Seconde Guerre Mondiale WWII

« OVERLORD » ET LE FRONT MEDITERRANEEN 

Le Jour J s'est d'abord gagné en Méditerranée

La campagne menée par les Alliés en Méditerranée à partir de 1942 est celle des opportunités. Il ne se présente aucune autre alternative pour les Alliés en Europe avant 1944. Pour autant, même en l’absence d’une stratégie déterminée de longue date, ce théâtre des opérations a constitué le pivot de la guerre en Europe. Dans quelle mesure a-t-il donc favorisé le succès d’« Overlord » ? 

Des leaders et des troupes désormais expérimentées 

Dès la campagne de Tunisie, les Alliés ont compris l’impérieuse nécessité d’un commandement unique assurant une réelle coordination entre les différentes armées et entre les forces aériennes et terrestres. A ce propos, Eisenhower, s’il n’est pas un tacticien hors-pair, semble en revanche être bien l’homme qualifié pour diriger les forces armées de la coalition anglo-saxonne.  

La guerre en Méditerranée permet aussi de déceler et de mettre en valeur des officiers de premier plan appelés à jouer un rôle crucial dans la libération de l’Europe Les principaux chefs qui se sont distingués en Méditerranée sont aussi ceux qui vont mener les Alliés à la victoire au titre de commandants d’armée ou de groupe d’armée: Montgomery, Bradley, Patton. Les postes de commandants de corps d’armée britanniques échoient ainsi à des généraux expérimentés : Richard O’Connor (ancien vainqueur des Italiens avec la Western Desert Force), Neil Ritchie (ancien commandant de la 8th Army), John Crocker, Gerard Bucknall et, plus tard, Brian Horrocks. La pertinence de ces choix peut toutefois se poser : il n’y aura certes pas de Lloyd Fredendall, le commandant malheureux du 2nd US Corps à Kasserine en février 1943, en Normandie, mais Montgomery et Bradley ont-il l’élan nécessaire pour saisir les opportunités qui se présenteront ? 

Les Britanniques combattent sur ce théâtre des opérations depuis 1940, et Montgomery prend le soin d’emmener en Angleterre des divisions expérimentées : la 7th Armoured Division, les fameux « rats du désert », ainsi que les 50th et 51st ID. Des régiments blindés intègrent des unités des Home Forces (l’armée déployée en Grande Bretagne) et des officiers, vétérans des campagnes de Méditerranée, sont nommés à des postes de responsabilités, à l’instar de « Pip » Roberts, le nouveau commandant de la 11th Arm. Div., qui s’est distingué en Afrique. Les Américains disposent pour leur part de quatre divisions de vétérans assignées à « Overlord » : la 1st ID « Big Red One », la 9th ID, la 2nd Armored Division et la 82nd Airborne Division. Un constat similaire peut être fait pour les forces navales et aériennes. Le constat reste pourtant implacable : l’immense majorité des soldats alliés qui vont devoir vaincre la Wehrmacht en Normandie sont encore des « bleus ». 

Des tactiques réajustées  

A la lumière des premières opérations menées en Tunisie à Tébourba, en décembre 1942, puis ensuite à Kasserine, il apparaît également clairement que les styles de commandement, la doctrine tactique, l’organisation et le matériel utilisé ne permettent que difficilement un mixage d’unités américaines et britanniques aux niveaux du corps et de la division. Comme le souhaitait déjà Pershing en son temps en 1917, l’armée américaine devra donc combattre sous un commandement indépendant. Cette séparation entre Britanniques et Américains est effective dès la Sicile, en juillet 1943, et elle sera reconduite en Normandie. 

