Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, Barbarossa 1941. La guerre absolue, Passés/Composés, 2019, 957 pages
Colossal! Magistral! Ce sont les mots qui viennent à l’esprit à l’issue de la lecture de cette somme remarquable dont nous gratifient Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri. On pourrait presque écrire qu’à l’ouverture de l’ouvrage, le monde des amateurs de la Seconde Guerre mondiale retient son souffle… Ce pavé de plus de 900 pages est remarquable à plus d’un titre. Le lecteur passionné ne doit pas être rebuté devant son épaisseur: le sujet et la masse des informations, ainsi que des questions à aborder le justifie amplement. L’opération « Barbarossa« , l’offensive terrestre la plus formidable de la guerre, représente la tournant du conflit. Elle inaugure un affrontement titanesque qui décide du cours de la guerre.
Que trouvera le lecteur dans ce livre? Une énième narration des combats? Que nenni: il lui faut pour cela attendre d’avoir lu plus de 300 pages… 300 pages qui posent le cadre, expliquent le contexte, donnent les clés de ce qui va suivre. Jean Lopez ne renouvelle pas l’erreur d’Antony Beevor dans son histoire du débarquement qui commence… au débarquement. Le prélude, « Le dîner de la rue Bendler », un épisode méconnu survenu le 3 février 1933, constitue une excellente entame après une courte introduction. Au cours de cette soirée mémorable, le nouveau chancelier expose sans fard ses projets de guerre et d’expansion à l’Est. Suit un chapitre sur Hitler avant son accession au pouvoir, les origines de son antisémitisme, de son antislavisme, de sa haine du bolchevisme, bref de la genèse de son projet de conquête à l’Est, qui est une idée fixe chez lui… L’ouvrage nous amène peu à peu à la fatidique année 1941 en nous exposant la vision des événements vus depuis l’Allemagne et l’Union soviétique. Le récit de la conquête de la Pologne est particulièrement intéressant. La paranoïa de Staline, capable d’imaginer une connivence entre Londres et Berlin est remarquablement mise en valeur. Les auteurs accordent comme il se doit une place importante à la préparation de l’affrontement, ainsi qu’à la coopération entre les deux puissances avant la rupture: partie essentielle où il est question aussi bien des purges staliniennes, que des plans de campagne face à la Grande Bretagne, ou encore de la campagne des Balkans de 1941 (loin d’avoir été la cause de l’échec de « Barbarossa »). Ce qui ressort en permanence est que le projet de la guerre à l’Est constitue LE projet de Hitler, celui qui justifie toute son action politique depuis le début. L’un des traits saillants du texte est de mettre en évidence l’aspect idéologique du conflit, et donc ses conséquences sur le terrain. « Barbarossa » débouche sur la Shoah, le massacre des prisonniers soviétiques, l’assassinat, l’asservissement et la mise en famine des populations slaves. Des crimes sont la Wehrmacht se rend complice. « De l’autre côté de la colline », la brutalité inouïe du système soviétique, ses incohérences, les ordres inconséquents du Vojd (Staline). On est sidéré de la valse des menaces, exécutions, déportations des familles d’officiers qui auraient failli à leur devoir (l’infâme ordre numéro 270)…
Les amateurs d’histoire militaire peuvent se réjouir: Jean Lopez est toujours aussi excellent quand il s’agit de la guerre à l’Est. On apprend beaucoup. Le récit des opérations est clair, bourré d’informations et suffisamment dense (qu’on peut facilement compléter avec des livres, le plus souvent anglo-saxons spécifiquement consacrés à telle ou telle bataille), et remet en cause bien des idées reçues (comme la transhumance industrielle vers l’Oural, l’impact de la boue, etc) et aborde des sujets souvent rapidement survolés, ou à tout le moins non saisis dans leur importance (comme l’action vaine du général Dietl pour s’emparer de Mourmansk, dans le grand nord ou encore l’invasion anglo-soviétique de l’Iran). Les erreurs commises dans les deux camps ne cessent de surprendre… J’ai particulièrement apprécié les nombreux témoignages de hauts gradés, les passages consacrés à l’organisation des deux armées (notamment le commandement), ainsi que les nombreuses cartes (par ailleurs très claires), signées Aurélie Boissière. On apprécie aussi le va-et-vient entre le front et d’autres considérations sur la guerre. Les auteurs n’oublient pas de faire intervenir les nombreux alliés -souvent négligés- de Hitler, d’expliciter leurs motivations, ni d’aborder la politique, avec les voyages d’Eden et autres envoyés anglo-saxons auprès de Staline (les prémices du soutien américain et le début de l’aide britannique sont passionnants à découvrir).
