Avril-mai 1943, l’offensive et la victoire finale des Alliés
La situation désespérée de l’Axe
La guerre en Afrique du Nord touche à sa fin. Les forces aériennes alliées déclenchent au mois d’avril l’opération Flax qui vise à couper le pont aérien établi par la Luftwaffe et la Regia Aeronautica entre la Sicile et la Tunisie. 432 appareils de l’Axe sont ainsi abattus pour seulement 35 avions alliés perdus, tandis que les aérodromes de l’Axe en Italie et en Tunisie sont copieusement bombardés lors de raids destructeurs menés par les « lourds ». La Tunisie est soumise par ailleurs à un véritable blocus naval à partir de Malte et de l’Algérie : il n’est plus possible d’envisager une éventuelle évacuation vers la Sicile. Les renforts n’arrivent plus qu’avec parcimonie. A la fin du mois d’avril, Arnim ne reçoit plus que 5 à 6% du minimum de ravitaillement requis pour son armée. Les unités n’alignent pas plus d’une centaine de chars et plus que 300 canons, le tube parfois usé, tandis que le sable et les difficultés de maintenance immobilisent de nombreux véhicules. Si aucune évacuation n’est officiellement accordée ni même du domaine du possible, le Heeres-Gruppe Afrika s’emploie à sauver quelques spécialistes, ainsi que certains officiers supérieurs obtenant une permission ou une évacuation médicale au moment opportun. Fin avril et début mai, les Küstenjäger participent ainsi à l’évacuation d’officiers d’état-major et de spécialistes à bord de leurs Sturmboote. Le 18 avril, le personnel du Panzer-Regiment « Hermann Goering », qui n’est arrivé en Tunisie que le 4 de mois, reçoit l’ordre de partir pour la Sicile, laissant ses quelques Panzer en Afrique.
A la mi-avril, le front du Heeres-Gruppe Afrika, qui regroupe 175 000 soldats germano-italiens, couvre un arc de cercle de 130 kilomètres de long, d’Enfidaville à la côte au nord-ouest de Bizerte. Cette ligne est toutefois relativement facile à défendre et Alexander doit préparer une attaque en règle interalliée, l’opération Vulcan. Eisenhower dispose de 500 000 hommes, dont 300 000 combattants, et 1 400 chars, parfaitement ravitaillés. La supériorité numérique alliée est donc écrasante. Anderson entend au préalable s’assurer d’une excellente base de départ et donc de s’emparer de plusieurs hauteurs d’importance, de Massicault à El Bathan, et en particulier de Longstop Hill et des éminences qui l’entourent dont le contrôle prive les Britanniques de l’usage de la meilleure route de ravitaillement jusqu’à Medjez-el-Bab. Le V Corps d’Allfrey établit donc avec soin des plans pour une opération qui reçoit pour nom de code Sweep. La tâche, confiée à une 78th ID renforcée, s’annonce ardue et le plan de feu, impliquant 130 pièces de 25 pounder, 35 de 5,5 inch et 12 de 7,2 inch, est soigneusement étudié. Les opérations préliminaires sont lancées le 28 mars par la 46th ID et la 1st Parachute Brigade dans l’intention d’attirer l’attention des Allemands plus au nord. L’attaque s’avère être un franc succès puisqu’elle attire les réserves d’Arnim, tout en permettant la reprise du terrain concédé au cours d’Ochsenkopf, ainsi que la conquête attendue du Djebel Abiod.
Sweep est lancée dans la nuit du 6 au 7 avril par une 78th ID endurcie et aguerrie par cinq mois passés en première ligne. Parmi les soutiens de poids dont bénéficie la division, la 25th Independant Tank Brigade et ses Churchill Mk III. Puissamment blindés, capables de se frayer un chemin par lequel nul autre char n’est capable de progresser, ce tank tient un rôle primordial dans la bataille, de même que les mules rassemblées pour assurer la logistique et la puissance de feu des formations de la Royal Artillery rassemblées en soutien. Si les Allemands manquent d’artillerie, leurs mortiers constituent un palliatif redoutable d’efficacité. Ils sont par ailleurs solidement retranchés dans la roche, protégés par des mines et des barbelés, ainsi que par des nids de MG disposés à profusion. Les affrontements sur des kilomètres sur ces hauteurs désolées vont s’éterniser pendant plus de quinze jours, la poussée étant confrontée à de violentes contre-attaques allemandes. Le Djebel el Ang et le Djebel Bettiour sont particulièrement disputés, tandis que le Djebel Tanngoucha, atteint une première fois le 16 avril, et dont le contrôle assurerait la prise du village fortifié de Heidous, n’est conquis par le Royal Irish Fusiliers que le 25 du mois. Solidement retranchés, les Allemands ne cèdent qu’à l’issu d’engagements particulièrement âpres, jetant leurs maigres ressources dans la mêlée, tel un bataillon de la 999. Leichte-Afrika-Division à peine débarqué en Tunisie. In fine, l’apparition inattendue des Churchill permet aux Britanniques d’emporter la décision à chaque combat. Les Allemands ne faiblissent pourtant pas. Le 29 avril, opérant avec le 5./734 au nord de la vallée de la Medjerda, deux Panzer IV de la 3. Kp./ Pz.Rgt HG, repoussent un unité d’infanterie britannique au-delà d’une crête qu’elle avait conquise. Exploit renouvelé face à 18 tanks le lendemain.
Opération Vulcan : le Heeres-Gruppe Afrika ne cède pas
Eisenhower et Alexander décident que le rôle principal sera confié à la 1st Army, généreusement approvisionnée de 343 000 obus dans cette optique, tandis que la 8th Army, déjà couverte de gloire depuis El Alamein, forcera les positions ennemies d’Enfidaville. Pour des raisons de hautes politiques, Alexander a dû concéder une portion du front aux Américains, dont le 2nd Corps est transféré en quatre jours jusqu’au cap Serrat, dans la partie septentrionale du front, avec Bizerte comme objectif : un redéploiement qui est en soi un exploit administratif et logistique.
Montgomery, contrarié par le rôle secondaire dévolu à son armée qu’il n’accepte pas, ne doutant pas un instant qu’il peut obtenir la percée, part le premier à l’attaque le 19 avril en lançant l’opération Oration. Mettant à profit le relief accidenté, les positions de la 1a Armata, pourtant réduite à 260 pièces d’artillerie (auxquelles il faut ajouter les 104 canons de l’Afrika-Korps), s’avèrent plus redoutables que prévu par les Alliés. Même si les fortifications entreprises par le Lehrabteilung germano-arabe sont inachevées, qu’à peine 15 Panzer de la 15. Panzer-Division et quelques canons automoteurs Semoventi sont disponibles en soutien, que le ravitaillement manque et que la suprématie aérienne alliée soit totale, le moral et la volonté de se battre semblent encore intacts. Le 20o Corpo (90. Leichte, Giovani Fascisti et Trieste) constitue l’aile gauche, tandis que le flanc droit est assuré par le 21o Corpo (164. Leichte et Pistoia). Pour gonfler les effectifs, puisque les divisions citées alignent à peine plus de 20 bataillons d’infanterie (soit un peu plus de deux divisions britanniques), des unités ad hoc sont formées avec du personnel des services et de l’aviation. En dépit de la supériorité apparente de ses forces, il faut trois jours à Montgomery pour s’emparer de Takrouna, un des points forts du dispositif de Messe, au prix de pertes sensibles (plus de 1 000 hommes) pour les Néo-Zélandais qui doivent affronter la Giovani Fascisti et les derniers parachutistes de la Folgore, tous très déterminés. Les Gurkhas doivent user du kukri, tandis que les Rajputs, à court de munitions, en sont réduits à projeter des pierres contre l’ennemi au cours d’une mêlée nocturne. Coincée, la 8th Army tente alors sa chance dans le secteur côtier avec la 50th Northumbrian, mais la lutte s’y avère tout aussi âpre : attaques et contre-attaques se succèdent. Le 29 avril, la 56th Division toute juste arrivée d’Irak se casse les dents sur les défenses et reflue en désordre : la concentration de tirs de l’artillerie de la 1a Armata stoppe l’offensive de Monty, qui, à sa grande déception, se cantonne désormais à un rôle de fixation.
Dans la nuit du 20 au 21 avril, à la veille de l’opération Vulcan alors que la 8th Army est sur l’offensive depuis quelques jours, la 1st Army est confrontée à une attaque surprise près de Medjez-el-Bab. L’opération est menée en chantant par cinq bataillons de la Hermann Goering, appuyés par 80 Panzer. Observant les préparatifs d’une nouvelle offensive ennemie et le renforcement de ses positions, les Allemands déclenchent en effet l’opération Fliderblütte dans l’espoir de reconquérir l’ancienne HKL. Le Gruppe Schirmer (avec les Fallschirmjäger et le Pz Rgt 7) mène l’assaut principal contre les hauteurs au nord-ouest de Goubellat. Son flanc gauche est assuré par le Gruppe Funck (un bataillon du Grenadier-Regiment HG) en direction du Djebel Rihane. Les positions d’artillerie déployées sur « Banana Ridge » sont emportées par les paras. 7 chars, 7 antichars, des munitions (8 000 grenades), 15 000 litres du carburant, 5 batteries et 80 véhicules auraient été perdus par les Alliés. Les Tiger anéantissent 40 chars sur l’ensemble du front ce jour-là. Mais, l’attaque allemande tombe sur un ennemi renforcé sur le point de passer à l’offensive. Les Panzer sont dès lors la proie de tirs antichars précis (dont des 17 pounder) et nourris dès que point l’aube et les fantassins de la Hermann Goering doivent concéder le terrain conquis après une charge britannique menée baïonnette au canon sous le couvert de chars Churchill. Les Allemands accusent la perte de 320 à 450 hommes et de 33 Panzer. Le Tiger n° 131, touché par un Churchill, est abandonné à cette occasion par son équipage : il trône désormais à Bovington. Le lendemain, un autre Tiger est perdu alors que la 12./Fallschirmjäger-Regiment 5 parvient à repousser les Britanniques sur la route de Medjez el-Bab à la jonction de Krouchet.