La coopération air/sol fait un bond qualitatif après la campagne de Tunisie, au cours de laquelle elle est assez efficiente dans le tandem 8th Army/Desert Air Force, et constitue un des apprentissages majeurs au profit de la grande bataille qui s’annonce en France. Les difficultés ont été multiples au sein de l’USAAF (tirs fratricides, mauvaise coordination…) mais, en Sicile, une nouvelle doctrine axée sur un statut équivalent entre les forces aériennes et terrestres (et non plus une subordination des premières) ouvre la voie à une meilleure flexibilité et, partant, une coopération de plus en plus efficace. L’utilisation massive et coordonnée de l’artillerie, nettement mieux maîtrisée, s’est également considérablement améliorée par la mise au point de techniques aux effets dévastateurs, et ce aussi bien chez les Américains que chez les Britanniques.  L’utilisation des observateurs aériens, rendue aisée par l’absence de la Luftwaffe, est devenue la norme, en particulier pour les bombardements effectués par la flotte, comme à Anzio, en janvier 1944. 

            Chez les Britanniques, la guerre en Afrique met en exergue une faiblesse de la coopération interarmes, de la discipline de tir, de l’utilisation des mortiers, de l’entraînement de l’infanterie… et surtout de l’emploi des tanks. Si l’armée britannique a enfin compris l’importance de disséminer l’expérience acquise, elle ne s’applique avant tout qu’aux unités présentes sur les théâtres des opérations extérieurs, plus qu’aux Home Forces. Par ailleurs, les formations britanniques gardent l’esprit « régimentaire », avec leurs traditions. On pense au mieux à des opérations « conjointes » entre différentes armes, plutôt qu’à une réelle coopération interarmes. Il a fallu l’impulsion de Montgomery, auréolé de sa réputation et de son expérience, pour faire évoluer les choses. Malheureusement, son ego démesuré n’est pas en mesure d’accepter les innovations émanant d’autres généraux : si révision des tactiques il doit y avoir, cela ne se fera que si elles s’accordent avec ses propres conclusions, ce qui exclut une partie de l’expérience acquise en Italie, celle-ci intervenant parfois trop tardivement, au printemps 1944.  

            Le caractère montagneux de la Tunisie, de la Sicile et de l’Italie ont poussé à une plus étroite coopération entre les tanks et l’infanterie, ce qui a notamment mis en valeur le rôle du Churchill. Il n’a donc pas été possible d’engager des masses de blindés comme dans le désert de Libye ou d’Egypte ou encore au Centre d’Entraînement au Désert établi par les Américains au sud-ouest des Etats-Unis. En 1944, les unités blindées britanniques se réentraînent donc dans la perspective du Débarquement. Finie la percée obtenue par les blindés : le tank, à défilement de tourelle, sera en appui de l’infanterie à qui échoie la lourde tâche de s’emparer des positions adverses avec le bénéfice du soutien conséquent d’une artillerie puissante et efficiente. 

Mais l’armée américaine a également éprouvé doctrines et tactiques. Si les premières ne sont pas remises en cause, elle bénéficie pour les secondes d’un atout lié à sa culture. Contrairement aux Britanniques, dont les officiers semblent avoir gardé une conscience de classe, cette armée écoute beaucoup plus facilement les recommandations venant d’officiers subalternes mais aussi des hommes du rang. L’US Army sait s’ajuster à l’adversaire. Rommel en est conscient, dès le désastre subi par les Américains à Kasserine. 

Lieutenant-colonel Hightower estime que les unités blindées américaines ont beaucoup appris au contact des Allemands. Comme ces derniers, il importe de manœuvrer les tanks relativement lentement et non foncer tête baissée, particulièrement au crépuscule, sans avoir le temps d’observer le terrain et le dispositif ennemi et également pour garder une certaine cohésion. Il faut également éviter d’évoluer en colonne mais au contraire se déployer en « V », en ligne ou en coin. Ceci afin d’offrir une puissance de feu plus conséquente. Pour éviter les pièges tendus par l’ennemi, outre la reconnaissance des positions adverses, il faut éviter d’emprunter les routes, généralement minées. L’emploi des chars a également montré l’intérêt de la position « hull down », plaçant le blindé à couvert à défilement de tourelle, pratique remarquablement appliquée dès le 17 février à Sbeïtla par le CCB de la 1st US Armored Division. Le port d’un casque d’acier semble d’ailleurs préférable pour le chef de char en raison de l’obligation qu’il a d’exposer sa tête hors de la tourelle afin de s’assurer un champ de vision efficace et suffisant. 

