Seconde Guerre Mondiale WWII

L’AFRIKAKORPS AU CAIRE, 1942 : LE PLAN DE ROMMEL

Un pan méconnu de la guerre du désert

La position britannique n’a jamais été aussi fragile en Egypte et au Moyen-Orient qu’au cours de l’été 1942, après la chute de Tobrouk. Pour l’Axe, une opportunité s’ouvre, encore faut-il être en position de la saisir, faute de l’avoir sérieusement anticipée. Les archives de la Panzerarmee Afrika nous éclairent sur les plans de Rommel… 

L’Egypte, et plus particulièrement la zone du canal de Suez, constitue le point stratégique majeur pour la position de la Grande Bretagne au Moyen-Orient. Début juillet 1942, une victoire de Rommel à El Alamein semble envisageable. Avec le bénéfice d’un butin conséquent, elle donnerait l’occasion d’un nouveau bond en avant. Du côté de la Panzerarmee Afrika, on anticipe déjà la conquête de l’Egypte. 

La prise des grandes villes sera décisive 

Avec l’occupation du Caire, d’Alexandrie, de Suez et de Port-Saïd, l’ensemble du Delta du Nil tombe automatiquement aux mains des assaillants. Cette conquête serait d’autant plus aisée que, même si le général Holmes a l’ordre de mettre le Delta en défense avec son 10th Corps, le plan « Colonial », qu’envisage Auchinleck en cas de défaite à El Alamein, consiste en une retraite en direction de la Haute-Egypte, ce qu’ignore Rommel et son état-major.  

Depuis El Alamein, il est assez facile d’atteindre Le Caire en évitant le Delta. Il suffirait aux forces de l’Axe de suivre une piste, puis d’emprunter la route -dite du désert- qui relie Alexandrie à la capitale égyptienne et qui ne présente aucun obstacle. Le Caire serait d’autant plus exposée que nombre des meilleures unités alliées auraient détruites à El Alamein. Les Britanniques, prévoyant, établissent des positions entre le Wadi Natrun et le Nil. Ainsi, les ordres opérationnels 86, 87 et 88 d’Auchinleck prévoient qu’en cas de percée ennemie, la 8th Army, à réception du code « Brixworth » se replierait sur le Wadi Natrun, tout en harcelant les colonnes ennemies en route vers Alexandrie et Le Caire. Des retranchements sont également établies à Mena, à proximité des pyramides, mais la défense même du Caire doit s’appuyer en priorité sur la défense des ponts. Les combats pour la ville seraient a priori les plus importants : les Allemands ne s’attendent pas à des combats majeurs dans la région du Delta, certes sillonnée par un certain nombre de routes carrossables, mais également scarifiée de nombreux canaux et fossés de drainage.  

Une double-attaque en direction du Caire et d’Alexandrie 

L’étude menée au QG de Rommel estime nécessaire une double-poussée en direction du delta du Nil depuis le front d’El Alamein : au nord-est, sur Alexandrie, et à l’est-sud-est, sur Le Caire. En raison de l’importance stratégique primordiale de Suez, l’avance sur le Caire doit se voir accordée la priorité en moyens et donc être réalisée avec la force principale, et ce sans tenir compte de la durée des opérations menées parallèlement contre Alexandrie, qui devraient de toute façon avoir lieu simultanément. Le plan de Rommel prévoit de franchir le Nil au Caire avec la 15. Panzer-Division, la 90. Leichte-Division et des troupes italiennes, les parachutistes allemands de la brigade Ramcke ayant pour mission de s’emparer des ponts au cours d’un assaut aéroporté. Alexandrie, attaquée par la 21. Panzer-Division appuyée par les Italiens, devrait tomber dans la foulée.  

