Seconde Guerre Mondiale WWII

NORMANDIE, FIN JUILLET- DEBUT AOUT 1944 : OFFENSIVES DE BLINDES  

Tanks et Panzer sur l'offensive...

« Cobra », « Bluecoat », « Lüttich » : trois offensives –un succès et deux échecs- lancées en l’espace d’une quinzaine de jours entre le 25 juillet et le 7 août 1944, la troisième résultant de la première et débutant le jour où la seconde –également initiée par la première- est arrêtée. Les trois offensives, « Cobra » l’américaine, « Bluecoat » la britannique et « Lüttich » l’allemande sont toutes lancées sur un espace de combat similaire : un bocage dense sur un terrain vallonnée, parfois même encaissé pour le cas des Britanniques. Similitude de période, de lieu et liens de cause à effet entre les trois batailles : quelles conclusions peut-on tirer de l’engagement des unités américaines, britanniques et allemandes sur l’offensive dans le bocage ?  

COBRA 

Un plan mûrement réfléchi et détaillé 

Le 25 juillet le général Bradley déclenche l’opération « Cobra », dont l’objectif premier est d’enfoncer le front allemand et d’atteindre le sud du Cotentin. Contrairement aux opérations « Bluecoat » et « Lüttich », la mise au point de l’opération « Cobra », réalisée longuement en amont, a été méticuleuse. L’effort principal échoit au VIIth US Corps de Collins, renforcé pour la circonstance, puisqu’il ne dispose pas moins de six divisions, dont les deux divisions blindées de type « lourd » disponibles en Normandie (les 2nd et 3rd Armored Divisions). A l’ouest, le VIIIth US Corps de Middleton doit assurer le succès de Collins en fixant les unités allemandes qui lui font face. Les forces disponibles atteignent 150 000 hommes et plus de 2 500 blindés. L’opération concentre donc des forces considérables sur un front relativement étroit et des effectifs conséquents sont prêts à intervenir en seconde vague. Outre une intervention massive des forces aériennes, l’attaque prévoit un bombardement préliminaire des positions ennemies, afin de neutraliser les batteries d’artillerie, les concentrations de blindés et les réserves ainsi que les voies de communications. Le VIIth US Corps est donc doté d’une artillerie conséquente et pourra bénéficier de l’appoint d’unités d’artillerie de la 1st Army (258 pièces) en sus des bataillons d’artillerie divisionnaires. Les batteries sont approvisionnées à 140 000 coups en prévision des cinq jours que devrait durer la bataille. 

Innovations et souplesse tactique 

La subdivision des divisions blindées en groupements tactiques, les Combat Commands, mais aussi sa faculté de rattacher des unités indépendantes au gré des circonstances démontrent la flexibilité de la doctrine de l’US Army, par ailleurs très bien équipée. Disposer de matériels de qualité en grandes quantités est une chose, en faire bon usage en est une autre. Une des forces de l’US Army est sa grande capacité à s’adapter aux circonstances et à ses adversaires, à apprendre de ses erreurs passées. A la mi-juillet 1944, après un mois d’enfer de guerre des haies, les GIs sont prêts à surmonter le formidable obstacle que représentent les défenses adverses. Outre le « Hedgecutter » et les techniques validées par l’expérience pour circonvenir les défenses d’un secteur bocager, il est prévu que les tanks des éléments de tête des divisions blindées d’exploitation –par ailleurs soutenus de près par l’aviation- fonceront avec huit fantassins montés sur chaque blindé moyen Sherman et quatre sur chaque Stuart. Le plan prévoit aussi que des soldats du génie embarquent également à bord des tanks, les sacs bourrés d’explosifs, prêts à dégager tout obstacle se présentant sur la route ou de creuser une brèche dans une haie. Pour garder le rythme de progression, les colonnes américaines contournent les obstacles, mitraillent et canonnent préventivement les haies de part et d’autre des routes empruntées.  

Le soutien aérien pour l’offensive est massif puisque 3 000 avions sont impliqués dans l’opération. L’objectif du bombardement aérien préliminaire –un bombardement en tapis ou carpet bombing, ce qui une première dans l’US Army. Le 25 juillet, le raid aérien qui ouvre l’opération « Cobra » -soit 60 000 bombes- est effectué comme prévu. Une première vague de 350 chasseurs-bombardiers attaque. Puis 1 500 bombardiers lourds larguent 3 300 tonnes de bombes sur les positions avancées ennemies. 380 bombardiers moyens interviennent également ainsi qu’une nouvelle vague de chasseurs-bombardiers. Les premières lignes allemandes -celles de tenues par la Panzer Lehr– sont anéanties et on compte environ 1 000 morts. L’action de l’aviation alliée ne se borne pas à cette frappe dévastatrice : pour les Allemands, faire monter les réserves en plein jour reste de toute façon une gageure. Partout, des essaims de Jabos sèment la mort et la destruction. Bien plus, la 9th TAF du General « Pete » Quesada assure un accompagnement constant des colonnes d’attaques des forces du VIIth Corps, quatre à huit P-47 « Thunderbolt » étant toujours prêt à opérer des reconnaissances armées ou à lancer une attaque dès qu’un obstacle ralentissait les GIs, procédure facilitée par des liaisons radios entre les avions et les Sherman. Dans le camp adverse, la Luftwaffe lance 400 missions par jour, mais à peine une quarantaine d’appareils atteint le front du Cotentin, et rarement pour assurer des missions d’appui au sol. 