La 1st Army, en rien retardée par Fliderblütte, qui ne s’avère qu’un gaspillage de forces pour Arnim, s’élance le lendemain 22 avril, trois jours après la 8th Army. Elle enregistre des pertes sérieuses –notamment au IX Corps de Croker, puisqu’elles se montent à 162 tanks, 24 canons, 67 véhicules et 23 avions selon les revendications allemandes (qui porteront le bilan final à 252 tanks), ainsi que 3 500 hommes, dont pas moins de 900 tués. La 4th ID, s’élançant de « Banana Ridge », s’évertue à s’emparer de Sidi Abdallah, « Cactus Farm » et le point 133. Bien que pilonnés sans relâche par les Boston, les défenseurs de Ksar Tyr repoussent tous les assauts de la 12th Brigade renforcée par le Duke of Cornwall’s Light Infantry. Une brigade de la 1st Division perd 500 hommes en une journée, tandis que 29 des 45 tanks Churchill qui la soutiennent sont détruits par les Tiger. 20 tanks tombent sous les coups des 8,8 cm des Tiger le 26 avril au sud de Bir Meherga. Deux « lourds » sont cependant perdus au combat le 29 avril. Le lendemain, au cours de combat menés à proximité de Pont-du-Fahs, 41 blindés britanniques s’ajoutent au palmarès impressionnant des deux Tiger Abteilungen. Si les matraquages répétés des forces aériennes alliées constituent une nuisance de plus en plus marquée, la Luftwaffe, bien que surclassée,reste active : les 24 avril, une quinzaine de tanks alliés en font les frais en succombant à ses attaques. Les derniers Semoventi du Raggruppamento Piscicelli contre-attaquent courageusement à Bou Kournine, forçant l’admiration de la 15. Panzer-Division. Les Italiens concèdent quatre blindés contre 28 détruits à l’ennemi.
La résistance est notable puisque le front ne faiblit absolument pas pendant quatre longs jours de combats dans le secteur de Medjez-el-Bab, particulièrement à Longstop Hill bien que la position tant convoitée soit soumise à un ouragan de feu le 25 avril :25 tonnes d’explosifs en 5 minutes ! Comme au mois de décembre, le Djebel Ahmera est le premier à être conquis par la 78th ID, mais il faut batailler dur pour que le Royal West Kent s’empare de l’autre pic, le Djebel Rhar, en s’exposant, comme à Noël, dans le ravin qui sépare les deux hauteurs. Les défenseurs ne cèdent toutefois qu’après avoir été encerclés après que les tanks et les East Surreys, ainsi que les automitrailleuses du 56th Recce Regiment, engagées en contrebas, soient entrés dans la mêlée. Un Churchill se fraye un passage jusqu’au sommet du Djebel Rhar, tandis qu’un second maraude à proximité, réduisant les postes de défense un à un. La résistance cesse enfin : 550 prisonniers sont rassemblés à l’issue de la lutte épique pour Longstop Hill. La prise de cette éminence constitue tout un symbole. Le verrou qui commande la route de Tunis et que les Allemands considéraient comme inexpugnable est tombé et le moral des Britanniques s’en ressent : ils sont venus à bout d’un ennemi coriace et très bien retranché. En 20 jours, la 78th ID s’est emparée d’une vingtaine de hauteurs et a capturé 2 300 prisonniers.
Pourtant, le front germano-italien ne cède pas. Cependant, la consommation en munitions épuise les réserves d’Arnim. On ne compte par ailleurs plus que 69 Panzer en état de combattre, regroupés au sein du Kampfgruppe Irkens. Les Italiens opèrent de même avec leurs blindés désormais tous placés sous le commandement du major Piscelli de la Centauro. Les 28 et 29 avril, l’Afrika-Korps mène sa dernière attaque en direction du Djebel Bou Aoukaz qu’il reprend aux Britanniques de la 24th Guards Brigade : la hauteur n’a cessé de changer de mains depuis le 26 avril, témoignage de la pugnacité des Germano-Italiens jusqu’à la fin. Quelques coup d’éclats continuent en effet d’émailler l’engagement des unités de l’Axe : ainsi, le 25 avril, près de Bou Arada, des éléments du Panzeraufklärungsabteilung HG du Major Brandenburg, montés sur Volkswagen et motos, surprennent un bataillon de la Légion Etrangère et ramène 80 prisonniers dans les lignes allemandes. L’intervention du Panzergruppe Irkens s’avère in fine déterminante en permettant la reprise du Djebel Bou Aoukaz : l’offensive d’Alexander est enrayée par les restes des divisions de Panzer à 13 kilomètres au nord-ouest de Ponts-du-Fahs, l’échec de Montgomery à Enfidaville ayant permis à Arnim de rameuter des renforts.
Au nord du front, le 2nd US Corps de Bradley déclenche lui-aussi son offensive, le 24 avril, suivi, le 25 avril, par les Français, déployés entre les 1st et 8th Armies. Cette offensive généralisée de plus de 20 divisions alliées contre un ennemi affaibli se heurte cependant à la défense résolue des troupes germano-italiennes. Face aux Américains, les soldats de Manteuffel sont certes nettement surclassés numériquement, mais ils bénéficient d’un terrain particulièrement favorable. Sur l’aile droite du secteur américain, les vallées étroites sont constellées de mines, une multitude de mitrailleuses et de mortiers, retranchés sur les hauteurs, balayant de leurs feu un terrain dépourvu du moindre couvert. La Big Red One peine devant l’impressionnante colline 609, dont la prise de contrôle est indispensable aux yeux de Bradley, éberlué par le manque de sens tactique d’Anderson qui lui suggère de laisser l’éminence de côté, faisant ainsi fi de la menace qui pèserait sur les flancs des GI’s… Le chef du 2nd Corps est contraint de faire enter en lice la 34th ID, qui n’a guère brillé à Kasserine puis à Foundouk : c’est l’occasion pour l’unité de s’amender. Cinq jours sont nécessaires au GI’s, qui sont montés à l’assaut, agrippés aux superstructures des 17 Sherman de soutien, pour que le 2nd Bn 168th IR s’empare de la colline 609 en empruntant un sentier de chèvres, tandis que d’autres unités manoeuvrent sur les flancs. Les Fallschirmjäger, qu’il faut parfois forcer à s’exposer en mettant le feu aux broussailles à coups d’obus au phosphore,se sont même permis le luxe de contre-attaquer, occasionnant de lourdes pertes aux Américains, leur capturant 150 hommes sur la colline 523 qui change trois fois de mains en l’espace de 24 heures. Les combats sont également très intenses à l’extrême nord du front, dans la vallée de Sedjenane, où la végétation est parfois si dense que les GIs de la 9th US ID et les Français du Corps Franc d’Afrique, confrontés au 962. IR et à la Manteuffel, qui ne concèdent que difficilement Jefna, Green et Bald Hills puis Kef en Nsour, sont amenés à ramper pour envisager la moindre progression. Un vétéran américain rapportera que l’affrontement était similaire à des combats de rue. Dans cette zone d’attaque, 150 GIs sont également capturés par les soldats de Manteuffel, particulièrement combattifs. Pourtant, Bradley ne lésine pas sur les moyens : chaque minute, 300 pièces d’artillerie américaines expédient 11 tonnes d’obus sur les lignes allemandes. Au cours de cette semaine pascale, 500 Américains sont tués et 2 000 autres blessés. Toutefois, le 25 avril, la 9th US ID s’empare des 7 kilomètres de pics et de crêtes d’Ainchouna. La Division « von Manteuffel » se replie lentement –plus par manque de motorisation qu’en raison de la pression des Alliés- en direction de Mateur et de Bizerte, opérant ça et là des destructions et semant des mines pour retarder l’adversaire. Début mai, elle ancre son flanc droit sur l’éminence du Djebel Achkel. Le front d’étend ensuite le long de crêtes surplombant de la vallée de la Tine jusqu’au collines au nord-ouest du col de Chouigui. Le 2 mai, les Américains dominent la plaine de Mateur et surplombent les positions ennemies. La défense acharnée des Germano-Italiens et le piétinement allié ne doit cependant pas faire illusion : le prochain assaut représentera l’ultime combat. Au sud des positions de la Manteuffel, les Américains affrontent depuis le 25 avril la 334. ID, qui assure alors la ligne de la route Sidi Nsir-Chouigui à la route Medjez-el-Bab-Massicault. La plus grande partie de l’unité tient le front sur la vallée de la Tine jusqu’au Djebel Lanserine. En réserve, Krause, qui a remplacé Weber, dispose encore de deux bataillons d’infanterie et d’éléments du schweres-Tiger-Abteilung 504. La combativité de la 334. ID n’est pas entamée par le spectre de la défaite, mais elle est peu à peu repoussée et très vite, faute de carburant, elle est immobilisée dans les montagnes autour d’Eddekhila et du col de Chouigui.
