Livre

Recension de “La Guerre de Sécession” de Vincent Bernard

Un récit passionnant consacrée à une guerre fascinante

Vincent Bernard, La guerre de Sécession, Passés Composés, 2022 

Féru de la guerre de Sécession, j’attendais avec impatience le dernier livre de Vincent Bernard et je n’ai pas été déçu. Il s’agit du conflit à propos duquel j’ai le plus lu après la Seconde Guerre mondiale (j’ai même envisagé un temps de me spécialiser sur cette période lorsque j’étais étudiant, avant d’y renoncer au profit de ma passion première : l’Histoire ancienne) et je n’ai pas pour autant perdu le goût de la lecture sur le sujet…Et Vincent Bernard vient de me combler avec cet ouvrage de près de 450 pages et agrémenté de belles cartes (indispensables pour ce genre de livre). 

Un pur moment de bonheur et j’en remercie l’auteur. Comme à l’accoutumée, sa plume est agréable et le style me convient : il s’agit incontestablement d’un auteur qui sait écrire, ce qui n’est pas forcément si courant, notamment en histoire militaire. La citation d’entrée nous fait comprendre d’emblée qu’on est sur le point de passer de belles heures de lectures… 

Outre un certain nombre d’articles, l’auteur a déjà signé trois livres remarquables sur le sujet, dont j’ai salué à chaque fois la sortie, mon préféré étant sa remarquable biographie du général Lee, que j’ai déjà lue à trois reprises. C’est donc un historien parfaitement au fait de son sujet qui traite de cette page passionnante de l’Histoire américaine dans un texte qui complètera utilement, si vous vous cantonnez à la langue française, le bel ouvrage de Keegan chez Perrin (quoique non dénué de quelques erreurs, mais très différent et plus thématique), celui de Noirsain sur la Confédération sudiste (chez Economica), les quelques batailles traitées en français (notamment la campagne de 1864 opposant Lee à Grant, par Sylvain Ferreira), outre les travaux de Farid Ameur, sans oublier la « bible » sur le sujet, à savoir l’ouvrage de référence de McPherson, traduit de l’américain. Les passionnés anglophones complèteront évidemment par la multitude d’ouvrages anglo-saxons disponibles sur le sujet.

Sous la plume de Vincent Bernard, vous retrouvez bien des personnages attendus : Lincoln et Davis, Lee, Grant, Jackson, Stuart, les deux Johnston, Sherman, Beauregard, Longstreet, etc. Mais vous allez sans doute découvrir des personnages des forces armées moins célèbres pour le grand public que le trio Lee-Grant-Sherman: je vous en laisse la primeur… Il en va aussi des événements relatés (y compris sur mer et sur les fleuves), puisqu’on ne peut borner cette immense guerre aux affrontements les plus fameux tels que Manassas, Shiloh, Antietam, Chancellorsville, Gettysburg, etc. Pour celui qui découvre cette guerre (mais pour les autres aussi), les rebondissements rendent la lecture haletante (l’année 1862 retiendra votre attention, de même que les péripéties survenant au Missouri et au Kentucky), sans même évoquer les passages consacrés aux spectaculaires raids et campagnes menés à dos de cheval et que l’on visionne sans difficulté à la lecture d’un texte dynamique et bien charpenté…

            Après une belle introduction très utile pour les lecteurs peu initiés (les enjeux et les dimensions spatiales et chronologiques sont explicités), qui ne fait que donner l’envie de poursuivre la lecture, Vincent Bernard prend le parti de suivre un cadre chronologique (remarquablement bien fait car on embrasse chaque période du point de vue de chaque camp tout en ayant une vision allant de l’Est au Trans-Mississippi, ce qui n’était pas évident) , en mettant l’accent sur les faits militaires (et en évitant les impairs comme présentant Gettysburg comme le “tournant” de la guerre), ce qui est parfaitement justifié au regard du sujet, n’en déplaisent à ceux qui se penchent sur les guerres en négligeant les armées et les champs de bataille, soit l’histoire militaire en tant que telle. Ceci étant, l’auteur ne tombe pas dans le travers d’un récit se bornant à la seule narration des campagnes militaires : les volets politiques et économiques, mais aussi humains (avec les nombreux témoignages) d’un tel conflit armé tiennent une place importante. On apprécie en particulier les extraits bien choisis des journaux nordistes ou confédérés. Indubitablement, le néophyte apprend beaucoup et le lecteur intéressé sans être spécialiste aura la chance de voir rectifier bien des a priori ou des idées reçues sur la guerre de Sécession (un seul exemple: les soldats confédérés ne sont pas de plus en plus dépenaillés au fur et à mesure que le conflit avance, même s’il faut parfois relativiser).