La percée doit être obtenue par l’infanterie 

Dès que le bombardement cesse, les unités d’infanterie américaine sortent de leurs trous et montent à l’assaut afin d’ouvrir un corridor par lequel doivent s’engouffrer les unités de la seconde vague. Contrairement aux Allemands au cours « Lüttich » ou des Britanniques pendant « Goodwood », la percée doit être obtenue par les divisions d’infanterie, ce qui ne veut pas dire sans l’appui de tanks car chaque ID dispose d’une centaine de tanks et de tanks destroyers, soit autant que nombre de Panzer-Divisionen à cette date… Les points de résistance doivent être contournés pour foncer vers l’objectif. Malgré les effets dévastateurs du bombardement aérien, les divisions américaines n’atteignent pas leurs objectifs et constatent avec stupeur que le front allemand tient. Au soir du 25 juillet, la situation est donc décevante dans le camp américain. L’avance est faible car elle n’atteint que 2 kilomètres mais les défenses ennemies sont désorganisées et les réserves lui font défaut. Eisenhower remarque dans « Croisade en Europe » : « Le premier jour l’avance fut lente, mais ce soir-là, le général Bradley me fit remarquer qu’il en était toujours ainsi au début d’un tel assaut ». 

Le bocage est mis à profit par la défense et les armes antichars sont nombreuses 

            Qui sont les défenseurs frappés par l’offensive ? Le LXXXIV. Korps du General von Choltitz regroupe des restes d’une dizaine de divisions usées par la terrible guerre des haies, soit environ 30 000 combattants, 300 pièces d’artillerie, 180 Pak et au mieux 180 blindés opérationnels (sur près de 375), auxquels il convient d’ajouter une quantité impressionnante d’armes antichars portatives. 400 Pak et Panzer ainsi que des Panzerfaust et autres Panzerschreck : une défense certes surclassée en nombre mais potentiellement redoutable avec le bénéfice d’un système défensif élaboré depuis des semaines. Par ailleurs, si le fait que des chars isolés soient intégrés aux défenses paraisse dénoter une dispersion dangereuse des forces, un Panzer ou un Pak isolé peut provoquer des pertes conséquentes, qui en bloquant une colonne, qui en surprenant un adversaire. L’équipage du Panther d’Ernst Barkmann, de la « Das Reich » se distingue ainsi en incendiant pas moins de 15 Sherman en deux jours. 

            Contrairement aux Britanniques lors de « Bluecoat », les Américains vont être confrontés à des forces d’élite, en première ligne. La percée doit être obtenue dans le secteur occupé par la Panzer Lehr de Fritz Bayerlein, sur laquelle va s’abattre le bombardement aérien. Les GIs vont devoir affronter également d’autres forces de premier ordre : les divisions SS « Das Reich » et « Götz von Berlichingen », ainsi que paras de la Fallschirm-StuG Brigade 12, de la 5. FJD et du FJR 6. 

Si, au cours de « Lüttich », les Allemands attaquent un ennemi ne manquant de rien, les Américains lancent au contraire « Cobra » contre un adversaire usé jusqu’à la corde et souffrant d’un ravitaillement erratique. Le carburant disponible dans les stocks se limite à deux jours de combat : au cours de la semaine écoulée, l’essence a été en effet allouée en priorité à la 5. Panzerarmee (autour de Caen) confrontée à l’opération « Goodwood ». Entre le 18 et le 25 juillet, un seul convoi de ravitaillement en essence est arrivé dans le secteur de la 7. Armee. A la suite des combats menés pour Saint-Lô (tombée à peine quelques jours auparavant) et en raison de l’éloignement de la nouvelle base logistique (près de Domfront), la situation est à l’avenant pour les munitions. Au Kampfgruppe Kuske de la « Götz von Berlichingen », on ne dispose que de 30 cartouches par homme et de seulement 1 000 coups par mitrailleuse… Le 26 juillet, le deuxième jour de la bataille, le LXXXIV. Korps a épuisé ses stocks de munitions pour FLAK de 88 mm… 

Des réserves allemandes insuffisantes 

La Panzer Lehr fait intervenir ses maigres réserves épargnées par le bombardement. Pour autant, les défenses sont désorganisées et la Wehrmacht manque d’effectifs suffisants pour renforcer la ligne de front. Les renforts interviennent en ordre dispersé sur un front bien trop large, sans aucun espoir de coordination ni d’assistance mutuelle… Choltitz et Hausser envoient leurs maigres réserves – des éléments de la 353. ID et de la 275. ID (les seules réserves –hippomobiles !- avec des éléments de la « Das Reich ») vers La Chapelle-en-Juger. Kluge, qui semble un peu plus lucide bien que préconisant le retrait de la Panzer Lehr des premières lignes, pense que ces mesures sont insuffisantes et ordonne de contre-attaquer avec la « Das Reich », dont à peine 2 compagnies blindées et 2 compagnies de Panzergrenadiere sont en réserve… . Il plaide aussi auprès de l’OKW pour l’envoi en Normandie de la 9. Panzer-Division, encore cantonnée dans le Sud de la France. La 7. Armee avait en effet maintenue la Panzer Lehr, la « Das Reich » et la « Götz von Berlichingen » en ligne, persuadée que les ID ne pourraient assurer seules une solidité suffisante au front. Les réserves à proximité du front sont donc très faibles. A la veille de « Cobra », le haut-commandement allemand envisage une réorganisation du front, à savoir placer les unités de Panzer en réserve et réunifier les composantes dispersées de plusieurs divisions. Mais l’offensive américaine prend les Allemands de court. 

La mobilisation des réserves est en outre confrontée à une rupture des systèmes de communications entre le front et les principaux QG, qui explique le “brouillard de guerre” qui maintient un temps ceux-ci dans l’ignorance de la situation réelle qui prévaut en première ligne. Pis, lorsque le VIIIth Corps attaque à son tour, il fixe la « Das Reich » (seule unité blindée encore solide avec 120 blindés opérationnels), qu’Hausser s’apprêtait à lancer sur le flanc du VIIth Corps de Collins. La Panzer Lehr, sur laquelle il compte également, n’est pas plus en mesure d’offrir la moindre résistance solide et organisée. 

