Livre Seconde Guerre Mondiale WWII

MONTGOMERY : UN MYTHE FORGE ET MALMENE PAR L’HISTORIOGRAPHIE

Bernard Montgomery, élevé au rang de maréchal et au titre de pair du royaume, est devenu le héros de tout un peuple et le symbole vivant du chemin qui a conduit les forces britanniques à la victoire.

 

Personnage controversé s’il en est, Lord Montgomery, Viscount of El Alamein, a été tour à tour loué puis décrié dans l’historiographie avant un retour en grâce qui se combine avec des ouvrages plus mesurés et davantage impartiaux.

Des années 1940 aux années 1950. Le héros d’un empire : le temps des louanges puis des premières remises en cause

 Bernard Montgomery, élevé au rang de maréchal et au titre de pair du royaume, est devenu le héros de tout un peuple et le symbole vivant du chemin qui a conduit les forces britanniques à la victoire. Depuis lors, on ne compte plus la pléthore d’ouvrages et d’articles qui lui sont consacrés. La guerre n’est pas finie qu’est publié le très dithyrambique « Montgomery et ses hommes. Histoire de la 8e armée en Afrique » de Richard McMillan (Plon, 1945, pour l’édition française). Suivent rapidement, pour ne citer que ceux-ci, « Montgomery : A Biography » d’Alan Moorehead ou encore « Operation Victory » (1946) par Francis de Guingand (1947), son ancien chef d’état-major. Son ancien mentor et supérieur, Alan Brooke, n’écornera pas plus le mythe, de même que les « Mémoires de Guerre » (publiées de 1949 à 1952) de Winston Churchill qui sont dans la même veine dans le sens qu’elles font la part belle au vainqueur d’El Alamein, alors que ses prédécesseurs, en particulier Auchinleck, n’ont droit qu’à quelques pages sans grand relief. Montgomery apparaît comme un général génial et talentueux, bref : c’est l’homme de la victoire.

Le mythe est ébréché dès la parution des mémoires des généraux américains : « Crusade in Europe » de Dwight David Eisenhower (1948) puis « A Soldier’s Story » d’Omar N. Bradley (1951). Le rôle de Monty est remis dans de plus justes proportions. N’appréciant que modérément, ce dernier, qui avait déjà publié des compte-rendus de ses campagnes au sortir de la guerre (« El Alamein to the River Sangro » et « Normandy to the Baltic ») réplique avec ses «Memoirs of Field-Marshal the Viscount Montgomery of Alamein » en 1958, dans lequel il reste très sûr de lui-même et de sa valeur.

Un mythe sévèrement écorné à partir des années 1960

 En 1960, Corelli Barnett publie le retentissant « Les Généraux du Désert » (1960), ouvrant la voie à une relecture de la guerre du désert en ayant le mérite de redonner sa place à Claude Auchinleck, mis en valeur deux ans plus tôt dans la biographie que lui consacre John Connell. « La légende de Montgomery » de R.W. Thompson est dans lignée de Barnett et, comme lui, a le mérite de sortir l’historiographie du tout-dithyrambique à l’égard du vainqueur d’El Alamein. Nombre de récits de la guerre du désert –mais pas tous- en portent ensuite la marque et sont nettement plus équilibrés dans le jugement porté sur Montgomery tout en soulignant les mérites de ses prédécesseurs : citons simplement «The Crucible of War. Wavell’s command », (1980) de Barrie Pitt, « The pendulum of war. The three battles of El Alamein », par Niall Barr (2005).

 
Les limites du style de commandement de Montgomery et les difficultés soulevées par son caractère abrasif au cours des autres campagnes commencent également à être de plus en plus diffusées. Cela s’avère particulièrement le cas pour les travaux réalisés sur la bataille de Normandie, dès lors que sont abordées les controverses portant sur Caen ou encore la poche de Falaise, mais aussi Arnhem. Ainsi de « Eisenhower’s Lieutenants, The Campaigns of France and Germany, 1944-1945, de Russell Weigley (1981), « Decision in Normandy : The Unwritten Story of Montgomery and the Allied Campaign » de Carlo d’Este (1983) ou encore « Clash of Arm., How the Allies won in Normandy » par Russell Hart. L’ouvrage de Carlo d’Este présente une critique pertinente de Montgomery qui n’a rien à voir avec le fait qu’il soit un Américain. Il est devenu habituel chez certains Français d’avoir la naïveté de critiquer systématiquement les livres américains dès lors qu’ils abordent le sujet de l’armée britannique, surtout s’ils en soulignent les limites. Comme si toute critique était forcément non-avenue et sous-tendue par des considérations nationalistes. Absurde. Parallèlement, l’encensement de la carrière du vainqueur d’El Alamein se poursuit Outre-Manche, non sans travaux de qualités. « Montgomery of Alamein » (1976) d’Alun Chalfont est de ceux-là. Le travail le plus abouti reste l’œuvre monumentale de Nigel Hamilton, biographie officielle qui brosse un portrait très documenté du maréchal au travers d’une biographie en trois tomes parus entre 1981 et 1986.

Révisions en faveur du maréchal des années 1980 à nos jours

C’est que le maréchal britannique est l’objet de publications de compatriotes très éloignés des préoccupations ou des prises de positions d’un Barnett ou d’un Thompson. Richard Lamb est plutôt en faveur du maréchal quand il pose la question « Montgomery in Europe 1943-1945 : Success or Failure ? » (1983). Il en va de même de « The Lonely Leader : Monty, 1944-1945 », co-écrit par David Montgomery, le propre fils de « Monty », ainsi que l’historien Alistair Horne. Point d’hagiographie cependant car si le propos est favorable, les critiques ne sont nullement éludées.

