Seconde Guerre Mondiale WWII

6 mars 1943: l’ultime attaque de Rommel en Afrique

« CAPRI » : POUR ROMMEL, C’EST FINI

Fin février 1943, à peine a-t-il fini ses opérations au-delà de la passe de Kasserine, que Rommel tourne son regard vers son vieil adversaire : la 8th Army. Le « Renard du Désert » se trouve désormais à la tête du Heeresgruppe Afrika, une entité mise sur pied bien tardivement pour regrouper les deux armées déployées par l’Axe en Afrique du Nord : la Pz AOK 5 et la 1a Armata (ex-Panzerarmee germano-italienne). Cette ultime offensive ne dure que l’espace de quelques heures. Retour sur le déroulement d’une bataille méconnue… 

Pourquoi lancer une offensive dans le sud tunisien? 

Le 20 février, agissant pour soulager quelque peu les Américains bousculés à Kasserine, Montgomery affronte l’arrière-garde de la 1a Armata, en l’occurrence la 15. Panzer-Division, réduite à 20 chars. La démonstration de la 8th Army, demandée par Alexander, reste bien peu probante et ne constitue pas un facteur déterminant dans l’arrêt des opérations au-delà du col de Kasserine. Largement surclassée, la 15. Panzer-Division parvient cependant à se replier derrière la ligne « Mareth » après avoir admirablement affronté l’adversaire. Monty, qui n’a alors qu’une division renforcée dans le secteur de Médenine/Mareth, ne peut guère faire plus pour l’instant. 

C’est le 25 février qu’est décrypté le rapport de Rommel en date du 22 février où il explique l’abandon de son offensive au-delà de Kasserine. Celui-ci s’explique notamment par le renforcement des défenses alliées mais aussi la nécessité de regrouper ses forces mobiles au sud pour s’attaquer à la 8th Army avant que celle-ci ait terminé ses préparatifs offensifs. Il ne s’agit donc pas de conjurer la menace immédiate qu’aurait représentée une avance en force des Britanniques sur Mareth mais de prévenir celle-ci. Les Anglais apprennent également que le Comando Supremo estime que Montgomery ne serait pas susceptible d’attaquer pour au moins une semaine à compter du 18 février. Il est aussi établi que les Germano-Italiens vont frapper à Médenine au début du mois de mars. Pour ce faire, la 10. Panzer-Division doit se remettre en condition à Sfax tandis que les autres formations motorisées se concentrent à Gabès. Le 27 février est décrypté un message de la veille dans lequel Rommel ordonne de lancer des reconnaissances vers Médenine en prévision d’une attaque le 4 mars (ce qui est effectivement la date initialement prévue par Rommel). Un autre message annonce à Montgomery que les forces de l’Axe disposent de carburant pour trois jours d’opération : Rommel va donc bien attaquer, mais l’offensive ne sera pas d’une ampleur comparable à celle qui a frappé de plein foute le IInd US Corps le 14 février. 

Le 1er mars, Rommel préconise à ses supérieurs de réduire drastiquement le front pourvu que la logistique de la tête de pont soit assurée. La supériorité numérique et matérielle des Alliés devient en effet écrasante. Dans ces conditions, il s’enquiert également auprès de Kesselring, de l’OKW et du Comando Supremo sur la façon dont ils envisagent la suite des opérations en Afrique. Keitel et Jodl sont étonnamment réceptifs à ses vues. Pour Kesselring, l’aviateur, il est impensable d’abandonner des aérodromes de première importance. Selon lui, il importe par ailleurs de retarder au maximum les préparatifs d’offensive des Alliés et tirer profits des délais ainsi obtenus en renforçant les défenses, notamment dans le sud tunisien. Kesselring appuyé dans ce sens par Goering lors d’un entretien avec le Führer, a même l’illusion de croire qu’il serait possible de renforcer la tête de pont avec trois nouvelles divisions de Panzer et une Leichte-Division, sans que personne ne semble se soucier ni de la façon dont ces unités vont être trouvées ni de la manière dont on va pouvoir continuer à ravitailler la Tunisie. 

Rommel, avec l’assentiment de Kesselring, décide de frapper Montgomery en force tant celui-ci se trouve encore en position de faiblesse relative puisque toutes ses divisions ne sont pas encore sur la ligne de front. Si Rommel ne peut espérer anéantir son adversaire, à moins de surprendre une avant-garde encore peu étoffée, un succès sèmerait le chaos dans l’organisation de l’Anglais et retarderait les opérations offensives de la 8th Army. Rommel se fixe donc Ben Gardane comme objectif ultime : il n’est bien entendu pas question de reconquérir Tripoli. L’Axe estime le dispositif de la 8th Army du nord au sud comme suit : 51th ID, 44 ID, 2nd New-Zealand Division et 7th Armoured Division. Une surestimation de l’adversaire mais qui peut aisément s’expliquer : par exemple, la 131st Infantry Brigade fait normalement partie de la 44th ID (pourtant absente du front) alors qu’elle est rattachée à la 7th Armoured Division. Les Allemands ont donc bien identifiés la présence des Néo-Zélandais alors même que la 8th Army a déployé des trésors d’ingéniosité pour en masquer la montée en ligne, les radios du QG étant manipulées uniquement par du personnel britannique de la 4th Light Armoured Brigade afin que personne ne trahisse l’arrivée de la division par son accent néo-zélandais. 