Puisqu’aucun renfort ne peut arriver avant plusieurs jours jours -mais devant l’avance américaine, c’est en heures qu’il faut compter!- Hausser et Kluge envisagent un repli qui permettrait de désengager des unités de Panzer pour contre-attaquer. C’est ainsi que le 27 juillet, à 9h30, alors qu’il prévoit une intervention conjointe des 2., 21. et 116. Panzer contre les Canadiens, Kluge se ravise et ordonne l’envoi immédiat de la 2. Panzer et du 47. Panzerkorps (ce dernier remplacé par Straube et le 74. Korps) dans le secteur de l’AOK 7. Le 28 juillet, à 10h15, le Panzergruppe doit céder une nouvelle Panzer-Division (la 3e en trois semaines), à savoir la 116. Panzer qui doit se diriger vers le secteur de Vire : il faut absolument endiguer la ruée des Américains qui se rapprochent dangereusement d’Avranches alors qu’une poche s’esquisse autour de Roncey.  

Une exploitation hardie et la saisie d’opportunités 

            Si les Allemands sont à la peine pour réagir avec efficacité, c’est aussi par ce qu’ils sont confrontés à un General Collins au sommet de son art, menant son VIIth Corps avec brio et prenant des initiatives décisives avec l’aval de Bradley. « Cobra » se caractérise par l’intervention des Armored Divisions de la 1st Army au bon moment, suivi par un tempo parfait maintenu sans relâche des Armored Divisions de la 3rd Army (qui prend en charge le VIIIth Corps) jusqu’à la prise d’Avranches. Une opportunité exceptionnelle est saisie lorsqu’il apparaît que l’ennemi est à bout de souffle, incapable de lancer ses contre-attaques immédiates comme il a coutume de la faire : en l’occurrence Collins ne suit pas les règles –s’assurer que le front ennemi est bien crevé- et tente un coup de poker en engageant ses 2nd et 3rd Armored Divisions, au risque de créer un embouteillage. Collins décide donc de faire intervenir ses réserves destinées à la phase d’exploitation dès le 26 juillet. La 1st US ID s’empare de Marigny tandis que la 3rd US Armored de Brooks, contournant les défenses ennemies, fonce vers Coutances, menaçant d’encercler l’aile gauche de Hausser. Chargée de protéger le flanc est de la percée, la 2ndUS Armored de Rose perce sur 12 kilomètres de profondeur pour des pertes très légères. Choltitz qui n’a rien pour s’opposer à Brooks comprend l’urgence de la situation et ordonne un repli immédiat vers Coutances et au-delà afin d’éviter l’encerclement qui se profile, manœuvre de repli délicate qui ne doit pas se transformer en déroute. 

Sur le front du VIIIth US Corps de Middleton, qui attaque avec ses 4 divisions d’infanterie et la 4th Armored Division, les combats sont acharnés et la retraite est néanmoins menée avec talent et les Allemands semblent pouvoir éviter le piège qui se referme sur eux. Middleton est aux portes de Coutances. Le 28 juillet, le CCB de la 2nd Armored Division du général Rose est lancée au sud de Coutances vers Bréhal. La sortie vers le sud est coupée. A l’est de Coutances, la 3rd Armored forme barrage tandis que les 4th et 6th Armored Divisions du VIIIth Corps sont au nord de la ville.  

Un encerclement majeur 

Les opérations menées par les 2nd, 3rd, 4th et 6th Arm. Div. débouchent sur un encerclement des forces adverses, exploit qui ne sera réitéré ni par les tanks Britanniques au cours de « Bluecoat », ni par les Panzer allemands pendant « Lüttich ». Le 28 juillet, les Américains, balayant devant eux les maigres bouchons établis par les Allemands, sont à Bréhal. Une poche se dessine donc autour de Roncey dans laquelle sont piégées les unités d’élite du LXXXIV. Korps. Les Américains, enfoncés et isolés dans les lignes adverses, doivent se mettre en position inversée, face au nord, et établir un barrage blindé. 

500 véhicules bloqués dans les embouteillages sont la proie des attaques de Jabos. L’Obersturmbannführer Tyschen, qui commande la 2. SS Panzer avant d’être mortellement blessé le 28 juillet, comprend la gravité de la situation et il cherche à galvaniser ses hommes : « si l’ennemi réussit sa percée, alors la guerre en France est terminée pour nous. » Des colonnes s’organisent, avec parfois des attelages inhabituels, à l’instar d’un Panzer IV tractant en remorque une pièce de FLAK de 88 mm. Une colonne de la « Das Reich » est annihilée à proximité de Notre-Dame-de-Cenilly et une autre est anéantie à Saint-Denis-du-Gast. Les combats sont acharnés au cours de la nuit du 28 au 29 juillet. Si de petites unités allemandes réussissent à percer et à rejoindre leurs lignes, les pertes dans la poche sont conséquentes : 7 500 hommes, une centaine de chars, des centaines de véhicules. Un désastre complet est évité au sein des divisions encerclées, notamment la « Das Reich », car 7 000 hommes, souvent d’élite, s’esquivent… dans la mauvaise direction pour beaucoup : Hausser ordonne en effet à Choltitz de diriger ses unités vers le sud-est alors que Kluge, qui a obtenu -chose exceptionnelle- l’aval de l’OKW, souhaite une retraite plein sud, en direction d’Avranches.  

