à imposer leur vision totalement biaisée, anti-européenne et militante des événements. Je recommande en revanche vivement plutôt la lecture de The Decline and Fall of the British Empire 1781-1997 de Piers Brandon, Les empires coloniaux européens 1815-1919 d’Henri Wesseling ou La question post-coloniale d’Yves Lacoste.
L’auteur s’est fait remarquer par une vision apparemment outrancière de l’occupation allemande en France, qui n’aurait pas été si pénible que supposée (mais, n’ayant pas lu ses travaux, j’ignore si la critique de son livre est justifiée), ce qui augurait mal du présent ouvrage.
L’esprit impérial est certes intéressant à lire, soulevant de bonnes questions, évoquant des moments difficiles et essentiels de l’histoire coloniale des deux principaux empires coloniaux outremer de l’Histoire: ceux de la France et de l’Angleterre (étant entendu que les conquêtes terrestres effectuées au 19e siècle par les Etats-Unis et la Russie ne disparaîtrons jamais, sans même évoquer la Chine…). R. Gildea montre bien comment ces deux pays ont difficilement accepté la perte de ces empires et que de nouveaux fantasmes d’empire se sont mis en place, mais il semble généraliser quelque peu ou prêter des intentions, voir attribuer la notion impérialisme (dans le sens « empire colonial » ou équivalent) à tout et n’importe quoi.
Si la période de la colonisation est rapidement traitée (ce qui est dommage), la suite a son intérêt, même si on ne suit pas toujours l’auteur dans ses conclusions. Gildea a parfois tendance à s’écarter trop de son sujet, notamment lorsqu’il évoque longuement la construction européenne ou ce qu’il prétend être un néo-colonialisme (il est aussi question de l’empire néo-libéral), même si le lien peut être fait avec l’effondrement ou non des empires (mais c’est loin d’être le seul facteur ou que celui-ci soit vraiment déterminant).
Je suspecte surtout Gildea d’être très marqué politiquement, un écueil grave pour un historien, surtout s’il éprouve des difficultés à s’écarter de ses conceptions personnelles dans son propos, qui semblent percer ça et là un peu trop souvent. S’agit-il d’un livre d’histoire ou d’un essai politique engagé? Il faudrait à tout le moins avoir l’honnêteté intellectuelle de l’annoncer en avant-propos. L’auteur peine à masquer ses opinions dans sa manière de narrer l’épisode dramatique de la grotte d’Ouvéa. Lorsqu’il est question des excuses d’Emmanuel Macron pour les crimes du colonialisme, crimes qui sont avérés et indéfendables (seuls quelques racistes de mauvais aloi y verrons autre chose), il est tout de même inouï que R.Gildea ne semble voir aucune imperfection ni aucun crime du côté des Africains, dont bien des leaders sont tout sauf des démocrates (sans parler de leur implication totale dans la traite négrière, dont ils partagent la responsabilité aux yeux de l’Histoire). On en retire également l’impression que l’idée d’impérialisme et de conquête ne serait que le fait d’Européens (et au mieux des Japonais)…
Le reste du texte est à l’avenant. Lorsqu’il est question du ressenti du récit de la libération par les ressortissants des anciennes colonies, l’auteur cite une interview à Q News, sans en discuter le propos, d’autant plus qu’on ne voit pas en quoi cela s’oppose au discours de Norman Tebbit cité juste avant. Quant à l’opération Serval, présentée par de façon éhontée par certains comme « une politique de la canonnière » de type colonial, il aurait été bon que l’auteur ne se contente pas de citer comme il le fait à maintes reprises: qu’il commente en toute impartialité. Il aurait pu aussi se dispenser de prétendre que la décision de frapper Daech marque le retour de pratiques « néo-coloniales » de la part de la France. Je ne le suis pas non plus lorsqu’il cite Edgar Morin et Patrick Singaïny, sans en discuter le propos, et écrit que les « immigrants d’origine arabe et musulmane, soutenaient les deux auteurs, étaient ghettoïsés dans les banlieues où ils résidaient, harcelés par la police « (sic!). Le pire est lorsque R. Gildea ose comparer l’intervention des forces de l’ordre françaises dans les banlieues avec des pratiques coloniales (re-sic!): on est dans le déni absolu et dans le non-sens.