L’opération Strike : la fin en Tunisie
A la fin du mois d’avril, Alexander sent que les opérations piétinent. Il rend visite à « Monty » le 30 avril et ce dernier accepte de transférer plusieurs unités au profit de la 1st Army, dont la célèbre 7th Armoured Division, sans doute une façon pour lui de faire participer la 8th Army à l’estocade finale et de pouvoir lui en attribuer les mérites… La fin est proche. La situation des forces de l’Axe est désespérée. Privées de ravitaillement, la lutte n’est plus qu’un entêtement courageux et sanglant, mais non dépourvu d’utilité stratégique. La détermination dont font preuve les soldats germano-italiens en dépit d’un rapport de force défavorable, ainsi que d’un ravitaillement erratique démontrent cependant que la partie aurait pu être encore plus difficile pour les Alliés si l’Axe avait renforcé encore plus rapidement sa tête de pont en novembre-décembre et si les convois maritimes n’avaient pas été handicapés par des intempéries exceptionnelles qui s’abattent sur le sud de la Méditerranée pendant trois mois, à la fin de l’hiver et au début du printemps. Avec davantage de troupes, les djebels auraient été imprenables, avec les conséquences que cela aurait signifié pour les Alliés en repoussant la poursuite des opérations en Méditerranée à l’automne 1943, à la mauvaise saison.
Le 3 mai, des opérations préliminaires à l’assaut final permettent aux Américains de s’emparer de Mateur, trois jours avant la date fixée par Alexander. Les GI’s pèchent toutefois par excès de confiance en espérant que l’ennemi va s’effondrer. L’avancée s’avère plus ardue qu’escompté, notamment pour la 34th US ID de Ryder qui progresse avec difficulté en direction du col de Chouigui, atteint par le CCB/1 six mois plus tôt… Le 6 mai, les avant-gardes américaines constatent que les positions défensives de la 334. ID sont trop puissantes pour pouvoir être emportées par un assaut frontal mené en plein jour. Le 4 mai, les Français, soutenus par des blindés britanniques, tentent de fixer les dernières réserves d’Arnim en attaquant le Djebel Zaghouan. La Superga, comme les autres unités italiennes,s’avère aussi tenace que les forces allemandes et résiste aux coups de boutoirs de l’adversaire. Ce même 4 mai arrive les derniers convois de ravitaillement à parvenir dans la tête de pont. Ils délivrent 170 tonnes de précieux carburant et 1 130 tonnes de munitions. Les avions rescapés des forces aériennes de l’Axe quittent définitivement la Tunisie.
L’opération Strike peut être déclenchée le 6 mai, l’axe principal de la poussée étant confiée au IX Corps passé sous le commandement d’Horrocks (Crockers a été blessé lors d’une démonstration du nouvel antichar PIAT…), également cédé par la 8th Army…Toutefois, le renforcement des Britanniques dans le secteur de Medjez el Bab ne passe pas inaperçu et Arnim renforce le Kampfgruppe Irkens, qui ne compterait à peine plus de 20 Panzer opérationnels, positionné sur le Djebel Aoukaz, prêt à mener un héroïque baroud d’honneur. A 3 heures du matin, l’infanterie britannique se lance à l’assaut, couverte par un barrage d’artillerie impressionnant de 650 pièces qui pulvérise les lignes adverses. Chaque canon et obusier britannique est généreusement approvisionné de 350 coups, douze fois plus que dans le camp adverse. 72 batteries de l’Axe –ou supposées telles- sont « traitées » avec attention puisque pilonnées chacune d’elles à trois reprises par des concentrations de tirs rassemblant jusqu’à 32 pièces. L’offensive terrestre bénéficie aussi du soutien de bombardements aériens massifs qui pulvérisent avec l’artillerie les restes du Panzer-Grenadier 115. La 4th Division, appuyée par 30 Churchill, perce aisément le front en subissant la perte de seulement 137 hommes, capturant par la même occasion le premier Nebelwerfer tombant entre les mains alliées. A 7h30, les 6th et 7th Armoured Divisions, soit 400 chars, s’ébranlent à leur tour. Horrocks dispose de 400 chars. Furna est atteinte vers 10h45. Les tanks sont alors confrontés à un rideau de Pak et de Panzer, mais les Sherman, habilement soutenus par des M7 Priest, neutralisent leurs adversaires. L’Afrika-Korps se sacrifie dans un héroïque combat retardateur, perdant 14 Panzer, dont 2 sous les coups de l’aviation,pour 23 tanks de leur vieil adversaire, la 7th Armoured Division. Un dernier coup de griffe qui cause un début de panique dans les rangs de l’infanterie britannique, qui abandonne 16 blindés et canons. Les brigades de tanks des deux divisions blindées doivent marquer une pause pour que l’infanterie soit en mesure de les accompagner dans la poursuite de la progression, la 201st Guards Brigade à la 6th Armoured Division et la 131st Brigade à la 7th Armoured Division. La poussée reprend vers 17 heures, peu avant la tombée de la nuit, le IX Corps stoppant sa progression à proximité de Massicault, sans doute dans la crainte –non fondée- que l’ennemi ne procède à une nouvelle contre-attaque en force, ce qu’il n’est plus en mesure de réaliser. Les Panzer se sont sacrifiés dans un héroïque combat retardateur –au total les Alliés perdent 91 blindés près de Tunis le 6 mai- tandis qu’Arnim ordonne aux restes de ses deux armées de se replier : la 5. Panzerarmee vers Bizerte et la 1a Armata vers la péninsule du cap Bon.
Ce 6 mai, au Heeresgruppe Afrika, la Hermann Goering et la 334. ID sont considérées comme étant virtuellement anéanties et la 15. Panzer-Division est présumée détruite. Face aux Américains, les batteries de la 20. Flak-Division, retranchées sur les hauteurs au sud du lac de Bizerte, entre Djedeïda et Mateur, s’avèrent redoutables jusqu’au bout en incendiant 27 Sherman au 13th Armored Regiment du CCB de la 1st US Armored Division. A l’instar de la 34th ID, la division blindée a fait montre d’insuffisances à plus d’une reprise et les cadres ont été particulièrement vexés des remontrances de leur commandant, le terrible général Harmon, à la veille de la bataille. Les combats s’éternisent plus d’une semaine mais ne constituent plus qu’un baroud d’honneur. Les 7 derniers Panzer de la 10. Panzer-Division sont enterrés en casemates lorsque les réservoirs sont à sec. Les Panzerschütze accompliront leur devoir jusqu’au bout : il feront feu jusqu’à épuisement des munitions. En parvenant au port de La Goulette, les Américains libèrent 500 prisonniers alliés à bord d’un navire italien endommagé. Pendant que le CCA oblique sur Ferryville, le CCB s’oriente vers l’est pour prendre le contrôle de la route Bizerte-Tunis. Au nord du lac de Bizerte, la 9th ID se fraye un chemin en direction de Bizerte. Las, Terry de la Mesa Allen piaffe d’impatience dans la vallée de la Tine pendant que les autres divisions parachèvent la victoire finale. Il lance donc, sans autorisation de ses supérieurs, son 18th IR de sa « Big Red One » dans un assaut aussi insensé et sanglant qu’inutile contre la colline 232. Quatre blindés à peine sont parvenus à franchir le cours d’eau avant que le pont du génie ne s’effondre. Soumis à un feu d’enfer, les GI’s subissent 282 pertes, l’ennemi s’esquivant au cours de la nuit suivante…
L’après-midi du 8 mai, isolés avec le GQG du Pz AOK 5 dans les collines au nord de Garaet el Mabtouha et d’El Alia, les restes de la Division « von Manteuffel » et de la 15. Panzer-Division (avec quelques éléments de la 10. Panzer-Division) sont passés sous le commandement direct du General von Vaerst. La reddition ne tardera plus. Le 7 mai, les Alliés effectuent enfin leur entrée triomphale à Bizerte et à Tunis, accueillis par des foules de Français en liesse. Une douzaine de chars américains sont cependant perdus au début de l’attaque en direction de Ferryville, d’autres blindés tombant encore sous les coups d’une Flak nombreuse aux alentours de Bizerte, où il faut neutraliser les snipers et des 8,8 cm létaux jusqu’à la fin. La 1st Armored Division perd ainsi 47 Sherman au cours de Vulcan, un total très proche des prédictions de Harmon qui tablait sur 50 pertes en chars. Le 9 mai, alors que leur chef, le General von Vaerst, prétend se battre « jusqu’au dernier », les restes de la 5. Panzerarmee capitulent devant Bradley. Seuls 300 hommes de la Division « Hermann Goering », retranchés dans les grottes du Djebel Achkel, n’ont pas encore rendu les armes. Le 10 mai, après 5 jours de lutte acharnée, les survivants –moins de 300 hommes- tiennent encore l’extrémité ouest de l’éminence qui culmine à 500 mètres. Plus au sud, à proximité de la « Cactus Farm » et devant la cote 107, 37 carcasses de blindés alliés témoignent de la virulence des combats qui se sont déroulés dans le secteur défendu par la 4./Jäger-Rgt HG.