Contre-attaque mal orientée et étalée dans l’espace et le temps 

« Cobra » bénéficie en outre des erreurs et des difficultés rencontrés par les Allemands au cours de leurs contre-attaque : les Panzer vont se montrer impuissants à enrayer la ruée des tanks… Les 2. et 116. Panzer-Divisionen commandées respectivement par le General von Lüttwitz et le General von Schwerin, sont-elles en mesure de rétablir une situation d’heure en heure plus préoccupante ? La 116. Panzer attaque entre Beaucoudray et Percy. Escortés par les Panzergrenadiere juchés à bord de leurs SPW couverts de branchages ou évoluant prudemment à pied en longeant les haies, les Panzer de cette nouvelle division entrent en action pour la première fois en Normandie. Le bocage ne facilite pas la progression des Kampfgrgruppen, rendue hasardeuse par l’omniprésence de l’aviation alliée. Le Generalleutnant von Schwerin rapporte : « sur les 120 blindés engagés dans ce secteur, seuls quelques-uns parviennent à constituer un fer de lance le long de la route. La plupart des chars ne peuvent traverser ce terrain infesté de haies et de broussailles. De longues files d’attente se créent à l’arrière. Un temps précieux est perdu. Il s’avère que les Panzer IV n’ont guère plus de chance que les Panther, puisqu’ils sont également trop larges pour les voies empruntées. Ils se retrouvent pris entre les étroits et hauts talus. Tous ceux qui ne peuvent manoeuvrer ne peuvent être engagés. » 

            La contre-attaque de la 2. Panzer cause des pertes sensibles aux Américains. La confrontation qui a lieu à Tessy-sur-Vire est la plus difficile bataille engagée par les GIs depuis le lancement de Cobra. Les Allemands menacent en fait les lignes de communications des Américains qui sont contraints de se mettre sur la défensive. Le 743rd Tank Battalion est réduit à 13 engins sur les 54 Sherman théoriques. L’intervention de la 2. Panzer, par ailleurs menacée sur ses arrières par l’évolution de la bataille pour Vire, se mue pourtant rapidement en bataille défensive avant que l’unité ne soit dirigée dans le secteur de Villedieu-les-Poêles. Quant à la 116. Panzer, unité intacte en pleine possession de ses moyens (elle a commencé à franchir la Seine qu’à partir du 20 juillet), si elle est en mesure de reprendre Beaucoudray, sa contre-attaque fait long feu et elle ne peut s’emparer du Mont Robin. La faute en revient au chef de corps, Funck, déplore Schwerin. 

            Pendant que ces vaines contre-attaques frappent de flanc la percée américaine, la retraite se poursuit plus à l’ouest. Ayant engagé les 2. et 116. Panzer, que reste-t-il aux Allemands pour étayer leurs maigres défenses devant Avranches? Des formations ad hoc sont dépêchées dans l’urgence depuis la Bretagne. Une compagnie de Sturmgeschütze constitue l’unique force blindée à disposition. Le 30 juillet au soir, l’avant-garde de la 4th US Armoredentre dans Avranches sans combat. La rupture du front allemand est donc réalisée au-delà de l’objectif de percée de l’opération « Cobra » : les tanks américains ont damé le pion des Panzer, incapables de rétablir la situation. 

BLUECOAT 

Similitudes et différences avec « Cobra » 

Fin juillet, les forces allemandes sont essentiellement concentrées dans deux secteurs : dans le sud de la Manche pour tenter d’endiguer la ruée américaine vers Avranches, et dans la plaine de Caen où la Wehrmacht s’accroche au terrain pour interdire l’accès à Falaise à Montgomery. Entre ces deux secteurs, le front est plus légèrement tenu. Le 30 juillet, avançant la date d’attaque prévue pour le 2 août, espérant rééditer l’exploit de Bradley avec « Cobra » et profiter de la dynamique lancée par les 1st et 3rd US Armies (et probablement non sans arrière pensées), le General Montgomery, sur un plan conçu par Miles Dempsey (le chef de la 2nd British Army), lance les XXXth et VIIIth British Corps en direction du Mont Pinçon et de Vire : c’est l’opération « Bluecoat », préparée en 36 heures… 

Comme il se doit, l’offensive britannique met à profit l’écrasante supériorité aérienne dont les Alliés jouissent sur le front de Normandie. « Bluecoat » est donc précédée d’un bombardement massif de 1 000 bombardiers. La puissance de la frappe aérienne n’entame nullement les défenses allemandes et n’occasionnent pas le chaos survenu sur le front du LXXXIV. Corps face les Américains une semaine plus tôt.  

            En revanche, les Britanniques, confiants à l’idée de s’attaquer à l’un des maillons supposés faibles du dispositif adverse en Normandie, s’attaquent aux positions de deux divisions d’infanterie -les 276. et 326. ID- alors que les Américains ont dû batailler contre les meilleures unités allemandes dès les premières heures de combat. La 326. ID, chargée de la défense d’un front de 16 kilomètres, est frappée de plein fouet et son chef, le General von Drabich-Waechter, tombe au combat.  

            L’autre différence majeure repose sur le rôle dévolu aux unités blindées dans une offensive menée sur un terrain aussi peu propice au déploiement des tanks que le bocage, ce dernier provoquant de sérieux engorgements au cours de la bataille, notamment à la 7th Armoured Division (les fameux « Desert Rats »). Si les ID américaines attaquent avec le soutien des formations blindées indépendantes qui leurs sont rattachées (en gros 80-100 blindés avec un bataillon de chars et un de tanks destroyers), leurs Armored Divisions (entre 300 et 350 tanks et TD par division selon que l’unité de reconnaissance soit dotée de chars Cromwell ou non) ne sont entrée en lice qu’une fois le succès assuré, tandis que les formations blindées de Dempsey constituent le fer de lance de « Bluecoat » : les trois Armoured Divisions (11th, 7th et Guards en second échelon) sont au combat dès le premier jour, avec la possibilité d’engager leurs 1 000 blindés ; quant à la 15th Scottish Division, elle combat en tandem avec une brigade blindée, la 6th Tank Guards Brigade du Brigadier Verney, soit la bagatelle de 200 Churchill (la 8th Arm Bgde participe également à l’offensive).  

L’entrée en lice massive des blindés britanniques n’obtient pas le succès attendu : si la 11th Arm Div s’avère brillante, la 7th Arm Div peine sur le flanc gauche de l’offensive, ce qui contrarie l’intégralité du plan de l’offensive car la poussée sur l’aile droite demeure à découvert… La défense allemande se durcit dès le 1er août. Dempsey ne parvient cependant pas à se rendre maître de plusieurs objectifs sur les flancs du mont Pinçon en raison de la défense farouche de petits groupes de combats allemands.  