Les pages les plus terribles sont celles qui touchent à la genèse de la Shoah, ainsi que brutalités, massacres et autres horreurs réservés au civils (les pages sur Leningrad sont édifiantes) et aux soldats soviétiques, mais aussi, dans l’autre camp, la terreur stalinienne et l’action du NKVD. L’implication des Roumains est plus qu’explicite. On découvre aussi l’étonnante histoire de la république antisoviétique de Lokot.
In fine, Hitler ne porte pas seul la responsabilité de l’échec de « Barbarossa » puis de « Typhon« . Les auteurs semblent n’accorder aucune chance de victoire au Reich, même en anticipant une campagne en deux temps, avec hivernage en Russie. J’en doute, pour un certain nombre de raisons. En revanche, comme l’ouvrage le souligne, il est impensable d’imaginer un succès du plan « Barbarossa » en posant le postulat que les Allemands utilisent à leur profit le capital de sympathie que leur apporte le rejet du régime stalinien auprès de nombreux soviétiques, et pas seulement les Ukrainiens. L’organisation du système est telle que toute révolte est impensable: 1941 n’est pas 1917… Et surtout, ce serait supposer que le III Reich et la Wehrmacht fassent fi de l’antislavisme et du racisme intrinsèque au nazisme. On ne comprend pas « Barbarossa » sans le projet de colonisation à l’Est de Hitler. On ne peut séparer « Barbarossa » de l’asservissement des Slaves. On comprend aussi qu’aucun compromis ne peut survenir pour mettre fin aux hostilités: le projet de Hitler vise ni plus ni moins à l’anéantissement de l’union soviétique. La guerre contre l’Angleterre, il n’en voulait pas… Quant à la Wehrmacht, son attitude eau cours de « Barbarossa » révèle, s’il le fallait encore, que l’armée allemande n’est pas une armée comme les autres, ce qui est au coeur de mon livre paru cette année aux éditions Perrin: « Etre Soldat de Hitler« . Lecteur assidu de Jean Lopez, qui a su faire découvrir le front de l’Est au lectorat français, j’attendais depuis longtemps qu’il se lance dans l’aventure de l’écriture d’un ouvrage sur « Barbarossa« . Avec Lasha Otkhemzuri en tandem, le résultat ne pouvait qu’être à la hauteur des espérances. L’ouvrage, qui met la barre très haut, fera date, sans nul doute.
Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, Barbarossa 1941. La guerre absolue, Passés/Composés, 2019, 957 pages
Colossal! Magistral! Ce sont les mots qui viennent à l’esprit à l’issue de la lecture de cette somme remarquable dont nous gratifient Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri. On pourrait presque écrire qu’à l’ouverture de l’ouvrage, le monde des amateurs de la Seconde Guerre mondiale retient son souffle… Ce pavé de plus de 900 pages est remarquable à plus d’un titre. Le lecteur passionné ne doit pas être rebuté devant son épaisseur: le sujet et la masse des informations, ainsi que des questions à aborder le justifie amplement. L’opération « Barbarossa« , l’offensive terrestre la plus formidable de la guerre, représente la tournant du conflit. Elle inaugure un affrontement titanesque qui décide du cours de la guerre.
Que trouvera le lecteur dans ce livre? Une énième narration des combats? Que nenni: il lui faut pour cela attendre d’avoir lu plus de 300 pages… 300 pages qui posent le cadre, expliquent le contexte, donnent les clés de ce qui va suivre. Jean Lopez ne renouvelle pas l’erreur d’Antony Beevor dans son histoire du débarquement qui commence… au débarquement. Le prélude, « Le dîner de la rue Bendler », un épisode méconnu survenu le 3 février 1933, constitue une excellente entame après une courte introduction. Au cours de cette soirée mémorable, le nouveau chancelier expose sans fard ses projets de guerre et d’expansion à l’Est. Suit un chapitre sur Hitler avant son accession au pouvoir, les origines de son antisémitisme, de son antislavisme, de sa haine du bolchevisme, bref de la genèse de son projet de conquête à l’Est, qui est une idée fixe chez lui… L’ouvrage nous amène peu à peu à la fatidique année 1941 en nous exposant la vision des événements vus depuis l’Allemagne et l’Union soviétique. Le récit de la conquête de la Pologne est particulièrement intéressant. La paranoïa de Staline, capable d’imaginer une connivence entre Londres et Berlin est remarquablement mise en valeur. Les auteurs accordent comme il se doit une place importante à la préparation de l’affrontement, ainsi qu’à la coopération entre les deux puissances avant la rupture: partie essentielle où il est question aussi bien des purges staliniennes, que des plans de campagne face à la Grande Bretagne, ou encore de la campagne