Une 8th Army réduite mais fin prête 

Quel est le déploiement réel de la 8th Army ? Le 26 février, alors que la bataille de Kasserine vient de s’achever, le XXXth Corps britannique ne compte qu’une seule division déployée à Médenine. L’essentiel de la force de frappe de la 8th Army, les tanks du Xth Corps se trouvent encore à Benghazi, soit à près de 1 600 kilomètres en arrière. Montgomery, qui pense justement que Rommel va tenter de forcer le front au nord a eu toutefois le temps de mettre en place un redoutable dispositif défensif.  

La 51st Highlands est retranchée derrière l’oued Zessar, obstacle naturel renforcé par pas moins de 70 000 mines et couvert par plus d’une centaine de pièces antichars et 80 chars Valentine. Le 28 février, les tanks de la 2nd Armoured Brigade, montés sur transporteurs à Benghazi -289 porte-chars sont employés, alors que l’armée de Rommel n’en a disposé qu’avec une extrême parcimonie-, parviennent à Tripoli puis rejoignent la 7th Armoured Division à Ben Gardane (certains ont toutefois dû être déchargé pour permettre de franchir certains ponts). La 2nd New-Zealand Division, la 23rd Armoured Brigade (qui se déploie en soutien des Highlanders) et la 201st Guards Brigade gagnent également la ligne de  front. Prévenue le 28 février, 2nd New-Zealand Division fait montre de la souplesse et de la réactivité dont peut faire désormais preuve la 8th Army. Le 1er mars, lorsqu’elle reçoit l’ordre de monter en ligne, seule la 5th Brigade était en état d’alerte. Toutes les autres unités vaquent encore à d’autres occupations : la 6th Brigade organise ainsi un tournoi de football tandis que le Divisional Cavalry est en pleine phase de test pour ajuster les nouvelles pièces de 37 mm envoyées pour les M3 « Stuart ». Il ne faut que l’espace de deux jours pour que la maintenance des véhicules soit assurée avant le départ, que les bivouacs soient démantelés et que soit accumulé le ravitaillement nécessaire à la montée en ligne suivie de six jours de combats. Il suffit ensuite d’une seule journée pour que la division soit fin prête, sur le champ de bataille, après avoir parcouru 300 kilomètres en une quinzaine d’heures en moyenne. Le trajet s’est fait sans encombre alors même que la route est étroite et non conçue pour un trafic intense. Sérieusement briffés, les cadres de la 2nd New-Zealand Division connaissent parfaitement le terrain à occuper et la tâche qui leur échoie avant même que leurs unités ne soient sur les secteurs assignées.  

Prévenu par ULTRA de l’offensive imminente de Rommel, Montgomery n’est donc pas pris au dépourvu et la 8th Army, très confiante depuis El Alamein, attend son adversaire de pied ferme, derrière un rideau antichar conséquent. Les Britanniques ont ainsi réuni une masse impressionnante de 400 chars, 350 pièces d’artillerie de 25 livres et plus de 460 antichars, dont les premiers canons de 17 pounder (bizarrement surnommés « Pheasants »), à fort pouvoir de pénétration, qui seront les seuls –en Normandie en 1944- à pouvoir détruire à distance les Tiger. La 5th New-Zealand Brigade en perçoit 7 qui sont déployés en profondeur en travers du front, donnant à la brigade une puissance antichar jusque-là non atteinte. La seule 2nd New-Zealand Division aligne 112 antichars et 50 tanks des Staffs Yeomanry sans compter les 16 chars qui accompagnent les FFL ainsi qu’une artillerie de campagne renforcée. Une fois n’est pas coutume, des canons antiaériens de 3.7 inch sont déployés dans un rôle antichar, à l’image des 88 mm de la Flak. De façon anecdotique, les Néo-Zélandais se voient adjoindre une batterie de 88 capturés (baptisée « Mac Troop ») et commandés par le capitaine Downing.  