Des opportunités mal exploitées 

« Bluecoat » est le cadre d’opportunités saisies, fruit de l’initiative de chefs entreprenants, à rebours de la rigidité du système de commandement britannique. Le 31 juillet, l’incroyable survient : une unité de reconnaissance, le 2nd Household Cavalry, découvre un pont intact sur la Souleuvre, baptisé depuis « Le pont du Taureau », en référence à l’insigne divisionnaire de la 11th Arm Div. L’ouvrage d’art est intact et non défendu car les 3. FJD et 326. ID croient toutes deux que le pont se situe dans le secteur de l’autre ! Le General Roberts saisit l’occasion au vol et fait franchir l’ouvrage par sa 11th Arm Div qui s’empare de Bény-Bocage le 1er août. Las, cette initiative peu commune au sein de l’armée britannique ne sera pas exploitée à fond : certes, les Britanniques créent une brèche de 10 kilomètres entre la 7. Armee, qui fait face aux Américains, et la 5. Panzerarmee, qui forme l’aile droite du dispositif allemand en Normandie, et, après 36 heures de combats, l’avance atteint 12 kilomètres, mais l’offensive est aussi le cadre d’une belle occasion manquée : alors que Vire est mûre pour tomber entre les mains des Britanniques le 1er août – Des éléments du 2nd Household Cavalry poussent jusqu’à Vire avant de rebrousser chemin, il faut attendre huit jours pour que la ville tombe, faute d’une délimitation malheureuse des secteurs dévolus aux armées américaine et britannique.  Il n’y a donc pas de réédition de l’exploitation incroyable des 2nd et 3rd Armored Divisions… Pis, les Alliés ont manqué l’occasion de bloquer tout repli de la 7. Armee malmenée par « Cobra »… 

L’autre opportunité majeure saisie au cours de l’opération « Bluecoat » est incontestablement l’incroyable conquête du Mont-Pinçon due à la témérité d’une poignée de Sherman de l’escadron du Major Denny du 13/18 Royal Hussars. Les pentes escarpées du versant ouest mont, dont les approches en terrain bocager sont protégées par un cours d’eau et des défenses solides, sont toutefois par un groupe de chars qui est parvenu à s’infiltrer au sein des lignes allemandes. Les Sherman parviennent au sommet le 6 août par un mauvais chemin de terre, à la nuit tombante, semant le chaos sur le plateau du Mont Pinçon. A la nuit, ils sont rejoints par des fantassins de la 43rd Wessex Division, qui ont réalisé l’ascension dans la chaleur estivale. Les Britanniques s’emparent ainsi d’une des clés de la défense allemande. Au final, les formations blindées britanniques ont fourni un appui essentiel aux unités d’infanterie, ce qui est leur vocation première. En revanche, passé l’incroyable « coup » du pont sur la Souleuvre, l’avance est mesurée et ne donne lieu à aucun coup d’éclat des divisions blindées dont les unités sont victimes à répétition des embuscades tendues par les Allemands. La progression se réalise par ailleurs qu’à la faveur d’une débauche d’artillerie et à la faveur d’un soutien aérien conséquent, deux soutiens décisifs qui ont brisé toutes les contre-attaques. 

A quelle forme de contre-attaque sont confrontés les Britanniques ?  

Comme face aux Américains, en dépit du bocage, les Allemands mettent tous leurs espoirs dans les unités de Panzer. Comme pour « Lüttich », et contrairement à « Cobra », « Bluecoat » se déclenche plus près des réserves allemandes, des unités de Panzer étant sur le point d’être retirées du secteur britannique pour être transférées vers l’Ouest, tenter de barrer le flot grossissant de l’US Army.  

Si, aux premières heures de l’offensive les Allemands n’ont certes pas de division de Panzer en ligne, mais ils ont déployés d’autres blindés, d’autant que les renforts accourent à la rescousse. La 21. Panzer, à peine mise en retrait du front entre Bretteville-sur-Laize et Barbery ainsi qu’à Coulvain, est la première sur les lieux puisque Eberbach envoie en effet le KG Von Oppeln à la rescousse dès 10 heures. Ce dernier, qui doit se tenir prêt, ne se met en route qu’à 16h10 : des StuG et les Jagdpanther seront les premiers à intervenir au profit des fantassins. On dépêche aussi dans le secteur un régiment de la Werfer-Brigade 8, l’Höhe.Art.Kdr 309 ainsi que quatre batteries lourdes de la Flak.  

Le 31 juillet, les Britanniques restent maîtres de certaines hauteurs stratégiques et Saint-Martin-des-Besaces tombe. Si une percée en profondeur est évitée, le front allemand est bien ténu. Subissant les coups de l’artillerie et de l’aviation, la 21. Panzer-Division souffre des pertes sensibles lors de son intervention, peut-être une trentaine de Panzer. En revanche, les puissants chasseurs de chars Jagdpanther du 654. schwere Panzerjäger-Abteilung réalisent une contre-attaque désastreuse pour les Britanniques :14 Churchill sont incendiés en quelques minutes. Dès le 1er août, la défense allemande se durcit, grâce notamment à l’appoint de Tiger I et II du 503. s.Pz-Abt.  

Le 2 août, alors que Hitler prend la décision de lancer une contre-offensive majeure sur Mortain, le II. SS-Panzerkorps reçoit ordre de stopper l’offensive de Dempsey. A l’évidence, l’effort allemand pour contrer l’offensive britannique aurait été d’une ampleur bien plus conséquente si l’essentiel des ressources dont a pu disposer Kluge n’avaient pas été transférées face à la 1st US Army.  