La nécessaire coopération interarmes pour assurer l’efficacité d’une attaque est apparue évidente. Un char ne peut combattre seul. S’il peut à la rigueur s’assurer de la prise d’une position adverse, il ne peut la tenir, alors que les Allemands contre-attaquent systématiquement. Trop souvent, à Medjez-el-Bab et Sidi-bou-Saïd notamment, les tanks attaquent seuls ou sans soutien sérieux des autres armes. Le lieutenant-colonel McPheeters a compris que, pour assurer le soutien des blindés, l’artillerie doit être placée au plus près et ne cesser de suivre le mouvement des tanks, une batterie avançant pendant que les deux autres ouvrent le feu sur l’ennemi. De ce point de vue, l’automoteur M7 Priest s’avère particulièrement bien adapté. Mais McPheeters insiste sur le fait que les observateurs d’artillerie jouent ici un rôle important et qu’une bonne coopération nécessite que le chef de l’unité qui bénéficie du soutien d’artillerie doit toujours savoir où se trouve ces observateurs, trop peu nombreux pour être sur toute la ligne de front. A Maknassy, l’artillerie de la 1st US Armored Division doit un temps prendre en charge cinq bataillons, ce qui est beaucoup trop, d’autant que le travail des observateurs est rendu très difficile par le fait que les positions ennemies sont astucieusement dissimulées. De surcroît, le chef des blindés doit avoir une connaissance minimale de l’artillerie et de son fonctionnement. 

L’absence de reconnaissance efficace a été désastreuse lors des combats de Tébourba et de Medjez-el-Bab en décembre 1942 ainsi que lors de la contre-attaque à Sidi-Bou-Zid le 15 février 1943, deuxième jour de la bataille de Kasserine. Le Staff Sergeant Hagler rapporte ainsi qu’à Medjez-el-Bab il n’y eût pas ou presque de reconnaissance. Il apparaît que les hommes envoyés en reconnaissance, que ce soit à pied ou à bord de véhicules, sont en fait trop préoccupés par le fait de se faire tirer dessus. Ceci peut être compréhensible mais il y a un temps pour être très prudent et un autre pour déceler les positions adverses : le travail des troupes de reconnaissance est justement de provoquer le tir ennemi pour établir une bonne connaissance de ses positions. L’usage du Piper Cub se généralise et s’avère ici essentiel.  

Les GIs apprennent à établir des positions défensives efficaces : les foxholes –les trous d’homme individuels- sont la meilleure parade face au bombardement de l’artillerie et de l’aviation car seul un coup au but peut parvenir à toucher le soldat qui s’y est réfugié. Les Américains apprennent qu’il importe que l’infanterie suive de très près les tirs de l’artillerie afin que, dès que le barrage cesse, les GIs surgissent sur un ennemi qui n’est pas encore en mesure d’ouvrir le feu. Se dissimuler reste toujours un impératif évident. A Maknassy, des hommes restés debout près d’un poste d’observation ont ainsi permis aux Allemands de repérer la position. Dans le même ordre d’idée, à Kasserine, le Sergeant Annenberg du 6th Armoured Infantry Regiment assiste à une scène incroyable près d’un poste de commandement anglais. Vers 16 heures, les deux observateurs britanniques font du feu ! Il faut moins d’un quart d’heure pour que les deux hommes soient tués par un tir d’artillerie ennemi. 