La 6th Armoured Division tente de couper la retraite des hommes de Messe. L’espoir que ces derniers puissent évacuer la nasse est pourtant plus que ténu. L’amiral Cunningham a lancé l’opération Retribution : aucun esquif, ou presque, ne peut franchir les mailles du filet établi par la Royal Navy et tout ce qui flotte est impitoyablement envoyé par le fond… Moins de 700 soldats de l’Axe parviennent à s’échapper par voie maritime. Des combats sérieux ont encore lieu vers le cap Bon, particulièrement au défilé sis à Hammam Lif, passage obligé cerné entre la mer et les montagnes. La défense, vigoureuse, est assurée par l’unité de reconnaissance Lodi et le Gruppe Franz, c’est à dire les Fallschirmjäger du Jäger-Rgt HG, ainsi que leurs camarades rescapés de la Luftwaffenjäger Brigade 1, l’ancienne Brigade Ramcke. Les paras vont se défendre avec acharnement sur les hauteurs surplombant la localité et parviendront à incendier 22 Sherman, ces derniers, du 17/21th Lancers, ayant finalement trouvé une faille, côté plage, bravant les 8,8 cm (au nombre de 12, outre 6 Pak 38 et 16 pièces de 2 cm) en roulant dans l’eau de mer ! Ce baroud d’honneur ne fait que retarder l’inéluctable. La route d’Hammamet est ouverte. Un prisonnier allemand se montre beau joueur : « Bien joué, les gars. Vous y avez mis le temps, mais mieux vaut tard que jamais. »
Après une résistance sporadique pendant quelques jours, les redditions se succèdent. Koeltz reçoit celle de la 21. Panzer-Division, qui fut la première unité de l’Afrika-Korps à fouler le sol africain deux années auparavant. Le 11 mai, alors que la Trieste retranchée entre le djebel Garci et le Djebel Takrouna, repousse la 1ère DFL, le General von Arnim se rend aux Indiens du général Tuker. Le dernier chef de l’Afrika-Korps, le général Cramer, envoie un dernier message à l’OKW : « Munitions épuisées. Armes et équipements détruits. Conformément aux ordres reçus, l’Afrika Korps a combattu jusqu’à la limite de ses forces. Le Deutsches Afrika Korps revivra. Heia Safari ! » La 1ère Armée Italienne ne va pas tarder à succomber à son tour. Le 13 mai, tout est fini. Messe, tout juste promu à la dignité de maréchal par Mussolini, se rend à son tour à la 2nd New Zealand Division du général Freyberg, estimant plus honorable d’être capturé par la célèbre 8th Army.
Le 13 mai 1943, en début d’après-midi, le Premier Ministre Winston Churchill reçoit du général Alexander, commandant en chef des forces terrestres alliées en Tunisie, un message concis comme à son habitude et qui ne manque pas de grandeur : « Monsieur le Premier Ministre, il est de mon devoir de vous rendre compte que la campagne de Tunisie est terminée. Toute résistance ennemie a cessé. Nous sommes maîtres des rivages d’Afrique du Nord ».
Tunisgrad : la première grande victoire des Alliés
Le 20 mai 1943, les vainqueurs paradent à Tunis. La victoire célébrée ce jour-là est une des plus éclatantes que les Alliées aient remportées au cours du conflit. Décisive, puisqu’en ce printemps 1943, le cours de la guerre tourne désormais en faveur des Alliés après les victoires d’El Alamein, de Stalingrad et de Guadalcanal.Complète, car les armées adverses sont intégralement annihilées, 300 000 soldats de l’Axe ayant été neutralisés en l’espace de six mois de campagne, dont 12 000 tués et 23 000 blessés. Pour prix de cette victoire, les Alliés ont perdu environ 75 000 hommes : 11 000 tués, 40 500 blessés et 24 000 disparus. Un succès complet qui a débuté en Egypte, à El Alamein, et sur les côtes d’Afrique du Nord, avec le lancement de l’opération Torch.
La campagne de Tunisie signifie également le retour de la France dans la guerre avec une armée aux effectifs plus conséquents que la poignée de FFL qui suivent de Gaulle depuis 1940, une armée davantage à la mesure de ses ambitions de nation belligérante et d’alliée des puissances anglo-saxonnes, en dépit du manque criant de matériel moderne en novembre 1942. De leur côté, les Britanniques, qui combattent sur ce théâtre des opérations depuis 1940, disposent désormais de nombreuses des divisions expérimentées, la coopération air/sol ayant par ailleurs réalisé un bond qualitatif remarquable, constituant un des apprentissages majeurs en vue de la grande bataille qui s’annonce en France. El Alamein et la Tunisie constituent pourtant l’acmé du rôle tenu par les forces terrestres de l’Empire britannique dans la guerre : désormais, l’allié américain n’aura de cesse de tenir un rôle prépondérant.
Une des conséquences majeures de l’affrontement en Tunisie est l’expérience acquise par l’armée américaine. L’ouverture d’un Second Front en France de façon prématurée, en 1942 ou 1943, aurait inévitablement mené au désastre. Les handicaps de l’US Army auraient été nombreux : une armée encore inexpérimentée, trop peu de péniches de débarquement, des stocks insuffisants faute d’expérience, un matériel non adapté, voire obsolète, et des officiers parfois incompétents au postes de responsabilités. Les derniers combats de la campagne démontrent cepenant une aptitude une évolution notable de ses capacités militaires. Matériel, doctrine et commandement subissent le test du terrain avant la campagne décisive en Europe. Si la doctrine, notamment le rôle des différents types d’unités n’est pas remise en cause, même s’il est admis qu’une refonte de l’organisation des Tank Destroyers Battalions s’impose, il importe d’assurer sa mise en application. En outre, le matériel qui n’a pas fait ses preuves est écarté. Sans l’expérience acquise en Tunisie, les Armored Divisions débarquant en France en 1942 ou 1943 auraient été dotées en partie de matériel dépassé. De surcroît, la campagne permet de reconnaître la valeur d’officiers appelés à jouer un rôle crucial dans la libération de l’Europe comme Bradley et Patton. La campagne a également permis d’écarter les incompétents comme Fredendall : peut-on imaginer un tel homme supervisant le débarquement à Omaha Beach ?
Mais Montgomery et Bradley sont-ils pour autant des leaders d’exception ? Auront-il l’élan nécessaire pour saisir les opportunités qui se présenteront ? Les Alliés ont aussi compris l’impérieuse nécessité d’un commandement unique assurant une réelle coordination entre les différentes composantes des forces alliées, rôle tenu avec efficacité par Alexander à la direction des forces terrestres. A ce propos, Eisenhower, s’il n’est pas un tacticien hors-pair, semble en revanche être bien qualifié pour diriger les forces armées de la coalition anglo-saxonne. Il apparaît également clairement que les styles de commandement, la doctrine tactique, l’organisation et le matériel utilisé ne permettent que difficilement un mixage d’unités américaines et britanniques aux niveaux du corps ou de la division.
Dans le camp adverse, la défaite finale de l’Axe en Afrique affaiblit considérablement les capacités de défense des armées germano-italiennes en Europe méditerranéenne. En ne parvenant pas à détruire la Panzerarmee Afrika en Egypte et en échouant de façon concomitante à s’emparer rapidement de la Tunisie, les Alliés vont en fait remporter une victoire encore plus spectaculaire qu’elle aurait en raison de l’afflux en pure perte de renforts germano-italiens en Afrique. En s’évertuant à maintenir leurs armées sur le sol africain, le Führer et le Duce provoque une catastrophe d’une toute autre ampleur en renforçant ses troupes en Afrique du Nord. La fine fleur du Regio Exercito, une armée aux capacités déjà fort réduite à la déclaration de guerre, est anéantie. La défaite en Afrique signe la perte de nombreuses unités d’élite allemandes dont le prestigieux Afrika-Korps : au total 11 divisions allemandes en comptant deux divisions de Flak, 3 divisions de Panzer, 3 divisions motorisées, l’équivalent de trois régiments de Fallschirmjäger, 2 unités de Tiger…. Le nombre de Panzer perdus –environ 1 200 d’El Alamein à Tunis- et celui d’avions de la Luftwaffe abattus -2 422 de novembre 1942 à mai 1943- dépassent les pertes subies à Stalingrad. Des pertes irremplaçables. Certes, sans la résistance acharnée des forces de l’Axe en Tunisie, s’éternisant six mois, il est possible que l’Italie ait été envahie dès le début de l’été 1943. L’engagement des Alliés en Méditerranée autorise même d’envisager une offensive sur Koursk en Union Soviétique. Mais Hitler a définitivement perdu l’initiative stratégique. La position politique de Mussolini est considérablement affaiblie. La chute de l’Italie apparaît dès lors inévitable : un premier maillon de l’Axe est sur le point de rompre
Enfin, la conférence de Casablanca qui réunit Churchill et Roosevelt à partir du 14 janvier 1943 pendant la campagne de Tunisie est également l’occasion donnée pour les Alliés de préciser leurs buts de guerre. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont ainsi fermement décidés à mener la lutte jusqu’à la reddition inconditionnelle de leurs adversaires.