La puissance des Alliés et la faiblesse des moyens engagés par les Allemands empêchent ces derniers de procéder à une contre-attaque massive généralisée. Eberbach annonce à Kluge le 3 août que la 21. Panzer ne tient certes qu’un front de 4 kilomètres mais avec une Gefechtsstärske de 200 hommes, puis seulement 3 bataillons de la 9. SS jusqu’au point 119. Si les Britanniques progressent, ils ne le font que très lentement, les Allemands empêchant les Britanniques d’atteindre plusieurs objectifs sur les flancs du Mont Pinçon. Le soutien des tanks, qui ne peuvent certes pas se déployer comme en plaine, reste décisif car il faut il faut surmonter des môles défensifs qui s’articulent autour de plusieurs Pak et quelques Panzer toujours redoutables. Les tanks anglais sont en effet à la peine et les pertes se comptent par centaines. Le 3 août, alors que Patton fonce en Bretagne, 50 tanks britanniques sont détruits par la « Hohenstaufen » qui stoppe deux divisions blindées anglaises. La 9. SS-Paner-Division ne compte plus que 44 Panzer et StuG opérationnels, soit moins qu’un régiment blindé britannique, et cependant les Armoured Divisions ne percent pas…. Un seul Panzer peut causer un désastre. Le 7 août, le chef de char Fey réussit l’exploit de détruire avec son Tiger I pas moins de quinze Sherman britanniques à Chênedollé. La contre-attaque allemande  

Le soir du 6 août, le LXXIV. AK annonce qu’il faut renoncer à poursuivre la contre-attaque de la 10. SS Panzer sur la cote 224 car les pertes sont trop lourdes : on ne compte plus que 5 Panzer en état. La contre-attaque du II. SS-Panzerkorps fait donc long feu, mais elle arrête nette l’offensive britannique qui passe prématurément sur la défensive,  et permet de rétablir le front. Le seul aspect positif de « Bluecoat » semble d’avoir privé les Allemands de deux divisions blindées dûment réclamées pour intervenir encore plus à l’ouest, face aux Américains. 

LUTTICH 

Un plan de bataille est mis au point sous la pression des événements

Alors que les Américains exploitent audacieusement le succès complet de Cobra, Hitler ne s’avoue pas encore vaincu en Normandie. Il ordonne aux quelques unités encore en Bretagne de se concentrer dans les ports afin d’en interdire l’accès et leur utilisation par les Alliés. L’entrée en lice de la IIIrd US Army signifie aussi qu’il n’y a plus de débarquement à craindre dans le Pas-de-Calais. En conséquence, Hitler ordonne le transfert de divisions d’infanterie vers la Normandie. L’arrivée de ces unités d’infanterie va permettre de désengager des divisions de Panzer pour la contre-attaque que projette le Führer. 

Hitler, d’instinct offensif, a clairement identifié le couloir d’Avranches comme le point faible du front adverse : si ses divisions reprennent Avranches, c’en est fini de la IIIrd US Army pense-t-il. La 7. Armee pourra alors contre-attaquer ensuite vers le nord et balayer de flanc tout le dispositif allié… Kluge pense qu’un succès est peut-être possible à condition de réagir rapidement en frappant avec une division de Panzer. Hausser voudrait attaquer dès le 3 août. Hitler n’est pas de cet avis : un succès complet requiert au bas mot 4 divisions de Panzer en première vague. Or, les délais consentis pour la préparation de « Lüttich » s’accompagnent d’une dégradation notable de la situation : Avranches, près du front le 1er août, s’éloigne notablement de la ligne de front. L’assaut, préparé à la hâte, contrairement à « Cobra », est donc fixé au 8 août, il est finalement lancé le 7. 

Des moyens suffisants et un rôle essentiel dévolu aux unités de Panzer 

Le 3 août, Kluge, devant la nécessité de transférer le maximum de divisions de Panzer en secteur américain, demande à Eberbach, le chef de la 5. Panzerarmee déployée face aux Britanniques : 1)Est-il possible de retirer une Panzer-Division de l’aile gauche et de la remplacer par une ID ?; 2)Est-il possible de retirer la 1. SS ou la 12. SS Panzer (celles-ci sur l’aile droite) et de la remplacer par la 21. Panzer ? Eberbach répond que la situation est dangereuse à l’est d’autant que la 21. Panzer est désormais bien entamée. Dietrich, le chef du I. SS-Panzerkorps (au sud de Caen), essaye de conserver au moins les Panzer IV de la LAH mais cela lui est refusé. 

Pour l’offensive, Kluge rassemble sous le commandement de Funck les éléments de 4 divisions de Panzer, qui n’engagent dans cette ultime contre-attaque d’envergure que 150 chars sur les 290 que possède pourtant le XLVII. Panzerkorps (les 2., 1. SS, 2. SS, 116. Panzer-Divisionen ainsi que de la 17. SS Panzer-Grenadier-Division). La 9. Panzer-Division -à tout le moins son bataillon de Panther- devait y participer, mais elle se déploie, le 6 août, entre Domfront et Montsurs, pour s’opposer à la progression de Patton. Kluge aurait également voulu, selon la volonté d’Hitler, disposer des 10. SS et 12. SS Panzer-Divisionen mais la première est trop engagée et la seconde doit rester devant Falaise car on craint une nouvelle offensive, craintes qui sont justifiées. Pour Dietrich, dégarnir une nouvelle fois le front devant Falaise constitue une grande prise de risque : n’y a-t-on pas toujours craint une percée britannique qui ouvrirait la route de Paris aux Alliés ? 

Le poids de la bataille repose sur les divisions de Panzer, et ce dès la phase initiale de l’offensive, ce qui représente un contraste avec les méthodes et le rôle dévolu aux unités blindées dans l’autre camp. Force est de constater que le matériel blindé fait défaut : à peine 150 blindés (les Américains les attendent avec 800 tanks et TD ? sans compter la 2nd Arm Div qui intervient sur les lignes de communication allemandes par le flanc sud…). Par ailleurs, si les Panzer tiennent le rôle initial, on peut même affirmer qu’ils sont presque seuls : l’artillerie et l’infanterie (quasiment que des Panzergrenadiere) ne sont pas absentes mais bien trop faibles. Les Panzer-Divisionen doivent quasiment combattre avec leurs seules ressources en la matière. 