Du nord au sud, sur près de 40 kilomètres de front, la 8th Army (en fait le seul XXXth Corps) est disposé comme suit : la 51st Highland Division près de la côte (au nord de Kef Ahmed ben Abdullah), puis les « Desert Rats » de la 7th Armoured Division (tenant notamment le Point 270, éminence aussi appelée Tadjera Kbir), puis les Néo-Zélandais, solidement retranchés autour de Médenine, assurent la défense de la partie sud du front, tout en étant prêts à repousser toute tentative en direction de Ben Gardane. Elle engerbe la 4th Light Armoured Brigade, qui inclut alors la Free French Flying Column. Les retranchements sont renforcés par la mise ne place de faux champs de mines. En effet, dans le cas de la division néo-zélandaise, on prévoit une éventuelle intervention de la 8th Armoured Brigade dans une contre-attaque à travers les positions défensives tenues par la 5th NZ Brigade. De vrais mines sont posées le soir en travers des routes menant en position pour être ensuite retirées chaque matin. Avant minuit le 4 mars, les sapeurs de la 7th Field Company sont ainsi en mesure de créer 900 m de faux champ de mines sur le front du 28th Bn, 1 400 mn devant le 21th Bn et 1 700 m en face du 23rd Bn. Ces faux champs de mines sont disposés de telle façon à canaliser l’avance des Panzer dans des secteurs prédéterminés sur les hauteurs. Les blindés, à l’instar de ceux du 4th County of London Yeomanry, mettent à profit les couverts: oueds, oliveraies… 

Le dispositif adopté par Montgomery est clairement défensif. Aucune mesure n’est prise pour une quelconque exploitation du moindre succès : la 8th Army ne prévoie pas de poursuite de l’ennemi. La ligne Mareth devra être prise à la suite d’un assaut méticuleusement préparé. Pour Monty, rien ne sera envisagé avant de pouvoir disposer de 14 jours de ravitaillement. Pour l’heure, il a su conjurer la période de danger avec une célérité qui lui est peu coutumière. Il est désormais assuré d’avoir la capacité défensive suffisante pour contrer toute offensive de Rommel. La Desert Air Force, déjà à l’oeuvre, observe et harcèle l’ennemi et attaque ses aérodromes, dont celui de Bordj Touaz. La bataille approchant, Montgomery enjoint ses hommes « de lui [Rommel] montrer ce que la fameuse 8th Army peut faire ». 

Un « Renard du Désert » peu enthousiaste 

Rommel, contraint d’attaquer à Médenine pour déstabiliser son adversaire, rassemble pour cela 10 000 fantassins et les 10. (35 Panzer opérationnels, mais cela n’inclut que leStab et le I./Pz Rgt 7), 15. (61 Panzer opérationnels) et 21. (46 Panzer opérationnels) Panzer-Divisionen, soit à peine 142 chars. Les seules formations allemandes alignent 124 pièces d’artillerie de campagne, 33 Flak de 8,8 cm ainsi que 58 Pak allant du calibre 5 cm au 7,62 cm. La Trieste et la Spezia possèdent 102 canons d’artillerie de campagne mais une partie est déployée en défensive sur la ligne « Mareth ». Si Rommel a connu pire situation en matière d’infanterie (à Mersa Matrouh ou lors de la première bataille d’El Alamein), sa dotation en chars n’atteint pas celle d’une seule Panzer-Division (il alignait 409 Panzer –en y incluant les réserves- pour la bataille de Gazala). Pis, la plupart des vétérans ont disparu : de tous les officiers arrivés en Libye avec Rommel au début 1941, on n’en compte plus que 19. 

La Colonne Bari, commandée par le général von Sponeck, aligne la 90. Leichte-Division, des groupes de combat des divisions Spezia et Trieste ainsi que de l’artillerie dont des Nebelwerfer de 21 cm, utilisés pour la première fois mais dont la dotation en munitions est des plus minimes. L’Afrika-Korps rassemble les 10., 15. et 21. Panzer-Divisionen, les Auklärungs-Abteilungen 3 et 33, un bataillon de la 164. Leichte-Division, un bataillon de Fallschirmjäger et de l’artillerie. La veille de l’offensive, Ziegler, qui a participé à son élaboration, est remplacé au pied levé par le général Cramer, jusqu’alors chef du Panzer-Regiment 8 de la 15. Panzer-Division. Une décision surprenante à la veille d’une telle confrontation. Ce même 5 mars, Rommel apprend que Hitler a rejeté toutes ses propositions de repli et de raccourcissement du front en vue de solidifier celui-ci. Une nouvelle à même de miner encore davantage son moral défaillant. 