La seconde séquence d’opérations après la prise du Caire ne pourra qu’avoir des répercussions dramatiques pour les Britanniques : l’occupation de la zone du canal de Suez et la fermeture et la sécurisation de l’écluse de tête du canal d’Ismaïlia, seul fournisseur d’eau douce des places de Suez, d’Ismaïlia et de Port-Saïd. Ces objectifs ne pourraient alors être tenus bien longtemps par les Britanniques acculés. La perte par la 8th Army de Suez et de son canal ne peut en aucun cas être compensée par le déplacement des lignes de communication anglaises depuis le golfe d’Aqaba (ou de la lointaine Bassorah…). De surcroît, alors que la Royal Navy a abandonné la rade d’Alexandrie dès le début de la bataille d’El Alamein, ses unités les plus importantes encore en Méditerranée orientale (à Haïfa), devront alors impérativement s’échapper vers le sud par le canal de Suez pour éviter d’être prises au piège. Le QG de la Panzerarmee Afrika pose le postulat de l’absence d’une force aérienne alliée puissante (une condition préalable de toute manière essentielle à toutes les opérations de l’Axe dans la zone), du fait des pertes et des évacuations, ce qui signifierait ipso facto que les navires de guerre britanniques ne pourraient même pas prendre le risque de participer à la défense de Suez. 

Il est a priori impératif d’atteindre les passages sur le Nil au Caire au moment où l’ennemi reflue, avant que celui-ci ait la possibilité de les bloquer ou de les faire sauter, mais on estime cette condition difficilement réalisable. En effet, on pense la 8th Army capable de se dégager de l’étreinte de la Panzerarmee, au besoin en sacrifiant son arrière-garde qui combattra encore à l’ouest du Nil (on a vu que le plan d’Auchinleck prévoit de harceler les colonnes ennemies). Il sera alors loisible aux Britanniques de procéder à la destruction des ponts.  

Toutefois, une parade semble possible : la Brigade Ramcke, libérée par l’abandon de l’assaut sur Malte, de même que les Italiens de la « Folgore », seront a priori disponibles dès que déployés en Afrique (les planeurs sont disponibles également en nombre, à des usages logistiques, et pourraient être impliqués). Si Rommel parvient à obtenir une vision précise de la situation (grâce à ses services de renseignements, en dépit de la perte de l’unité 621 de l’Hauptmann Seeböhm le 10 juillet) et que l’armée entre en action au moment opportun, l’un ou l’autre des passages du Nil pourrait être assuré par l’utilisation de Fallschirmjäger. Cette option, si elle n’est pas écartée, est cependant jugée peu probable. En conséquence, la Panzerarmee Afrika doit plutôt être prête à forcer le passage du fleuve avec ses propres moyens et en faisant montre d’improvisation. L’espoir des Allemands découle de leur expérience en France et à l’Est : il s’avère que, même après dynamitage, une partie des piliers résistent à la destruction, à tout le moins leur base, ce qui signifie qu’il est possible de procéder à une reconstruction provisoire avec du bois, de pontons et autres matériels du génie.  

Les ponts les plus importants et les plus avantageux sont à l’évidence ceux du Caire. Même si l’un ou l’autre des ponts ou barrage subsiste ou est rapidement rétabli, l’armée ne pourra s’empêcher de profiter de toutes les occasions pour former des têtes de pont hors des zones des ouvrages d’art à l’aide de bateaux d’assaut des Pioniere et en employant tous les moyens possibles, y compris les bacs ou dahabiehs et felouques, abondants dans le pays, ainsi que toutes sortes de bateaux, radeaux, ferries…  Quelles que soient les formes sous lesquelles la traversée de l’armée peut avoir lieu, il faut envisager et prendre en compte une défense sérieuse de l’ennemi. D’après l’expérience acquise en Russie, observe le rédacteur du plan de la Panzerarmee Afrika, les Allemands savent dans quelle mesure la traversée de grands fleuves peut être perturbée par des canonnières ou des embarcations armées, sans oublier la nuisance de simples nids de mitrailleuses, à même de provoquer le chaos dans les troupes rassemblées sur la rive, prêtes à réaliser un assaut fluvial. 

            La bataille peut être dure, mais il est évident qu’une défaite à El Alamein signifierait la perte du gros des forces blindées alliées, voire d’une part non négligeable du corps de bataille, outre l’abandon d’un matériel conséquent, ce qui serait fort problématique après la perte de stocks immenses à la suite de la retraite depuis Tobrouk. En outre, les 9th et 10th Armies en Palestine et en Iran n’ont que peu de sources à détourner. La conquête du Caire est donc dans le domaine du possible. Corolaire direct : encerclées, les forces déployées à Alexandrie par les Alliées seraient en passe d’être annihilées.  