Que dire aussi quand il affirme que la dernière intervention du Royaume-Uni contre un dictateur « fasciste » était l’offensive sur Suez, contre Nasser, qui ne correspond en rien à cette définition… d’autant qu’on sent poindre dans la même phrase un attrait pour les Brigades Internationales, en oubliant largement que la plupart des Républicains étaient loins d’être plus démocrates et moins cruels dans leurs pratiques que les Nationalistes (à tout le moins le POUM et les communistes), qui, bien entendu, et Franco le premier, ne méritent pas non plus notre admiration, loin s’en faut.
L’ouvrage explique la fin des empires coloniaux, et surtout les conséquences qui s’ensuivent au sein des anciennes métropoles, qui voient l’arrivée de ressortissants d’anciens territoires colonisés, ainsi que dans les anciennes colonies elles-mêmes. Le propos n’est pas nouveau, il a déjà été abordé par Yves Lacoste dans La question post-coloniale (bien plus crédible lorsqu’il évoque les banlieues, non conçues dès l’origine comme des ghettos n’en déplaise à Gildea), et ce de façon plus honnête à mes yeux, quoique cet auteur soit aussi très politisé. Le propos de Gildea est ici plus pertinent que dans d’autres pages : les descendants des populations colonisés souffrent d’une nouvelle forme d’exclusion, un racisme qui rappelle le « temps des colonies » et il y a bien une fracture coloniale, mais, en revanche, nulle intention originelle de les « parquer » dans des banlieues: c’est leur niveau social qui l’explique avant tout (mis à part les Vietnamiens fuyant le communisme, les élites et les plus éduqués restent souvent dans leur pays d’origine, sans que cela soit certes systématique). L’auteur semble oublier d’ailleurs que ces problèmes seraient beaucoup moins marqués en l’absence de chômage et de crise économique. Il semble aussi oublier que les Belges, Polonais et autres Italiens ont vécu le même mépris au cours de la première moitié du 20e siècle, ans que la colonisation y soit pour quelque chose (que dire aussi des non-WASP aux Etats-Unis ou, actuellement, des Turcs en Allemagne). Le propos est donc encore une fois bien rapide…
Cet écueil de biais politique militant n’est pas le seul dont souffre l’ouvrage.
On ne peut pas dire que R. Gildea soit très au fait de la Seconde Guerre mondiale sur le plan factuel, en tout cas dès lors qu’on aborde les questions militaires (c’est pire chez certains universitaires français pourtant « spécialistes » de la période). Hitler ne convoite pas la Syrie et le Liban en 1941, et Rachid Ali ne se rapproche de lui qu’en raison de l’hostilité de la Grande Bretagne qui va intervenir contrer lui, alors qu’il n’est pas ouvertement germanophile. Quant aux protocoles de Paris signés par Darlan, ils ne sont pas vraiment suivis d’effet à Dakar et à Bizerte, sans compter qu’à cette date il n’y a plus d’appareils de la Luftwaffe en Syrie. J’ai aussi découvert que les Japonais se sont emparés de Calcutta et de Colombo: erreur de « débutant », mauvaise relecture ou marque de celui qui ne s’intéresse nullement à l’histoire militaire (classique chez les universitaires « spécialistes » de WWII)… Un peu gros, tout de même… Quant à l’affirmation que les troupes de l’empire britannique répugnaient de plus en plus à obéir, c’est une contre-vérité, particulièrement pour les Indiens et les Népalais (et je ne parle pas des Dominions…). Je veux bien en revanche admettre que la reprise des Philippines par les Américains en décembre 1943 soit une faute de frappe, ou une étourderie…
Bref, il y a de meilleures lectures sur le sujet, comme celle-ci:
L’esprit impérial de Robert Gildéa, Passés Composés, 2020
Ce livre m’a intéressé, le sujet est passionnant, mais il est mal traité et peu objectif. Sur la colonisation et la décolonisation, s’il convient certes d’éviter les nationalistes à la Lugan, capables de justifier l’injustifiable, il faut également fuir les gauchistes enclins à imposer leur vision totalement biaisée, anti-européenne et militante des événements. Je recommande en revanche vivement plutôt la lecture de The Decline and Fall of the British Empire 1781-1997 de Piers Brandon, Les empires coloniaux européens 1815-1919 d’Henri Wesseling ou La question post-coloniale d’Yves Lacoste.