Il ne supervise que de très loin la bataille. De toute façon, le « Renard du Désert » n’est plus animé de la flamme qui l’a porté de succès en succès en France en 1940 ou en Libye. Peut-être est-il amer d’avoir été désavoué par ses supérieurs qui ont permis à Arnim de lancer « Ochsenkopf » dans le nord tunisien. Le 28 février, renonçant à son plan qui préconisait une action en force de deux des trois divisions de Panzer l’Afrika Korps dans le secteur le mieux à même de créer la surprise selon lui, soitle long de la côte vers Bou Grara (alors que la 15. Panzer et la 164. Leichte attaqueraient par le sud en direction du col de Hallouf), il laisse le soin de préparer l’offensive à Messe et à Ziegler, ancien second d’Arnim à la 5. Panzerarmee puis chef de l’Afrika Korps depuis la mi-janvier 1943. Ces généraux expérimentés ont objecté que le secteur, par ailleurs trop étroit et trop mou, est trop densément miné et défendu par trop de canons. Une reconnaissance menée le 3 mars a révélé que les défenses étaient solides dans ce secteur. Par ailleurs, un assaut près de la route côtière suppose au préalable d’ouvrir des passages pour les Panzer à travers les propres champs de mines de l’Axe. Rommel est contrarié par l’opposition de ses subordonnés à son plan et ne prendra plus part à l’élaboration de l’attaque.  

Le plan retenu est donc celui du général Messe : un assaut est lancé sur la route vers Zemlet el Lebene par la Colonne Bari mais l’Afrika-Korps se concentre plus au sud, devant le Tadjera Shir, pour s’emparer de la ligne Hir en Nraa-Ksar Rebounten avec les 15. et 21. Panzer tandis que la 10. Panzer-Division reçoit pour mission d’attaquer encore plus au sud, à travers la montagne, avec Métameur pour objectif. La Luftwaffe et la Regia Aeronautica sont bien évidemment sollicitées : avec 160 appareils opérationnels dont une Gruppe de Me-210 et un autre de Focke-Wulf Fw 190, elles doivent bombarder les aérodromes de la Desert Air Force (dont Messe ne semble guère se soucier), couvrir la zone de rassemblement des forces d’attaque, réduire au silence les batteries d’artillerie déployées à l’est de Zemlet el Lebene, assurer des reconnaissances entre Tatahouine et Ben Gardane et assurer l’escorte de chasseurs pour l’attaque au sol. Ce sont les opérations aériennes qui sont lancées en premier. Le 4 mars, le 4th County of London Yeomanry observe ainsi deux Me-109 entrer en collision et deux autres être abattus au cours d’une mission. L’action de la Luftwaffe semble pourtant modeste : 37 victoires sont homologuées seulement pour la chasse entre le 1er et le 6 mars, et ce pour l’intégralité du front tunisien et pour la perte de 32 appareils. 

La longueur du trajet entre Kasserine et les monts Matmata est telle que l’offensive est repoussée de deux jours et ne sera lancée que le 6 mars. On l’a vu, l’ajournement de l’offensive est mis à profit par Monty pour renforcer ses défenses. Les forces de l’Axe ont sans doute manqué l’opportunité d’attaquer dans des conditions plus favorables. 

A la 15. Panzer, les cadres ne se font aucune illusion : on s’attend à une défense sérieuse. Dans le cas contraire, les plans prévoient une exploitation rapide de toute opportunité. Si les Panzer ne sont confrontés qu’à une faible opposition, ils devront foncer le long du Wadi Hallouf et s’emparer des hauteurs de Hir en Nraa. Adolf Lamm, de la 15. Panzer, se remémore la montée en ligne en soirée du 5 mars alors que la veille trois affrontements de faible ampleur ont déjà eu lieu sur le front de la 51st Highland : « Nous savions que l’action à venir allait dicter notre avenir en Tunisie. La tombée de la nuit est arrivée rapidement, je me rappelle encore de l’image sans fin de Panzer et de véhicules serpentant sur la route du désert. Le silence absolu avait été ordonné mais le martèlement des chenilles des Panzer et le bruit des véhicules devaient être audibles à des kilomètres. Soudain, c’était l’obscurité complète, si noire que de la tourelle du Panzer vous n’étiez pas capable de distinguer l’embout du canon. » Deux hommes doivent marcher de part et d’autre de la route pour éviter à l’engin de verser sur le côté. On s’active aussi « de l’autre côté de la colline » puisque des patrouilles sont lancées, notamment des Bren Carriers de la 5th NZ Inf Bgde qui observent le 5 mars des mouvements de fantassins et de véhicules ennemis qui ne cherchent cependant pas la confrontation.  