Kluge doit également attaquer sans disposer d’un second échelon digne de ce nom, si ce n’est une LAH passablement usée. En milieu de journée, le 8 août, l’Oberst Kleinschmitt, chef d’état-major du XLVII. Panzerkorps, déclare sans ambages à Kluge: “je ne pense pas être en mesure de poursuivre les opérations avec les troupes dont nous disposons”. 

L’absence de la Luftwaffe : un écueil majeur pour « Lüttich » 

Contrairement aux Alliés, les Allemands ne lanceront pas leur attaque avec le soutien de l’aviation, encore moins avec le bénéfice d’un carpet bombing. Le 7 août, dès le lever du jour, après dissipation de l’obscurité et du brouillard, l’aviation tactique alliée intervient en force : c’est le moment décisif de l’offensive. L’absence de couverture aérienne allemande efficiente est une donnée connue, mais elle est essentielle pour comprendre l’issue de la bataille de Normandie. Un effort conséquent est pourtant consenti puisque des centaines de chasseurs doivent appuyer les Panzer. Las, cette velléité de s’assurer une couverture aérienne digne de ce nom s’avère vaine puisque la chasse alliée, bien plus puissante et efficiente, intercepte les escadrilles allemandes avant leur arrivée au front. Pis, les répercussions touchent tout le front :Le 8 août, lorsque Eberbach (chef Pz AOK 5) demande avec urgence à Speidel (chef d’état major Heeresgruppe B) de dépêcher des moyens aériens au sud de Caen mais Speidel rétorque que la Luftwaffe donne tout son effort au profit de « Lüttich » : il n’y a rien à espérer.  

Le moindre déplacement est très risqué pendant les combats, d’autant que les courtes nuits d’été ne laissent que quelques heures de mouvement aux Allemands : l’aviation oblige les troupes allemandes à faire halte pour se mettre à couvert, ce qui constitue un handicap de taille pour une offensive… Contrairement à la légende, peu de Panzer ont été touchés par les Jabos. Mais les effets indirects de l’intervention de l’aviation alliée ont été une des causes majeures de l’échec de « Lüttich » en paralysant des colonnes bloquées par un unique engin détruit ou en semant le chaos au sein des unités de ravitaillement ainsi que dans les rangs des Panzergrenadiere, loin de disposer de blindés à l’épreuve des bombes et des roquettes. 

Des défenses insurmontables ? 

Comment ont donc procédé les Allemands ? Tentant de surprendre les Américains à la faveur de l’obscurité, ils ont décidé de pousser de l’avant et de contourner certains môles défensifs. Ce faisant, ils espèrent conserver le tempo de l’offensive, comme les Américains ont procédé deux semaines plus tôt au cours de leur percée dans le Cotentin mais, dans la cas présent, les secondes vagues de l’assaillant s’avèrent dans l’incapacité de réduire ces points d’appui qui résistent, véritables épines qui contrôlent les voies de communications majeures… 

Au centre du front d’attaque, à Mortain, l’assaut est mené par la « Das Reich ». Mais 700 GIs parviennent à se maintenir sur la cote 314. Depuis cette hauteur dominant Mortain et les alentours, les observateurs d’artillerie du bataillon isolé permettent aux Américains de jeter le chaos sur les voies de communications ennemies. Incapables de s’emparer de la position, les SS finissent par demander la redditionde l’unité encerclée dans l’après-midi du 9 août. Demande refusée. 

Les défenses de campagne auxquelles sont confrontés les Allemands sont pourtant beaucoup moins étoffées, étudiées et solides que celles qui barraient la route de GIs pendant « Cobra » ou celles des Tommies au cours de « Bluecoat ». Comme les Britanniques lors des premiers stades de leur offensive, les troupes de Hitler ne sont pas non plus confrontées à des formations d’élite. Les défenses américaines jouissent pourtant de plusieurs atouts : le terrain, des armes antichars potentiellement létales à courte portée (ce qui est la norme dans le bocage) disponibles à profusion (bazookas, canons de 57 mm et de 76 mm), une artillerie redoutable, la maîtrise aérienne et, sans aucun doute, une certaine sous-estimation de l’adversaire de la part des Allemands. Une autre différence majeure avec « Cobra » est décisive : l’assaillant va devoir compter avec des unités placées sur la défensive assurées de disposer de réserves conséquentes à proximité. 

Le renseignement allié condamne « Lüttich » avant même son lancement 

L’autre écueil dont souffre la contre-offensive de Mortain, et qui la différencie de « Cobra » et de « Bluecoat », réside dans le renseignement, une difficulté récurrente au sein de la Wehrmacht. A l’insu des Allemands, ULTRA informe le haut-commandement allié de l’imminence d’une offensive ennemie ayant Avranches pour objectif, à tout le moins, l’arrivée de trois Panzer-Divisionen dans le secteur est annoncée, bien que Mortain ne soit pas spécifiquement indiqué comme objectif. Par ailleurs, l’interception de messages de la Luftwaffe confirme que quelque chose de sérieux se prépare dans la zone de Mortain/Avranches. Dès le 1er août, Patton, sur ordre de Bradley, déplace la 90th ID pour faire couvrir le flanc exposé. Bradley prend par ailleurs sur lui de déplacer la 79e DI vers Fougères. Il l’ignore, mais Patton a déjà fait déployer la 5e DB dans le même secteur de Fougères. Le chef de la 3rd Army ne s’en tient pas là : « Je crois que ce n’est qu’un bluff des Allemands pour couvrir un repli, mais j’ai stoppé la 80e DI, la 2e DB française et la 35e DI à proximité de Saint-Hilaire juste au cas où quelque chose surviendrait ». Les Allemands risquent donc d’être confrontés à un fort parti en seconde ligne, même en cas de percée… 