L’auteur s’est fait remarquer par une vision apparemment outrancière de l’occupation allemande en France, qui n’aurait pas été si pénible que supposée (mais, n’ayant pas lu ses travaux, j’ignore si la critique de son livre est justifiée), ce qui augurait mal du présent ouvrage.
L’esprit impérial est certes intéressant à lire, soulevant de bonnes questions, évoquant des moments difficiles et essentiels de l’histoire coloniale des deux principaux empires coloniaux outremer de l’Histoire: ceux de la France et de l’Angleterre (étant entendu que les conquêtes terrestres effectuées au 19e siècle par les Etats-Unis et la Russie ne disparaîtrons jamais, sans même évoquer la Chine…). R. Gildea montre bien comment ces deux pays ont difficilement accepté la perte de ces empires et que de nouveaux fantasmes d’empire se sont mis en place, mais il semble généraliser quelque peu ou prêter des intentions, voir attribuer la notion impérialisme (dans le sens « empire colonial » ou équivalent) à tout et n’importe quoi.
Si la période de la colonisation est rapidement traitée (ce qui est dommage), la suite a son intérêt, même si on ne suit pas toujours l’auteur dans ses conclusions. Gildea a parfois tendance à s’écarter trop de son sujet, notamment lorsqu’il évoque longuement la construction européenne ou ce qu’il prétend être un néo-colonialisme (il est aussi question de l’empire néo-libéral), même si le lien peut être fait avec l’effondrement ou non des empires (mais c’est loin d’être le seul facteur ou que celui-ci soit vraiment déterminant).
Je suspecte surtout Gildea d’être très marqué politiquement, un écueil grave pour un historien, surtout s’il éprouve des difficultés à s’écarter de ses conceptions personnelles dans son propos, qui semblent percer ça et là un peu trop souvent. S’agit-il d’un livre d’histoire ou d’un essai politique engagé? Il faudrait à tout le moins avoir l’honnêteté intellectuelle de l’annoncer en avant-propos. L’auteur peine à masquer ses opinions dans sa manière de narrer l’épisode dramatique de la grotte d’Ouvéa. Lorsqu’il est question des excuses d’Emmanuel Macron pour les crimes du colonialisme, crimes qui sont avérés et indéfendables (seuls quelques racistes de mauvais aloi y verrons autre chose), il est tout de même inouï que R.Gildea ne semble voir aucune imperfection ni aucun crime du côté des Africains, dont bien des leaders sont tout sauf des démocrates (sans parler de leur implication totale dans la traite négrière, dont ils partagent la responsabilité aux yeux de l’Histoire). On en retire également l’impression que l’idée d’impérialisme et de conquête ne serait que le fait d’Européens (et au mieux des Japonais)…
Le reste du texte est à l’avenant. Lorsqu’il est question du ressenti du récit de la libération par les ressortissants des anciennes colonies, l’auteur cite une interview à Q News, sans en discuter le propos, d’autant plus qu’on ne voit pas en quoi cela s’oppose au discours de Norman Tebbit cité juste avant. Quant à l’opération Serval, présentée par de façon éhontée par certains comme « une politique de la canonnière » de type colonial, il aurait été bon que l’auteur ne se contente pas de citer comme il le fait à maintes reprises: qu’il commente en toute impartialité. Il aurait pu aussi se dispenser de prétendre que la décision de frapper Daech marque le retour de pratiques « néo-coloniales » de la part de la France. Je ne le suis pas non plus lorsqu’il cite Edgar Morin et Patrick Singaïny, sans en discuter le propos, et écrit que les « immigrants d’origine arabe et musulmane, soutenaient les deux auteurs, étaient ghettoïsés dans les banlieues où ils résidaient, harcelés par la police « (sic!). Le pire est lorsque R. Gildea ose comparer l’intervention des forces de l’ordre françaises dans les banlieues avec des pratiques coloniales (re-sic!): on est dans le déni absolu et dans le non-sens.