L’offensive tourne court 

Rommel a établi son PC sur la cote 715, au sud de Toujane, au point le plus au sud de la ligne « Mareth ». « On avait en ce point une vue remarquable s’étendant loin au-delà de Médenine ». Le 6 mars, il lance l’opération « Capri ». Les trois Panzer-Divisionen partent à l’assaut dans le brouillard sans reconnaissance suffisante du dispositif adverse et se trouvent soudainement confrontées à un mur de feu infranchissable. Les Britanniques ont observé une stricte discipline de feu : l’ordre de tirer n’est donné que lorsque les pièces sont à la distance optimale de pénétration sans risques de ne causer que des égratignures. Les tirs visant les Panzer ne seront en sus que le seul fait des antichars et à courte distance. Les pièces de campagne ne dissiperont pas leur puissance de feu en opérant à très longue distance : leurs cibles seront les autres véhicules et l’infanterie dès que les Panzer seront engagés par les 6 et 17 pounder. Lorsque les Allemands atteignent des zones préenregistrées, les observateurs britanniques s’en donnent à cœur joie. 30 000 obus seront tirés ce jour-là par les batteries du 30th British Corps. A l’inverse, les unités d’écoute et de détection allemande se montrent incapables de déterminer les positions des batteries britanniques.  

Hermann Frömbgen, chef de char de l’ancien Panzer-Abteilung 190 versé à la 21. Panzer-Division rapporte les faits suivants: « Tôt le matin du 6 mars, la puissante colonne de chars se dirigent vers le haut plateau à l’ouest de Médenine. Le groupe d’attaque se déploie sur un large front en sortant du terrain montagneux à Matmata. […] Nous avons déjà parcouru 10 à 15 kilomètres sans que le moindre coup n’ait été tiré. […] Mais, quand nous nous sommes rapprochés à environ 1 000 mètres du terrain plat hors de Métameur, l’enfer se déchaîna. L’ennemi nous frappe avec l’artillerie d’une manière que nous n’avions encore jamais connue. Soudain, les chasseurs-bombardiers firent leur apparition. Ils voletaient au-dessus du champ de bataille à basse altitude et causèrent toute sorte de dommages dans nos rangs. Leurs roquettes faisaient un bruit sourd sur l’acier et le tordaient comme du papier ». Comme à Kasserine, les Nebelwerfer sont mis à contribution. Les positions britanniques sont cependant solides, protégées par des champs de mines et bénéficiant d’un relief propice à la défense. En outre, la DCA britannique s’avère particulièrement efficace pour contrer les assauts des Stukas. La Luftwaffe n’est donc pas en mesure d’apporter le soutien escompté. 

Des Bren Carriers du 21st New-Zealand Bn engagent sept engins de la 164. Leichte-Afrika-Division et infligent des pertes importantes aux Allemands surpris dans la brume. Quand celle-ci se dissipe, alors que l’infanterie de l’Axe a lancé quelques sondes, l’ensemble des forces d’assaut se dévoile peu à peu. L’assaut de la 10. Panzer-Division tourne court après que cinq chars aient été détruits coup sur coup. Au centre, les 15. et 21. Panzer s’avèrent beaucoup plus menaçantes. La 15. Panzer suit l’oued Hallouf en direction de Hir Ksar Koutine et se heurte aux 131st et 201st Guards Bde. Les pionniers n’ont pas été en mesure d’accomplir leur tâche correctement et le soutient promis des Stukas ne se matérialise pas. Un peu plus à l’est, la 21. Panzer attaque les pentes du Tadjera Khir.  

Un premier assaut de la 15. Panzer  repoussé sur le front du 28th NZ Bn 

Vers 8h30, 10 Panzer et 30 camions allemands traversent l’oued sur le front du 28th Bn pour atteindre le champ de mines factice. Les assaillants pivotent vers le terrain ascendant, comme escompté. Le piège fonctionne donc : deux pièces de 6 pounder du 73rd Anti-Tank Rgt incendient coup sur coup quatre Panzer III Spezial à moins de 400 mètres tandis que les mortiers parviennent à en détruire un cinquième. Les équipages des engins perdus sont soumis à des tirs meurtriers de mitrailleuses et de mortiers qui se conjuguent aux frappes de l’artillerie. Ces tirs ont semé le chaos dans la formation blindée allemande mais les Panzerschütze réagissent et parviennent à situer les positions antichars  alliées. Si un canon de 6 pounder est détruit à son tour, les Panzer doivent renoncer et se replier, laissant 15 prisonniers entre les mains des Néo-Zélandais. 

