
Un Taxi pour Tobrouk de Denys de la Patellière (1961) c’est un film de guerre, un drame, mais également un film comique servi par l’humour fin de Michel Audiard au service d’acteurs parfaitement adaptés à ses dialogues savoureux.En dépit de l’immensité désertique, le film s’apparente à un huis-clôt remarquable. Après un raid sur Tobrouk, quatre soldats des FFL perdent leur véhicule mais parviennent à en reprendre un à l’ennemi. Suivent une série d’aventures dans le désert. Peu à peu, face aux épreuves et en dépit de la guerre, une amitié réciproque se forge entre les gardiens et leur captif…

Confrontés aux mêmes épreuves du désert et à celles de la guerre, les quatre commandos finissent par se trouver des affinités avec leur captif, sentiment réciproque de la part d’un Allemand qui a séjourné à Paris, comme … tous ses compagnons français (on remarque toujours à quel point les Parisiens restent surreprésentés sur le grand écran…)

« Passe-lui la tienne »: une des meilleures réplique de C. Aznavour à un L. Ventura hors de lui en constatant que tous ses compagnons ont laissé leurs armes dans le camion…
L’histoire est celle d’un groupe de commandos des Forces Françaises Libres (Lino Ventura, Charles Aznavour, Maurice Biraud et German Cobos) et de leurs péripéties pour regagner leurs lignes après un raid sur la base de Tobrouk. En chemin, ils font un prisonnier, campé par Hardy Krüger.

Des hommes assoiffés suivant des traces dans le désert: une expérience relatée dans nombre de récit consacrés aux raiders du désert du LRDG et du SAS.
« Tu es prisonnier? Non, ben alors creuse! ». On appréciera les quelques clins d’œil historiques d’Audiard : le faible nombre de prisonniers allemands aux mains des Français, Narvik, Pétain, etc.

Dans quelques instants: un assassinat gratuit… la guerre du désert telle que dépeinte dans la dernière partie de mon ouvrage consacré à l’Afrikakorps: une lutte quelquefois éloignée du mythe de la « guerre sans haine ».

Hardy Krüger: l’image d’Epinal du soldat de l »Afrikakorps
Les films de guerre français sont très rares, davantage encore lorsqu’il s’agit de la guerre du désert (il n’y a rien sur Bir Hacheim, par exemple). Si des commandos français ont bien opérés dans le désert, ce fut dans le cadre du SAS de david Stirling, et non du LRDG (comme le laisse supposer le camion des protagonistes du film).

Un cliché d’époque montrant plusieurs SAS de la France Libre
Le film fait allusion à l’opération Agreement, une série de raids menés de façon concomitante à la mi-septembre 1942 par le SAS, le LRDG et d’autres unités opérant sur les arrières des forces de l’Axe.
« L’oasis de Siwa, c’est pas les grands boulevards, déclare Théo Dumas/Lino Ventura, faut tomber dessus! ». De fait, le célèbre oasis est représenté dans le film, les prises de vue avec les prisonniers de toutes origines assis auprès de la route ressemblant à s’y méprendre aux clichés pris après la chute de Tobrouk le 21 juin 1942.
Les scènes tournées à Siwa ne sont pourtant pas réalistes. L’ancienne base du LRDG occupée par les Germano-Italiens en juin 1942 n’est aucunement un dépôt où le carburant serait en abondance, surtout pas un lieu de transit des convois du DAK, qui n’auraient rien à faire à suivre cette piste qui mène à cet oasis des confins du désert. Pis, on ne peut vraisemblablement imaginer que Siwa serve de point de rassemblement des prisonniers. La chronologie des événements pose également problème : lorsque les quatre Français mettent la main sur l’engin de l’Hauptmann von Stegel, ils apprennent par « Radio Le Caire » que Rommel est vaincu à El Alamein, et que ses troupes sont en pleine retraite. La bataille débute le 23 octobre et la retraite n’est effective qu’à partir du 4 novembre. Or le raid sur Tobrouk a été mené à la mi-septembre : l’odyssée des protagonistes du film ne peut raisonnablement pas s’éterniser six semaines…


En haut : Un Taxi pour Tobrouk (avec un étrange engin maquillé en blindé); en bas et ci-dessous: images de la Propagande allemande montrant les captifs alliés après la prise de Tobrouk. On notera l’effort de Denys de la Patellière pour montrer l’aspect multi-ethnique de la 8th Army britannique.

Faute de pouvoir réaliser le tournage en Afrique, Denys de la Patellière a judicieusement opté pour le désert d’Almeria, en Espagne. Une épreuve pour les acteurs, notamment Lino Ventura qui a tôt fait de faire venir son épouse pour concocter de bons petits plats… Quelques autres détails ne sont pas historique : la gourde de type américain n’a rien à faire dans le désert à cette époque de la guerre… Si le camion des héros est bien ressemblant à un LRDG au début du film (alors même que le réalisateur a été contraint d’improviser car son matériel est resté bloqué à la frontière espagnole), le deuxième engin, pris aux Allemands, est plus dur à identifier, de même que les véhicules de la colonne allemande, mais l’illusion est réussie, mis à part le blindé bizarrement bricolé dont Denys de la Patellière aurait pu faire l’économie. On notera aussi l’absence d’Italiens dans le film, mais par allusion, alors même qu’ils représentent les gros bataillons de l’Axe en Afrique.


Ci-dessus : le Chevrolet du film. Ci-dessous, une photographie d’époque (1er modèle de Chevrolet utilisé par le LRDG, avant le renouvellement de 1942).

Ci-dessous: la nouvelle monture des héros du film… sur le sable mou!

Le roman-photo du film (dont je possède un exemplaire):

Un Taxi pour Tobrouk c’est enfin une musique inoubliable:

Au final, un film comique et d’aventure dans le désert, mais un film dur, où le meurtre peut être gratuit : on tue des hommes sans défense pour s’emparer d’un véhicule et on est prêt à assassiner un prisonnier… La fin, tragique, dénonce l’absurdité et la cruauté de la guerre, elle nous met également en garde à ne pas juger trop sommairement celui dont on ignore tout, tel ce quidam interpellant Théo Dumas/Lino Ventura sur les Champs-Elysées…
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