Cinéma Livre Seconde Guerre Mondiale WWII

Recension de “Le Débarquement. De l’événement à l’épopée”, sous la direction de Jean-Luc Leleu

L’image et la postérité du Jour J: comment s’est forgé le mythe?

Le Débarquement. De l’événement à l’épopée, sous la direction de Jean-Luc Leleu, Presses Universitaires de Rennes, 2018, 309 pages

Il est remarquable qu’on réussisse à sortir des sentiers battus sur un thème si souvent rabâché!! Un livre bienvenu et qu’il faut lire quand on est passionné par le Débarquement, même s’il ne saurait se suffire à lui-même, mais tel n’et pas son objet. Jean-Luc Leleu rassemble en fait des articles qui sont la reprise d’interventions réalisées au cours d’un colloque tenu au Mémorial de Caen en 2014, à l’occasion des festivités liées au 70e Anniversaire du débarquement. De commémorations, il en est justement question dans ce remarquable ouvrage car les thèmes abordés concernent en grande partie l’image et la postérité du Jour J: comment s’est forgé le mythe? Certains auteurs sont des spécialistes incontestés du sujet qu’ils traitent, comme Stephen Hart, Jean Quellien (mon ancien prof de fac et une connaissance lorsque je travaillais à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation), Adam Tooze, etc. Le panel des intervenants est éclectique puisqu’on compte également plusieurs intervenants allemands. L’ensemble de l’ouvrage est bien écrit, pertinent et aborde des sujets passionnants et souvent originaux ou peu traités par rapport au sujet (« Les Français à l’écoute de la BBC » par Aurélie Luneau). De nombreux mythes sont abordés: celui de la « Forteresse Europe », le moral des troupes britanniques (combattre pour la liberté?), le « Blitzkrieg » manqué des forces alliées, etc. Certes, l’article de Peter Lieb sur la violence, son ampleur est ses limites au cours de la bataille est sans surprise, mais, à mes yeux, il faut veiller à ne pas banaliser les crimes de guerre en mettant les exactions des deux camps sur le même pied: à l’encontre des civils, il y a de nettes différences, mais il est juste de reconnaître que certaines divisions SS réputés fanatiques (et le sont de fait) n’ont pas commis spécialement de forfaits pendant la bataille de Normandie. Je ne trouve vraiment pas pertinent d’avoir inclus les victimes civiles normandes des bombardements dans cet article, pas plus qu’on ne saurait passer sous silence le conditionnement idéologique des soldats allemands, SS et Wehrmacht et des conséquences que cela eut.

La partie peut-être la plus passionnante est celle qui concerne le D-Day à travers l’art et les médias, à commencer par le mythe du Jour le Plus Long (le film), longuement traité (et avec bonheur), et les mythes dont l’oeuvre est elle même à l’origine… L’analyse de l’évolution et du sens donné aux commémorations -y compris pour les Allemands- est pertinente et passionnante, un article décortiquant plus particulièrement le sens et le symbole du discours de Reagan à la Pointe-du-Hoc en 1984 (le début des grandes commémorations dans mes souvenirs). « Le débarquement à la télévision française de 1950 à nos jours » de Muriel de la Souchère fait partie de ces articles qui nous font enfin lire autre chose sur le Débarquement. La 5e et dernière partie s’intitule « Faire (re)vivre l’épopée: enjeu du tourisme de mémoire » et elle est captivante: mémoire, guides touristiques, musées… L’analyse que Françoise Passera donne de la muséographie a particulièrement retenu mon attention et ses remarques sont en grande partie fondées (même si je récuse notamment son affirmation selon laquelle présenter des mannequins en situation fait « vieilli »: c’est plutôt l’inverse! Et tout dépend du public recherché!). Si la version revue des articles de 2014 mentionne certains éléments datant de 2015-2016, il est regrettable que les nouveautés de 2017 (Falaise, Catz, …) ne soient pas prises en compte. Enfin, l’article final signé Jean-Luc Leleu offre un bon résumé et une réflexion approfondie de la part d’un spécialiste, même si je ne partage pas du tout son affirmation selon laquelle la guerre a été gagnée sur la front de l’Est. Je renvoie les lecteurs à mon argumentation: ici.

Pour avoir beaucoup lu sur la bataille de Normandie, je peux affirmer que ce présent ouvrage ne fait aucunement double-emploi avec ce qui a déjà été écrit sur le sujet. Une belle initiative.