Les Panzergrenadiere doivent se terrer en raison de l’impressionnant déluge de feu qui égaille leurs rangs. Comme à Tobrouk en avril 1941, les Panzer esseulés deviennent des proies faciles. Cette journée sera celle des antichars britanniques. Le 1/7 Queens revendique la mise hors de combat de 27 Panzer après une lutte acharnée, le score s’alourdissant pour les Allemands de 7 chars incendiés par un escadron de Sherman de la 22nd Armoured Brigade. Non seulement, l’Afrika Korps ne perce pas mais il accuse de lourdes pertes en chars. Privé du soutien d’artillerie, des Panzergrenadiere et des Stukas, Irkens, qui commande les chars de la 15. Panzer, tente de balayer lui-même l’artillerie ennemie en poursuivant l’avance mais, ce faisant, il concentre sur lui les tirs des antichars britanniques habilement dissimulés qui conjuguent leurs feux à ceux des canons de 25 livres. Les observateurs d’artillerie allemands s’avèrent incapables de mener à bien leur tâche. Vers 10 heures, l’attaque principale au centre est au point mort. Peu avant midi, la Desert Air Force s’ajoute aux tourments subis par l’Afrika-Korps et 7 Panzer de la 15. Panzer auraient été victimes de ses attaques. L’échec semble définitif. L’Afrika-Korps n’a pas mis en exergue sa capacité à mener d’habiles attaques coordonnées comme par le passé : la coopération interarmes et surtout entre les divisions a été très insuffisante. Pis, Rommel n’y a pris aucune part. 

Ce sont donc les chefs des trois divisions blindées qui organisent de concert un nouvel assaut pour l’après-midi. Cette seconde tentative –les 15. et 21. Panzer tentent de progresser de part et d’autre de l’oued Hallouf- s’appuie davantage sur l’infanterie et l’artillerie mais ne parvient pas plus à ses fins. Pis, ce sont les pièces allemandes qui subissent les attaques dévastatrices des chasseurs-bombardiers anglais. La Luftwaffe ne parvient pas non plus à faire plier la résistance de la 8th Army. Plus tard dans l’après-midi, un rapport erroné mentionne que la 10. Panzer est parvenue à pénétrer les lignes adverses mais, globalement, les trois divisions de Panzer sont stoppées par la puissance de feu d’un adversaire admirablement retranché. Neutralisé par l’artillerie adverse, le QG de la 21. Panzer n’est même plus en mesure de coordonner les éléments de son unité.  

Comment les Panzerschütze ont-ils vécu cet enfer? “C’était la pire journée à laquelle j’ai participé de toute la campagne d’Afrique du Nord” se rappelle Adolf Lamm qui reste frappe de la violence des tirs d’artillerie anglais. “Nous tirions mais j’avais l’impression que nous n’avons jamais clairement identifié une cible”. Blessé après que son Panzer eût été mis hors de combat, il se met à l’abri dans un oued avec ses compagnons. En pure perte: les Allemands y restent coincés de 9 heures à 18 heures. S’il parvient un instant à avoir la vision idyllique et incongrue d’un oiseau perché sur un arbre en fleur aux pétales roses, Lamm subit la pire expérience de sa vie jusqu’à ce que la nuit tombante lui permette de quitter le champ de bataille. Même perception des événements pour le Leutnant Klaus Hubbuch, un autre tankiste, chef de Zug au Pz Rgt 8“Je viens juste d’avoir ma plus difficile journée de combat derrière moi. L’attaque s’est faite contre une position ennemie des plus difficiles”. Hubbuch affirme avoir percé et être parvenu au milieu des positions adverses, faisant de nombreux prisonniers.  

Sur le flanc gauche, la 90. Leichte-Afrika-Division et les groupes de combat de la Trieste et de la Spezia ont certes obtenus quelques succès en début d’opération mais une contre-attaque inspirée de la 154th Brigade a tôt fait de leur faire perdre leurs modestes gains. Les quelques gains obtenus au détriment de la 131st Brigade sont reperdus avant la soirée. L’intervention des blindés n’a quasiment pas été nécessaire sur le front. Le 4th County of London Yeomanry n’a pas eu la moindre chance d’ouvrir le score et si deux tirs sont revendiqués au 1st RTR, le 5 RTR n’a même pas bougé de sa position en réserve. Lorsqu’un de ses escadrons est envoyé vers l’avant en fin de journée, il ne peut engager l’ennemi qui reste hors de portée. On observe toujours, à la nuit tombée, des concentrations ennemies à l’ouest de Médenine. 

A l’autre extrémité du front d’attaque, sur le flanc droit de la 1a Armata, les Allemands se heurtent aux Français Libres à 19 km au sud de Médenine, le long de la route qui mène à Foum Tatahouine. Les assaillants, soit les  Aufklärungs-Abteilungen 3 et 33 ainsi que l’Armeekampfstaffel (avec 9 Panzer, probablement beute), sont tenus en échec par le Free French Flying Column (à ne pas confondre avec la colonne Leclerc qui se trouve alors à Ksar Rhilane) qui accusent la perte de 29 hommes. Un succès obtenu sans la nécessité d’obtenir le moindre appui des autres unités de la 8th Army. Point de débordement sur le flanc sud, vers le désert, comme Rommel était accoutumé à le faire en Libye. Cette option n’a pas été sérieusement envisagée, probablement faute d’effectifs suffisants. 