Avril-mai 1943, l’offensive et la victoire finale des Alliés
La situation désespérée de l’Axe
La guerre en Afrique du Nord touche à sa fin. Les forces aériennes alliées déclenchent au mois d’avril l’opération Flax qui vise à couper le pont aérien établi par la Luftwaffe et la Regia Aeronautica entre la Sicile et la Tunisie. 432 appareils de l’Axe sont ainsi abattus pour seulement 35 avions alliés perdus, tandis que les aérodromes de l’Axe en Italie et en Tunisie sont copieusement bombardés lors de raids destructeurs menés par les « lourds ». La Tunisie est soumise par ailleurs à un véritable blocus naval à partir de Malte et de l’Algérie : il n’est plus possible d’envisager une éventuelle évacuation vers la Sicile. Les renforts n’arrivent plus qu’avec parcimonie. A la fin du mois d’avril, Arnim ne reçoit plus que 5 à 6% du minimum de ravitaillement requis pour son armée. Les unités n’alignent pas plus d’une centaine de chars et plus que 300 canons, le tube parfois usé, tandis que le sable et les difficultés de maintenance immobilisent de nombreux véhicules. Si aucune évacuation n’est officiellement accordée ni même du domaine du possible, le Heeres-Gruppe Afrika s’emploie à sauver quelques spécialistes, ainsi que certains officiers supérieurs obtenant une permission ou une évacuation médicale au moment opportun. Fin avril et début mai, les Küstenjäger participent ainsi à l’évacuation d’officiers d’état-major et de spécialistes à bord de leurs Sturmboote. Le 18 avril, le personnel du Panzer-Regiment « Hermann Goering », qui n’est arrivé en Tunisie que le 4 de mois, reçoit l’ordre de partir pour la Sicile, laissant ses quelques Panzer en Afrique.
A la mi-avril, le front du Heeres-Gruppe Afrika, qui regroupe 175 000 soldats germano-italiens, couvre un arc de cercle de 130 kilomètres de long, d’Enfidaville à la côte au nord-ouest de Bizerte. Cette ligne est toutefois relativement facile à défendre et Alexander doit préparer une attaque en règle interalliée, l’opération Vulcan. Eisenhower dispose de 500 000 hommes, dont 300 000 combattants, et 1 400 chars, parfaitement ravitaillés. La supériorité numérique alliée est donc écrasante. Anderson entend au préalable s’assurer d’une excellente base de départ et donc de s’emparer de plusieurs hauteurs d’importance, de Massicault à El Bathan, et en particulier de Longstop Hill et des éminences qui l’entourent dont le contrôle prive les Britanniques de l’usage de la meilleure route de ravitaillement jusqu’à Medjez-el-Bab. Le V Corps d’Allfrey établit donc avec soin des plans pour une opération qui reçoit pour nom de code Sweep. La tâche, confiée à une 78th ID renforcée, s’annonce ardue et le plan de feu, impliquant 130 pièces de 25 pounder, 35 de 5,5 inch et 12 de 7,2 inch, est soigneusement étudié. Les opérations préliminaires sont lancées le 28 mars par la 46th ID et la 1st Parachute Brigade dans l’intention d’attirer l’attention des Allemands plus au nord. L’attaque s’avère être un franc succès puisqu’elle attire les réserves d’Arnim, tout en permettant la reprise du terrain concédé au cours d’Ochsenkopf, ainsi que la conquête attendue du Djebel Abiod.
Sweep est lancée dans la nuit du 6 au 7 avril par une 78th ID endurcie et aguerrie par cinq mois passés en première ligne. Parmi les soutiens de poids dont bénéficie la division, la 25th Independant Tank Brigade et ses Churchill Mk III. Puissamment blindés, capables de se frayer un chemin par lequel nul autre char n’est capable de progresser, ce tank tient un rôle primordial dans la bataille, de même que les mules rassemblées pour assurer la logistique et la puissance de feu des formations de la Royal Artillery rassemblées en soutien. Si les Allemands manquent d’artillerie, leurs mortiers constituent un palliatif redoutable d’efficacité. Ils sont par ailleurs solidement retranchés dans la roche, protégés par des mines et des barbelés, ainsi que par des nids de MG disposés à profusion. Les affrontements sur des kilomètres sur ces hauteurs désolées vont s’éterniser pendant plus de quinze jours, la poussée étant confrontée à de violentes contre-attaques allemandes. Le Djebel el Ang et le Djebel Bettiour sont particulièrement disputés, tandis que le Djebel Tanngoucha, atteint une première fois le 16 avril, et dont le contrôle assurerait la prise du village fortifié de Heidous, n’est conquis par le Royal Irish Fusiliers que le 25 du mois. Solidement retranchés, les Allemands ne cèdent qu’à l’issu d’engagements particulièrement âpres, jetant leurs maigres ressources dans la mêlée, tel un bataillon de la 999. Leichte-Afrika-Division à peine débarqué en Tunisie. In fine, l’apparition inattendue des Churchill permet aux Britanniques d’emporter la décision à chaque combat. Les Allemands ne faiblissent pourtant pas. Le 29 avril, opérant avec le 5./734 au nord de la vallée de la Medjerda, deux Panzer IV de la 3. Kp./ Pz.Rgt HG, repoussent un unité d’infanterie britannique au-delà d’une crête qu’elle avait conquise. Exploit renouvelé face à 18 tanks le lendemain.
Opération Vulcan : le Heeres-Gruppe Afrika ne cède pas
Eisenhower et Alexander décident que le rôle principal sera confié à la 1st Army, généreusement approvisionnée de 343 000 obus dans cette optique, tandis que la 8th Army, déjà couverte de gloire depuis El Alamein, forcera les positions ennemies d’Enfidaville. Pour des raisons de hautes politiques, Alexander a dû concéder une portion du front aux Américains, dont le 2nd Corps est transféré en quatre jours jusqu’au cap Serrat, dans la partie septentrionale du front, avec Bizerte comme objectif : un redéploiement qui est en soi un exploit administratif et logistique.
Montgomery, contrarié par le rôle secondaire dévolu à son armée qu’il n’accepte pas, ne doutant pas un instant qu’il peut obtenir la percée, part le premier à l’attaque le 19 avril en lançant l’opération Oration. Mettant à profit le relief accidenté, les positions de la 1a Armata, pourtant réduite à 260 pièces d’artillerie (auxquelles il faut ajouter les 104 canons de l’Afrika-Korps), s’avèrent plus redoutables que prévu par les Alliés. Même si les fortifications entreprises par le Lehrabteilung germano-arabe sont inachevées, qu’à peine 15 Panzer de la 15. Panzer-Division et quelques canons automoteurs Semoventi sont disponibles en soutien, que le ravitaillement manque et que la suprématie aérienne alliée soit totale, le moral et la volonté de se battre semblent encore intacts. Le 20o Corpo (90. Leichte, Giovani Fascisti et Trieste) constitue l’aile gauche, tandis que le flanc droit est assuré par le 21o Corpo (164. Leichte et Pistoia). Pour gonfler les effectifs, puisque les divisions citées alignent à peine plus de 20 bataillons d’infanterie (soit un peu plus de deux divisions britanniques), des unités ad hoc sont formées avec du personnel des services et de l’aviation. En dépit de la supériorité apparente de ses forces, il faut trois jours à Montgomery pour s’emparer de Takrouna, un des points forts du dispositif de Messe, au prix de pertes sensibles (plus de 1 000 hommes) pour les Néo-Zélandais qui doivent affronter la Giovani Fascisti et les derniers parachutistes de la Folgore, tous très déterminés. Les Gurkhas doivent user du kukri, tandis que les Rajputs, à court de munitions, en sont réduits à projeter des pierres contre l’ennemi au cours d’une mêlée nocturne. Coincée, la 8th Army tente alors sa chance dans le secteur côtier avec la 50th Northumbrian, mais la lutte s’y avère tout aussi âpre : attaques et contre-attaques se succèdent. Le 29 avril, la 56th Division toute juste arrivée d’Irak se casse les dents sur les défenses et reflue en désordre : la concentration de tirs de l’artillerie de la 1a Armata stoppe l’offensive de Monty, qui, à sa grande déception, se cantonne désormais à un rôle de fixation.
Dans la nuit du 20 au 21 avril, à la veille de l’opération Vulcan alors que la 8th Army est sur l’offensive depuis quelques jours, la 1st Army est confrontée à une attaque surprise près de Medjez-el-Bab. L’opération est menée en chantant par cinq bataillons de la Hermann Goering, appuyés par 80 Panzer. Observant les préparatifs d’une nouvelle offensive ennemie et le renforcement de ses positions, les Allemands déclenchent en effet l’opération Fliderblütte dans l’espoir de reconquérir l’ancienne HKL. Le Gruppe Schirmer (avec les Fallschirmjäger et le Pz Rgt 7) mène l’assaut principal contre les hauteurs au nord-ouest de Goubellat. Son flanc gauche est assuré par le Gruppe Funck (un bataillon du Grenadier-Regiment HG) en direction du Djebel Rihane. Les positions d’artillerie déployées sur « Banana Ridge » sont emportées par les paras. 7 chars, 7 antichars, des munitions (8 000 grenades), 15 000 litres du carburant, 5 batteries et 80 véhicules auraient été perdus par les Alliés. Les Tiger anéantissent 40 chars sur l’ensemble du front ce jour-là. Mais, l’attaque allemande tombe sur un ennemi renforcé sur le point de passer à l’offensive. Les Panzer sont dès lors la proie de tirs antichars précis (dont des 17 pounder) et nourris dès que point l’aube et les fantassins de la Hermann Goering doivent concéder le terrain conquis après une charge britannique menée baïonnette au canon sous le couvert de chars Churchill. Les Allemands accusent la perte de 320 à 450 hommes et de 33 Panzer. Le Tiger n° 131, touché par un Churchill, est abandonné à cette occasion par son équipage : il trône désormais à Bovington. Le lendemain, un autre Tiger est perdu alors que la 12./Fallschirmjäger-Regiment 5 parvient à repousser les Britanniques sur la route de Medjez el-Bab à la jonction de Krouchet.