des Balkans de 1941 (loin d’avoir été la cause de l’échec de « Barbarossa »). Ce qui ressort en permanence est que le projet de la guerre à l’Est constitue LE projet de Hitler, celui qui justifie toute son action politique depuis le début. L’un des traits saillants du texte est de mettre en évidence l’aspect idéologique du conflit, et donc ses conséquences sur le terrain. « Barbarossa » débouche sur la Shoah, le massacre des prisonniers soviétiques, l’assassinat, l’asservissement et la mise en famine des populations slaves. Des crimes sont la Wehrmacht se rend complice. « De l’autre côté de la colline », la brutalité inouïe du système soviétique, ses incohérences, les ordres inconséquents du Vojd (Staline). On est sidéré de la valse des menaces, exécutions, déportations des familles d’officiers qui auraient failli à leur devoir (l’infâme ordre numéro 270)…
Les amateurs d’histoire militaire peuvent se réjouir: Jean Lopez est toujours aussi excellent quand il s’agit de la guerre à l’Est. On apprend beaucoup. Le récit des opérations est clair, bourré d’informations et suffisamment dense (qu’on peut facilement compléter avec des livres, le plus souvent anglo-saxons spécifiquement consacrés à telle ou telle bataille), et remet en cause bien des idées reçues (comme la transhumance industrielle vers l’Oural, l’impact de la boue, etc) et aborde des sujets souvent rapidement survolés, ou à tout le moins non saisis dans leur importance (comme l’action vaine du général Dietl pour s’emparer de Mourmansk, dans le grand nord ou encore l’invasion anglo-soviétique de l’Iran). Les erreurs commises dans les deux camps ne cessent de surprendre… J’ai particulièrement apprécié les nombreux témoignages de hauts gradés, les passages consacrés à l’organisation des deux armées (notamment le commandement), ainsi que les nombreuses cartes (par ailleurs très claires), signées Aurélie Boissière. On apprécie aussi le va-et-vient entre le front et d’autres considérations sur la guerre. Les auteurs n’oublient pas de faire intervenir les nombreux alliés -souvent négligés- de Hitler, d’expliciter leurs motivations, ni d’aborder la politique, avec les voyages d’Eden et autres envoyés anglo-saxons auprès de Staline (les prémices du soutien américain et le début de l’aide britannique sont passionnants à découvrir).
Les pages les plus terribles sont celles qui touchent à la genèse de la Shoah, ainsi que brutalités, massacres et autres horreurs réservés au civils (les pages sur Leningrad sont édifiantes) et aux soldats soviétiques, mais aussi, dans l’autre camp, la terreur stalinienne et l’action du NKVD. L’implication des Roumains est plus qu’explicite. On découvre aussi l’étonnante histoire de la république antisoviétique de Lokot.
In fine, Hitler ne porte pas seul la responsabilité de l’échec de « Barbarossa » puis de « Typhon« . Les auteurs semblent n’accorder aucune chance de victoire au Reich, même en anticipant une campagne en deux temps, avec hivernage en Russie. J’en doute, pour un certain nombre de raisons. En revanche, comme l’ouvrage le souligne, il est impensable d’imaginer un succès du plan « Barbarossa » en posant le postulat que les Allemands utilisent à leur profit le capital de sympathie que leur apporte le rejet du régime stalinien auprès de nombreux soviétiques, et pas seulement les Ukrainiens. L’organisation du système est telle que toute révolte est impensable: 1941 n’est pas 1917… Et surtout, ce serait supposer que le III Reich et la Wehrmacht fassent fi de l’antislavisme et du racisme intrinsèque au nazisme. On ne comprend pas « Barbarossa » sans le projet de colonisation à l’Est de Hitler. On ne peut séparer « Barbarossa » de l’asservissement des Slaves. On comprend aussi qu’aucun compromis ne peut survenir pour mettre fin aux hostilités: le projet de Hitler vise ni plus ni moins à l’anéantissement de l’union soviétique. La guerre contre l’Angleterre, il n’en voulait pas… Quant à la Wehrmacht, son attitude eau cours de « Barbarossa » révèle, s’il le fallait encore, que l’armée allemande n’est pas une armée comme les autres, ce qui est au coeur de mon livre paru cette année aux éditions Perrin: « Etre Soldat de Hitler« . Lecteur assidu de Jean Lopez, qui a su faire découvrir le front de l’Est au lectorat français, j’attendais depuis longtemps qu’il se lance dans l’aventure de l’écriture d’un ouvrage sur « Barbarossa« . Avec Lasha Otkhemzuri en tandem, le résultat ne pouvait qu’être à la hauteur des espérances. L’ouvrage, qui met la barre très haut, fera date, sans nul doute.
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