Après trois assauts infructueux, Rommel, qui n’a suivi l’offensive qu’en observateur alors même que Messe restait dans son QG de la ligne « Mareth », décide d’arrêter l’offensive. Débutée à 6 heures du matin, l’opération « Capri » s’achève dès 17 heures sur un échec cinglant. Si le 7th Argyll and Sutherland Highlanders de la 154th Brigade tente une contre-attaque, elle est toutefois brisée par les mortiers allemands, eux-aussi redoutablement efficaces. La nuit tombée, il s’avère impossible de récupérer les carcasses des engins endommagés : à la 15. Panzer, deux Sdkfz 18 sont détruits dans la vaine tentative. Les troupes regagnent leur ligne de départ à la faveur de l’obscurité mais les tirs d’artillerie alliés poursuivent leur oeuvre de nuisance jusque tard dans la nuit. 

La vigilance est de mise au XXXth Corps car les Britanniques ne savent pas encore que Rommel a renoncé. Pourtant, le décompte des carcasses de Panzer –on en dénombre entre 40 et 50- suffit à considérer une telle éventualité comme très peu probable. Comme à Sidi Nsir la semaine précédente (pendant la désastreuse opération « Ochsenkopf » lancée par Arnim), les équipes de sapeurs alliés mettent un point d’honneur à saborder les épaves qui parsèment le champ de bataille tandis que des tanks renforcent le dispositif en première ligne.  

Les Alliés observent les colonnes ennemies se replier vers les passes convergeant vers Ksar el Hallouf et Toujane. Hors de portée de l’artillerie, elles ne peuvent être prises pour cibles que par la Desert Air Force qui éprouve cependant les pires difficultés à mener des attaques en raison des sorties de la Luftwaffe et de la Regia Aeronautica ainsi que de la couverture nuageuse qui dissimule les convois. La « Currie Force », groupement de circonstance organisé autour de la 4th Light Armoured Brigade, est chargée de balayer par le flanc toutes les unités ennemies qui seraient encore déployées à proximité du front. Le Brigadier Currie constate le retrait des Allemands et n’effectue que quelques tirs d’artillerie sur l’ennemi dans les collines de Ksar el Ababsa avant que celui-ci ne se mette hors de portée. Les différentes divisions continuent de lancer des patrouilles pendant quelques jours mais les échanges de tirs demeurent sporadiques. Le 9 mars, il est établi que la 15. Panzer a repris son rôle de réserve sur le front de Mareth tandis que les deux autres divisions blindées se sont repliées jusque sur Gabès. 

Un bilan sans appel  

« C’est un cadeau parfait et l’homme doit être complètement fou ! » commente Montgomery à Alan Brooke. Le manque d’inspiration du plan retenu et la faiblesse des moyens mis en œuvre ne peuvent que consterner le vainqueur d’El Alamein. Rommel ne  cherche nullement à dissimuler l’ampleur du revers qu’il vient de subir. Il établit les raisons de l’échec et rend hommage à son adversaire. « L’attaque avait échoué à la phase de rupture et nous n’avions jamais pu parvenir à rendre l’action fluide. Le chef anglais avait admirablement organisé ses troupes sur sa ligne de résistance, et ses préparatifs avaient été terminés avec une remarquable célérité. Bref, l’attaque avait été lancée huit jours trop tard ». Après avoir admis qu’il avait subi de lourdes pertes, il dresse un bilan accablant : « Mais le coup le plus dur était encore la certitude que nous n’avions pu interférer dans les préparatifs de Montgomery. Une profonde dépression s’abattit sur nous ». Il se destine vraisemblablement cette dernière remarque. 

La Wehrmacht a perdu 640 hommes, dont à peine 83 hommes sont tombés aux mains des Britanniques, ce qui reste modeste. Les pertes en chars sont plus sérieuses puisqu’on les évalue entre 44 et 56 Panzer. Elles se ventilent comme suit au sein des trois divisions : 24 à la 15. Panzer, plus de 20 à la 21. Panzer et 7-8 à la 10. Panzer. Le constat est sans appel : une offensive de Panzer a été enrayée par un mur antichar étalé en profondeur et bénéficiant du soutien massif de l’artillerie de campagne. Les Britanniques ont tenu compte des leçons du passé : on ne combat pas les Panzer avec les tanks mais avant tout avec des canons antichars soutenus par de l’artillerie. Les 400 chars anglais sont à peine intervenus… 

Les pertes de la 8th Army sont « insignifiantes » pour reprendre le terme employé par l’histoire officielle britannique : 130 hommes seulement. La 2nd New-Zealand Division ne compte ainsi que 7 tués et 41 blessés, la plupart ayant été touchés au cours d’attaques aériennes. Le KTB de la 15. Panzer mentionne pourtant la capture de 170 prisonniers de la 51st Highlands (ce qui confirme les écrits du Leutnant Hubbuch). 32 canons antichars britanniques ont été détruits et 6 tanks incendiés. 16 blindés de reconnaissance ainsi que 33 autres véhicules ont également été perdus. Au final, comme Rommel l’a lui-même établi avec lucidité, rien qui ne soit en mesure de retarder un temps soit peu les opérations de la 8th Army. 