Le concours de la Kriegsmarine dans la prise d’Alexandrie 

En plus des tâches déjà existantes de sécurisation des approvisionnements par la mer, l’étude menée par la Wehrmacht établit les opérations de combat qui pourraient être assurées par la Kriegsmarine. On envisage ainsi une attaque sur Alexandrie par la mer, en soutien aux opérations de l’armée de terre contre la base britannique. Certes, en raison du peu de moyens disponibles, notamment en vedettes rapides, mouilleurs ou dragueurs de mines, une telle entreprise ne peut tout au plus consister qu’en une tentative de bloquer l’entrée du port occidental. En outre, une telle attaque ne contribuerait guère à accélérer la chute de la ville, quand bien même elle réussirait, car les Allemands estiment improbable la participation de grandes unités italiennes à un affrontement des forces navales britanniques piégées, qui seraient contraintes de prendre part à la défense de leur base (lors de la rédaction, la Royal Navy n’a pas encore abandonné Alexandrie). Un jugement hâtif qui rappelle les craintes du Führer concernant l’invasion de Malte, à propos de laquelle il affirme que la Regia Marina abandonnerait les Fallschirmjäger à leur sort (sans doute un excuse supplémentaire avancée pour renoncer à l’opération). Quant aux redoutables plongeurs italiens de la DECIMA-MAS, on pense que l’indispensable élément de surprise ferait défaut : l’unité ne peut guère réitérer son exploit de l’automne 1941. La tentative de débarquer des troupes à l’est d’Alexandrie serait également vouée à l’échec car, outre la difficulté à bénéficier de l’effet de surprise, la zone est difficile pour la navigation. 

De toute façon, Alexandrie, qui ne peut être attaquée depuis El Alamein que par l’ouest sur l’étroite langue de terre entre la mer et le lac Maryut et du sud uniquement à travers celle-ci (avec de l’artillerie à longue portée), perd tout intérêt pour les Britanniques dès lors que Le Caire et Suez seraient conquises : les troupes, prises dans une nasse, seraient menacées d’anéantissement car Alexandrie ne pourra jamais jouer un rôle similaire à celui de la forteresse de Tobrouk. Non seulement ses défenses de campagne ne sont pas comparables à celles du port libyen, mais les forces de l’Axe n’auraient aucune crainte à avoir de subir des attaques de flanc sur le Nil, faute de terrain favorable, outre que la 8th Army serait vraisemblablement en fuite. Pour accélérer la chute –alors considérée comme certaine- de la ville, on envisage la prise par les Fallschirmjäger de l’écluse de Kafr el Dawwar, du canal Mahmudiya, seule source d’eau douce pour Alexandrie. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le déploiement de la marine peut avoir un effet bénéfique dans l’ensemble des opérations, d’une part en sécurisant le port pour le ravitaillement, assurant ispso facto la fin du cauchemar logistique qui handicape l’Afrikakorps depuis ses premiers pas en Afrique, et d’autre part en développant les opérations en amont du Nil et des canaux en surveillant militairement la voie navigable vers le Caire, qui est très appropriée pour le transport de fret pour la période d’août à décembre.  