A de nombreuses reprises, l’ennemi a su tirer profit des hauteurs, ce qui sera une constante de la Tunisie à l’Italie, et ensuite en Normandie. Les Américains apprennent à ne pas les négliger et notamment à tirer partie de postes d’observations situés en hauteur. Il importe cependant de positionner ses troupes à bon escient : ainsi, les éléments positionnés sur les éminences de part et d’autre de Sidi-Bou-Zid, s’ils dominaient bien le secteur environnant le 14 février 1943, ont en revanche étaient isolés et anéantis. A El Guettar, avec le cas notable de la colline 772, on tire la conclusion que la prise des points d’observation dominants est un prélude essentiel pour réussir toute avance. En effet, tant que l’ennemi tient ces positions, toute avance est impossible. Cette évidence en matière tactique a nécessité plusieurs confrontations désastreuses sur le terrain pour être efficacement mise en application. La campagne d’Italie montre déjà une prise ne compte de ces expériences, qu’il faudra donc poursuivre en Normandie. 

Les autres Nord-Américains, les Canadiens, ont fait montre d’une belle adaptabilité en Sicile, puis en Italie. Contrairement aux Britanniques, beaucoup moins pragmatiques, ils n’ont pas hésité à adopter des techniques d’infiltration et d’activités de patrouilles. Les techniques de combats urbains (soutien des antichars en tirs direct et des mortiers pour pallier l’impossibilité d’utiliser l’artillerie, passage à l’explosif à travers les murs), en Sicile mais plus encore à Ortona, seront adoptées par l’armée britannique et influenceront les Américains. De même, les difficultés dans la vallée du Liri en mai 1944 ainsi que la poussée vers Rome en juin arrivent trop tardivement pour que les enseignements tirés soient disséminés au profit du 21st Army Group qui s’apprête à débarquer en Normandie. C’est le cas aussi du carpet bombing, ou bombardement en tapis, qui suppose l’utilisation des bombardiers stratégiques en soutien tactique. Le concept est inauguré à Monte Cassino en février 1944 et cela constitue la seule occasion où il est employé avant le D-Day, empêchant toute maîtrise réelle de la nouvelle technique. 

Sur le plan opérationnel, les déficiences de l’US Army ont également été mises en exergue : en attaquant sur un large front avec toutes les forces dispon. Les Américains apprennent aussi à tenir compte de la défense allemande en profondeur à contre-pente ainsi qu’à ne pas se déployer sur les positions nouvellement conquises,, faute de quoi un déluge de feu de l’artillerie allemande surprendra les GIs sur une zone dont les coordonnées sont déjà enregistrées par les batteries. 

L’expérience du combat face aux Allemands et aux Italiens Tous les enseignements de la guerre menée en Méditerranée ne seront pourtant pas tous pris en compte, particulièrement chez les Britanniques, l’expérience méditerranéenne étant jugée sans intérêt puisqu’on estime que les conditions de combat seront très différentes en France. 

Des matériels éprouvés 

C’est en Méditerranée, et plus particulièrement en Tunisie, que les Alliés mettent à l’épreuve leur matériel et leur armes : les Américains ne débarqueront pas en France avec des antichars de 37 mm, des half-tracks-Tank Destroyers ou encore une myriade de M3 Lee et Stuart. Les combats ont montré la nécessité de disposer d’un matériel antichar bien plus efficace que ce dont ils disposent dans leur arsenal. Le bazooka fait ses premières armes, de même que le PIAT. Ce dernier souffre de sa faible portée utile , mais il n’en constitue pas moins un progrès majeur par rapport au fusil-antichar Boys. Paradoxalement, ce sont les Allemands qui vont en tirer le meilleur bénéfice en mettant au point le Panzerschreck à la faveur de l’étude de quelques exemplaires de bazookas tombés entre leurs mains au cours de la bataille de Tunisie.   

Pour les tanks, si des impératifs industriels et de matériels obligent à composer avec ce qui existe, en l’occurrence les Sherman. Le M4 Sherman, bien que très vulnérable au 88 mm et au Pak 40, s’avère être un engin remportant tous les suffrages, surtout au regard des autres engins du parc de blindés alliés. En revanche, le M3 Lee/Grant est définitivement mis de côté pour la guerre en Europe. Le char léger M3 Stuart reste dans l’ordre de bataille mais il est évident que son engagement se limitera désormais aux opérations de reconnaissance et d’exploitation : sa carrière de char de combat est terminée, en Europe du moins. 