La 1st Army, en rien retardée par Fliderblütte, qui ne s’avère qu’un gaspillage de forces pour Arnim, s’élance le lendemain 22 avril, trois jours après la 8th Army. Elle enregistre des pertes sérieuses –notamment au IX Corps de Croker, puisqu’elles se montent à 162 tanks, 24 canons, 67 véhicules et 23 avions selon les revendications allemandes (qui porteront le bilan final à 252 tanks), ainsi que 3 500 hommes, dont pas moins de 900 tués. La 4th ID, s’élançant de « Banana Ridge », s’évertue à s’emparer de Sidi Abdallah, « Cactus Farm » et le point 133. Bien que pilonnés sans relâche par les Boston, les défenseurs de Ksar Tyr repoussent tous les assauts de la 12th Brigade renforcée par le Duke of Cornwall’s Light Infantry. Une brigade de la 1st Division perd 500 hommes en une journée, tandis que 29 des 45 tanks Churchill qui la soutiennent sont détruits par les Tiger. 20 tanks tombent sous les coups des 8,8 cm des Tiger le 26 avril au sud de Bir Meherga. Deux « lourds » sont cependant perdus au combat le 29 avril. Le lendemain, au cours de combat menés à proximité de Pont-du-Fahs, 41 blindés britanniques s’ajoutent au palmarès impressionnant des deux Tiger Abteilungen. Si les matraquages répétés des forces aériennes alliées constituent une nuisance de plus en plus marquée, la Luftwaffe, bien que surclassée,reste active : les 24 avril, une quinzaine de tanks alliés en font les frais en succombant à ses attaques. Les derniers Semoventi du Raggruppamento Piscicelli contre-attaquent courageusement à Bou Kournine, forçant l’admiration de la 15. Panzer-Division. Les Italiens concèdent quatre blindés contre 28 détruits à l’ennemi.
La résistance est notable puisque le front ne faiblit absolument pas pendant quatre longs jours de combats dans le secteur de Medjez-el-Bab, particulièrement à Longstop Hill bien que la position tant convoitée soit soumise à un ouragan de feu le 25 avril :25 tonnes d’explosifs en 5 minutes ! Comme au mois de décembre, le Djebel Ahmera est le premier à être conquis par la 78th ID, mais il faut batailler dur pour que le Royal West Kent s’empare de l’autre pic, le Djebel Rhar, en s’exposant, comme à Noël, dans le ravin qui sépare les deux hauteurs. Les défenseurs ne cèdent toutefois qu’après avoir été encerclés après que les tanks et les East Surreys, ainsi que les automitrailleuses du 56th Recce Regiment, engagées en contrebas, soient entrés dans la mêlée. Un Churchill se fraye un passage jusqu’au sommet du Djebel Rhar, tandis qu’un second maraude à proximité, réduisant les postes de défense un à un. La résistance cesse enfin : 550 prisonniers sont rassemblés à l’issue de la lutte épique pour Longstop Hill. La prise de cette éminence constitue tout un symbole. Le verrou qui commande la route de Tunis et que les Allemands considéraient comme inexpugnable est tombé et le moral des Britanniques s’en ressent : ils sont venus à bout d’un ennemi coriace et très bien retranché. En 20 jours, la 78th ID s’est emparée d’une vingtaine de hauteurs et a capturé 2 300 prisonniers.
Pourtant, le front germano-italien ne cède pas. Cependant, la consommation en munitions épuise les réserves d’Arnim. On ne compte par ailleurs plus que 69 Panzer en état de combattre, regroupés au sein du Kampfgruppe Irkens. Les Italiens opèrent de même avec leurs blindés désormais tous placés sous le commandement du major Piscelli de la Centauro. Les 28 et 29 avril, l’Afrika-Korps mène sa dernière attaque en direction du Djebel Bou Aoukaz qu’il reprend aux Britanniques de la 24th Guards Brigade : la hauteur n’a cessé de changer de mains depuis le 26 avril, témoignage de la pugnacité des Germano-Italiens jusqu’à la fin. Quelques coup d’éclats continuent en effet d’émailler l’engagement des unités de l’Axe : ainsi, le 25 avril, près de Bou Arada, des éléments du Panzeraufklärungsabteilung HG du Major Brandenburg, montés sur Volkswagen et motos, surprennent un bataillon de la Légion Etrangère et ramène 80 prisonniers dans les lignes allemandes. L’intervention du Panzergruppe Irkens s’avère in fine déterminante en permettant la reprise du Djebel Bou Aoukaz : l’offensive d’Alexander est enrayée par les restes des divisions de Panzer à 13 kilomètres au nord-ouest de Ponts-du-Fahs, l’échec de Montgomery à Enfidaville ayant permis à Arnim de rameuter des renforts.
Au nord du front, le 2nd US Corps de Bradley déclenche lui-aussi son offensive, le 24 avril, suivi, le 25 avril, par les Français, déployés entre les 1st et 8th Armies. Cette offensive généralisée de plus de 20 divisions alliées contre un ennemi affaibli se heurte cependant à la défense résolue des troupes germano-italiennes. Face aux Américains, les soldats de Manteuffel sont certes nettement surclassés numériquement, mais ils bénéficient d’un terrain particulièrement favorable. Sur l’aile droite du secteur américain, les vallées étroites sont constellées de mines, une multitude de mitrailleuses et de mortiers, retranchés sur les hauteurs, balayant de leurs feu un terrain dépourvu du moindre couvert. La Big Red One peine devant l’impressionnante colline 609, dont la prise de contrôle est indispensable aux yeux de Bradley, éberlué par le manque de sens tactique d’Anderson qui lui suggère de laisser l’éminence de côté, faisant ainsi fi de la menace qui pèserait sur les flancs des GI’s… Le chef du 2nd Corps est contraint de faire enter en lice la 34th ID, qui n’a guère brillé à Kasserine puis à Foundouk : c’est l’occasion pour l’unité de s’amender. Cinq jours sont nécessaires au GI’s, qui sont montés à l’assaut, agrippés aux superstructures des 17 Sherman de soutien, pour que le 2nd Bn 168th IR s’empare de la colline 609 en empruntant un sentier de chèvres, tandis que d’autres unités manoeuvrent sur les flancs. Les Fallschirmjäger, qu’il faut parfois forcer à s’exposer en mettant le feu aux broussailles à coups d’obus au phosphore,se sont même permis le luxe de contre-attaquer, occasionnant de lourdes pertes aux Américains, leur capturant 150 hommes sur la colline 523 qui change trois fois de mains en l’espace de 24 heures. Les combats sont également très intenses à l’extrême nord du front, dans la vallée de Sedjenane, où la végétation est parfois si dense que les GIs de la 9th US ID et les Français du Corps Franc d’Afrique, confrontés au 962. IR et à la Manteuffel, qui ne concèdent que difficilement Jefna, Green et Bald Hills puis Kef en Nsour, sont amenés à ramper pour envisager la moindre progression. Un vétéran américain rapportera que l’affrontement était similaire à des combats de rue. Dans cette zone d’attaque, 150 GIs sont également capturés par les soldats de Manteuffel, particulièrement combattifs. Pourtant, Bradley ne lésine pas sur les moyens : chaque minute, 300 pièces d’artillerie américaines expédient 11 tonnes d’obus sur les lignes allemandes. Au cours de cette semaine pascale, 500 Américains sont tués et 2 000 autres blessés. Toutefois, le 25 avril, la 9th US ID s’empare des 7 kilomètres de pics et de crêtes d’Ainchouna. La Division « von Manteuffel » se replie lentement –plus par manque de motorisation qu’en raison de la pression des Alliés- en direction de Mateur et de Bizerte, opérant ça et là des destructions et semant des mines pour retarder l’adversaire. Début mai, elle ancre son flanc droit sur l’éminence du Djebel Achkel. Le front d’étend ensuite le long de crêtes surplombant de la vallée de la Tine jusqu’au collines au nord-ouest du col de Chouigui. Le 2 mai, les Américains dominent la plaine de Mateur et surplombent les positions ennemies. La défense acharnée des Germano-Italiens et le piétinement allié ne doit cependant pas faire illusion : le prochain assaut représentera l’ultime combat. Au sud des positions de la Manteuffel, les Américains affrontent depuis le 25 avril la 334. ID, qui assure alors la ligne de la route Sidi Nsir-Chouigui à la route Medjez-el-Bab-Massicault. La plus grande partie de l’unité tient le front sur la vallée de la Tine jusqu’au Djebel Lanserine. En réserve, Krause, qui a remplacé Weber, dispose encore de deux bataillons d’infanterie et d’éléments du schweres-Tiger-Abteilung 504. La combativité de la 334. ID n’est pas entamée par le spectre de la défaite, mais elle est peu à peu repoussée et très vite, faute de carburant, elle est immobilisée dans les montagnes autour d’Eddekhila et du col de Chouigui.
