Livre Seconde Guerre Mondiale WWII

ECRIRE LE DEBARQUEMENT ET LA BATAILLE DE NORMANDIE (1)

Le Débarquement a fait couler beaucoup d’encre. La façon de s’y intéresser a considérablement évolué au fil du temps.

            Moment emblématique de la Libération et de la victoire sur l’Allemagne nazie, le Débarquement, avec les deux mois de bataille consécutive en Normandie, constitue probablement le premier sujet de prédilection des historiens et des passionnés de la Seconde Guerre mondiale. N’est-il pas révélateur que les commémorations du 6 juin 1944 –alliant cérémonies, présence de vétérans et manifestations de collectionneurs- aient toujours pris le pas sur celles du 8 mai 1945 ? Si Omaha Beach est le passage obligé de tout président américain, nul autre événement du conflit ne peut prétendre à un tel engouement.

Premiers récits : le Jour J et la bataille de Normandie entrent dans la légende

Les premiers récits de la bataille qui apparaissent après le confit jusque dans les années 1960 soulignent l’importance majeure de l’événement. Les grands témoins –Eisenhower et Croisade en Europe (1949), ou encore Montgomery, avec De la Normandie à la Baltique (1948) puis ses Mémoires(1958), y donnent leur appréciation de l’événement. D’autres récits de témoins oculaires complètent l’information des lecteurs. Ainsi, le vice-amiral Ruge, attaché naval de la Kriegsmarine auprès de Rommel, publie-t-il (1960) dans lequel est relaté la mise en défense des côtes et la bataille vu depuis le quartier-général du Heeres-Gruppe B. On pourrait multiplier les exemples à l’envie.

A côté des souvenirs des principaux acteurs impliqués dans l’immense bataille, forcément quelque peu biaisés et orientés en leur faveur –songeons que l’heure est à la Guerre froide face aux Soviétiques et à la réconciliation avec l’Allemagne de l’Ouest (Speidel, ancien conspirateur contre Hitler, qui publie Invasion 44 (1964) est l’ancien chef d’état-major de Rommel et surtout le commandant en chef de la nouvelle armée allemande : la Bundeswehr)- sont publiés des ouvrages donnant la parole aux officiers de rang inférieurs, voire à l’homme de troupe. Les ouvrages emblématiques sont ici Ils Arrivent (1961) de Paul Carell et  Le Jour le Plus Long (1960) de Cornélius Ryan. Bien que truffés d’erreurs et d’approximations, ces livres, écrits sur la base de témoignages, ont le mérite de mettre le lecteur en situation, de donner l’impression d’assister aux événements. Ryan, et plus encore l’adaptation de son livre sur grand écran par Darryl Zanuck, font passer Pegasus Bridge, la Pointe du Hoc, le mitraillage des plages par les deux Focke-Wulf de Priller et Sainte Mère Eglise à la postérité et dans la mémoire du grand public. En France, les travaux d’Eddy Florentin s’appuyant sur des archives et des témoignages marquent également leur époque, notamment Stalingrad en Normandie publié pour la première fois en 1964.

Renouveau historiographique et nouveaux éléments

A partir des années 1970, alors que l’intérêt pour les récits de la bataille ne faiblit pas, de nouvelles données permettent un renouvellement historiographique. L’existence d’ULTRA, ce système de décryptages des messages codés de la Wehrmacht par les Alliés, est révélée au public. A côté des ouvrages généraux traitant du Débarquement dans sa globalité sans insister sur les détails –un genre qui a toujours la cote étant donné l’intérêt du grand public pour cette bataille- se multiplient donc les livres plus ciblés. On insiste plus largement sur l’opération « Fortitude », cette intoxication qui fait croire aux Allemands que le véritable débarquement aura lieu dans le Pas-de-Calais, ce qui a le mérite de faire passer ces derniers pour moins niais qu’ils n’apparaissent dans le film « Le Jour le Plus Long ». Forecast for Overlord (1971) du Group Captain Stagg, le météorologiste du SHAEF (Supreme Headquarter Allied Military Forces) sur les rapports duquel Eisenhower s’est basé pour donner le feu vert à l’opération « Overlord », présente un regard original sur ces événements.

Sans surprise, l’historiographie française compte de nombreux ouvrages donnant la parole aux civils et aux résistants, ainsi qu’aux bombardements et aux victimes civiles (soulignons ici l’excellent travail d’historien comme J. Quellien et B. Garnier –Les Victimes civiles du Calvados dans la bataille de Normandie. 1er mars-31 décembre 1945, 1995- et J. Quellien, M. Boivin et G. Bourdin -Villes normandes sous les bombes, 1994). Autre évidence, les historiens soviétiques semblent bouder une opération qui leur apparaît secondaire comparée à l’immense Front de l’Est : il apparaît de toute façon moins que jamais approprié de reconnaître aux Alliés occidentaux l’importance cruciale de leur contribution à la victoire finale dans le contexte de Guerre froide d’alors. A contrario, les Anglos-Saxons mettent en avant le rôle des unités impliquées dans la bataille, écrivant parfois sur une opération particulière : la prise du pont de Bénouville par les aéroportés britanniques par exemple. L’intérêt se porte uniquement sur l’histoire des combattants de la nationalité de l’auteur, à l’instar des excellents Eisenhower’s Lieutenants(1981) de Russel F. Weigley, qui analyse les caractéristiques et la campagne menée en Europe par l’US Army, ainsi qu’Americans at D Day (2005) et Americans at Normandy (2005) de John C. McManus.