Les chars américains ne peuvent être séparés de la question des Tank Destroyers. Si McNair, le patron des forces terrestres américaines, ne perçoit toujours pas les limites de son concept de Tank Destroyer, il convient en revanche qu’une refonte de l’organisation des Tank Destroyers Battalions s’impose. Devant les pertes subies, il apparaît que les Half-Tracks équipés d’une pièce antichar de 75 mm et les camions armés d’un 37 mm sont bien trop faiblement blindés et armés pour remplir efficacement leur rôle. Selon les nouvelles tables d’organisation qui apparaissent en mai 1943, les Tanks Destroyers Battalions seront donc uniquement dotés de blindés M 10 équipés de canons de 76 mm ou de canons de 76 mm tractés.  

Premiers largages opérationnels pour les aéroportés 

            Eu égard au manque d’expérience en la matière, les opérations aéroportées menées en Méditerranée se sont révélées certes ambitieuses mais riches d’enseignements. Les parachutistes n’ont pourtant pas encore donné mesure de leur plein potentiel. Pour s’assurer du succès d’ « Overlord », les planificateurs du SHAEF (l’état-major du commandement suprême) mettent un point d’honneur à décrypter les failles des opérations aéroportées menées en Afrique du Nord (dans le cadre de l’opération « Torch »), en Sicile (opération « Husky ») et en Italie (opération « Avalanche »). Afin de bénéficier de son expérience du terrain, l’Américain Gavin, qui a commandé le 505th PIR en Méditerranée, est promu conseiller pour les forces aéroportées américaines et rejoint ainsi l’état-major du COSSAC, chargé d’élaborer les plans pour « Overlord ». Dès octobre 1943, un mémorandum des Combined Planning Staff britannique et américain démontre l’intérêt de l’emploi massif de forces aéroportées pour attaquer et s’emparer d’objectifs. Des missions d’appui tactique des opérations amphibies semblent plus pertinentes que des raids hasardeux. Le mémorandum rappelle l’importance de la coopération entre les forces terrestres, aériennes et navales. Il souligne également les limites constatées du transport et du ravitaillement par voie aérienne. 

            Une des leçons essentielles tirées de ces premières opérations est d’entraîner les paras à rejoindre leurs objectifs où ils retrouveront leurs camarades plutôt que de leur apprendre à monter des embuscades et à harceler l’ennemi s’ils se retrouvent isolés. Des briefings permettront de donner à chaque homme le maximum de détails sur la mission de son unité, de sorte qu’il sache la conduite à suivre s’il en vient à être isolé.  Les largages effectués en Sicile et leur trop grande dispersion ont également convaincu Eisenhower que les parachutages du Jour J devront être davantage concentrés. Pour éviter une telle mésaventure, il est décidé de créer une nouvelle unité de parachutistes, tous volontaires, dont la mission serait de préparer les largages en installant des balises de repérages sur les Drop Zones (le système Eureka/Rebecca a été testé avec succès lors de l’opération « Avalanche ») : ce seront les pathfinders. L’accent doit être également mis sur la discipline de vol des pilotes qui doivent maintenir leurs formations à l’altitude et à la vitesse requise en dépit des tirs de DCA qu’ils essuient. 