Mesures envisagées pour la protection, la sécurité et la surveillance sur le Nil 

Selon le plan retenu, un Marine-Spezialkommando (commandement spécial naval) devrait être présent à l’arrivée de Rommel sur le Nil et mettre immédiatement la main sur tous les bateaux à moteur, remorqueurs et vapeurs, pour les sécuriser, les occuper et les armer. Outre un service de ferry mis en place dès la victoire acquise, on mettra en place une flottille improvisée de protection du Nil dans les plus brefs délais. On envisage de grouper les bateaux par douze (le tirant d’eau ne doit pas dépasser les 2 m), en fonction de la taille, de la vitesse et de l’armement. Il serait ainsi formé un groupe de patrouilleurs, un autre de canonnières et un troisième de remorqueurs. Les deux premiers groupes prendraient immédiatement en charge la sécurité du passage de l’armée en combattant les bateaux ennemis, en escortant et en protégeant les navires de transport et en dégageant le fleuve d’éventuels obstacles, ainsi qu’en ouvrant le feu sur des nids de résistance sur la rive ennemie. Quant au groupe de remorqueurs, il rassemblera toutes les barges et embarcations adaptées au transport de troupes et de matériel (même si le trajet Alexandrie-Le Caire bénéficie de l’existence de routes et de voies-ferrées). Le Marine-Spezialkommando devraient s’assurer la présence d’officiers ayant des connaissances locales. Le groupe alignera 330 officiers et soldats, dont quelques techniciens, 36 mécaniciens et plus de 200 matelots et artilleurs (pour des Flak de 20 mm et de 37 mm, voire une pièce de 88). Il convient aussi d’avoir un homme qui soit apte à faire office d’interprète, ce qui suppose maîtriser la langue vernaculaire égyptienne (qui n’a rien à voir avec les autres dialectes arabes). Le Marine-Spezialkommando sera doté d’armes individuelles et de grenades, ainsi que de 16 camions, dont 5 pour le transport des munitions et des armes lourdes (au moins 72 MG, 24 pièces de Falk de 20 mm et 12 de 37 mm). 

Pour s’assurer du contrôle et de la sécurité du Nil après la traversée en force de la Panzerarmee, certaines mesures sont envisagées. Après que l’ennemi ait été chassé du Caire et des rives du Nil qui jouxtent la ville, l’utilisation de la marine sur le fleuve se limiterait essentiellement aux mesures prises par la police fluviale. Une barrière anti-mines dans la région d’Helwan pourrait être utile pour se prémunir contre des entreprises -très improbables- menées depuis la Haute-Égypte en aval du Caire. 

S’assurer du Nil nécessite également de prévoir l’occupation du barrage d’Assouan (celui de 1935, érigé par les Anglais, n’a pas les dimensions du gigantesque ouvrage existant actuellement), au cas où les Britanniques le ferait sauter, ce qui entraînerait une montée des eaux en aval, chose jugée certes peu probable car, si cela gênerait la traversée du fleuve par les forces de l’Axe, les inondations entraîneraient un exode massif de la population civile, qui, comme en France en 1940 (souligne l’auteur de l’étude), ne ferait qu’entraver les opérations militaires des Alliés. Des Fallschirmjäger et un Kampfgruppe blindé rapide pourraient cependant être impliqués dans une telle opération de sécurisation. On peut douter d’une telle possibilité car la 8th Army doit être prioritairement repliée vers la Haute-Egypte selon les plans d’Auchinleck. La question de la régulation des eaux du Nil taraude cependant également le Premier ministre anglais. Le 3 juillet 1942, alors que la bataille d’El Alamein fait rage, Churchill demande au Middle East Command comment les Panzer pourront manœuvrer si on procède à des inondations dans le Delta. Corbett, le chef d’état-major au Moyen-Orient, répond en précisant que cela affecterait aussi bien l’ennemi que la 8th Army. Il poursuit en indiquant qu’il est nécessaire de préserver un aérodrome dans le secteur d’Alexandrie, mais que des négociations sont en court avec le gouvernement égyptien en vue d’une inondation dans la zone du Caire. Quoiqu’il en soi, les travaux de défenses sont entamés : l’inondation de certaines terres est effective près d’Alexandrie, des civils sont évacués, on creuse des positions, des arbres sont coupés et des bâtiments détruits pour dégager les champs de tirs, des ponts de bateaux sont jetés sur le Nil et la Royal Navy improvise une flottille fluviale… 