On notera toutefois une mise en avant très marquée des talents de général de Montgomery dans des ouvrages visant à la réhabilitation de l’engagement de l’armée britannique au cours de la campagne du nord-ouest de l’Europe, campagne dont la mémoire met bien souvent plus en avant les mérites de l’US Army, qui supporte le plus gros poids de la bataille, et davantage encore la Wehrmacht, l’adversaire vaincu. Ces ouvrages, à l’instar de « Colossal Cracks, Montgomery’s 21st Army Group in Northwest Europe, 1944-45 » (2007) de Stephen Hart ou encore « Monty’s Men : The British Army and the Liberation of Europe » (2013) de John Buckley, par ailleurs très intéressants, mettent en avant les vertus du 21st Army Group ainsi que ses capacités d’adaptation et, partant, celle de son chef : Bernard Law Montgomery. La guerre du désert n’est pas épargnée par la vague de mise ne valeur des talents de Montgomery : « Combat and Morale in the North African Campaign. The Eighth Army and the Path to El Alamein » (2011) de Jonathan Fennel, certes un véritable travail d’historien basé sur des sources sérieuses, met certes en valeur l’importance du moral mais semble y accorder une place démesurée et Montgomery apparaît alors comme le seul général qui aurait eu la capacité d’avoir un impact décisif en ce domaine. La somme de travail de Fennell reste cependant impressionnante et son propos ne manque pas de pertinence à l’occasion.

La tentation du rejet de la moindre critique

Avec Montgomery, l’artiste des batailles  (2014), Antoine Capet nous donne la biographie de l’illustre général qui manquait en langue française, sans tomber dans l’hagiographie, mais reste assez classique et peu analytique. L’ouvrage publié la même année chez Economica par Cédric Mas et Daniel Feldmann offre une analyse plus poussée et documentée, mais néglige trop les défaillances du maréchal.

Le livre d’histoire se heurte invariablement à la question de l’objectivité, celle-ci étant elle-même le produit des intentions de l’auteur mais aussi, plus ou moins consciemment, de son éducation, de sa personnalité et de son vécu. L’écueil du tout dithyrambique ou au contraire de la critique systématique n’a pas toujours été évité dans les ouvrages sur Montgomery. Le risque d’une trop grande envie de faire parler de soi –dans le cas présent prendre une posture pro-Montgomery puisque le personnage est le plus souvent critiqué- est la propension à minimiser les aspects les plus gênants, à commencer par ses échecs les plus significatifs (Dieppe, incapacité à anéantir l’armée germano-italienne en Afrique, Sicile, Falaise, Arnhem). Mais certains sont pourtant parvenus à réaliser la part des choses avec assez de conscience professionnelle.

La remise en cause systématique des ouvrages qui ont précédé ou le refus d’accepter les polémiques et les controverses dont Montgomery fait l’objet est contre-productif et va dans le sens contraire de ce dont cherche à obtenir l’historien : la vérité sur les faits du passé. D’aucun admettent que tout aspect négatif du prestigieux maréchal ne peut être qu’un cliché : il n’en est rien. Pis, on finit par admettre que rejeter ces soi-disant poncifs serait faire preuve d’objectivité et donc d’oeuvre d’historien. Comme souligné précédemment, voir dans les ouvrages américains que mauvaise foi sous le prétexte qu’ils sont d’Outre-Atlantique n’a aucun sens. On retrouve un anti-américanisme primaire bien caractéristique de partis pourtant fort éloignés sur l’échiquier politique et cela se reflète malencontreusement sur la production historique, sans parler de considérations nationales quand un Anglais écrit sur un compatriote vénéré.

Il serait ridicule de ne pas vouloir reconnaître les talents de Bernard Law Montgomery, à commencer par son art du commandement, sa façon de préparer une armée à la bataille ainsi que ses tactiques, particulièrement adaptées à l’armée britannique, qui ne constitue sans doute pas le meilleur outil de combat du conflit. Mais il devrait être tout aussi impensable d’oser écrire un livre sur Montgomery en sous-estimant ou en passant sous silence son caractère difficile et souvent odieux, son égocentrisme et sa vanité, ses difficultés relationnelles avec nombre de ses pairs… Ce n’est pas faire œuvre d’historien que de minimiser ses échecs ou encore exagérer la portée de ses victoires et surtout oublier les nombreuses erreurs tactiques et opérationnelles qui lui ont fait manquer des occasions en raison d’une indéniable rigidité de commandement (même si l’homme a aussi fait montre à l’occasion d’adaptabilité et de souplesse qu’on ne le prétend trop souvent).

Conclusion : un grand général ?

Les réussites de Montgomery, notamment en matière de commandement et de préparation à la bataille (plus particulièrement, mais non exclusivement, sur la question du moral) et sa célèbre victoire remportée à El Alamein l’ont amené aux Panthéon des grands capitaines de la Seconde Guerre mondiale, voire de l’Histoire. Injustice qui laisse le grand public ignorant des mérites d’un officier comme Claude Auchinleck, et plus encore Archibald Wavell et surtout William Slim, certainement plus talentueux que le héros de la guerre que s’est choisi l’empire britannique, et plus particulièrement le Royaume-Uni.

Blumenson considère que de tous les généraux de la guerre, Montgomery est « le plus surévalué », affirmation qui contient sans aucun doute un fond de vérité. Mais ne lui reconnaître aucun talent et faire de lui un général quelconque n’a aucun sens. En fait, la question m’importe peu : l’homme est un personnage considérable du conflit et mérite qu’on s’arrête sur son cas, qu’on l’étudie et qu’on le connaisse le mieux possible. Bon ou mauvais général, il est entré dans l’Histoire par la grande porte et il est à ce titre, grâce à ses succès remportés et nonobstant les aspects controversés du personnage, un « grand général », dont j’aimerai un jour écrire l’histoire.