L’opération Strike : la fin en Tunisie
A la fin du mois d’avril, Alexander sent que les opérations piétinent. Il rend visite à « Monty » le 30 avril et ce dernier accepte de transférer plusieurs unités au profit de la 1st Army, dont la célèbre 7th Armoured Division, sans doute une façon pour lui de faire participer la 8th Army à l’estocade finale et de pouvoir lui en attribuer les mérites… La fin est proche. La situation des forces de l’Axe est désespérée. Privées de ravitaillement, la lutte n’est plus qu’un entêtement courageux et sanglant, mais non dépourvu d’utilité stratégique. La détermination dont font preuve les soldats germano-italiens en dépit d’un rapport de force défavorable, ainsi que d’un ravitaillement erratique démontrent cependant que la partie aurait pu être encore plus difficile pour les Alliés si l’Axe avait renforcé encore plus rapidement sa tête de pont en novembre-décembre et si les convois maritimes n’avaient pas été handicapés par des intempéries exceptionnelles qui s’abattent sur le sud de la Méditerranée pendant trois mois, à la fin de l’hiver et au début du printemps. Avec davantage de troupes, les djebels auraient été imprenables, avec les conséquences que cela aurait signifié pour les Alliés en repoussant la poursuite des opérations en Méditerranée à l’automne 1943, à la mauvaise saison.
Le 3 mai, des opérations préliminaires à l’assaut final permettent aux Américains de s’emparer de Mateur, trois jours avant la date fixée par Alexander. Les GI’s pèchent toutefois par excès de confiance en espérant que l’ennemi va s’effondrer. L’avancée s’avère plus ardue qu’escompté, notamment pour la 34th US ID de Ryder qui progresse avec difficulté en direction du col de Chouigui, atteint par le CCB/1 six mois plus tôt… Le 6 mai, les avant-gardes américaines constatent que les positions défensives de la 334. ID sont trop puissantes pour pouvoir être emportées par un assaut frontal mené en plein jour. Le 4 mai, les Français, soutenus par des blindés britanniques, tentent de fixer les dernières réserves d’Arnim en attaquant le Djebel Zaghouan. La Superga, comme les autres unités italiennes,s’avère aussi tenace que les forces allemandes et résiste aux coups de boutoirs de l’adversaire. Ce même 4 mai arrive les derniers convois de ravitaillement à parvenir dans la tête de pont. Ils délivrent 170 tonnes de précieux carburant et 1 130 tonnes de munitions. Les avions rescapés des forces aériennes de l’Axe quittent définitivement la Tunisie.
L’opération Strike peut être déclenchée le 6 mai, l’axe principal de la poussée étant confiée au IX Corps passé sous le commandement d’Horrocks (Crockers a été blessé lors d’une démonstration du nouvel antichar PIAT…), également cédé par la 8th Army…Toutefois, le renforcement des Britanniques dans le secteur de Medjez el Bab ne passe pas inaperçu et Arnim renforce le Kampfgruppe Irkens, qui ne compterait à peine plus de 20 Panzer opérationnels, positionné sur le Djebel Aoukaz, prêt à mener un héroïque baroud d’honneur. A 3 heures du matin, l’infanterie britannique se lance à l’assaut, couverte par un barrage d’artillerie impressionnant de 650 pièces qui pulvérise les lignes adverses. Chaque canon et obusier britannique est généreusement approvisionné de 350 coups, douze fois plus que dans le camp adverse. 72 batteries de l’Axe –ou supposées telles- sont « traitées » avec attention puisque pilonnées chacune d’elles à trois reprises par des concentrations de tirs rassemblant jusqu’à 32 pièces. L’offensive terrestre bénéficie aussi du soutien de bombardements aériens massifs qui pulvérisent avec l’artillerie les restes du Panzer-Grenadier 115. La 4th Division, appuyée par 30 Churchill, perce aisément le front en subissant la perte de seulement 137 hommes, capturant par la même occasion le premier Nebelwerfer tombant entre les mains alliées. A 7h30, les 6th et 7th Armoured Divisions, soit 400 chars, s’ébranlent à leur tour. Horrocks dispose de 400 chars. Furna est atteinte vers 10h45. Les tanks sont alors confrontés à un rideau de Pak et de Panzer, mais les Sherman, habilement soutenus par des M7 Priest, neutralisent leurs adversaires. L’Afrika-Korps se sacrifie dans un héroïque combat retardateur, perdant 14 Panzer, dont 2 sous les coups de l’aviation,pour 23 tanks de leur vieil adversaire, la 7th Armoured Division. Un dernier coup de griffe qui cause un début de panique dans les rangs de l’infanterie britannique, qui abandonne 16 blindés et canons. Les brigades de tanks des deux divisions blindées doivent marquer une pause pour que l’infanterie soit en mesure de les accompagner dans la poursuite de la progression, la 201st Guards Brigade à la 6th Armoured Division et la 131st Brigade à la 7th Armoured Division. La poussée reprend vers 17 heures, peu avant la tombée de la nuit, le IX Corps stoppant sa progression à proximité de Massicault, sans doute dans la crainte –non fondée- que l’ennemi ne procède à une nouvelle contre-attaque en force, ce qu’il n’est plus en mesure de réaliser. Les Panzer se sont sacrifiés dans un héroïque combat retardateur –au total les Alliés perdent 91 blindés près de Tunis le 6 mai- tandis qu’Arnim ordonne aux restes de ses deux armées de se replier : la 5. Panzerarmee vers Bizerte et la 1a Armata vers la péninsule du cap Bon.
Ce 6 mai, au Heeresgruppe Afrika, la Hermann Goering et la 334. ID sont considérées comme étant virtuellement anéanties et la 15. Panzer-Division est présumée détruite. Face aux Américains, les batteries de la 20. Flak-Division, retranchées sur les hauteurs au sud du lac de Bizerte, entre Djedeïda et Mateur, s’avèrent redoutables jusqu’au bout en incendiant 27 Sherman au 13th Armored Regiment du CCB de la 1st US Armored Division. A l’instar de la 34th ID, la division blindée a fait montre d’insuffisances à plus d’une reprise et les cadres ont été particulièrement vexés des remontrances de leur commandant, le terrible général Harmon, à la veille de la bataille. Les combats s’éternisent plus d’une semaine mais ne constituent plus qu’un baroud d’honneur. Les 7 derniers Panzer de la 10. Panzer-Division sont enterrés en casemates lorsque les réservoirs sont à sec. Les Panzerschütze accompliront leur devoir jusqu’au bout : il feront feu jusqu’à épuisement des munitions. En parvenant au port de La Goulette, les Américains libèrent 500 prisonniers alliés à bord d’un navire italien endommagé. Pendant que le CCA oblique sur Ferryville, le CCB s’oriente vers l’est pour prendre le contrôle de la route Bizerte-Tunis. Au nord du lac de Bizerte, la 9th ID se fraye un chemin en direction de Bizerte. Las, Terry de la Mesa Allen piaffe d’impatience dans la vallée de la Tine pendant que les autres divisions parachèvent la victoire finale. Il lance donc, sans autorisation de ses supérieurs, son 18th IR de sa « Big Red One » dans un assaut aussi insensé et sanglant qu’inutile contre la colline 232. Quatre blindés à peine sont parvenus à franchir le cours d’eau avant que le pont du génie ne s’effondre. Soumis à un feu d’enfer, les GI’s subissent 282 pertes, l’ennemi s’esquivant au cours de la nuit suivante…
L’après-midi du 8 mai, isolés avec le GQG du Pz AOK 5 dans les collines au nord de Garaet el Mabtouha et d’El Alia, les restes de la Division « von Manteuffel » et de la 15. Panzer-Division (avec quelques éléments de la 10. Panzer-Division) sont passés sous le commandement direct du General von Vaerst. La reddition ne tardera plus. Le 7 mai, les Alliés effectuent enfin leur entrée triomphale à Bizerte et à Tunis, accueillis par des foules de Français en liesse. Une douzaine de chars américains sont cependant perdus au début de l’attaque en direction de Ferryville, d’autres blindés tombant encore sous les coups d’une Flak nombreuse aux alentours de Bizerte, où il faut neutraliser les snipers et des 8,8 cm létaux jusqu’à la fin. La 1st Armored Division perd ainsi 47 Sherman au cours de Vulcan, un total très proche des prédictions de Harmon qui tablait sur 50 pertes en chars. Le 9 mai, alors que leur chef, le General von Vaerst, prétend se battre « jusqu’au dernier », les restes de la 5. Panzerarmee capitulent devant Bradley. Seuls 300 hommes de la Division « Hermann Goering », retranchés dans les grottes du Djebel Achkel, n’ont pas encore rendu les armes. Le 10 mai, après 5 jours de lutte acharnée, les survivants –moins de 300 hommes- tiennent encore l’extrémité ouest de l’éminence qui culmine à 500 mètres. Plus au sud, à proximité de la « Cactus Farm » et devant la cote 107, 37 carcasses de blindés alliés témoignent de la virulence des combats qui se sont déroulés dans le secteur défendu par la 4./Jäger-Rgt HG.