« Capri » devait-elle être lancée ? 

            Rommel semble désabusé et avoir perdu toute confiance dans l’entreprise avant même que l’offensive ne commence. Le « Renard du Désert » semble avoir débuté « Capri » ayant déjà pour acquis qu’il subira une défaite. Que fut cette attaque si ce n’est une charge en avant dépourvue de toute subtilité ? Dans ces conditions, fallait-il donc attaquer ? Dans les messages interceptés par ULTRA cités en début d’articles, les Alliés apprennent que Rommel déplore qu’Arnim ait lancé l’offensive« Ochsenkopf » dans le nord de la Tunisie (qui plus est vers Béja et non plus seulement contre Medjez-el-Bab comme prévu)car cette dernière, loin de détourner l’attention des Alliés du repli de l’Afrika-Korps au-delà de Kasserine, a surtout causé de lourdes pertes en Panzer et a retardé de quelques jours le redéploiement des divisions de Panzer, sans compter que nombre de blindés ont été immobilisés au nord pour prendre part à cette offensive.   

Les effectifs à disposition de Rommel étaient trop faibles pour pouvoir espérer l’emporter. Outre « Ochsenkopf », la bataille de Kasserine a elle-aussi laissé des traces. A la veille de l’attaque, le 13 février, la 21. Panzer compte ainsi 85 Panzer opérationnels pour l’opération « Frühlinswind » (sur 91). Le 5 mars, à la veille de « Capri », elle n’en aligne que 46 en état. L’effet de surprise est par ailleurs réduit à néant par les décryptages d’ULTRA. Certes, les messages envoyés par Bletchley Parks ne suffisent pas à eux-seuls pour contrer l’ennemi : encore faut-il mettre en œuvre une parade efficace (il serait toutefois erroné que les défaites des prédécesseurs de Montgomery laissent penser que seul ce dernier a su utiliser les rapports d’ULTRA avec efficacité).  

Cette défaite semblait inévitable. Elle pose assurément un constat : l’Afrika-Korps n’est plus en mesure de l’emporter sur la 8th Army. Le temps des victoires de Gazala ou de « Battleaxe » ou encore d’une occasion manquée comme « Crusader » est bel et bien fini. Comme Montgomery l’a écrit lui-même, Rommel eût été plus inspiré de conserver ses ressources pour la défensive.  

Conséquences 

L’opération « Capri » est la dernière offensive de l’Axe en Afrique du Nord. Les Alliés ont désormais l’initiative jusqu’à la fin des opérations. La défaite confirme à Rommel que la situation en Afrique du Nord est désormais désespérée mais elle n’a même pas eu le mérite d’ouvrir les yeux à Hitler et Mussolini qui s’accrochent contre toute logique au maintien de la tête de pont en Tunisie alors même que la logistique n’est pas convenablement assurée. De son côté, Montgomery, conforté dans sa haute estime de lui-même par cette victoire obtenue sans mérite, ne voit dans la bataille de Médenine qu’un contretemps dans les préparatifs de sa propre offensive. Comme d’accoutumée, le général anglais s’avère absolument incapable de saisir une occasion de faire subir une défaite encore plus décisive à son adversaire. Le général anglais estime qu’une armée doit toujours tenir en équilibre en toute circonstance. Avec seulement trois divisions, il ne s’estime pas prêt pour emporter la ligne « Mareth ». Dans le camp allié, comment ne pas esquisser une comparaison entre la victoire sans appel et indiscutable brillement obtenue par la 8th Army et l’humiliation subie par le IInd US Corps à Kasserine quinze jours plus tôt. L’image du GI ne peut être que défavorable en comparaison avec le Tommy

A la suite de cet échec cuisant, Rommel quitte l’Afrique par avion le 9 mars, pour ne plus jamais y revenir. Il cède son commandement à Arnim, le General der Panzertruppe von Vaerst étant pour sa part placé à la tête de la 5. Panzerarmee. Désormais, les forces germano-italiennes vont subir les assauts des Alliés jusqu’à la défaite finale. Les Alliés n’apprennent le départ de Rommel que le 18 mars et, afin de ne pas trahir l’existence d’ULTRA, nul officier supérieur n’en est informé avant le 24 avril. La campagne qui a fait de lui l’idole de la propagande nazie et qui l’a fait entrer dans la légende de l’histoire militaire s’achève donc de façon piteuse, presque par un désastre.