Que dire aussi quand il affirme que la dernière intervention du Royaume-Uni contre un dictateur « fasciste » était l’offensive sur Suez, contre Nasser, qui ne correspond en rien à cette définition… d’autant qu’on sent poindre dans la même phrase un attrait pour les Brigades Internationales, en oubliant largement que la plupart des Républicains étaient loins d’être plus démocrates et moins cruels dans leurs pratiques que les Nationalistes (à tout le moins le POUM et les communistes), qui, bien entendu, et Franco le premier, ne méritent pas non plus notre admiration, loin s’en faut.
L’ouvrage explique la fin des empires coloniaux, et surtout les conséquences qui s’ensuivent au sein des anciennes métropoles, qui voient l’arrivée de ressortissants d’anciens territoires colonisés, ainsi que dans les anciennes colonies elles-mêmes. Le propos n’est pas nouveau, il a déjà été abordé par Yves Lacoste dans La question post-coloniale (bien plus crédible lorsqu’il évoque les banlieues, non conçues dès l’origine comme des ghettos n’en déplaise à Gildea), et ce de façon plus honnête à mes yeux, quoique cet auteur soit aussi très politisé. Le propos de Gildea est ici plus pertinent que dans d’autres pages : les descendants des populations colonisés souffrent d’une nouvelle forme d’exclusion, un racisme qui rappelle le « temps des colonies » et il y a bien une fracture coloniale, mais, en revanche, nulle intention originelle de les « parquer » dans des banlieues: c’est leur niveau social qui l’explique avant tout (mis à part les Vietnamiens fuyant le communisme, les élites et les plus éduqués restent souvent dans leur pays d’origine, sans que cela soit certes systématique). L’auteur semble oublier d’ailleurs que ces problèmes seraient beaucoup moins marqués en l’absence de chômage et de crise économique. Il semble aussi oublier que les Belges, Polonais et autres Italiens ont vécu le même mépris au cours de la première moitié du 20e siècle, ans que la colonisation y soit pour quelque chose (que dire aussi des non-WASP aux Etats-Unis ou, actuellement, des Turcs en Allemagne). Le propos est donc encore une fois bien rapide…
Cet écueil de biais politique militant n’est pas le seul dont souffre l’ouvrage.
On ne peut pas dire que R. Gildea soit très au fait de la Seconde Guerre mondiale sur le plan factuel, en tout cas dès lors qu’on aborde les questions militaires (c’est pire chez certains universitaires français pourtant « spécialistes » de la période). Hitler ne convoite pas la Syrie et le Liban en 1941, et Rachid Ali ne se rapproche de lui qu’en raison de l’hostilité de la Grande Bretagne qui va intervenir contrer lui, alors qu’il n’est pas ouvertement germanophile. Quant aux protocoles de Paris signés par Darlan, ils ne sont pas vraiment suivis d’effet à Dakar et à Bizerte, sans compter qu’à cette date il n’y a plus d’appareils de la Luftwaffe en Syrie. J’ai aussi découvert que les Japonais se sont emparés de Calcutta et de Colombo: erreur de « débutant », mauvaise relecture ou marque de celui qui ne s’intéresse nullement à l’histoire militaire (classique chez les universitaires « spécialistes » de WWII)… Un peu gros, tout de même… Quant à l’affirmation que les troupes de l’empire britannique répugnaient de plus en plus à obéir, c’est une contre-vérité, particulièrement pour les Indiens et les Népalais (et je ne parle pas des Dominions…). Je veux bien en revanche admettre que la reprise des Philippines par les Américains en décembre 1943 soit une faute de frappe, ou une étourderie…
Bref, il y a de meilleures lectures sur le sujet, comme celle-ci:
231 illustrations NARA et IWM légendées en complément de mon livre “La préparation du Jour J”
Recension “Okinawa”
Recension “Une autre histoire des samouraïs”