Pis, la DCA de la flotte alliée a touché 40% des avions de transport d’un régiment et la moitié des planeurs de la brigade aéroportée anglaise engagée dans l’opération « Husky » sont largués en mer. Pour « Overlord », afin de se prémunir de ces mécomptes, les appareils des escadrilles alliées seront dotés de cinq bandes noires et blanches facilement identifiables. Celles-ci, larges d’une trentaine de centimètres chaque, sont appliquées avec plus ou moins de soin peu avant le déclenchement de l’opération Elles ornent les ailes et le fuselage de chaque appareil, mis à part les bombardiers lourds, aisément identifiables et opérant de toute façon à haute altitude. Pour éviter les tirs fratricides, il est outre décidé que les vagues aériennes d’avions emportant les aéroportés emprunteront un chemin différent de celui de la flotte de débarquement : ainsi, pour les 82nd et 101st, la flotte aérienne atteindra la Normandie par l’ouest du Cotentin alors que l’assaut amphibie s’effectuera sur la côte est. Qui plus est, l’escorte directe de chasse au-dessus de la flotte sera assurée par les P38 Lightning, dont le double empennage ne laisse place à aucune confusion malencontreuse.  

            En ce qui concerne le combat proprement dit, on remarque qu’une division aéroportée est trop légèrement armée et manque de véhicules pour lui faire tenir un rôle équivalent à celui d’une division d’infanterie. Il importe donc de les renforcer par d’autres éléments si on envisage de la maintenir sur de la ligne de front. 

L’apprentissage de la guerre amphibie 

            Il s’agit là du legs majeur des opérations menées en Méditerranée. L’opération « Torch » montre combien une minutieuse préparation logistique est fondamentale pour assurer le succès d’une opération amphibie. L’inexpérience conduit à de lourdes pertes en péniches de débarquement. La congestion et le chaos qui s’emparent des plages provoquent des délais dans le déploiement des troupes. Pis, le désordre au sein des vagues d’assaut aurait eu des conséquences catastrophiques face à une défense déterminée : l’apprentissage se devait de ne pas s’effectuer le jour de l’invasion du continent européen. Les opérations de chargement et de déchargements doivent être améliorées. Il apparaît évident que les troupes d’assaut ont besoin d’un appui-feu plus direct : ce seront les futurs LCT (R) et LCG. 

            L’ampleur de « Husky » et les débarquements en Italie, « Avalanche » et « Shingle », apportent leur moisson d’enseignements. On perfectionne les manœuvres impliquant une myriade de navires de guerre et d’embarcations de débarquement. Les LCT, transporteurs de tanks, démontrent tout leur intérêt. Les camions amphibies DUKWS ainsi que les précieux navires de transport LST, capables de s’échouer sur la grève, entrent en lice et s’avèrent absolument indispensables en révélant tout leur potentiel. Mieux, en Sicile, les Américains démontrent qu’il est possible d’assurer un ravitaillement correct directement par les plages, au moins l’espace de quelques jours, avant de pouvoir disposer d’un port. En Sicile et en Italie, en dépit d’une artillerie navale efficiente, les têtes de pont ont démontré leurs faiblesses au cours des premières heures : il faut des blindés en nombre. Les frappes de la Luftwaffe ont une fois plus démontré l’impérieuse nécessité de s’assurer de la maîtrise absolue des cieux avant de lancer « Overlord ». Le débarquement à Salerne a démontré l’importance d’un bombardement préliminaire ainsi que la nécessité de déminer les champs de mines côtiers, deux éléments qui n’avaient pas été pris en compte. 

            Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les opérations navales et amphibies menées dans le Pacifique qui constituent le banc d’essai des grands débarquements de la guerre. Si l’assaut sur Guadalcanal a lieu en août 1942, deux mois et demi avant « Torch », il implique bien moins de barges et d’effectifs que l’offensive sur les côtes nord-africaines, par ailleurs première opération combinée anglo-américaine, dernier point essentiel qui a son importance. La fameuse bataille de Tarawa, menée par les Marines en novembre 1943, ne peut pas non plus se comparer avec ce qui attend les Alliés en France. Ce n’est pas une garnison isolée, surclassée en nombre et sans espoir de renforts qu’il va falloir affronter, mais une armée puissante, bénéficiant de lignes de communications terrestres et de réserves blindées puissantes qui pourraient faire toute la différence. Pis, si dans le Pacifique les assaillants peuvent soumettre leur objectif à des bombardements aériens et navals préliminaires au besoin des jours avant l’assaut, une telle procédure n’est pas envisageable en Normandie, faute de perdre l’effet de surprise, jugé à raison absolument indispensable au succès de l’opération. 