Attaque sur Port-Saïd depuis la mer 

            Le Caire, Suez, puis Alexandrie entre les mains des Germano-Italiens, l’objectif suivant serait Port-Saïd. Certes, la ville est relativement facile à atteindre par voie terrestre, mais on réfléchit à l’emploi de la Kriegsmarine. Après le retrait supposé de la flotte britannique en mer Rouge, un débarquement amphibie à Port-Saïd est envisageable, même si des destructions sont à prévoir de la part de l’ennemi. L’opération n’est toutefois réalisable qu’en ayant recours à des Marine-Fahrprame (des barges) à partir d’Alexandrie, à condition d’appareiller la veille de l’assaut afin de se présenter sur l’objectif à l’aube. Le vent du nord dominant –mais faible le matin- peut aider à la dissimulation du groupe d’assaut grâce au brouillard. Ce dernier pourrait consister en un groupe de choc de 500 hommes expérimentés, soutenus par 6 Panzer et quelques canons légers, force jugée suffisante pour prendre la place par surprise (on suppose que celle-ci ne soit pas fortement défendue). La zone d’assaut sera idéalement située entre le môle ouest et la point de Gamil, à l’ouest de Port-Saïd, où l’aérodrome doit être pris au plus vite afin d’y dépêcher des renforts. Avec la chute de Port-Saïd, l’artère vitale que constitue le canal entre la Méditerranée et l’océan Indien serait interdite aux Britanniques, même si ces derniers, par une activité aérienne soutenue ou en y sabordant des navires, pourraient également en interdire l’usage à leurs ennemis. L’Egypte serait toutefois entre les mains de l’Axe. Il ensuite organiser l’occupation. 

La sécurisation des conquêtes 

Les instructions insistent sur la saisie de stocks, à commencer par tous les biens et dépôts de l’armée britannique (ce qui inclut toutes les bases et casernes de la RAF et de la Royal Navy).  Bref, une désorganisation colossale de la logistique britannique résulterait de l’avance de l’armée de Rommel : l’immense base logistique alliée en Méditerranée et au Moyen-Orient serait purement anéantie. Selon les rapports allemands, les camps britanniques sont établis dans le désert à Giza, près des fameuses pyramides, à Helwan, à Beni Youssef sur la route du Fayoum et à l’est de Maadi. D’autres sont établis à Almasa, Thag ; au nord-ouest de Suez, à Geneiffa et à Ismaïlia, le plus souvent dans le désert. Les casernes anglaises sont également répertoriées : celle de la police à la gare centrale, celles de Kasr el Nil (près du musée des antiquités), d’Abbasia (avec les ateliers), d’Helmia, de la Citadelle et d’Héliopolis. Tous les aérodromes doivent, cela va de soi, passer sous la coupe des Allemands : ceux du Caire (Héliopolis –le plus important-, Almaza, Helwan), Alexandrie (Agami, Dekheila, Mariut, Aboukir) et dans la zone du canal de Suez (notamment Abu Suier et Kabrit, ce dernier constituant par ailleurs la base du SAS). 

Concernant Le Caire, l’armée allemande prévoit la sécurité des transports, des approvisionnements et des musées (le musée des antiquités, le musée islamique –appelé erronément « arabe » dans les archives de l’Afrikakorps- et le musée copte, dont on se questionne si la surveillance doit être confiée à la Wehrmacht). Les gares (la gare principale du Caire et celle de Giza), ainsi que tout le matériel roulant doivent être sécurisés, le responsable étant Mohammed Chaker Pasha. La poste, le télégraphe, la radio (celle de Marconi, mais aussi la station émettrice à 25 km au nord-ouest du Caire et le système de réception à l’est de Maadi, au sud du Caire) : tout doit être placé sous contrôle. Quant aux ponts qui enjambent le Nil, leur sécurité doit absolument être confiée à des soldats allemands et à personne d’autre. Les usines fournissant l’électricité et le gaz sont également d’importance, l’adresse du bureau de Lebon & Cie étant dûment répertoriée, le directeur technique étant un certain Hartmann. Les usines de traitement des eaux (établissement « Eaux du Caire »), ainsi que la station de pompage de Giza (le « Service d’irrigation ») figurent parmi les éléments essentiels à contrôler.  

Si les points clés de la ville du Caire sont clairement établis, il en va de même pour la seconde ville du pays, Alexandrie, pour laquelle la liste est similaire. Toutes les installations d’importances figurent parmi les objectifs immédiats : la radio (Marconi), ainsi que le poste de télégraphe du port ; les usines d’électricité, de gaz et d’eau ; la station radio de Ras el Tin ; le dépôt de carburant ; les musées. Les zones occupées par les troupes alliées sont aussi ciblées : casernes (Ras el Tin, Kom el Dikka, Mustafa Pacha), le camp de Sidi Biahr et les aérodromes de la RAF cités ci-dessus.  