Mauvaise coopération entre divisions 

Lüttwitz, qui dispose d’encore 75 Panzer mais d’à peine 2 200 Panzergrenadiere, décide de surprendre l’adversaire en attaquant sans préparation d’artillerie. La 2. Panzer progresse de 15 kilomètres avant le petit matin, ce qui est en soit remarquable (plus que « Bluecoat » et équivalent aux débuts de « Cobra »). Mais, si elle parvient à atteindre Le Mesnil-Adelée, son avance bute sur une résistance tenace. Lüttwitz est de surcroît handicapé par le manque de coopération de Schwerin et de sa 116. Panzer. Schwerin, craignant que son flanc droit ne soit pas assez assuré par la 84. ID, est en désaccord avec son chef de corps, Funck. Il retarde donc le déploiement de ses troupes et refuse de transférer un bataillon de chars à la 2. Panzer. C’en est trop pour Funck qui remplace ce subordonné récalcitrant par l’Oberst Rheinard. Le 7 août, alors que la 2Panzer progresse quelque peu, la 116. Panzer n’a engagée que trois de ses six colonnes de Panzer, une quatrième ne se mettant en route qu’avec cinq heures de retard.  

Les unités de la Waffen SS ne se montrent pas non plus à la hauteur des attentes mises en elles. Les éléments de la 1. SS Panzer qui devaient également épauler Lüttwitz arrivent trop tard pour peser sur le court de la bataille. En second échelon, forte encore de 130 Panzer et Sturmgeschütze en état de combattre, la « Leibstandarte Adolf Hitler » représente pourtant une force redoutable. Rapidement bloquée devant Juvigny-le-Tertre par un régiment de fantassins américains, elle ne brille pas particulièrementPis, ses Panzer seront bloqués sur un chemin par l’épave d’un Jabo… Sur le flanc gauche, en couverture, l’intervention de la « Götz von Berlichingen » ne débouche sur rien de décisif. Quant à la « Das Reich », sa gestion des opérations dans le secteur de Mortain n’a pas été exemplaire. 

Des contingences extérieures qui grèvent le potentiel d’attaque 

Les Allemands pouvaient-ils mieux faire ? Incontestablement oui. Il convient de souligner que contrairement à « Cobra » et à « Bluecoat », l’offensive allemande est handicapée par les opérations annexes : « Bluecoat » oblige Kluge à renoncer à la 21. Panzer-Division et la « Frundsberg » pour « Lüttich », tandis que la vaste manœuvre d’enveloppement vers l’est esquissée par la 3rd Army de Patton scelle définitivement l’échec de la contre-offensive de Mortain. Celle-ci démarre le 7 août, en l’absence du soutien promis de la Luftwaffe, le jour où Montgomery frappe une nouvelle fois au sud de Caen en lançant l’opération « Totalize ». Ce 7 août, alors que les Panzer filent vers leur destin à Mortain, on craint également une percée vers Grimbosq dans le secteur du I. SS Panzerkorps. L’Oberst Zeller annonce qu’une contre-attaque est en cours à travers les lignes du Füsillier-Btl de la 277. ID à la Gauge. La menace vers Grimbosq est sérieuse mais Kluge entend envoyer la LAH vers Avranches. Peu après minuit, la 12. SS est renvoyé dans son ancien secteur entre Caen et Falaise.  

            Le 8 août, Hitler et l’OKW persistent dans l’idée de poursuivre la contre-offensive. L’ordre est donné le 9 à 23 heures. L’OB-West s’exécute, non sans avoir fait part de ses réticences, la partie semblant désormais sans espoir. Lüttich doit donc reprendre dès le 10 août, avec de nouvelles unités : 9., 9. SS, et 10. SS Panzer-Divisionen. L’évolution de la situation générale ne permet toutefois pas l’exécution de cet ordre, qui est reporté… 

CONCLUSION 

Au cours des trois offensives étudiées, les divisions blindées des différents belligérants sont intervenues en qualité de fer de lance de l’offensive, au plus tard dès le lendemain du premier jour d’attaque. Si les trois armées espèrent mener des actions éclair et décisives, seule l’offensive américaine débouche sur une forme de « Blitzkrieg ». « Cobra » est aussi la seule des trois offensives a avoir été préparée avec soin, la seule à avoir pris en compte sérieusement les capacités des unités partant à l’assaut ainsi que les forces à disposition de l’ennemi. Le succès remporté par les 2nd et 3rd Armored Division est stupéfiant, et il n’a coûté que 16 tanks aux 800 que comptent ces deux divisions… L’US Army pouvait-elle faire mieux au cours de « Cobra » ? On peut difficilement l’affirmer. Si « Cobra » a bénéficié des offensives « Goodwood » et « Spring » lancées sur Caen, l’offensive américaine, admirablement menée, permet de mesurer le chemin parcouru par l’US Army depuis le temps de la bataille de Kasserine, en Tunisie. Du point de vue des Allemands, on assiste à une évolution radicale depuis les temps de la « Blitzkrieg ». Les contre-attaques contre « Cobra » et « Bluecoat » n’ont pas le « punch » ni les résultats de 1939-42. Avec « Lüttich », on est également loin d’une offensive comme celle qui aurait dû emporter la tête de pont aux premiers jours de l’Invasion, selon les pronostics du haut-commandement allemand. La contre-offensive voulue par Hitler est un échec. Compte-tenu des réserves américaines disponiblesainsi que de la suprématie aérienne alliée, « Lüttich » ne pouvait réussir. Contrairement aux Alliés, les Allemands sont partis à l’assaut sans se donner les moyens de circonvenir aux difficultés du bocage, moyens qu’ils ne possèdent pas : une artillerie et une aviation puissantes. Au final, seules les Armored Divisions de l’US Army ont été efficientes, ont été utilisées à bon escient et ont rempli le rôle qui leur est dévolu selon la doctrine en vigueur au sein de leur armée, l’incroyable chevauchée de la 3rd Army de Patton qui survient alors que « Lüttich » et « Bluecoat » sont en cours ne faisant que démontrer la maîtrise des opérations blindées au sein de l’armée américaine, la hardiesse et le génie de Patton transformant le succès de « Cobra » en percée définitive et d