            Pour autant, tout n’a pas été appris en Méditerranée. Il va falloir remédier aux problèmes que suscite l’apparition d’obstacles de plages qui se multiplient sur les côtes de l’Europe occupée. Si la nécessité de disposer d’un support blindé immédiat mène au développement du char amphibie, les chars spéciaux « funnies » ne procèdent pas forcément de l’expérience de la guerre en Méditerranée, Dieppe (août 1942) ayant eu son importance. Néanmoins, le char démineur Matilda Scorpion d’El Alamein est l’ancêtre du Sherman Flail/Crab et le franchissement de l’oued Zigzaou sur la ligne Mareth (Tunisie, 1943) a nécessité l’emploi de fascines comme celles des Churchill AVRE.  

Les opérations amphibies qui ont précédé Overlord ont mis en lumière l’impérieuse nécessité de disposer d’une organisation permettant un bon déroulement des débarquements. Pour cela, les transmissions entre les unités à terre et les forces navales doivent être assurées. Appareils de transmissions optiques et radio, fanions et haut-parleurs donnent au Naval Beach Battalion américain les moyens d’accomplir cette mission. L’arrivée des renforts et la nécessité d’assurer un débarquement sans encombre des unités de soutien et d’assurer la logistique conduisent à la mise en place de Beach Groups sur les plages anglo-canadiennes. 

L’impact stratégique sur les Allemands 

La guerre en Méditerranée provoque-t-elle une diversion de troupes allemandes ou de troupes alliées ? Les Américains se sont d’abord inquiétés du détournement de moyens trop importants au profit de  la campagne d’Italie. Ainsi, Alexander dispose de 2 000 tanks en mai 1944, au moment de l’opération « Diadem ». Un total impressionnant s’il est mis en relation avec le caractère très montagneux de la péninsule italienne. 

            En août 1944, alors que la 7th US Army et l’Armée B de de Lattre débarquent en Provence, privant le théâtre italien de nombreuses troupes, on compte encore 21 divisions et de nombreuses unités indépendantes au sein du 15th Army Group déployé en Italie. En mai 1944, le Heeresgruppe C, qui regroupe l’ensemble des unités allemandes combattant en Italie, ne compte pas moins de 400-500 Panzer et blindés et de 26 divisions allemandes et 6 divisions italiennes fascistes. La Wehrmacht déploie entre 15 et 33 divisions sur ce théâtre des opérations, en moyenne 25 en 1944-45, soit 10% des effectifs de l’armée. La guerre en Afrique du Nord et de l’Est se solde par 900 000 pertes pour les Germano-Italiens. Des centaines de navires ont été coulés, des milliers de canons et de tanks ont été perdus. Outre que la proportion de divisions d’élite (Panzer, Panzergrenadiere, Fallschirmjäger et Gebirgsjäger) n’est pas négligeable, ces effectifs sont conséquents et auraient pesé lourdement dans la balance si Rommel et Rundstedt avaient pu bénéficier d’au moins une partie de ces troupes pour s’opposer au débarquement allié à travers la Manche.  

De « Torch » à la reddition en Tunisie, la Luftwaffe perd 2 600 appareils en Méditerranée. Les pertes sont également conséquentes au-dessus de l’Italie. Autant d’escadrilles qui feront défaut à l’Ouest où la Luftlotte III va devoir se battre au mieux à un contre dix. Le constat est moins pertinent La Kriegsmarine n’est pas non plus en reste car les sous-marins qui participent avec brio aux combats en Méditerranée sont définitivement perdus pour Dönitz, au moment même où la bataille de l’Atlantique entre dans une phase cruciale. 