La 6th Armoured Division tente de couper la retraite des hommes de Messe. L’espoir que ces derniers puissent évacuer la nasse est pourtant plus que ténu. L’amiral Cunningham a lancé l’opération Retribution : aucun esquif, ou presque, ne peut franchir les mailles du filet établi par la Royal Navy et tout ce qui flotte est impitoyablement envoyé par le fond… Moins de 700 soldats de l’Axe parviennent à s’échapper par voie maritime. Des combats sérieux ont encore lieu vers le cap Bon, particulièrement au défilé sis à Hammam Lif, passage obligé cerné entre la mer et les montagnes. La défense, vigoureuse, est assurée par l’unité de reconnaissance Lodi et le Gruppe Franz, c’est à dire les Fallschirmjäger du Jäger-Rgt HG, ainsi que leurs camarades rescapés de la Luftwaffenjäger Brigade 1, l’ancienne Brigade Ramcke. Les paras vont se défendre avec acharnement sur les hauteurs surplombant la localité et parviendront à incendier 22 Sherman, ces derniers, du 17/21th Lancers, ayant finalement trouvé une faille, côté plage, bravant les 8,8 cm (au nombre de 12, outre 6 Pak 38 et 16 pièces de 2 cm) en roulant dans l’eau de mer ! Ce baroud d’honneur ne fait que retarder l’inéluctable. La route d’Hammamet est ouverte. Un prisonnier allemand se montre beau joueur : « Bien joué, les gars. Vous y avez mis le temps, mais mieux vaut tard que jamais. »
Après une résistance sporadique pendant quelques jours, les redditions se succèdent. Koeltz reçoit celle de la 21. Panzer-Division, qui fut la première unité de l’Afrika-Korps à fouler le sol africain deux années auparavant. Le 11 mai, alors que la Trieste retranchée entre le djebel Garci et le Djebel Takrouna, repousse la 1ère DFL, le General von Arnim se rend aux Indiens du général Tuker. Le dernier chef de l’Afrika-Korps, le général Cramer, envoie un dernier message à l’OKW : « Munitions épuisées. Armes et équipements détruits. Conformément aux ordres reçus, l’Afrika Korps a combattu jusqu’à la limite de ses forces. Le Deutsches Afrika Korps revivra. Heia Safari ! » La 1ère Armée Italienne ne va pas tarder à succomber à son tour. Le 13 mai, tout est fini. Messe, tout juste promu à la dignité de maréchal par Mussolini, se rend à son tour à la 2nd New Zealand Division du général Freyberg, estimant plus honorable d’être capturé par la célèbre 8th Army.
Le 13 mai 1943, en début d’après-midi, le Premier Ministre Winston Churchill reçoit du général Alexander, commandant en chef des forces terrestres alliées en Tunisie, un message concis comme à son habitude et qui ne manque pas de grandeur : « Monsieur le Premier Ministre, il est de mon devoir de vous rendre compte que la campagne de Tunisie est terminée. Toute résistance ennemie a cessé. Nous sommes maîtres des rivages d’Afrique du Nord ».
Tunisgrad : la première grande victoire des Alliés
Le 20 mai 1943, les vainqueurs paradent à Tunis. La victoire célébrée ce jour-là est une des plus éclatantes que les Alliées aient remportées au cours du conflit. Décisive, puisqu’en ce printemps 1943, le cours de la guerre tourne désormais en faveur des Alliés après les victoires d’El Alamein, de Stalingrad et de Guadalcanal.Complète, car les armées adverses sont intégralement annihilées, 300 000 soldats de l’Axe ayant été neutralisés en l’espace de six mois de campagne, dont 12 000 tués et 23 000 blessés. Pour prix de cette victoire, les Alliés ont perdu environ 75 000 hommes : 11 000 tués, 40 500 blessés et 24 000 disparus. Un succès complet qui a débuté en Egypte, à El Alamein, et sur les côtes d’Afrique du Nord, avec le lancement de l’opération Torch.
La campagne de Tunisie signifie également le retour de la France dans la guerre avec une armée aux effectifs plus conséquents que la poignée de FFL qui suivent de Gaulle depuis 1940, une armée davantage à la mesure de ses ambitions de nation belligérante et d’alliée des puissances anglo-saxonnes, en dépit du manque criant de matériel moderne en novembre 1942. De leur côté, les Britanniques, qui combattent sur ce théâtre des opérations depuis 1940, disposent désormais de nombreuses des divisions expérimentées, la coopération air/sol ayant par ailleurs réalisé un bond qualitatif remarquable, constituant un des apprentissages majeurs en vue de la grande bataille qui s’annonce en France. El Alamein et la Tunisie constituent pourtant l’acmé du rôle tenu par les forces terrestres de l’Empire britannique dans la guerre : désormais, l’allié américain n’aura de cesse de tenir un rôle prépondérant.
Une des conséquences majeures de l’affrontement en Tunisie est l’expérience acquise par l’armée américaine. L’ouverture d’un Second Front en France de façon prématurée, en 1942 ou 1943, aurait inévitablement mené au désastre. Les handicaps de l’US Army auraient été nombreux : une armée encore inexpérimentée, trop peu de péniches de débarquement, des stocks insuffisants faute d’expérience, un matériel non adapté, voire obsolète, et des officiers parfois incompétents au postes de responsabilités. Les derniers combats de la campagne démontrent cepenant une aptitude une évolution notable de ses capacités militaires. Matériel, doctrine et commandement subissent le test du terrain avant la campagne décisive en Europe. Si la doctrine, notamment le rôle des différents types d’unités n’est pas remise en cause, même s’il est admis qu’une refonte de l’organisation des Tank Destroyers Battalions s’impose, il importe d’assurer sa mise en application. En outre, le matériel qui n’a pas fait ses preuves est écarté. Sans l’expérience acquise en Tunisie, les Armored Divisions débarquant en France en 1942 ou 1943 auraient été dotées en partie de matériel dépassé. De surcroît, la campagne permet de reconnaître la valeur d’officiers appelés à jouer un rôle crucial dans la libération de l’Europe comme Bradley et Patton. La campagne a également permis d’écarter les incompétents comme Fredendall : peut-on imaginer un tel homme supervisant le débarquement à Omaha Beach ?
Mais Montgomery et Bradley sont-ils pour autant des leaders d’exception ? Auront-il l’élan nécessaire pour saisir les opportunités qui se présenteront ? Les Alliés ont aussi compris l’impérieuse nécessité d’un commandement unique assurant une réelle coordination entre les différentes composantes des forces alliées, rôle tenu avec efficacité par Alexander à la direction des forces terrestres. A ce propos, Eisenhower, s’il n’est pas un tacticien hors-pair, semble en revanche être bien qualifié pour diriger les forces armées de la coalition anglo-saxonne. Il apparaît également clairement que les styles de commandement, la doctrine tactique, l’organisation et le matériel utilisé ne permettent que difficilement un mixage d’unités américaines et britanniques aux niveaux du corps ou de la division.
Dans le camp adverse, la défaite finale de l’Axe en Afrique affaiblit considérablement les capacités de défense des armées germano-italiennes en Europe méditerranéenne. En ne parvenant pas à détruire la Panzerarmee Afrika en Egypte et en échouant de façon concomitante à s’emparer rapidement de la Tunisie, les Alliés vont en fait remporter une victoire encore plus spectaculaire qu’elle aurait en raison de l’afflux en pure perte de renforts germano-italiens en Afrique. En s’évertuant à maintenir leurs armées sur le sol africain, le Führer et le Duce provoque une catastrophe d’une toute autre ampleur en renforçant ses troupes en Afrique du Nord. La fine fleur du Regio Exercito, une armée aux capacités déjà fort réduite à la déclaration de guerre, est anéantie. La défaite en Afrique signe la perte de nombreuses unités d’élite allemandes dont le prestigieux Afrika-Korps : au total 11 divisions allemandes en comptant deux divisions de Flak, 3 divisions de Panzer, 3 divisions motorisées, l’équivalent de trois régiments de Fallschirmjäger, 2 unités de Tiger…. Le nombre de Panzer perdus –environ 1 200 d’El Alamein à Tunis- et celui d’avions de la Luftwaffe abattus -2 422 de novembre 1942 à mai 1943- dépassent les pertes subies à Stalingrad. Des pertes irremplaçables. Certes, sans la résistance acharnée des forces de l’Axe en Tunisie, s’éternisant six mois, il est possible que l’Italie ait été envahie dès le début de l’été 1943. L’engagement des Alliés en Méditerranée autorise même d’envisager une offensive sur Koursk en Union Soviétique. Mais Hitler a définitivement perdu l’initiative stratégique. La position politique de Mussolini est considérablement affaiblie. La chute de l’Italie apparaît dès lors inévitable : un premier maillon de l’Axe est sur le point de rompre
Enfin, la conférence de Casablanca qui réunit Churchill et Roosevelt à partir du 14 janvier 1943 pendant la campagne de Tunisie est également l’occasion donnée pour les Alliés de préciser leurs buts de guerre. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont ainsi fermement décidés à mener la lutte jusqu’à la reddition inconditionnelle de leurs adversaires.
L’AFRIKAKORPS AU CAIRE, 1942 : LE PLAN DE ROMMEL
LE CONTENU D’UN LIVRE ORIGINAL: 3 MINUTES POUR COMPRENDRE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
MON DERNIER LIVRE : LA TETE DE PONT DE L’ORNE
Recension “Philippe II & Alexandre le Grand”
Recension “Verdun. 1916”