            Le premier chapitre -indispensable- se devait d’aborder les causes de la guerre et de brosser un tableau des deux camps, ce qui est admirablement fait, Vincent Bernard ne tombant pas dans le travers d’une simplification des événements qui sont replacés dans toute leur complexité. La question de l’esclavage –un sujet fort délicat pour Lincoln vis-à-vis des « Border States », mais aussi avec les initiatives de généraux comme Fremont ou Butler- est en effet ici centrale (mais loin d’être unique ni simple), et il y revient évidemment à plusieurs reprises (notamment pour ce qui est de leur engagement en première ligne).  

            C’est ici qu’on apprécie le talent de l’auteur qui a su caser à des moments opportuns, entre deux récits de campagnes ou au coeur de l’une d’entre-elles, des passages nous fournissant des précisions ou des détails sur nombre de sujets. La spécificité de cette guerre et les nouveautés afférentes qui surgissent sont très bien expliquées (en particulier le grand changement de 1864, que je vous laisse découvrir…), de même que les pratiques “anciennes” ou les limites de ces armées un temps formées d’amateurs. Car rien n’est oublié et on apprécie aussi la hauteur de vue de l’auteur qui replace systématiquement les événements au niveau stratégique, parvenant à articuler les faits survenant sur les différents fronts et à percevoir les enjeux, ce qui rend l’ensemble très fluide et parfaitement clair. On sera peut-être surpris de l’absence de tel ou tel détail ou de phrases et déclaration célèbres prononcées à l’occasion de tel ou tel affrontement par les grands généraux ou les hommes politiques, mais il fallait faire des choix et, reconnaissons-le, l’auteur a réalisé le tour de force de saisir l’essentiel sans rester succinct. 

            Le dernier chapitre, évoquant le règlement de la paix et les conséquences jusqu’à nos jours, est à l’unisson de ce qui précède : très bien rédigé et réfléchi (mais trop court à mes yeux). Au final, si le passionné connaît bien évidemment la trame de la guerre et le déroulement de toutes les batailles majeures, il y découvrira comme moi une multitude de petits détails qu’il peut ignorer (ainsi que des témoignages que je ne connaissais pas), et ce dans de nombreux domaines, ce qui est remarquable et justifie à lui seul l’achat de cet ouvrage. Enfin, les annexes sont également très utiles et instructives. 

L’autre intérêt majeur est que le texte s’appuie sur les recherches les plus récentes, dans un contexte qui a vu le déboulonnage et la chute de bien des statues de généraux confédérés : le public français dispose donc d’une somme à jour et érudite sur une des guerres majeures de l’Histoire.

Le livre terminé, curieux d’approfondir, il ne vous restera plus qu’à compléter avec les ouvrages du même auteur évoqués plus haut, avant de vous lancer dans ce que nous offre la gigantesque historiographie américaine. Je vous recommande aussi par la même occasion la remarquable série documentaire de Ken Burns, ainsi que quelques oeuvres du 7e Art : Lincoln, Glory, Gettysburg, Gods and Generals, Retour à Cold Mountain, sans oublier Les Cavaliers (et, pourquoi pas, Le Bon, la Brute et le Truand…).

Vous aurez aussi sous peu l’occasion de découvrir ma modeste contribution à la connaissance cette la guerre qui a opposé les “Yankees” en tuniques bleues aux “Johnny Rebs” vêtus de gris…