            L’impact des opérations en Méditerranée sur le dispositif défensif à l’Ouest, la fameux Atlantikwall, n’est donc pas anodin. De plus, suite aux combats de Géla en Sicile puis de Salerne en Italie, de nombreux experts se leurrent sur les capacités réelles de la flotte alliée, pourtant incapable à elle-seule d’assurer la pérennité d’une tête de pont et l’arrêt d’une attaque de Panzer. La menace est aussi désormais plus grande sur les Balkans dont il faut renforcer les défenses. Par ailleurs, avec la libération de la Corse et la prise de contrôle par les Alliés du sud de l’Italie, la  Wehrmacht doit prendre en compte les menaces qui pèsent sur le sud de la France et, partant, le risque d’un contournement des défenses allemandes en Italie. De fait, cette menace se concrétisera par un débarquement en Provence –l’opération « Dragoon » le 15 août 1944- qui a non seulement retenue des troupes allemandes qui auraient pu être redirigées vers la Normandie, mais qui a de surcroît accéléré la libération de la France et facilité le succès d’ « Overlord ». 

Un front secondaire indispensable à la victoire finale 

L’engagement de forces alliées sur le front méditerranéen, considéré comme périphérique ou secondaire. Il a en particulier procuré à l’US Army une expérience salutaire qui  a payé ses dividendes en Normandie, d’autant que les pertes sont restées relativement légères, assurant ainsi une continuité dans le personnel. L’ampleur des difficultés rencontrées démontre l’impérieuse nécessité d’affiner l’outil de combat. Il est à cet égard heureux que les Américains aient pu affronter les Allemands en Tunisie pour réformer leur armée avant de les combattre en France. Un débarquement sur les côtes de la Manche sans l’expérience acquise en Tunisie aurait tourné au désastre. Peut-on imaginer un Kasserine dans le Cotentin ? 

Enfin, au-delà de l’apprentissage, notamment dans l’art de l’assaut amphibie ou des opérations aéroportées, sur le plan psychologique, les victoires obtenues en Méditerranée ont un effet certain sur le moral puisque les Allemands ne sont pas perçus comme invincibles. Certes, les usines du sud du Reich et les puits de pétrole de Ploesti en Roumanie sont désormais à portée des bombardiers stratégiques de la 15th US Air Force basés en Méditerranée. Le front méditerranéen draine en outre une part non négligeable de l’effort de guerre du Reich, qui fait donc défaut ailleurs. 

Pourtant, comme en Tunisie et en Italie, les Alliés font campagne en Normandie avec un matériel inférieur et nombre de « bleus » inexpérimentés. Pis, la situation que découvrent les Alliés en Normandie après le 6 juin diffère grandement des batailles qui ont eu cours en Méditerranée : ni le bocage ni la plaine de Caen ne semblent reproduire l’expérience africaine ou italienne. En Sicile comme en Italie, après l’échec des contre-attaques initiales des Panzer, les débarquements alliés ont été suivis par un retrait progressif des troupes allemandes vers des positions défensives préparées. Montgomery pense que les Allemands vont procéder de même à l’Ouest et que la bataille de Normandie arrivera rapidement à son terme, l’ennemi se retirant sur la Seine. Par ailleurs, si les opérations d’interdiction menées par l’aviation s’avèrent être d’une efficacité redoutable, les lignes de communications de l’ennemi ne pourront pas être intégralement coupées de façon hermétique comme en Tunisie. Même constat dans le camp adverse : avec le terrain et la supériorité aérienne alliée, toutes les manoeuvres de Panzer apprises à l’Est sont sans intérêt… Les deux camps doivent improviser une nouvelle forme de guerre et mettre au point de nouvelles méthodes et un nouveau matériel. 

« Overlord » a pour but ultime de vaincre et détruire l’armée allemande et d’envahir le Reich. La Wehrmacht a perdu près de 800 000 hommes en Méditerranée de 1941 à 1945, ce qui suffit à démontrer l’importance de ce théâtre des opérations pour le succès final d’ « Overlord ».