Remaniement politique 

Puisque les Allemands supposent que l’Egypte a probablement rompu les relations diplomatiques avec l’Allemagne uniquement sous la pression des Britanniques (la réalité est certes plus complexe), ils en déduisent que le pays ne leur est pas hostile et qu’il est donc possible de traiter avec son gouvernement. L’Egypte est une monarchie depuis que les Britanniques ont accordé le titre de roi au khédive d’Egypte, au moment de la Grande Guerre.  Si l’Egypte est en théorie un Etat souverain et indépendant depuis 1936, le Royaume-Uni conserve des prérogatives, particulièrement en matière de défense du canal de Suez et au maintien de garnison. L’homme fort du pays reste l’ambassadeur anglais, alors Sir Miles Lampson, dont les rapports avec le jeune roi Farouk sont assez tendus. Les études du QG de la Panzerarmee Afrika en prévision de la conquête rappellent que celui-ci est probablement favorable à l’Axe, et de souligner que sa soeur est impératrice d’Iran. Son attitude antibritannique facilite ainsi son maintien au pouvoir à l’arrivée de Rommel. Les Germano-Italiens entendent a priori conserver l’organisation politique existante et prévoient d’entrer en contact avec le roi dès leur entrée dans la capitale. Les Allemands, de façon erronée, soulèvent la possibilité qu’il séjourne au Mena House (qui n’est plus résidence royale), au pied des pyramides, ou plus probablement au palais d’Abedin, au centre de la ville (ce qui est effectivement le cas). Le plan allemand prévoit la réorganisation du gouvernement. On exigera que le pro-britannique premier ministre Nahas Pasha sera immédiatement remercié de son poste. Comme successeur, on ne voit qu’Aly Maher ou le prince Abbas Halim, la nomination du premier semblant la plus évidente aux Allemands. La Panzerarmee Afrika exigera du nouveau premier ministre un nouveau responsable de la police, qui devra coopérer avec des troupes allemandes commandée par un chef de régiment. Il sera du ressort de la police d’assurer l’ordre et le calme, de même qu’aucune agression ou acte de pillage ne soit mené contre la population européenne résidant en Egypte (170 000 personnes). Par ailleurs, alors qu’il sera exigé de mettre la main sur les fonctionnaires anglais, il sera évidement impératif de libérer tous les ressortissants allemands et italiens qui seraient détenus (ce qui est le cas pour les premiers dès 1939, bien que l’Egypte soit neutre, tandis que les Italiens –au nombre de près de 50 000- sont demeurés libres). 

Mainmise économique 

            Les troupes de l’Axe doivent immédiatement procéder à la mainmise sur les ressources économiques du pays. Celle-ci devra être rapidement menée, les sites devant être sécurisés et les biens appartenant à l’armée britannique confisqués. Le rapport établi au QG de la Panzerarmee Afrika établit à ce propos qu’il importe de ne pas présenter à cet égard l’aspect d’une dictature militaire allemande. Il est donc conseillé de former des commissions mixtes provisoires pour les différentes branches de l’économie, qui seraient composées de membres des forces allemandes et d’économistes égyptiens compétents. Par ailleurs, une commission des prix serait mise sur pied, avec entre autres la responsabilité de déterminer le taux de change entre la Livre égyptienne, le Reichsmark et la Lire. Les noms des principaux individus avec lesquels entrer en contact selon la question soulevée sont déterminés : ainsi, pour toute question concernant des devises, ce sera le baron Richter, le directeur de la banque de Dresde, alors interné au Caire tandis que ses compatriotes combattent sur la ligne d’El Alamein.  

Les richesses et productions de l’Egypte sont dûment répertoriées, que ce soit les produits de l’agriculture (comme le coton, etc), des mines (phosphate ; un peu de pétrole près d’Hurgada et ailleurs, soit 660 000 t en 1939 ; le manganèse ; de l’or en petites quantités…), l’industrie, qui est alors relativement peu développée (sucre, cigarettes, textiles, alcools…). Les Allemands prévoient ainsi évidemment de saisir les réserves de carburant (à Mashmasha), de même que le coton (une des richesses de l’Egypte), qu’il ne convient surtout pas de transporter sans une autorisation commune égypto-allemande. Le charbon est également de prime importance : il faut ici se mettre en rapport avec Shaker Pasha, le directeur des chemins de fer, ainsi qu’avec la Société Commerciale Belgo-Egyptienne d’Alexandrie et du Caire, le plus gros importateur, dont le gérant se nomme Jacques Ghyselen.  

La mainmise sur l’économie égyptienne sera du ressort d’un « Erfassungsstab Aegypten », mis sur pied par l’état-major de la Panzerarmee Afrika. Son commandant sera l’Oberstleutnant Battrè. Le personnel sera issu : 1) du bureau économique de l’OKW et de la Panzerarmee Afrika ; 2) le Major Boldt avec le Qu.Abt. du Korück ; 3)des éléments de la Feldgendarmerie-Kp 613, du Wach-Btl Afrika et du Beute Berge Abteilung (chargé de la récupération du matériel de la 8th Army) ; 4) d’éléments de la Luftwaffe et de la Kriegssmarine.  

            L’« Erfassungsstab Aegypten » doit s’assurer de la saisie : 

-de tous les parcs de véhicules. S’il faut en croire les informations obtenues des Italiens, ainsi que le précise le texte allemand, le gouvernement égyptien a saisi toutes les voitures privées du pays, ce qui est bien peu probable, d’autant que plus d’un individu tente alors de se mettre à l’abri des forces de l’Axe.  

-des camions citernes, stations service, pompes à essence 

-de tout le matériel ferroviaire (locomotives et wagons de toutes sortes)-outillage industriel  

-des stocks de caoutchouc (dont l’usine du Caire) 

-des aliments de toutes sortes (abattoirs, boulangeries de gros volumes, chambres froides…) 

La « Solution finale » au Moyen-Orient 

            L’image d’un « guerre sans haine » en Afrique doit être définitivement bannie des esprits. Le travail préparatoire à l’invasion de l’Egypte, rédigé à Beda Littoria au cours de l’été 1942, n’omet pas d’aborder la question des Juifs. L’auteur des lignes souligne qu’en Egypte, « comme partout », les Juifs occupent une position dominante dans les finances, l’économie et l’industrie et suppose que le gouvernement égyptien nationaliser sans hésiter leurs biens « à l’exemple de nombreux autres pays », et ce au profit de l’économie du pays, « mise à mal par les années de guerre » (c’est plutôt l’inverse qui est vrai : elle a été au contraire stimulée !). L’Allemand se fourvoie pourtant pleinement lorsqu’il écrit que le peuple égyptien « n’est en aucun cas l’ami des Juifs » : des années avant la création de l’Etat hébreu, il n’y a pas d’antisémitisme sur l’ancienne terre des pharaons. La menace qui plane sur les Juifs est pourtant bien réelle. Le 20 juillet 1942, le sinistre SS Walter Rauff, un des principaux exécutants de la « Solution Finale » atterrit à Tobrouk en avance sur son Einsatzkommando de 24 membres. L’unité est rattachée à la Panzerarmee Afrika mais reçoit ses ordres de la SiPo (la police de sécurité) et du SD (le Sicherheitsdienst ou service de sécurité). 

Si la conquête de l’Egypte (à tout le moins de la Basse voire la Moyenne Egypte), hasardeuse et difficile, n’est pas de l’ordre de l’impossibilité absolue en juillet 1942, celle du Moyen-Orient, compte tenu de l’état de la Panzerarmee au 1er juillet 1942, est une chimère, sauf effondrement total britannique, bien peu probable, et accroissement considérable de l’effort de guerre de l’Axe sur ce théâtre des opérations. Un mois plus tard, lors de l’ultime offensive du « Renard du Désert » à Alam Halfa, le chef de la Panzerarmee Afrika revoit ses ambitions à la baisse. La 8th Army, une fois isolée de ses lignes de communications, il ne restera plus qu’à l’anéantir, avant de foncer sur Le Caire et Alexandrie, aux approches desquelles Rommel entend limiter son avance, conscient que la situation a beaucoup évoluée depuis le 1er juillet.